Page images
PDF
EPUB

ment de deux peuples sans chercher contre quoi et contre qui ils se rapprochent.

se

On dirait que dans la vie civile ils ne peuvent assister à un mariage sans demander contre qui on se marie. Non, si de grands peuples parlementaires et libres, l'Angleterre, l'Italie et la France, s'unissent et se concilient, ce n'est pas pour faire de leur liberté privilégiée un prétexte à d'égoïstes combinaisons. C'est pour aider par l'élargissement et l'assouplissement des amitiés nationales à la grande alliance européenne et humaine. C'est pour servir en Europe, à l'orient de l'Europe et dans le monde la civilisation, la justice et la paix!

C'est cette grande paix européenne et humaine, solide, organisée, durable, que souhaitent avec passion les travailleurs d'Angleterre et de France. Je ne puis oublier en ces journées apaisées et presque souriantes qu'il y a quelques années les délégués des trade-unions anglaises sont venus à Paris au fort de la crise qui menaçait les bonnes relations des deux pays, et qu'ils ont noué, à la Bourse du travail, un pacte d'amitié fraternelle avec les syndicats ouvriers français. Et ils nous dirent alors cette parole profonde et sage, qu'il fallait dans les années faciles créer entre les deux peuples des réserves de confiance et de solidarité, capables de résister aux épreuves et aux entraînements des jours difficiles.

C'est ce que nous faisons aujourd'hui, messieurs, mettant ainsi au service de la paix ces facultés de prévoyance que l'homme n'a guère mises jusqu'ici qu'au service de la guerre. (Applaudissements).

J'ai trouvé à notre biblio hèque nationale un opuscule anonyme de 1792, édité à Londres, chez Johnson, près de l'église SaintPaul, et où l'auteur s'écrie: Il faudra bien maintenant que l'on entende «< la majesté silencieuse de la misère», « the silent majesty of misery ». Cette majesté du travail souffrant n'est plus muette: elle parle maintenant par des millions de voix, et elle demande aux peuples de ne pas ajouter par la défiance et la haine, par la guerre et l'attente de la guerre à tous les maux sous lesquels les hommes de labeur sont accablés.

Messieurs, comment, à quel moment, sous quelle forme ce vœu de concorde internationale sera-t-il entendu? Je ne me risquerai pas à le conjecturer ce soir. L'expérience m'a démontré qu'il faut être prudent quand on parle de ces questions devant un Parlement, et la raison me suggère qu'il faut redoubler de prudence quand on parle devant deux (Rires et applaudissements).

Aussi bien, si nous avions besoin de modestie et de patience, il suffirait de se rappeler qu'en 1790, un Anglais qui avant vous, mon cher monsieur Mill, représenta la ville de Calais, l'illustre conventionnel Thomas Payne, demandait en un livre qui fit for tune en France, que l'Angleterre, la France et les Etats-Unis s'entendissent pour diminuer de moitié leurs dépenses navales et pour consacrer les ressources ainsi disponibles à donner des retraites aux vieux ouvriers. C'est un souvenir lointain déjà, si lointain qu'il y a, à l'évoquer, plus de mélancolie que de péril.

Et si vous me pressiez de m'aventurer à

mon tour en des prophéties, je ne pourrais guère vous répondre que par un symbole un peu étrange et obscur encore, que j'ai lu par fragments dans les légendes de Merlin par l'enchanteur, dans les contes des Mille et une Nuits et dans un livre encore inconnu.

Il y avait une fois une forêt ensorcelée, farouche, dépouillée et aigüe. Sous l'âpre vent d'hiver indéfiniment continué, les arbres se froissaient, se heurtaient les uns aux autres avec un bruit de glaives brisés. Enfin, quand après une longue série de nuits glacées et de jours pâles semblables à des nuits, les êtres et les choses ressentirent les premières sollicitations du printemps, les arbres prirent peur de la sève qui remuait en eux. Et à chacun d'eux le génie solitaire et âpre, qui vivait sous sa dure écorce, disait tout bas, avec un frémissement obscur qui montait des racines profondes: Prends garde! Si tu te risques le premier aux tentations de la saison nouvelle, si le premier tu développes en feuilles et en fleurs tes bourgeons aigus comme des lances, cette délicate parure sera dévastée par les froissements rudes des arbres plus lents à fleurir.

Et avec une insistance particulière, un mélancolique et fier génie disait au grand chêne druidique où il était enfermé: Voudrastu donc, toi dont l'orage a brisé de nobles rameaux, participer à l'universelle fête de

vie?

Ainsi, dans la forêt ensorcelée, la réciproque défiance refoulait la sève, et,jusque sous les appels du printemps, prolongeait le dur hiver pareil à la mort. Qu'advint-il un jour, et par quel mystère l'ensorcellement funeste

fut-il rompu? Quelque arbre se risqua-t-il le premier, comme ces peupliers d'avril qui jaillissent en une fusée de verdure et donnent au loin le signal du renouveau ?

Ou un rayon de soleil plus chaud et plus vif décida-t-il à la fois toutes les sèves ? Mais la forêt éclata tout entière en une magnifique abondance de joie pacifique. (Applaudissements).

Messieurs, si vous me permettez d'ajuster mon toast à ce vieux symbole, et de lui donner devant vous, avec vous, la forme antique d'une invocation à la nature, je bois au vif rayon qui décidera toute la forêt.

Une explosion d'enthousiasme salue ces admirables paroles. Amis et adversaires viennent féliciter le socialiste.

leader

Télégramme au Roi d'Angleterre

Avant de lever la séance, M. d'Estournelles a donné lecture d'un télégramme adressé par le Groupe français au roi Edouard VII et dont voici le texte :

Les membres du Groupe parlementaire français de l'Arbitrage international, réunis ce soir avec un grand nombre de leurs collègues des Parlements anglais et français, adressent à Votre Majesté, avec leurs respectueux hommages, leurs vœux pour que ces échanges de visites dont Elle a donné le bienfaisant exemple, contri

buent à fortifier l'amitié de la France et de l'Angleterre, et à assurer le maintien de la paix du monde. (Applaudissements prolongés).

Les convives se sont ensuite séparés, profondément impressionnés par la grandiose manifestation à laquelle ils venaient d'assister.

Pendant le reste du séjour des parlementaires anglais et de leurs familles à Paris, de brillantes réceptions furent organisées en leur honneur.

La matinée du vendredi, 27 novembre, fut employée à la visite des ateliers des deux maîtres bien connus, le sculpteur Rodin et le peintre Charles Toché.

A midi, la délégation anglaise se trouvait réunie à la Chambre de Commerce.

A la Chambre de Commerce

Tous les membres de la compagnie avaient tenu à assister à cette réception.. Et même étaient venus exprès les Présidents des Chambres de Commerce des départements.

C'est M. Derode, président, qui reçoit les invités. M. d'Estournelles lui présente les membres du Bureau du Commercial Committee et les parlementaires anglais. « Il est heureux, dit-il, de servir de trait d'union entre les membres des Chambres

« PreviousContinue »