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ment si ces sommations doivent être répétées; et en admettant qu'il exige de les réitérer, il laisse une entière incertitude tant sur le nombre que sur l'intervalle de temps de l'un à l'autre de ces acles.

« Aussi le nombre des sommations était à peine déterminé par l'usage. Elles n'excédaient pas celui de trois. Dans plusieurs pays on n'en faisait que deux; et dans aucun on n'a vu les peines de l'exhérédation prononcées contre l'enfant qui n'aurait fait qu'une seule sommation.

« L'incertitude sur des points aussi importants serait la mème, et le vœu de la loi ne serait point rempli, si, à la suite de la disposition de l'article 151 du nouveau Code civil, qui impose l'obligation de demander, par un acte respectueux et formel, le conseil des pères et mères, on ne trouvait pas quelles sont les formes nécessaires pour que cette demande puisse procurer un effet vraiment utile et pour les pères et mères, et pour les enfants, et pour les mœurs publiques.

« Le pouvoir d'exhéréder n'a été donné dans aucun cas par le nouveau Code aux pères et mères. J'ai déjà eu occasion d'en exposer les motifs; mais si on avait à considérer cette peine dans le cas où on voudrait l'appliquer à l'infraction de la loi qui ordonne l'acte respectueux, on serait averti par l'expérience du passé et par l'aveu des anciens législateurs de la France, que ce moyen est inefficace; qu'en donnant aux pères et meres le pouvoir le plus illimité, c'est leur donner occasion d'user d'indulgence, et qu'ils ne doivent pas être chargés de maintenir l'ordre public par des peines contre leurs enfants.

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Lorsque des enfants de famille sont parvenus à l'âge où le consentement des pères et mères n'est plus nécessaire pour leur mariage, la loi qui intervient entre eux doit se borner à suivre et à diriger les mouvements du cœur. Si on peut les rendre à leurs affections, les peines seront inutiles; et si on ne peut atteindre ce but, en vain prononcerait-on des peines; elles deviendraient une cause d'une éternelle dissension; elles aggraveraient le mal plutôt qu'elles ne le répareraient.

« La loi doit donc chercher à éclairer les pères et mères sur les préventions et les préjugés qu'ils peuvent avoir, les enfants sur la passion qui peut les égarer. Les rapprocher les uns des autres plusieurs fois; laisser de part et d'autre à la raison et à l'affection le temps d'exercer leur influence, c'est un moyen que la nature elle-même indique. Lorsque ce sont des pères et mères vis-à-vis de leurs enfant, se voir et entrer en explication, c'est presque toujours dissiper les nuages et rétablir l'harmonie.

L'obligation imposée en 1692 d'obtenir un jugement qui autorise les sommations respectueuses n'a paru ni utile, ni convenable. Il vaut mieux ne mêler à ces actes aucune forme judiciaire. Un enfant ne doit point avoir besoin de se faire autoriser par la justice à remplir ses devoirs.

«On atteindra le but qu'on se propose, celui de donner aux pères et mères et aux enfants l'occasion et le temps de s'expliquer, en ordonnant que si la réponse à un premier acte respectueux n'est pas conforme au vou de l'enfant, cet acte sera renouvelé deux autres fois de mois en mois, et que le mariage ne pourra être célébré qu'un mois après le troisième acte.

«La suspension du mariage ne doit pas avoir lieu pendant un plus long délai: la loi serait en contradiction si, en déclarant qu'après un certain âge le consentement des pères et mères n'est pas

T. VIII,

nécessaire, et que l'on doit seulement leur demander conseil, elle prononçait une suspension qui, trop longue, pourrait devenir un empêchement au mariage, ou occasionner le scandale le plus dangereux pour les mœurs publiques. Il faut songer que pendant le temps des actes respectueux dans l'une des familles, l'autre est mise en un état fâcheux d'incertitude, et l'on doit entre elles tenir la balance en n'excédant pas le délai nécessaire pour que les enfants de famille ne se livrent pas au premier mouvement de leur passion, et que la voix des pères et mères puisse pénétrer au fond de leur cœur.

« On avait encore à observer que la cause du dissentiment des pères et mères étant presque toujours dans la fougue des passions qui entraîne les enfants, et dans leur inexpérience qui les empêche de distinguer leurs véritables intérêts, la Toi ne doit plus présumer de pareils motifs lorsqu'une fille est parvenue à vingt cinq-ans et un fils à trente ans. Elle doit toujours maintenir le respect dû aux pères et mères par leurs enfants; mais alors il n'est plus nécessaire que le temps de la suspension du mariage soit aussi long: un seul acte respectueux est dans ce cas exigé, et après un mois écoulé depuis cet acte le mariage pourra être célébré.

« Il était important de donner à ces actes la forme la plus respectueuse, et d'éviter l'impression toujours fâcheuse que fait le ministère des officiers publics chargés d'exécuter les actes rigoureux de la justice. Les actes respectueux ne devront plus être notifiés par des huissiers; on emploira les notaires; ce sont les officiers publics dépositaires des secrets de famille, ceux dont elles réclament habituellement le ministère pour régler amiablement tous leurs intérêts. On doit éviter l'expression même de sommation, qui désigne mal un acte de soumission et de respect. Cet acte n'aura ni la domination, ni les formes judiciaires; il sera seulement nécessaire que son existence soit constatée par un procès-verbal, qui d'ailleurs apprenne si le consentement est donné. Mais en ordonnant de faire mention de la réponse, on n'a point entendu que les pères et mères dont l'avis serait contraire au mariage fussent obligés d'en donner des motifs. La déclaration de ne vouloir répondre sera elle-même une réponse suffisante pour manifester la volonté. Si dans le cas même où le défaut de consentement est un empêchement au mariage, la confiance due aux pères et mères, le respect pour leur qualité, la crainte de les compromettre ou de les forcer au silence, les ont fait dispenser de révéler, en motivant leur refus, la honte de leurs enfants, ou de dénoncer au moins à l'opinion publique la personne dont ils redoutent l'alliance, à plus forte raison les pères et mères doivent-ils être dispensés d'exposer les motifs de leur réponse, lorsqu'elle n'a d'effet que de suspendre pendant un temps limité la célébration du mariage.

« On a dû prévoir le cas de l'absence de l'ascendant auquel eût dû être fait l'acte respectueux. Lorsque le défaut de consentement n'est plus, à raison de l'âge, un obstacle au mariage, et que l'absence empêche de faire les actes respectueux, le motif de suspendre la célébration du mariage n'existe point; mais il faut que le fait de l'absence soit certain, et sur ce point on doit se conformer aux règles déjà établies dans le Code.

« On ne regardera point comme absent celui qui, pour ses affaires ou par d'autres motifs, serait éloigné de son domicile sans avoir laissé ignorer le lieu où on peut le trouver. Il ne fau

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drait pas que, sous prétexte d'un simple éloignement, un enfant de famille pût se soustraire à un devoir aussi essentiel la volonté que cet enfant aurait de se prévaloir d'un pareil éloignement serait une nouvelle cause pour désirer de connaître la volonté de ses père et mère.

<< Mais si l'ascendant ne se trouve plus dans son domicile et que l'on ignore où il s'est transporté, le mariage pourra être célébré sans qu'il lui ait été fait d'acte respectueux, en constatant cette absence. Si déjà elle a été déclarée par jugement, ce jugement devra être représenté. La faveur due au mariage, et la nécessité de ne pas trop le différer, ont même fait admettre comme preuve suffisante, s'il n'y a point eu de jugement de déclaration d'absence, celui qui aurait ordonné l'enquête; ou enfin, s'il n'y a encore eu aucun jugement, un acte de notoriété délivré par le juge de paix sur la déclaration de quatre témoins appelés par lui d'office.

«On a vu qu'il entrait dans le système de la loi actuelle de ne s'occuper qu'à gagner à la fois le cœur des pères et mères et des enfants, plutôt qu'à retenir les enfants par la crainte des peines que les pères et mères ne prononceraient point, ou qui rendraient la plaie incurable plutôt que de la guérir. Il a été possible de concilier cette théorie avec la sanction nécessaire à la loi, en prononçant des peines sévères contre les officiers de l'état civil qui procéderaient à la célébration des mariages des enfants de famille sans qu'on leur produise, soit le consentement des ascendants ou des parents, soit des actes respectueux, dans les cas où ils sont exigés.

« Cette espèce de sanction n'avait pas été prononcée dans les titres déjà publiés du Code; il était nécessaire de réparer cette omission. Les peines que l'on propose contre les officiers de l'état civil sont graduées en raison de la gravité des fautes. Célébrer le mariage d'un fils n'ayant pas vingt-cinq ans, ou d'une fille n'ayant pas vingt et un ans, sans qu'ils aient les consentements exigés, et lorsque ces mariages peuvent, par ce motif, être attaqués, c'est la plus grande faute dont puissent se rendre coupables ces officiers dans la mission importante qui leur est coufiée d'exécuter les lois dont dépendent l'état des personnes et les mœurs publiques. La moindre peine qui doive être infligée contre un pareil délit est la privation de la liberté; aucune circonstance ne peut atténuer cette faute au point que l'emprisonnement qui devra être prononcé puisse être moindre de six mois. S'il s'agit seulement d'actes respectueux dont la représentation n'ait pas été exigée par les officiers de l'état civil, les conséquences n'en sont pas aussi fâcheuses; puisque les parents auxquels les actes respectueux eussent dû être faits ne peuvent par ce motif attaquer le mariage, la peine sera moindre l'emprisonnement pourra n'être que d'un mois.

« On n'a point prévu dans la loi actuelle le cas où les officiers de l'état civil seraient plus coupables encore. Ce serait celui où il y aurait eu de leur part collusion avec les enfants de famille pour les soustraire à la loi ou pour l'éluder : un fait aussi coupable prendrait le caractère d'un crime qu'il sera nécessaire de mettre, dans le Code pénal, au nombre de ceux qui devront être punis d'une peine afflictive.

«Il faut encore ici se rappeler que les peines auxquelles on assujettit les officiers de l'état civil ne seront point la seule garantie contre les mariages clandestins, et que déjà dans le Code civil on a réuni toutes les précautions propres à pré

venir ce désordre, telles que la proclamation des bans, la célébration dans la commune du domicile, l'assistance des témoins, etc.

« Les dispositions que je viens vous proposer, citoyens législateurs, jointes à celles que vous avez précédemment consacrées pour conserver l'influence que les pères et mères doivent avoir sur le mariage de leurs enfants, sont nécessaires pour assurer les bons effets de cette influence, et pour que la loi déjà rendue soit exécutée dans le même esprit qui l'a dictée. Ces nouveaux articles seront un complément du titre du mariage, et leur place dans le Code civil sera déterminée lorsqu'on fixera définitivement l'ordre des numéros et des titres de ce Code. »

DE LA PRESCRIPTION.

Exposé des motifs.

Le citoyen Bigot-Préamencu, nommé par le Premier Consul, avec les citoyens Miot et Najae, pour présenter au Corps législatif, dans sa séance de ce jour, le titre XX du livre III du projet de Code civil, de la prescription, et pour en soutenir la discussion dans sa séance du 24 ventôse, dépose sur le bureau l'exposé des motifs de ce titre.

Cet exposé est ainsi conçu :

a Citoyens législateurs.

« La prescription est un moyen d'acquérir ou de se libérer.

«Par la prescription, une chose est acquise lorsqu'on l'a possédée pendant le temps déterminé par la loi.

« Les obligations s'éteignent par la prescription, lorsque ceux envers qui elles ont été contractées ont négligé, pendant le temps que la loi a fixé, d'exercer leurs droits.

« A la seule idée de prescription, il semble que l'équité doive s'alarmer; il semble qu'elle doive repousser celui qui, par le seul fait de la possession, et sans le consentement du propriétaire, prétend se mettre à sa place, ou qu'elle doive condamner celui qui, appelé à remplir son engagement d'une date plus ou moins reculée, ne présente aucune preuve de sa libération. Peut-on opposer la prescription et ne point paraître dans le premier cas un spoliateur, et dans le second un débiteur de mauvaise foi qui s'enrichit de la perte du créancier ?

«Cependant, de toutes les institutions du droit civil, la prescription est la plus nécessaire à l'ordre social; et loin qu'on doive la regarder comme un écueil où la justice soit forcée d'échouer, il faut, avec les philosophes et avec les juriscónsultés, la maintenir comme une sauvegarde nécessaire du droit de propriété.

« Des considérations sans nombre se réunissent pour légitimer la prescription.

«La propriété ne consista d'abord que dans la possession, et le plus ancien des axiomes de droit est celui qui veut que dans le doute la préférence soit accordée au possesseur : Melior est causa possidentis.

« Posséder est le but que se propose le propriétaire posséder est un fait positif, extérieur et continu, qui indique la propriété. La possession est donc à la fois l'attribut principal et une preuve de la propriété.

«Le temps qui, sans cesse et de plus en plus, établit et justifie le droit du possesseur, ne respecte aucun des autres moyens que les hommes ont pu imaginer pour constater ce droit. Il n'est point de dépôt, il n'est point de vigilance qui mette les actes publics ou privés à l'abri des évé

nements dans lesquels ils peuvent être perdus, détruits, altérés, falsifiés. La faux du temps tranche de mille manières tout ce qui est l'ouvrage des hommes.

« Lorsque la loi, protectrice de la propriété, voit d'une part le possesseur qui, paisiblement et publiquement, a joui pendant un long temps de toute les prérogatives qui sont attachées à ce droit, et que d'une autre part on invoque un titre de propriété resté sans aucun effet pendant le mème temps, un doute s'élève à la fois et contre le possesseur qui ne produit pas de titre, et contre celui qui représente un titre dont on ne saurait présumer qu'il n'eût fait aucun usage, s'il n'y eût pas été dérogé, ou s'il n'eut pas consenti que le possesseur actuel lui succédât.

« Comment la justice pourra-t-elle lever ce doute? Le fait de la possession n'est pas moins positif que le titre; le titre sans la possession ne présente plus le mème degré de certitude; la possession démentie par le titre perd une partie de sa force: ces deux genres de preuves rentrent dans la classe des présomptions.

«Mais la présomption favorable au possesseur s'accroît par le temps, en raison de ce que la presomption qui naît du titre diminue. Cette considération fournit le seul moyen de décider que la raison et l'équité puissent avouer ce moyen consiste à n'admettre la présomption qui résulte de la possession, que quand elle a reçu du temps une force suffisante pour que la présomption qui naît du titre ne puisse plus la balancer.

« Alors la loi elle-mème peut présumer que celui qui a le titre a voulu perdre, remettre ou aliéner ce qu'il a laissé prescrire.

« C'est donc dans la fixation du temps nécessaire pour opérer la prescription qu'il faut, avec tous les calculs, et sous tous les rapports de l'équité, trouver les règles qui puissent le moins compromettre le droit réel de propriété. Ces règles doivent, par ce motif, être différentes suivant la nature et l'objet des biens.

« Si ensuite l'équité se trouve blessée, ce ne peut être que dans des cas particuliers. La justice générale est rendue, et dès lors les intérêts privés qui peuvent être lésés doivent céder à la nécessité de maintenir l'ordre social.

«Mais ce sacrifice exigé pour le bien public, ne rend que plus coupable dans le for intérieur celui qui ayant usurpé, ou celui qui étant certain que son engagement n'a pas été rempli, abuse de la présomption légale. Le cri de sa conscience, qui lui rappeller sans cesse son obligation naturelle, est la seule ressource que la loi puisse laisser au propriétaire ou au créancier qui aura laissé courir contre lui la prescription.

«S'il en était autrement, il n'y aurait aucun terme après lequel on pùt se regarder comme propriétaire ou comme affranchi de ses obligations; il ne resterait au législateur aucun moyen de prévenir ou de terminer les procès; tout serait incertitude et confusion.

Ce qui prouve encore plus que les prescriptions sont un des fondements de l'ordre social, c'est qu'on les trouve établies dans la législation de tous les peuples policés.

Elles furent en usage chez les Romains, dans les temps les plus reculés; leurs lois n'en parlent que comme d'une garantie nécessaire à la paix publique Bono publico usucapio introducta est, ne scilicet quarumdam rerum diù et ferè semper incerta dominia essent, cum sufficeret dominis ad inquirendas res suas statuti temporis spatium. (Leg. 1, ff. de usurp. et usuc). La prescription

est mise, dans ces lois, au nombre des aliénations de la part de celui qui laisse prescrire. Alienationis verbum etiam usucapionem continet. Vix est enim ut non videatur alienare qui patitur usucapi. (Leg. 28, ff. de verb. signif). On y donne à la prescription la même force, la même irrévocabilité qu'à l'autorité des jugements, qu'aux transactions. Ut sunt judicio terminata, transactione composita, longioris temporis silentio finita. (Leg. 230, ff. de verb. signif.).

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La nécessité des prescriptions, leur conformité avec les principes d'une sévère justice, serout encore plus sensibles par le développement des règles qui font la matière du présent titre du Code civil.

«On y a d'abord établi celles qui sont relatives à la prescription en général.

« On considère ensuite plus spécialement la nature et les effets de la possession.

« On y énonce les causes qui empêchent la prescription, celles qui l'interrompent ou la suspendent.

« On finit par déterminer le temps nécessaire pour prescrire.

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Après avoir, dans les dispositions générales, indiqué la nature et l'objet de la prescription, on a réglé dans quel cas on peut renoncer à s'en prévaloir.

« Lorsque le temps nécessaire pour prescrire s'est écoulé, on peut renoncer au droit ainsi acquis, pourvu que l'on ait la capacité d'aliéner : il ne peut y avoir à cet égard aucun doute.

Mais cette faculté que chacun a de disposer de ses droits peut-elle être exercée relativement à la prescription, avant qu'elle ait eu son cours? Celui qui contracte un engagement peut-il stipuler que ni lui ni ses représentants n'opposeront cette exception?

Si cette convention était valable, la prescription ne serait plus, pour maintenir la paix publique, qu'un moyen illusoire: tous ceux au profit desquels seraient les engagements ne manqueraient pas d'exiger cette renonciation.

S'agit-il d'une obligation? La prescription est fondée sur la présomption d'une libération effective non-seulement la loi intervient pour celui qui ayant succédé au débiteur peut présumer que ce dernier s'est acquitté; mais encore elle vient au secours du débiteur lui-même, qui, s'étant effectivement acquitté, n'a plus le titre de sa libération. Comment croire que celui qui renoncerait à la prescription eût entendu s'exposer, lui ou ses représentants, à payer plusieurs fois? Ce serait un engagement irréfléchi et désavoué par la rai

son.

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S'agit-il de la prescription d'un fonds? S'il a été convenu entre deux voisins que l'un posséderait le fonds de l'autre sans pouvoir le prescrire, ce n'est point de la part de celui au profit duquel est la stipulation une renonciation à la prescription; c'est une reconnaissance qu'il ne possédera point à titre de propriétaire, et nul autre que celui qui possède à ce titre ne peut prescrire.

« Observez encore que la prescription étant nécessaire pour maintenir l'ordre social, elle fait partie du droit public, auquel il n'est pas libre à chacun de déroger: Jus publicum pactis privatorum mutari non potest. (Leg, ff. de pactis).

«La prescription n'est, dans le langage du barreau, qu'une fin de non-recevoir, c'est-à-dire qu'elle n'a point d'effet, si celui contre lequel on veut exercer le droit résultant d'une obligation ou contre lequel on revendique un fonds, n'oppose pas cette exception.

« Telle en effet doit être la marche de la justice : le temps seul n'opère pas la prescription; il faut qu'avec le temps concourent ou la longue inaction du créancier, ou une possession telle que la loi l'exige.

« Cette inaction ou cette possession sont des circonstances qui ne peuvent être connues et vérifiées par les juges que quand elles sont alléguées par celui qui veut s'en prévaloir.

«Mais aussi la prescription peut être opposée en tout état de cause, mème devant le tribunal d'appel; le silence à cet égard pendant une partie du procès peut avoir été déterminé par l'opinion que les autres moyens étaient suffisants, et le droit acquis par la prescription n'en conserve pas moins toute sa force jusqu'à ce que l'autorité de la chose définitivement jugée par le tribunal d'appel ait irrévocablement fixé le sort des parties.

« Cette règle doit néanmoins se concilier avec celle qui admet la renonciation même tacite à la prescription acquise, cette renonciation résultant de faits qui supposent l'abandon du droit. Ainsi, quoique le silence de celui qui, avant le jugement définitif, n'a pas fait valoir le moyen de prescription, ne puisse seul lui être opposé, les juges auront à examiner si les circonstances ne sont point telles que l'on doive en induire la renonciation tacite au droit acquis.

« Ce serait une erreur de croire que la prescription n'a d'effet qu'autant qu'elle est opposée par celui qui a prescrit, et que c'est au profit de ce dernier une faculté personnelle. La prescription établit ou la libération, ou la propriété; or les créanciers peuvent, ainsi qu'on l'a déclaré au titre des obligations, exercer les droits et les actions de leurs débiteurs, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne : la conséquence est que les créanciers ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer, quoique le débiteur ou le propriétaire y renonce.

« La prescription est un moyen d'acquérir: on ne peut acquérir, et conséquemment on ne peut prescrire que les choses qui sont dans le commerce, c'est-à-dire qui sont susceptibles d'être exclusivement possédées par des individus.

«Mais a-t-on dù regarder comme n'étant point dans le commerce les biens et les droits appartenant à la nation, à des établissements publics ou à des communes?

« A l'égard des domaines nationaux, si, dans l'ancien régime, ils étaient imprescriptibles, c'était une conséquence de la règle suivant laquelle ils ne pouvaient en aucune manière être aliénés. On induisait de cette règle que le domaine ne pouvait être possédé en vertu d'un titre valable et sans mauvaise foi; que cette possession ne pouvait être imputée qu'à la négligence des officiers publics, et que cette négligence ne devait pas entraîner la perte des biens nécessaires à la défense et aux autres charges de l'Etat.

« La règle de l'inaliénabilité a été abrogée pendant la session de l'Assemblée constituante, par des considérations de bien public qui ne sauraient être méconnues.

« Les lois multipliées qui autorisent la vente des domaines anciens et nouveaux, et les aliénations générales faites en exécution de ces lois, et l'irrévocabilité de ces aliénations prononcée dans les chartes constitutionnelles, ont dû faire consacrer dans le Code civil, comme une règle immuable, celle qui, en mettant ces domaines dans le commerce, les assujettit aux règles du droit commun sur la prescription.

« Ces règles, étant applicables pour ou contre la nation, doivent à plus forte raison être observées à l'égard des établissements publics et des

communes.

"Pour que la possession puisse établir la prescription, elle doit réunir tous les caractères qui indiquent la propriété; il faut qu'elle soit à titre de propriétaire; il faut qu'il ne puisse y avoir sur le fait méme de cette possession aucune équivoque; il faut qu'elle soit publique, qu'elle soit paisible, qu'elle soit continue et non interrompue pendant le temps que la loi a fixé.

« La possession en général est la détention d'une chose ou la jouissance d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes ou par un autre qui tient cette chose ou qui exerce ce droit en notre nom.

« Cette possession par soi-même ou par autrui est un fait qui ne peut pas d'abord établir un droit, mais qui indique la qualité de propriétaire; cette indication serait illusoire, si celui qui a la possession pouvait être évincé autrement que sur la preuve qu'il possède au nom d'autrui, ou qu'un autre a la propriété.

« Quand on a commencé à posséder pour autrui, doit-on être toujours présumé posséder au même titre?

« L'une des plus anciennes maximes de droit est que nul ne peut, ni par sa volonté, ni par le seul laps de temps, se changer à soi-même la cause de sa possession: illud à verteribus præceptum est, neminem sibi ipsum causam possessionis mutare posse. (Leg. 3. § 19, ff. de acquir, possess.). Ainsi le fermier, l'emprunteur, le dépositaire, seront toujours censés posséder au même titre. Le motif est que la détention ne peut être à la fois pour soi et pour autrui. Celui qui tient pour autrui perpétue et renouvelle à chaque instant la possession de celui pour lequel il tient, et le temps pendant lequel on peut tenir pour autrui étant indéfini, on ne saurait fixer l'époque où celui pour lequel on tient serait dépossédé.

« La règle suivant laquelle on est toujours présumé posséder au même titre doit être mise au nombred es principales garanties du droit de propriété. « Cette présomption ne doit céder qu'à des preuves positives.

<< Tel serait le cas où le titre de la possession de celui qui tient pour autrui se trouverait interverti. « Ce titre peut être interverti par une cause provenant d'une tierce personne.

« Il peut l'être par le possesseur à titre de propriétaire, s'il transinet cette espèce de possession à la personne qui ne tenait que précairement.

« Enfin la personne même qui tient au nom d'autrui peut intervertir le titre de sa possession, soit à son profit par la contraction qu'elle aurait opposée au droit du possesseur à titre de propriétaire, soit au profit d'un tiers auquel ce détenteur aurait transmis la chose par un titre translatif de propriété.

« Le successeur à titre universel de la personne qui tenait la chose pour autrui n'a point un nouveau titre de possession. Il succède aux droits tels qu'ils se trouvent; il continue donc de posséder pour autrui, et conséquemment il ne peut pas prescrire.

«Mais le successeur à titre universel et le successeur à titre singulier diffèrent en ce que celui-ci ne tient point son droit du titre primitif de son prédécesseur, mais du titre qui lui a été personnellement consenti. Ce dernier titre peut donc établir un genre de possession que la personne qui l'a transmis n'avait pas.

« Cette règle n'a rien de contraire à celle suivant laquelle nul ne peut transmettre plus de droit qu'il n'en a. Le titre translatif de propriété, donné par celui qui n'est pas propriétaire, ne transmet pas le droit de propriété; mais la possession prise en conséquence de ce titre est un fait absolument différent de la détention au nom d'autrui, et dès lors cette possession, continuée pendant le temps réglé par la loi, peut établir le droit résultant de la prescription.

« Il faut encore, lorsqu'on dit que nul ne peut prescrire contre son titre, distinguer la prescription comme moyen d'acquisition, de celle qui est un moyen de libération. Celui qui acquiert en prescrivani ne peut se changer à lui-même la cause et le principe de sa possession, et c'est de lui que l'on dit proprement qu'il ne peut pas prescrire contre son titre.

<< Mais s'il s'agit de la libération par prescription, cette prescription devient la cause de l'extinction du titre, et alors on prescrit contre son titre, en ce sens qu'on se libère, quoiqu'il y ait un titre.

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« Les actes de pure faculté, ceux de simple tolérance, ne peuvent même pas être considérés comme des actes de possession, puisque ni celui qui les fait n'entend agir comme propriétaire, ni celui qui les autorise n'entend se dessaisir.

«Celui qui, pour acquérir la possession, en a dépouillé par violence l'ancien possesseur, a-t-il pu se faire ainsi un titre pour prescrire ?

« La loi romaine excluait toute prescription jusqu'à ce que la personne ainsi dépouillée eût été rétablie en sa possession, et celui mème qui, avant cette restitution, aurait acheté de bonne foi du spoliateur, ne pouvait pas prescrire.

« Cette décision ne pourrait se concilier avec le système général des prescriptions.

«Sans doute celui qui est dépouillé par violence n'entend pas se dessaisir; et si, lorsqu'il cesse d'éprouver cette violence, il laisse l'usurpateur posséder paisiblement, ce dernier n'a encore qu'une possession de mauvaise foi; mais cette possession peut alors réunir toutes les conditions exigées pour opérer l'espèce de prescription contre laquelle l'exception de mauvaise foi ne peut pas être opposée.

D'ailleurs la règle exclusive de toute prescription serait injuste à l'égard de ceux qui, ne connaissant point l'usurpation avec violence, auraient eu depuis une possession que l'on ne pourrait attribuer à cette violence.

« Ces motifs ont empêché de donner aux actes de violence, sur lesquels la possession serait fondée, d'autre effet que celui d'être un obstacle à la prescription tant que cette violence dure.

La possession de celui qui veut prescrire doit être continue et non interrompue.

a Plusieurs causes interrompent ou suspendent le cours de la prescription.

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Lorsqu'il s'agit d'acquérir une chose par prescription, l'interruption est naturelle ou civile.

Il y a interruption naturelle, lorsque le fait même de la possession est interrompu.

« Si, quand il s'agit d'un fonds, cette interruption ne s'est pas prolongée un certain temps, on présume que c'est une simple erreur de la part de celui qui s'en est emparé.

« On présume aussi que celui qui était en possession s'en est ressaisi, ou a réclamé aussitôt qu'il a eu connaissance de l'occupation, et qu'il n'a aucunement entendu la souffrir.

« On a considéré que si l'occupation momentanée d'un fonds suffisait pour priver des effets de la

possession, ce serait une cause de désordre; que chaque possesseur serait à tout moment exposé à la nécessité d'avoir un procès pour justifier son droit de propriété.

« Dans tous les jugements rendus à Rome en matière possessoire, et qui furent d'abord distingués sous le nom d'interdits, il fallait, pour se prévaloir des avantages de la possession nouvelle de toutes choses mobilières ou immobilières contre un précédent possesseur, que cette possession fût d'une année.

«La règle de la possession annale a toujours été suivie en France à l'égard des immeubles : elle est la plus propre à maintenir l'ordre public. C'est pendant la révolution d'une année que les produits d'un fonds ont été recueillis; c'est pendant une pareille révolution qu'une possession publique et continue a pris un caractère qui empêche de la confondre avec une simple occupation.

« Ainsi nul ne peut être dépouillé du titre de possesseur que par la possession d'une autre personne pendant un an, et, par la même raison. la possession qui n'a point été d'un an n'a point l'effet d'interrompre la prescription.

«L'interruption civile est celle que forment une citation en justice, un commandement ou une saisie signifiés à celui que l'on veut empêcher de prescrire.

«Il ne peut y avoir de doute que dans le cas où la citation en justice serait nulle.

« On distingue à cet égard la nullité qui résulterait de l'incompétence du juge et celle qui a pour cause un vice de forme.

« Dans le premier cas, l'ancien usage de la France, contraire à la loi romaine, était qu'une action libellée interrompait la prescription lors même qu'elle était intentée devant un juge incompétent cet usage, plus conforme au maintien du droit de propriété, à été conservé.

« Mais lorsque les formalités exigées pour que le possesseur soit valablement assigné n'ont pas été remplies, il n'y a pas réellement de citation, et il ne peut résulter de l'exploit de signification aucun effet.

« Au surplus, la citation n'interrompt pas la prescription d'une manière absolue, mais conditionnellement au cas où la demande est adjugée. Ainsi l'interruption est regardée comme non avenue, si le demandeur se désiste de son action, s'il laisse périmer l'instance, ou si la demande est rejetée.

«Les effets de l'interruption de la prescription à l'égard des débiteurs solidaires ou de leurs héritiers, soit dans le cas où l'obligation est divisible, soit dans le cas où elle est indivisible, ne sont que la conséquence des principes déjà exposés au titre des obligations en général.

« Quant à la caution, son obligation accessoire dure autant que l'obligation principale, et dès lors la caution ne peut opposer la prescription qui aurait été interrompue contre le débiteur.

«La possession qui a précédé l'interruption ne peut plus être à l'avenir d'aucune considération pour la prescription: c'est en cela que l'interruption de la prescription diffère de la suspension qui empêche seulement la prescription de commencer à courir, ou qui en suspend le cours jusqu'à ce que la cause de cette suspension ait

cessé.

« La règle générale est que la prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient. dans quelque exception établie par une loi.

« Ces exceptions sont fondées sur la faveur due

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