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qui achètent mais cette différence n'a jamais été méconnue. Les lois qui ont admis l'action rescisoire dans les actes de partage et dans les contrats de vente n'ont exige qu'u 'une lésion du tiers au quart pour faire rescinder les actes de partage; tandis qu'elles ont requis une lésion plus forte, telle, par exemple, qu'une lésion d'outre moitié du juste prix, pour faire rescinder un contrat de vente. Sans doute, il faut observer l'égalité dans les actes de partage mais est-il un seul contrat dans lequel il soit permis de ne point garder la bonne foi ou de ne point observer la justice?

« On ne cesse de répéter que les contrats de vente ne sont que des spéculations déterminées par le besoin ou par la convenance. Expliquonsnous une fois pour toutes sur ce point. Nous l'avons déjà dit en matière de vente, on appelle en général besoin ou con venance du vendeur le besoin ordinaire que tout vendeur a de vendre pour avoir un argent qui lui convient mieux que sa marchandise ou son immeuble.

« On appelle besoin ou convenance de l'acheteur le besoin que tout acheteur a d'acheter, pour avoir un immeuble ou une marchandise qui lui convient mieux que son argent.

«Mais le désir immodéré de s'enrichir aux dépens d'autrui ne saurait être un besoin ni une convenance légitime pour personne.

« Il est sans doute naturel que l'on veuille vendre cher et acheter à bon marché c'est ce que les lois civiles de toutes les nations reconnaissent lorsqu'elles déclarent qu'il est permis, jusqu'à un certain point, à un vendeur et à un acheteur, de se circonvenir mutuellement, sese invicem circumvenire, pour tirer le meilleur parti possible de leur position respective. Mais il ne faut pas étendre trop loin cette sorte de permission ou de tolérance.

« Le juste prix des choses ne réside pas dans un point indivisible; il doit se présenter à nous avec une certaine latitude morale deux choses, quoique de la même espèce, ne sont jamais absolument ni mathématiquement semblables. L'avantage que l'on peut retirer des mêmes choses n'est jamais exactement le même pour tout vendeur et pour tout acheteur; il serait donc impossible de partir, pour la fixation du juste prix, d'une règle absolue et inflexible dans tous les cas mais si l'on veut asseoir le règne de la justice, il ne faut pas que l'on puisse s'écarter trop considérablement de ce prix commun, qui est réglé par l'opinion, et qu'on appelle le juste prix, puisqu'il est le résultat équitable et indélibéré de toutes les volontés et de tous les intérêts.

« La lésion résulte de la différence qui existe entre le prix commun ou le juste prix, et le prix conventionnel.

«Toute lésion pratiquée sciemment est un acte d'injustice aux yeux de la morale, mais ne saurait être un moyen de restitution aux yeux de la loi. La vertu est l'objet de la morale. La loi a plus pour objet la paix que la vertu. Si la moindre lésion suffisait pour résoudre la vente, il y aurait parmi les hommes presqu'autant de procès qu'il se fait d'acquisitions. C'est pour éviter cet inconvénient général que les lois romaines avaient cru devoir fermer les yeux sur quelques inconvénients particuliers, et prendre une sorte de milieu entre les règles d'une justice trop exacte et les spéculations odieuses de la cupidité humaine.

« Ces lois avaient en conséquence abandonné à la liberté du commerce tout l'espace qui est entre le juste prix et la lésion d'outre moitié de ce juste prix, espace dans lequel le vendeur et

l'acheteur ont la faculté de se jouer. Dans le nouveau projet de loi, nous allons plus loin que les législateurs romains, nous exigeons que la lésion excède les sept douzièmes du juste prix; mais il faut convenir que quand une lésion aussi énorme est constatée, on ne pourrait la tolérer sans renoncer à toute justice naturelle et civile.

« Il importe peu d'observer que l'on peut rencontrer des hypothèses dans lesquelles un vendeur qui n'aurait aucune ressource s'il ne vendait pas, trouve dans le modique prix qu'on lui donne un secours suffisant pour commencer sa fortune ou la rétablir. Ce sont là des circonstances extraordinaires sur lesquelles on ne saurait fonder un plan de législation. Le plus souvent un acquéreur avide abuse de la misère et de la triste situation de son vendeur pour obtenir à vil prix une propriété arrachée, pour ainsi dire, au malheur et au désespoir.

"

Nous ajouterons que pour juger si un contrat est lésif, ou s'il ne l'est pas, il faut confronter le prix avec la chose, et non avec des circonstances accidentelles et fortuites, qui ne font pas partie du prix. La vente n'est point ordinairement un contrat aléatoire; elle ne le devient que quand elle porte surdes choses incertaines, et alors l'action rescisoire pour cause de lésion n'a pas lieu mais toutes les fois qu'une vente porte sur une chose déterminée, il serait absurde qu'au lieu de juger du prix stipulé pour la valeur de la chose vendue, on fùt adinis à exciper de circonstances singulières et extraordinaires, dont les suites sont incertaines et qui sont absolument étrangères au contrat.

« On prétend que des majeurs doivent savoir ce qu'ils font, qu'on ne doit point présumer qu'ils ont été lésés, et qu'ils ne doivent conséqueminent pas pouvoir revenir contre la foi de leurs engagements, sous prétexte de lésion.

«A entendre cette objection, on dirait que des majeurs ne doivent jamais être écoutés quand ils se plaignent. Nous avons pourtant vu que dans le Code civil ils sont écoutés, même pour cause de lésion, quand ils se plaignent de l'inégalité qui s'est glissée dans un acte de partage.

<< Dans tous les contrats, le dol, l'erreur, une crainte grave, sont, par la disposition précise de nos lois, des moyens légitimes et suffisants pour faire restituer les majeurs. Or la lésion, telle que le projet de loi la fixe, pour qu'elle puisse devenir un moyen de restitution, n'équivaùt-elle pas au dol? Les jurisconsultes romains appelaient la lésion ulira-dimidiaire un dol réel, dolum re ipså, c'est-à-dire un dol prouvé non par de simples présomptions, mais par la chose même.

« Nos jurisconsultes français n'ont pas tenu un autre langage (1). Dumoulin, en parlant de celui qui est lésé d'outre moitié du juste prix, dit qu'on peut le regarder et qu'on doit même le regarder, par le fait seul d'une telle lésion, comme trompé, deceptus ultra dimidiam partem.

« Dans plusieurs textes du droit, la lésion ultradimidiaire est présentée plutôt comme une fraude que comme une simple lésion: Non læsio, sed potius deceptio.

« Ce serait donc évidemment autoriser le dol et la fraude que de refuser l'action rescisoire dans le cas d'une lésion aussi considérable que celle qui est énoncée dans le projet de loi, et qui est plus qu'ultradimidiaire,

«Au surplus, pourquoi le dol, l'erreur et la crainte, sont-ils des moyens de restitution pour les majeurs eux-mêmes? C'est, entre autres raisons,

(1) Dumoulin, dans son traité De usuris.

parce que l'on présume qu'il n'intervient point un véritable consentement de la part de celui qui se trompe ou qui est trompé, errantis aut decepti nullus est consensus. Or peut-on dire que celui qui est énormément lésé aurait adhéré au contrat, s'il avait connu cette lésion, ou s'il avait été dans une situation assez libre pour ne pas la souffrir?

« Quels sont les effets ordinaires du dol, de l'erreur et de la crainte? En dernière analyse, ces effets aboutissent à une lésion que les lois veulent prévenir ou réparer, en protégeant les citoyens contre les diverses espèces de surprises qui peuvent être pratiquées à leur égard. Comment donc, dans quelque hypothèse que ce soit, les lois pourraient-elles voir avec indifférence un citoyen lésé au delà de toutes les bornes, et d'une manière qui constate évidemment quelque fraude ou quelque erreur?

«La majorité du contractant qui a été lésé empêche-t-elle qu'on n'assure à ce contractant l'action rédhibitoire pour les vices cachés de la chose vendue, une indemnité raisonnable pour les servitudes non apparentes qui lui auront été dissimulées, ou pour défaut de contenance qui sera d'un vingtième au-dessus ou au-dessous de la contenance annoncée dans l'acte de vente? Ne vient-on pas au secours d'un majeur dans toutes ces occurrences? Comment donc pourrait-on penser qu'un majeur qui souffre une lésion plus qu'ultradimidiaire n'a aucun droit à la vigilance et à la sollicitude des lois? Est-ce qu'on se montrerait plus jaloux de réparer un moindre mal qu'un mal plus grand?

« Nous savons qu'en général les majeurs sont présumés avoir toute la maturité convenable pour veiller sur leurs propres intérêts. Mais la raison dans chaque homme suit-elle toujours les progrès de l'âge? On est aujourd'hui majeur à vingt et un ans. Nous avons devancé à cet égard le terme qui avait été fixé par notre ancienne législation. Or, croit-on qu'un jeune homme de vingt et un ans soit, dans l'instant métaphysique où la loi déclare sa majorité, tout ce qu'il doit devenir un jour par l'habitude des affaires et par l'expérience du monde? Des majeurs peuvent être absents; ils sont alors obligés de s'en rapporter à un procureur fondé. D'autres sont vieux ou infirmes; on peut abuser de leur faiblesse pour surprendre leur bonne foi.

« Il en est qui peuvent être travaillés par quelque passion, et à qui l'on peut alors arracher des actes qui, selon le langage des jurisconsultes, ressemblent à la démence, quasi non sanæ mentis. Ne faut-il pas protéger les hommes non-seulement contre les autres, mais encore contre eux-mêmes?

Tout majeur, quel qu'il soit, qui éprouve un dommage grave, n'est-il pas autorisé à en demander la réparation? Cela n'est-il pas dans le vœu de la nature, dans celui de toutes les lois?

« Mais, dit-on, si l'on donne aux majeurs l'action rescisoire pour cause de lésion, toutes les propriétés seront incertaines; il n'y aura plus de sûreté dans le commerce de la vie.

« Nous répondrons d'abord que cette objection ne prouve ríen, ne fût-ce que parce qu'elle prouverait trop. Car, en lui donnant toute l'étendue dont elle serait susceptible, il faudrait proscrire toutes les actions en nullité, toutes celles qui pourraient être fondées sur le dol, l'erreur, la crainte, la violence; il faudrait proscrire généralement tous les moyens par lesquels on peut ébranler un contrat de vente, parce que tous ces moyens tendent à rendre la propriété plus ou moins incertaine dans les mains des acquéreurs.

« En second lieu, le projet de loi, en admettant l'action rescisoire pour cause de lésion, ne l'a admise que dans les ventes d'immeubles. Il déclare qué la vente des effets mobiliers ne comporte point cette action. On conçoit que les fréquents déplacements des effets mobiliers, et l'extrėme variation dans le prix de ces effets, rendraient impossible un système rescisoire pour cause de lésion dans la vente et l'achat de pareils objets, à moins qu'on ne voulût jeter un trouble universel dans toutes les relations commerciales, et qu'on ne voulût arrêter le cours des opérations journalières de la vie. Dans ces matières, il faut faire plus de cas de la liberté publique du commerce que de l'intérêt particulier de quelques citoyens. Il en est autrement des immeubles. Leur prix est plus constant, et leur circulation est certainement moins rapide. Des immeubles appartiennent longtemps au même propriétaire. Ils ne sortent guère des mains de celui qui les possède que par l'ordre des successions. Combien de familles dans lesquelles les diverses générations se partagent pendant longtemps le même patrimoine! on peut donc et on doit, quand il s'agit d'immeubles, se montrer plus occupé de réparer la lésion ou l'injustice que peut éprouver un citoyen, que de protéger la cupidité d'un autre.

« Dans l'ancien régime, on recevait l'action rescisoire, même pour les objets mobiliers, quand ces objets étaient précieux. Nous avons cru devoir écarter cette exception, qui pouvait apporter des gênes trop multipliées dans la circulation des effets mobiliers, et entraîner des discussions trop arbitraires pour savoir si un objet est plus ou moins précieux. Nous avons absolument borné l'action rescisoire à la vente des choses immobilières. Objectera-t-on que si l'action rescisoire, limitée à la vente d'immeubles, n'est point préjudiciable au commerce proprement dit, elle peut l'être à l'agriculture par l'espèce d'inaction dans laquelle se tient un nouveau propriétaire qui n'ose rien entreprendre quand il peut craindre d'être évincé?

« Nous répondrons qu'il était possible d'avoir ces craintes lorsque l'action rescisoire durait dix ans; mais le projet de loi ne lui donne plus que deux ans de durée, à compter du jour de la vente. Ce terme est assez long pour que l'action rescisoire puisse être utile à celui qui est en droit de l'exercer, et il est assez court pour que l'agriculture n'ait point à souffrir d'un délai qui, loin d'empêcher les entreprises du nouveau propriétaire, ne lui laisse que le temps convenable pour les préparer.

"

Les écrivains, qui pensent que l'action rescisoire pour cause de lésion ne doit point être admise, se replient ensuite sur les prétendus dangers de la preuve à laquelle on est forcé de recourir pour constater la lésion.

« Mais quelle est donc cette preuve qui inspire tant d'inquiétudes ? L'estimation par experts. Rien n'est moins sùr, dit-on, que cette estimation. On sait comment des experts opèrent; chaque partie a le sien. Un tiers est appelé, et l'opinion de ce tiers fait la loi. Ainsi les propriétés se trouvent à la disposition d'un seul homme.

« Avec des objections semblables, il n'y aurait de sûreté que pour les hommes injustes et méchants. S'agirait-il du dol personnel qui annule tous les contrats? On dirait que la plainte n'en doit point être reçue, parce que le dol personnel ne peut être constaté que par la preuve testimoniale, qui est la plus incertaine et la plus dangereuse de toutes les preuves. On renverserait bientôt tous les moyens de recours contre l'injus

tice, on assurerait l'impunité de tous les crimes, faute de trouver une preuve qui pût rassurer suffisamment l'innocence.

« Heureusement il faut que les affaires marchent, et nous nous résignons par nécessité à chercher non un mieux idéal, mais le bien qui est possible et qui nous paraît présenter le moins d'imperfections et le moins d'inconvénients.

«La preuve par témoins a des dangers; mais l'impunité des délits en aurait davantage. On a donc fait plus d'attention aux dangers de l'impunité qu'à ceux de la preuve testimoniale.

« Il serait sans doute à désirer que tout ce que l'on a intérêt de prouver pût être constaté par écrit; mais la force des choses y résiste. L'écriture n'accompagne que les conventions ou les choses qui sont susceptibles d'une certaine publicité. Les coupables se cachent et n'écrivent pas. La preuve testimoniale est la preuve naturelle des faits. La déclaration d'experts est la preuve naturelle de tout ce qui requiert, dans certaines matières, le jugement ou l'opinion des gens de l'art.

«Dans les procès en lésion, les preuves littérales ne sont point exclues. On peut administrer des baux, des documents domestiques, des actes et d'autres titres qu'il serait inutile d'énumérer; mais nous convenons que l'estimation par experts est la véritable preuve en pareille occurrence.

«Que peut-on craindre de cette preuve? Elle est bien moins incertaine que celle par témoins. On n'a pour garant de la sincérité d'une déposition que la bonne foi et la mémoire de la personne qui dépose. Un témoin peut être corrompu ou suborné; sa mémoire peut être infidèle. Les faits sur lesquels on rend ordinairement témoignage sont, pour la plupart, fugitifs; ils ne laissent aucune trace après eux. Ainsi, en matière de preuve testimoniale, la nature des choses qui sont prouver augmente les dangers de la preuve.

«Les mêmes inconvénients ne sauraient accompagner l'estimation par experts. Des experts sont des espèces de magistrats qui ont l'habitude de leurs fonctions, et qui ont besoin de conserver la confiance. Ils sont obligés de motiver leur décision s'ils se trompent, ou s'ils veulent tromper, leur erreur ou leur fraude est à découvert. Ils ne peuvent s'égarer dans leurs opérations. Ayant à estimer s'il y a ou s'il n'y a pas lésion dans un contrat de vente, ils ont sous les yeux l'immeuble qui est l'objet de l'estimation, et ils peuvent confronter facilement avec le prix qui a été stipulé dans le contrat, et avec les circonstances qui établissent le juste prix et qui sont garanties par l'opinion commune, étayée de tout ce que les localités peuvent offrir d'instruction et de lumières. Rien de plus rassurant.

« La loi sur la propriété, que vous avez récemment décrétée, porte que quand on prendra le fonds d'un particulier pour cause d'utilité publique, on donnera à ce particulier une juste et préalable indemnité. Or ce sont des experts qui fixent cette juste indemnité par un rapport d'estimation.

«Tous les jours, pour un partage à faire dans une succession, ou pour la rescision d'un partage déjà fait, on a recours à l'estimation par experts, qui seule peut faire connaître la véritable valeur des immeubles qui seront ou qui ont été l'objet du partage.

L'estimation par experts est encore d'un usage journalier dans les cas où l'on est évincé d'un immeuble, et où l'on demande le remboursement des améliorations qu'on y a faites.

« Nous ne finirions pas, si nous voulions énoncer

toutes les hypothèses dans lesquelles l'intervention des experts est utile ou nécessaire.

Pourquoi donc concevrait-on des alarmes sur les prétendus dangers de l'estimation par experts, lorsqu'il s'agit d'un procès de lésion, tandis qu'on n'aurait pas les mêmes inquiétudes pour ce genre de preuve dans les occasions multipliées où elle est d'un si grand usage?

« Le projet de loi indique d'ailleurs toutes les précautions qui peuvent empêcher qu'on n'abuse de l'action rescisoire. Il exige une sorte de jugement préparatoire sur l'état des procès, c'est-àdire sur le point de savoir si les circonstances apparentes présentent quelques doutes assez raisonnables pour faire désirer aux juges de recevoir de plus grands éclaircissements, et d'admettre le demandeur en rescision à tous les genres de preuves dont la matière peut être susceptible. On montre tant de respect pour la sainteté des contrats et pour la sûreté du commerce, qu'une question rescisoire est traitée avec la même circonspection que pourrait l'être une question d'Etat.

« On entoure ensuite la preuve de l'estimation par experts de toutes les formes qui peuvent nous rassurer sur l'intérêt de la justice et de la vérité. Les trois experts doivent être nommés à la fois; ils doivent tous être choisis d'office par le juge, ou du commun accord des parties; ils doivent opérer ensemble; ils sont tenus de dresser un seul procès-verbal commun, et de ne former qu'un seul avis à la pluralité des voix.

« S'il y a des avis différents, le procès-verbal en contiendra les motifs, sans qu'il soit permis de faire connaître de quel avis chaque expert a été.

« Ainsi les experts se trouvent soumis, dans leurs opérations, aux mêmes règles et au même secret que les juges. Est-il donc possible d'offrir aux parties une plus forte garantie contre les abus réels ou imaginaires qu'elles pourraient redouter?

« Dans l'ancienne jurisprudence, on doutait si l'action rescisoire pour cause de lésion devait compéter à l'acquéreur comme au vendeur, ou si elle ne devait compéter qu'au vendeur seul. Les cours souveraines s'étaient partagées sur cette question; il y avait diversité d'arrêts. Le projet de loi déclaré que le vendeur seul pourra exercer l'action rescisoire pour cause de lésion. On a cru avec raison que la situation de celui qui vend peut inspirer des inquiétudes toujours étrangères à la situation de celui qui acquiert. On peut vendre par besoin, par nécessité. Il serait affreux qu'un acquéreur avide pût profiter de la misère d'un homme ou de son état de détresse pour l'aider à consommer sa ruine, en cherchant à profiter de ses dépouilles. On ne peut avoir les mêmes craintes pour l'acquéreur lui-même; on n'est jamais forcé d'acquérir; on est toujours présumé dans l'aisance quand on fait une acquisition.

« Quand un vendeur aura exercé l'action rescisoire pour cause de lésion, et quand cette action aura été accueillie, l'acquéreur aura le choix d'abandonner la chose ou de la garder, en fournissant un supplément de prix. Ce supplément consiste dans ce qui manquait pour arriver au juste prix; il doit être payé sous la déduction du dixième du prix total.

« On voit aisément les motifs qui ont dicté ces deux dispositions.

« La première, qui donne à l'acquéreur le choix d'abandonner la chose ou de payer un supplément de prix, a existé dans tous les temps; c'est un hommage rendu à la foi des contrats. Il a tou

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jours été de maxime, quand un contrat n'est pas nul de plein droit, quand il n'est entaché que d'un vice réparable, qu'il faut laisser aux parties tous les moyens de remplir leurs engagements en réparant tout ce qui est vicieux ou injuste, et en respectant tout ce qui ne l'est pas.

« La seconde des dispositions que nous discutons et qui veut que l'acquéreur, s'il garde la chose, paie le supplément du juste prix sous la déduction du dixième du prix total, présente une décision nouvelle; car autrefois il n'y avait point lieu à cette déduction: mais nous avons cru qu'elle est équitable, parce que l'estimation des experts n'étant pas susceptible d'une précision mathématique, on ne peut l'adopter avec une rigueur qui supposerait cette exactitude et cette précision.

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L'action rescisoire n'a pas lieu dans les ventes qui, d'après la loi, sont faites d'autorité de justice. Quand la justice intervient entre les hommes, elle écarte tout soupçon de surprise et de fraude. Elle leur garantit la plus grande sécurité.

« Au reste un vendeur ne peut d'avance renoncer par le contrat au droit de se plaindre de la lésion, même sous prétexte de faire don à l'acquéreur de la plus-value. Un tel pacte serait contraire aux bonnes mœurs. Il ne serait souvent que le fruit du dol et des pratiques d'un acquéreur injuste qui arracheraít cette sorte de désistement prématuré à l'infortune et à la misère.

« De plus, autoriser dans les contrats de vente la renonciation à l'action rescisoire, c'eût été détruire cette action. Tout acquéreur eût exigé cette clause, et la loi n'eût prêté qu'un secours impúissant et illusoire au malheureux et à l'opprimé.

« Il résulte de tout ce que nous venons de dire que l'équité, que la saine morale ne permettaient pas de retrancher de notre Code civil l'action rescisoire pour cause de lésion.

« Vainement alléguerait-on que les lois à cet égard n'auront d'autre effet que de produire des procès sans prévenir les injustices. Nous convenons qu'il y aura toujours des injustices malgré les lois; mais sans les lois les injustices n'auraient point de bornes. C'est mal juger des bons effets d'une loi que de ne s'occuper que du mal qu'elle réprime, sans s'occuper de celui qu'elle prévient. Il y a toujours des crimes à punir; donc les lois n'empêchent pas toujours le crime. Mais n'opposez aucune digue au torrent des vices, des délits et des passions, et vous jugerez alors quelle est la force invisible que les lois exercent sur les actions des hommes.

« S'il était une fois permis de tromper impunément quand on contracte ou que l'on traité avec ses semblables; si la lésion la plus énorme ne pouvait être utilement dénoncée, il n'y aurait plus de honte ni de pudeur dans les engagements publics le plus fort ferait la loi au plus faible; la morale, bannie de la législation, le serait bientôt de la société; car, désabusons-nous, si quelquefois les mœurs suppléent les lois, plus souvent encore les lois suppléent les mœurs. La législation et la jurisprudence sont comme les canaux par lesquels les idées du juste et de l'injuste coulent dans toutes les classes de citoyens.

« Répétera-t-on que l'intérêt public exige qu'il n'y ait point d'incertitude dans les possessions et les propriétés légitimement acquises mais l'intérêt public ne veut-il pas aussi qu'on ne soit point perfide et injuste dans la manière de les acquérir?

"

A ne parler même que d'après des principes

non de morale, mais d'économie politique, quel est le véritable intérêt public et général? Ne consiste-t-il pas à conserver un sage équilibre, maintenir une juste proportion entre les choses et les signes qui les représentent? Un État est dans la prospérité quand l'argent y représente bien toutes choses, et que toutes choses y représentent bien l'argent; ce qui ne se vérifie que lorsqu'avec une telle valeur en immeubles ou en marchandise, l'on peut avoir, sitôt qu'on le désire, une valeur proportionnée ou équivalente en argent. Si les lois favorisent un acquéreur avide et injuste, les choses qui appartiennent au vendeur ne représentent pas bien l'argent, puisque celui-ci peut être dépouillé de tout en ne recevant pour les choses qu'il abandonne qu'un prix misérable et infiniment au-dessous de leur valeur.

« Nous avons donc cru qu'une loi qui rétablit l'action rescisoire pour cause de lésion est aussi favorable à la saine politique que conforme à la bonne morale. Les circonstances les plus impérieuses ne nous invitent-elles pas à faire rentrer le commerce dans le sein de la probité?

"

CHAPITRE VII.

De la licitation.

Après nous être occupés du contrat de vente en général, nous avons fixé notre attention sur un mode particulier de vente qu'on appelle licitation.

« La licitation a lieu lorsqu'il s'agit d'une chose commune à plusieurs, qu'il est impossible ou bien difficile de diviser, et que l'on est forcé de vendre, parce qu'aucun des copartageants ou des copropriétaires ne veut s'en accommoder en payant aux autres ce qui leur revient à chacun.

« Cette manière de vente se fait aux enchères. La chose est adjugée au copartageant, au copropriétaire ou à l'étranger qui a été reçu à enchérir. Le prix est partagé entre ceux qui ont droit à la chose.

« Chacun des copartageants ou des copropriétaires est autorisé à demander que des étrangers soient appelés à la licitation, pour qu'il y ait un plus grand concours d'offrants, et que l'on puisse tirer un meilleur parti de la chose qui est à vendre.

«Le concours des étrangers est indispensable s'il y a des mineurs intéressés.

« Les formalités à observer pour la licitation sont expliquées ailleurs.

CHAPITRE VIII.

Du transport des créances et autres droits incorporels.

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Indépendamment des choses mobilières et immobilières, il est une troisième espèce de biens, celle des créances et autres droits incorporels.

« Cette espèce de biens est de la création de l'homme; elle est l'ouvrage de nos mains; elle est dans le commerce comme tous les autres biens.

Elle est conséquemment susceptible d'être vendue, cédée et transportée. Le projet de loi détermine le mode de délivrance et les cas de garantie. Il rappelle à cet égard des maximes trop connues pour que nous ayons besoin d'indiquer les motifs de sagesse et de justice sur lesquels elles sont appuyées.

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Par les lois romaines, le débiteur des droits, des actions ou des créances légitimes cédées à un tiers, avait le droit de racheter la cession et de se subroger au cessionnaire, en remboursant uniquement les sommes payées par ce dernier, les intérêts, à dater du jour du paiement.

avec

"Cette disposition légale était dirigée contre ces hommes avides du bien d'autrui, qui achètent des actions ou des procès pour vexer le tiers ou pour s'enrichir à ses dépens.

« La jurisprudence française avait adopté en ce point le droit romain. Nous avons cru devoir consacrer par le projet de loi une jurisprudence que la raison et l'humanité nous invitaient à con

server.

« Nous avons en même temps indiqué les cas auxquels la règle qui vient d'être posée sera applicable. Ces cas sont tous ceux où l'on ne rapporte cession de quelque droit litigieux que pour se maintenir soi-même dans quelque droit acquis.

« Ainsi, la règle ne peut être appliquée lorsque la cession est rapportée par un cohéritier ou copropriétaire du droit cédé, par un créancier qui la prend en paiement de ce qui lui est dû, ou par le possesseur de la chose ou de l'héritage sujet au droit litigieux.

« Vous vous apercevez sans doute, citoyens législateurs, de l'attention que nous avons apportée à conserver de notre ancienne jurisprudence sur les contrats de vente, tout ce qui est juste et utile, et à modifier tout ce qui pouvait ne plus convenir aux circonstances présentes.

"

« Il ne suffit pas de faire de bonnes lois, il faut en faire de convenables.

«En sanctionnant le projet qui vous est soumis, vous aurez fixé les règles qui veillent sur les pactes, la forme et l'exécution du plus important de tous les contrats, de celui qui est l'âme de toutes nos relations commerciales. Il est dans toute législation civile des choses qui sont particulières au peuple pour qui cette législation est promulguée. Mais quand on proclame des maximes sur des objets qui appartiennent au code de tous les peuples, on travaille au bonheur de la société générale des hommes; on devient, pour ainsi dire, les législateurs du monde. »>

LIVRE III.

TITRE XII.

DE L'ÉCHANGE.

Exposé des motifs.

Le citoyen Bigot-Préameneu, nommé par le Premier Consulf, avec les citoyens' Lacuée et Foureroy, pour présenter au Corps législatif, dans sa séance du 8 ventose, le titre XII du livre II du projet de Code civil, de l'échange, et pour en soutenir la discussion dans sa séance du 16 du même mois, dépose sur le bureau l'exposé des motifs de ce titre.

Get exposé est ainsi conçu :

Citoyens législateurs,

Le plus ancien des contrats est l'échange. Si Pimagination pouvait se figurer les temps où le droit de propriété n'était pas encore établi, on verpult les hommes se prêtant des secours mufuels, l'un aidant Pautre de sa force, lorsque l'autre Paidait de son adresse, et faisant ainsi Vachange des avantages qu'ils avaient reçus de In mature.

Le droit de propriété ayant attribué à chacun exclusivement les produit de son travail, et la civilention ayant multiplié avec les besoins les diwer gemtex d'ouvragus, auenn n'a pu embrasser tow Blar divers penis de travaux pour fournir 4 tome wo begins Buns Péchange, le droit de Degret welk en van stabli, c'est à Péchange gull gang aming of fos premiers degrés et les bengok de la civiltention

"La multiplicité toujours croissante des échanges a fait rechercher les moyens de les rendre plus faciles telle a été l'origine des monnaies, que tous les peuples ont prises pour un signe représentatif de la valeur de tous les travaux et de toutes les choses qui peuvent être dans le com

merce.

« Les métaux qui servent de monnaie peuvent aussi être un objet direct d'échange, parce qu'ils ont par eux-mêmes une valeur intrinsèque fondée sur l'emploi qu'on en fait en bijoux ou en meubles, et encore plus sur le besoin qu'en ont tous les peuples pour en faire leurs monnaies. Lorsqu'à ce titre, et revêtus des empreintes qui servent de garantie au public, ils sont mis en circulation, on les considère moins comme marchandise que comme signe représentatif des valeurs et comme instrument d'échange; et les transports de propriété qui se font ainsi pour de la monnaie, ont été dès les temps les plus reculés désignés par le nom de vente.

« Les échanges faits par le moyen des monnaies, et distingués sous le nom de vente, parurent aux législateurs romains d'une telle importance pour l'ordre social, qu'ils mirent le contrat de vente dans la classe des contrats nommés, à l'exécution desquels la loi contraignait les parties, et ils laissèrent les échanges au nombre des contrats consensuels, des simples pactes dont l'exécution fut d'abord livrée à la bonne foi des contractants, et pour lesquels il n'y eut ensuite, pendant plusieurs siècles, d'action civile que quand ils avaient été exécutés par l'une des parties.

« Ces divers effets, donnés par la jurisprudence romaine à la vente et à l'échange, ont fixé l'attention sur les différences dans la nature de ces deux contrats. Ces différences ne sont point essentielles, puisque des deux sectes entre lesquelles se divisaient les jurisconsultes, celle des Sabiniens soutenait que l'échange était un vrai contrat de vente. Il fut reconnu, par la loi 1re ff. de contrah. emptione, que l'échange ne doit point être confondu avec la vente; que dans l'échange on ne peut pas distinguer celle des choses échangées qui est le prix, de celle qui est marchandise; au lieu que dans la vente, celui qui livre la marchandise est toujours, sous le nom de vendeur, distingué de celui qui, ne livrant que la monnaie ou le prix pécuniaire, est appelé acheteur. Aliud est pretium, aliud merx quod in permutatione discerni non potest uter emptor, uter venditor sit. L. I. ff. de contrah. empt.

«La vente et l'échange ne diffèrent pas seulement dans leur dénomination: ces contrats ont encore quelques effets qui ne sont pas les mêmes. Dans l'une et l'autre, les deux contractants sont obligés de livrer une chose; mais, dans l'exécution de cet engagement, il y a une différence entre la vente et l'échange.

"

Dans la vente, celui qui achète doit livrer le prix consistant en une somme d'argent, et cette obligation a les effets suivants :

« Le premier, que toute chose pouvant se convertir en argent, il suffit qu'il soit possible à l'acheteur d'en réaliser le prix en vendant luimême tout ce qu'il possède, pour que l'acheteur ait le droit de l'y contraindre.

"Le second effet est que la propriété de ce prix est transférée au vendeur par le seul fait du paiement, sans qu'il reste exposé à aucune éviction : Emptor nummos venditori facere cogitur. L. II, § 2. If, det, vend.

"De son côté, le vendeur doit aussi livrer la chose vendue; mais lorsque c'est un corps certain

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