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paraître des officiers généraux, des mestre de camp, des colonels, des capitaines et des lieutenants, sans oublier les officiers subalternes, recevant de l'admirable sagesse de nos premiers rois des concessions de primaties, du chés, comtés de premier et de second ordre; et jusqu'à des villes, des bourgs et des villages, selon le grade et les services de chacun.

Ces étranges méprises d'historiens, d'ailleurs pleins de savoir et d'érudition, tiennent plutôt au vice des temps où ils vivaient qu'à l'obscurité de ceux qu'ils avaient à décrire. Il était passé en force de chose jugée alors, qu'il n'y avait point eu d'enfance pour la monarchie française; que, dès le début, et sans tâtonnement, les premiers rois s'étaient montrés sages et éclairés ; que les institutions étaient taillées, à peu dé chove près, sur le même patron que celles du règne de Louis XIV, et que tous les membres de la société gallo-franque se mouvaient dans une sphère de civilisation à peine inférieure à celle du XVIII° siècle. Comment auraient-ils pu, sur de telles données, réduire à leur juste valeur ces traditions fabuleuses, ces merveilleuses légendes qu'on trouve au berceau de tous les peuples? Comment surtout se résoudre à confesser son impuissance, ou se vouer à traverser tant d'obscurité pour arriver à une réalité qui, pour eux du moins, avait quelque chose de hideux et de repoussant?

Eh bien! c'est là précisément ce qu'il faut reconnaître, parce que c'est un fait, et qu'on ne détruit pas un fait en le niant ou en le défigurant faute de le bien comprendre.

Au commencement du v siècle, l'état social dans les Gaules était dominé par deux éléments principaux, Télément sacerdotal et l'élément romain. Après avoir triomphé de l'un, la conquête se trouva face à face avec l'autre, et, au lieu de chercher à le détruire aussi, ce

à

qui eût été moins facile, elle le fit servir à consolider sa durée. De là, le mouvement religieux qui remue tout coup ces hordes insouciantes de barbares, et qui va se propageant du chef jusqu'au moindre soldat; de là aussi ce besoin d'ordre qui se fait généralement sentir, et dans lequel viennent s'éteindre les haines entre les vainqueurs et les vaincus.

A l'exemple des Goths et des Bourguignons, qui occupaient déjà les provinces de l'est et du midi, les Francs eurent leur recueil de lois, qui réglaient les divisions de la propriété, l'ordre des successions, les obligations envers le chef de l'État et les rapports des individus entre eux. Ces lois se trouvent être ainsi les premiers monuments authentiques d'après lesquels il nous soit permis d'étudier l'établissement et l'exercice de la police en France (1).

(1) La loi salique, publiée vers l'an 487, fut revue par Clovis lui-même après sa conversion au christianisme, puis par Childebert, son fils, qui l'augmenta de plusieurs articles; et enfin par les successeurs de ces princes, qui la complétèrent par la publication de nouvelles constitutions. Telle qu'elle nous est parvenue, et qu'on la trouve dans Baluze (Capitularia regum francorum, t. 1, p. 281) elle se compose de soixante-douze titres, parmi lesquels, un seul, le soixante-douzième, paraît avoir donné naissance au préjugé qui fait considérer cette loi comme spécialement destinée à régler le droit de succession à la couronne de France. L'art. 6 de ce titre est ainsi conçu : Pour ce qui est de la terre salique, que la femme n'ait nulle part à l'héritage, mais que l'heritage tout entier passe aux måles. ( De terrà vero salicá, nulla portio hereditatis mulieri veniat; sed ad virilem sexum tota terræ hereditas perveniat.) Il faut certes faire un étrange abus d'interprétation pour tirer de là un principe d'exclusion des femmes dans l'héritage de la couronne.

La langue dans laquelle est écrite la loi salique prouve que le clergé n'est point resté étranger à sa rédaction : car lui seul à cette époque conservait quelques notions de littérature latine, et avait assez de connaissances pratiques pour distribuer convenablement les matières qui devaient entrer dans la composition d'un Code. On sait, du reste, que le nom de salique était celui de la tribu de Francs qui habitaient la partie de la Germanie qu'on désigne encore sous le nom de Salland, pays des Saliens,

DE LA POLICE SELON LES LOIS SALIQUES ET RIPUAIRES.

(487-752.)

La plus grande partie de la loi salique a pour objet l'énumération des crimes, tels que l'homicide, l'empoisonnement, le rapt, l'adultère, l'incendie, etc., et la pynition fixée pour chacun d'eux ne va jamais jusqu'à la privation de la vie (1). C'est à peine si les esclaves, convaincus de crimes, sont soumis à quelque châtiment corporel. Tout se résout en amendes pécuniaires (2).

En outre, le criminel était presque toujours condamné à la delatura ou au fredum, signifiant les frais de poursuite exercée contre le prévenu. Ainsi, par exemple, à l'occasion du larcin d'animaux domestiques (de furtis animalium), celui qui avait volé un veau qui tétait encore, subissait une amende de six vingts deniers (environ vingt-cinq francs), excepto capitale et delatura,

(1) En vertu de lois particulières rendues sous les successeurs de Clovis, les voleurs et les meurtriers furent punis de mort; mais il était toujours permis de racheter sa vie en payant une certaine somme à la personne volée ou à la famille de celui qui avait été tué.

(a) Ces amendes étaient exprimées par deniers et par sous; mais les deniers étaient en argent et les sous en or, selon le système adopté par les Romains depuis le règne de Constantin-le-Grand. La conformité qu'il y a pour le poids entre les sous, les demi-sous et les tiers de sous d'or en circulation sous la première race et les pièces d'or du bas-empire, ne laisse aucun doute à cet égard. Selon M. Leblanc, auteur d'un savant traité sur les monnaies de France, le sou d'or valait quarante deniers d'argent, et vaudrait aujourd'hui environ huit francs cinq sous de notre monnaie. Il est facile, d'après cette donnée, d'évaluer les amendes auxquelles la loi salique condamnait les criminels. Ainsi, par exemple, au titre des blessures, de vulneribus, celui qui en a blessé un autre à la tête jusqu'à effusion de sang, est condamné à une amende de six cents deniers ou quinze sous. d'or; cette amende correspondrait à cent vingt-cinq ou vingt-six francs de notre monnaie.

raître, la loi salique n'admettant point la contrainte par corps, on le citait devant le roi; et quand, après l'accomplissement de diverses formalités et sommations nouvelles, il persistait encore dans son refus de se présenter, le roi confisquait tous ses biens et défendait, sous peine d'une amende de quinze sous d'or, de lui donner asile ou nourriture. La famille du condamné elle-même était soumise à cette défense; de sorte que celui-ci était obligé de s'expatrier ou de comparaître.

Dans certains cas, cette résistance au jugement du prince était punie par le pillage et la dévastation des biens du coupable; cette coutume subsista en France jusqu'au règne de Philippe 1er.

La conquête des Gaules par les Francs ne s'accomplit pas tout d'un coup; il y avait dans la partie du pays Belgique, situé entre l'Escaut et le Vahal, des peuplades belliqueuses que les Romains n'avaient jamais pu soumettre par les armes; mais avec lesquelles ils étaient entrés en composition, leur promettant aide et tranquillité, à la condition par elles de reconnaître l'autorité de la métropole et de payer tribut en hommes et en argent. Les Romains vaincus par Clovis, ces peuplades se défendirent long-temps encore; mais enfin elles consentirent à traiter, et acceptèrent la domination franque, après avoir formellement stipulé qu'on les laisserait vivre selon leurs lois et coutumes, conserver leur costume national, et porter à la guerre leurs étendards particuliers. C'est cette race de Gaulois qu'on avait désignée sous le nom de Ripuaires (ripuarii), parce que, répandus sur les rives de l'Escaut, de la Meuse et du Rhin, ils étaient là comme des gardes avancées, chargées de défendre le passage de ces fleuves contre les nations germaniques.

A cause de cette position toute exceptionnelle, les

dispositions de la loi salique ne pouvaient leur être applicables dans leur ensemble; il fallut donc adopter une autre loi, et la lex Ripuariorum vint régler et la police intérieure de ces peuplades et leurs rapports avec l'autorité suprême qu'ils avaient reconnue.

Cette loi reproduisait plusieurs articles de la loi salique, notamment ceux qui traitent des amendes relatives aux crimes de vol et d'homicide. Mêmes conditions d'affranchissement pour les esclaves, même responsabilité imposée aux maîtres, au sujet de ceux-ci. Bien plus, comme l'épreuve par le feu était admise, si, après l'avoir subie, c'est-à-dire après avoir plongé sa main dans un brasier enflammé, l'esclave la retirait brûlée, le maître était obligé de payer pour lui en raison de la gravité du délit (1).

En cas de guerre, ou pour toute autre cause relative au service du roi, les Ripuaires étaient obligés de marcher au premier ordre, et celui d'entre eux qui ne répondait pas à cet appel, était puni d'une amende de soixante sous d'or, à moins qu'il ne justifiât de maladie (2).

Ils étaient également tenus, sous la même peine, d'accorder l'hospitalité aux envoyés du roi, et à ceux qui lui étaient adressés, ou qui voyageaient pour son service (3).

L'homicide commis sur la personne d'un prêtre était assimilé à l'homicide commis sur celle d'un homme royal

(1) Quod si servus in ignem manum miserit, et læsam tulerit, dominus ejus, sicut lex continet, de furto servi culpabilis judicetur. Tit. II.

(2) Si quis legibus in utilitatem regis, sive in hoste, sive in reliquam utilitatem bannitus fuerit, et minimè adimpleverit, si ægritudo eum non detinuerit; sexaginta solidis multetur. Tit. Lxv.

(3) Si quis autem legatarium regis, vel ad regem, seu in utilitatem regis pergentem hospitio suscipere contempserit, sexaginta solidis culpabilis judicetur. Tit. LXV.

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