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ou des brillants succès qui les ont couronnés. Ajoutez à leur mérite personnel l'éclat que le nom radieux et la célèbre réputation du Premier Consul réfléchit sur ses frères; et osez leur disputer la prééminence.

Cet héritage encore, il n'a pas besoin de notre intervention ou de notre concours pour le leur transmettre; car sa gloire lui appartient, elle est à lui, c'est son patrimoine; il a le droit d'en disposer à son gré, de le partager, de le léguer; déjà même ils l'ont recueilli, puisqu'ils sont couverts de tous les genres d'illustrations.

Qui donc pourrait craindre de les voir passer au timon de l'Etat, et prendre les rênes de l'Empire?...

Les héros, dit Horace, forment les héros.
Fortes creantur fortibus...

Quel heureux présage pour la France!

Il est temps sans doute de résumer une discussion déjà trop longue; mais le temps qui nous presse et les grands intérêts que j'avais à traiter ne m'ont pas permis de l'abréger.

Je crois avoir amplement justifié la motion d'ordre de notre collègue Curée, et le vote d'adop tion que mon devoir, l'intérêt de ma patrie et le mien propre m'ont impérieusement prescrit d'émettre à son appui.

Je crois avoir suffisamment répondu à toutes les objections de notre collègue Carnot; si l'on en exceptecelle prise de la constitution des EtatsUnis d'Amérique, qu'il voudrait qu'on naturalisât en France, avec les modifications convenables. Mais cette objection a été si victorieusement réfutée par les orateurs qui ont parlé après lui, et notamment par notre collègue Delpierre, qu'il m'eût été impossible de rien ajouter aux démonstrations qu'ils ont présentées à cet égard.

Je crois avoir démontré 1° qu'il ne s'agit point ici, comme on le prétend, du rétablissement du système monarchique, proscrit en 1789, et imparfaitement reconstitué en 1791, mais d'une vraie République, adaptée au gouvernement d'un seul;

20 Que si, dans l'acception commune, elle ne ressemble en rien aux autres gouvernements républicains, il n'y a vraiment ici rien de changé que la dénomination, et que peu importe le mot quand on a la chose; mais qu'il n'en est pas moins incontestable qu'une telle forme de gouvernement n'a rien d'incompatible avec le système représentatif; qu'elle paraît même être celle qui s'y approprie le mieux, puisqu'elle réunit les vrais avantages qu'on doit se promettre des républiques démocratiques et fédérales (comme celle des Etats-Unis), sans avoir aucun des inconvénients qui y sont attachés; inconvénients au reste d'autant plus redoutables, qu'à mesure qu'elles avancent vers la civilisation et la prospérité, ils préparent lentement et amènent tôt ou tard leur corruption, leur affaiblissement et leur chute;

3o Que ce systême, qui nous a paru préférable à tous les autres, nous l'avons déjà essayé, en établissant d'abord le gouvernement consulaire, pour cacher, sous ce modeste emblème, la grande vérité, qui eût infailliblement alors effarouché les esprits trop timides, trop peu clairvoyants, ou trop servilement attachés à leurs douces illusions (puisqu'il en est aujourd'hui qu'elle effarouche encore); que ce fut là, en effet, le premier but que se proposèrent, et ceux qui concoururent le plus activement aux journées de brumaire, et les brumairiens des deux commissions législatives qui en organisèrent les résultats immédiats, et plus récemment encore ceux qui en furent les heureux continua

teurs, en proposant le consulat à vie; mais qu'aujourd'hui que le grand jour des manifestations est arrivé, nous pouvons hautement avouer nos louables intentions, notre arrière-pensée, et notre but ultérieur;

4° Que ce gouvernement, dont nous avons si prudemment fait l'essai préliminaire avant de l'adopter définitivement, nous a prouvé par la plus sûre des expériences, et conséquemment par la plus incontestable des preuves, qu'il était le meilleur de tous, puisqu'il s'est majestueusement élevé au plus haut période de gloire, de force, de grandeur, et qu'il a fait, à lui seul, pendant le court intervalle de quatre années, plus de prodiges et de merveilles qu'aucun autre n'en a opéré pendant plusieurs siècles;

5° Enfin le moment étant venu de le présenter à l'Europe sous un aspect plus imposant, et de le mettre en harmonie avec elle, il est urgent, nécessaire, indispensable de substituer à sa première forme extérieure un emblème plus magnifique, plus resplendissant, plus conforme en un mot à la majesté de la nation française, en décorant son auguste chef du nom sublime d'Empereur des Français.

Ainsi le moment approche où le pacte social et les institutions qui s'y approprient vont être rétablis, perfectionnés et confirmés sur de plus sûres et de plus solides bases. Ainsi, par tout ce qui a été déjà fait comme par tout ce qui reste à faire, sera enfin résolu le grand problème de la liberté publique dans ces vastes Etats, et ce grand but ultérieur, où nous tendons tous depuis quinze années, ce but dont on nous reproche de nous éloigner, nous l'aurons pourtant éminemment atteint.

O vous le premier des héros et le plus vertueux des hommes, il vous était réservé, dans les immuables décrets de la Providence, de vous élever au-dessus de tous vos semblables, et d'être aussi digne de créer un nouveau siècle et de fonder un nouvel Empire!

Il vous était réservé, après avoir effacé toutes les gloires, d'en conquérir une que vous ne partagez avec aucun des héros de l'antiquité la plus

reculée.

Enfin il vous était réservé, en conciliant ce qui parait d'abord inconciliable, de présenter au monde le spectacle encore inouï de la liberté et de l'égalité unies par une triple alliance, au pouvoir d'un seul (1), et assises sous le dais à côté de la dignité impériale!

Ah! si jamais les factieux ou les tyrans se coalisaient pour les désunir, nous vous en conjurons tous, soyez leur constamment fidèle, et que le lien sacré qui les lie et confond leurs destinées en une seule ne soit jamais ni rompu ni relâché! songez qu'ils ne sauraient en attaquer une sans les ébranler toutes trois, car elles sont désormais inséparablement unies!

Vous les couvrirez donc de votre puissante égide; vous les ferez triompher de leurs communs ennemis; et elles seront aussi impérissables que votre nom, déjà voué à l'immortalité !

Et vous, appelés après lui à gouverner l'Empire, ne fussiez-vous que des hommes ordinaires, vous grandiriez bientôt en fixant le modèle dé toutes les grandeurs. Oui, je me plais à le croire, le sceptre de l'Empereur des Français ne sera jamais déplacé dans vos mains, parce que vous l'aurez vu régner et que vous vous efforcerez de marcher sur ses traces. Ne pouvant espérer de

(1) Véritable image de l'emblème sacré.

l'égaler, vous bornerez vos nobles efforts à l'imiter, et votre tâche sera encore aussi pénible qu'effravante.

Mais la carrière que ce grand homme a parcourue et celle qu'il doit parcourir seront si vastes, si immenses, que vous pourrez même ne le suivre que de loin, et vous illustrer encore.

Un grand nom est toujours difficile à porter; et quand la gloire n'est que transmise, elle est le plus accablant des fardeaux.

Cependant rassurez-vous, ne vous découragez pas, puisqu'une partie de celle qu'il vous transmettra vous est personnelle. Forts de son exemple et de ses sublimes leçons; dirigés par des intentions pures; appuyés sur la Charte constitutionnelle, qui proclama la vraie liberté et l'égalité; aidés par de bonnes lois et par de sages institutions; soutenus par ces corps intermédiaires qui sont à la fois et le rempart du pouvoir et la digue qui en arrête le débordement; enfin, secondés par tout ce qu'il y aura de gens de bien, par les vrais amis de la patrie, et surtout par ces hommes courageux, qui, également en butte aux deux partis, les ont combattus tour à tour, vous braverez les orages et les tempêtes, les dangers et les écueils, les trames et les complots, les guerres civiles et les guerres étrangères; vous défendrez avec une magnanime impartialité les prérogatives de la nation et les vôtres; vous saurez maintenir le rang suprême que la France a repris parmi les puissances de l'Europe; vous conserverez religieusement, comme l'Arche sacrée, le précieux dépôt qui vous aura été confié; et vous transmettrez intacte et pure à vos successeurs cette dignité impériale héréditaire, que le plus grand des héros aura encore rehaussée et honorée !... Héritiers de sa gloire, puissiez-vous hériter de son génie et de ses vertus!

Héritiers de l'Empire, puissiez-vous n'être heureux que du bonheur du peuple français !

Je vote pour la motion faite par notre collègue Curée.

NOTES.

No I. Voici les noms de tous ceux de mes anciens collègues (siégeant aujourd'hui au Tribunat et au Conseil d'Etat, ou au Sénat conservateur) qui ont concouru à préparer et à amener les événements mémorables de brumaire.

Les citoyens Bonaparte (Lucien) Baudin (des Ardennes), Barailon, Boulay (de la Meurthe), Boutteville, Cabanis, Chasal Cornet, Cornudet, Courtois, Delecroy, Fargues, Fregeville (le général), Goupil-Préfeln, Herwin, Lahary, Lemercier, Lenoir-Laroche, Regnier, Rousseau, Villetard, Vimar.

On me pardonnera sans doute de publier cette honorable liste et de m'y inscrire moi-même, quand on saura que dans presque tous les écrits qui ont fait mention de ces journées, on semble avoir affecté, je ne sais pourquoi, ou de taire mon nom, ou de le défigurer pour le rendre méconnaissable, ou enfin de m'en donner un qui n'est pas le mien, et de me ravir ainsi la part que j'y ai prise pour l'attribuer à un autre (*). C'est ce qui m'engagea, dans le temps, à réclamer en secret contre cette inexactitude, par l'entremise et les conseils du sénateur Lucien Bonaparte (**)

(*) Hos ego versiculos feci tulit alter honores-Sic vos, non vobis, etc...

(**) Voici la lettre que ce sénateur m'écrivit à cette occasion, le 28 fructidor an X.

Je vois avec intérêt, citoyen tribun, les démarches que vous avez faites pour revendiquer la part qui vous est due de la journée du 18 brumaire. Il eût eté fâcheux qu'une erreur de nom vous eût privé d'en recueillir les avantages. Je me ferai un plaisir, toutes les fois que l'occasion s'en présentera, de rendre témoignage aux faits énoncés (Ce sont ceux que je rappelle ici) dans la lettre que vous adressez à l'éditeur du Mémorial de la

On me pardonnera encore, je l'espère, de rappeler ici l'acte de dévouement auquel j'ai concouru, et de dire ce que j'ai fait, à cette époque, pour justifier d'avance ce que j'ai dû faire aujourd'hui car, comme l'a très-bien dit notre collègue Chabaud-Latour, le vœu qu'on nous propose d'émettre n'est que la suite et la conséquence nécessaire de ces heureuses journées; si, comme l'a tout aussi ingénieusement imaginé notre collègue Albisson, toute la question est de savoir s'il faut achever le 18 brumaire; on ne saurait trouver étrange ni déplacé que j'en réclame la part qui m'est due, puisque je fournirai par là un nouveau garant de la pureté de mes intentions êt de la sincérité de mon vote.

Voici donc comment j'ai pu, quoique bien faiblement, y contribuer.

Le 15 brumaire nous assistâmes (à l'exception du malheureux Baudin, qui mourut de joie en apprenant l'arrivée subite et imprévue du général Bonaparte) à la fête que les deux Conseils donnèrent à ce général et à son état-major.

Nous y reçûmes l'invitation de nous réunir, et nous nous réunimes en effet, chez le citoyen Lemercier (*), alors président du Conseil des Anciens, pour aviser aux moyens de faire prendre l'initiative à ce Conseil, afin qu'il put remettre la dictature à ce héros que le ciel semblait nous avoir envoyé pour sauver la chose publique.

Le citoyen L. Bonaparte ouvrit la séance; nous nous liàmes d'abord par un serment; il nous proposa ensuite les mesures qui devaient être prises, et parla aussi éloquemment que chaleureusement pour en déterminer l'adoption.

Quelques-uns de nos collègues en proposèrent d'autres. Il y eut beaucoup de débats; mais on ne put rien résoudre, rien délibérer, rien arrêter dans celte première réunion, si ce n'est la nécessité d'en effectuer une autre, pour nous mettre en accord, et le danger qu'il y aurait à laisser transpirer cet important secret, en se rassemblant de nouveau dans la même maison, où déjà l'on nous avait découverts.

La délibération en était à ce point d'incertitude, et nous étions à même de nous séparer, sans trop savoir si nous nous réunirions le lendemain, ni où nous pourrions nous réunir.

Le citoyen Lucien Bonaparte reprend la parole et nous dit avec véhémence qu'il n'y a pas un instant à perdre, que le général Bonaparte était infiniment pressé, et se proposait dès le lendemain même de frapper le coup décisif; qu'au reste il a tout concerté avec lui, que le général répond de tout, et qu'il est urgent de se réunir le lendemain.

Je me lève soudain pour appuyer sa proposition, et j'offre à l'instant même de recevoir chez moi la réunion, qui me parait en effet ètre de la plus indispensable et de la plus urgente nécessité.

Mes collègues hésitent un moment de crainte de compromettre ou ma sûreté en cas de non réussite, ou le succès même de la tentative; je soutiens et leur prouve qu'il n'est pas de local plus commode, plus sûr, ni plus rapproché du lieu de nos séances (**). Alors ma proposition est acceptée et l'on arrête que l'on se rendra chez moi le lendemain, 17, à 7 heures du matin.

Tous mes collègues y vinrent en effet, deux à deux, pour écarter toute idée de rassemblement, et pour ne pas donner l'éveil. C'est dans cette seconde réunion que toutes les mesures furent débattues, concentrées et définitivement arrêtées pour la journée du 18 brumaire.

Voilà ce que j'ai cru devoir faire alors pour contribuer autant qu'il était en moi à sauver la chose publique; et il m'est bien permis, je pense, de publier aujourd'hui, à l'appui de mon opinion, ce que j'ai tenu secret pendant plus de quatre ans.

No II. Je ne parle pas ici des ministres d'alors qui tous, à l'exception d'un seul, étaient des hommes probes autant qu'éclairés c'étaient les Rolland, les Servan, les Clavière, les Duranthon, les Lacoste; j'entends désigner par là l'astucieux comité secret, présidé par le fameux

Révolution, et que je vous renvoie, pour que vous en fassiez l'usage auquel vous la destinez.

J'ai l'honneur de vous saluer.
Signé L. BONAPARTE. »
Hôtel de Breteuil, près le Manège.
J'étais logé alors rue de l'Echelle, n° 567.

Dumouriez, ministre des affaires étrangères, et où ce politique d'un jour réglait, avec quelques-uns de ses pareils, les grandes destinées de la France. Etant, comme je l'ai déjà dit, à cette époque, secrétaire général de la justice, j'eus plus d'une occasion de bien connaître la conduite et les intentions de ce malheureux prince. Il était probe, franc et bien intentionné; mais il était faible, timide et irrésolu. Ce comité le maîtrisait, le dominait au point que ce qu'il promettait la veille, il le rétractait le lendemain. C'est ce qui arriva notamment à l'égard des décrets relatifs aux prêtres et au camp sous Paris. Il prit, avec le ministre de la justice, l'engagement de sanctionner ces décrets, dont il le chargea de rédiger les motifs de sanction. Nous passames la nuit, le ministre et moi, pour n'en pas retarder la rédaction. Le lendemain matin, il les lui apporta; et la sanction promise au conseil privé fut refusée, parce que le comité secret avait, dans l'intervalle, délibéré ce refus. Combien de traits pourrais-je citer qui feraient absoudre ce monarque des perfidies qu'on lui a reprochées! mais cela serait superflu.

J'ai cru devoir à sa mémoire ce témoignage de sa probité, trahie par sa faiblesse et par les intrigues de ceux qui l'entouraient, pour qu'on ne le confonde pas avec les autres membres d'une famille devenue l'objet du mépris de toutes les puissances de l'Europe, si l'on en excepte celle qui ose la soudoyer pour le crime et pour notre destruction.

No III. Après avoir fait cesser les hostilités, le héros de l'Italie accorde cinq jours au Pape pour lui envoyer un négociateur muni de pleins pouvoirs.

Ce procédé généreux, et le plus héroïque de tous, en pareille occurrence, détermine le Saint-Père à lui écrire une lettre ainsi conçue :

Pie VI,

« Cher fils, salut et bénédiction apostolique. Désirant terminer à l'amiable nos différends avec la République française, par la retraite des troupes que vous commandez, nous envoyons et députons vers vous, comme nos plénipotentiaires, deux ecclésiastiques, M. le cardinal Mathæi, parfaitement connu de vous, et monseigneur Caleppi, et deux séculiers, le duc dom Louis Brachi, notre neveu, et le marquis Camille Massimo, lesquels sont revêtus de nos pleins pouvoirs... Assuré des sentiments de bienveillance nous sommes abstenus que vous avez manifestés, nous tout déplacement de Rome;

et par là vous serez persuadé combien grande est notre confiance en vous. Nous finissons en vous assurant de notre plus grande estime, et en vous donnant la paternelle bénédiction apostolique.

« Donné à Saint-Pierre de Rome, le 22 février 1797. « Signe: PIE P. P. VI. »

Bonaparte lui répond en ces termes :

« Très-Saint Père,

« Je dois remercier Sa Sainteté des choses obligeantes contenues dans la lettre qu'elle s'est donné la peine de m'écrire.

«La paix entre la République française et Votre Sainteté vient d'être signée.

« J'engage Votre Sainteté à se méfier des personnes qui sont à Rome, vendues aux cours ennemies de la France, ou qui se laissent exclusivement guider par les passions qui entraînent toujours la perte des Etats.

<< Toute l'Europe connaît les inclinations pacifiques et les vertus conciliatrices de Votre Sainteté. La République française sera, j'espère, une des amies les plus vraies de Rome.

« J'nvoie mon aide de camp chef de brigade (*) pour exprimer à Votre Sainteté l'estime et la vénération parfaites que j'ai pour sa personne; et je la prie de croire au désir que j'ai de lui donner, dans toutes les occasions, les preuves de respect avec lesquelles j'ai l'honneur d'être son très-obéissant serviteur. Signé BONAPARTE. »

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No IV. Je ne puis résister ici au désir de rappeler une des plus belles proclamations de ce général, qui retrace en quatre mots tous les résultats et tous les prodiges de la brillante campagne d'Italie. En voici le texte :

« Soldats,

«La prise de Mantoue vient de finir la campagne qui

(*) Ce fut le chef de brigade Marmont, aujourd'hui général de division, conseiller d'Etat, et premier inspecteur général de l'artillerie.

vous a donné des titres éternels à la reconnaissance de la patrie.

«Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et soixante-dix combats, vous avez fait plus de cent mille prisonniers, pris à l'ennemi cinq cents pièces de canon de campagne, deux mille de gros calibre et quatre équipages de pont.

«Le pays que vous avez conquis a nourri, entretenu et soldé l'armée pendant toute la campagne, et vous avez envoyé trente millions au ministère des finances pour le soulagement du trésor public.

« Vous avez enrichi le muséum de Paris de plus de trois cents chefs-d'oeuvres de l'ancienne et de la nouvelle Italie, et qu'il a failu trente siècles pour produire.

«Les Républiques Lombarde et Cisalpine vous doivent leur liberté... Les rois de Sardaigne, de Naples, le Pape et le duc de Parme se sont détachés de la coalition de nos ennemis et ont brigué notre amitié. Vous avez chassé les Anglais de Livourne et de la Corse... Mais vous n'avez pas encore tout achevé !... »

Quel prophétique langage!

Non, sans doute, tout n'était pas alors achevé, puisqu'il a fallu pendant cinq ans encore souffrir, combattre et vaincre; endurer la faim, la soif et la nudité; braver en Egypte les ardeurs dévorantes d'un ciel brûlant et les affreux ravages de la peste; franchir la cime inaccessible des Alpes, à travers les neiges et les glaces éternelles qui en défendent l'approche, et de là se précipiter dans les plaines de Marengo, pour joindre à tous ces triomphes l'immortelle victoire qui les couronne tous.

Non, tout n'était pas alors achevé!... Mais aujourd'hui enfin tout s'achève par ces braves soldats et par leur incomparable général, par la nation et par ses représentants, par le peuple et pour le peuple.

Labrouste (de la Gironde). Tribuns, au point où en est arrivée la discussion qui vous occupe, je n'ai pas la prétention de croire pouvoir rien ajouter aux vérités que des voix nombreuses et plus éloquentes que la mienne vous ont déjà fait entendre. Prolonger plus longtemps des dissertations non contredites sur des questions déjà jugées par l'expérience des siècles, par notre expérience propre, et par l'unanime conviction de tous les Français, ce serait à la fois abuser de vos moments et retarder celui si fort désiré par tous du bien que vous êtes appelés à faire. Mais j'ai cru que, dans une circonstance aussi importante, je devais toute ma pensée aux vrais amis de la liberté, dont je m'enorgueillis d'avoir constamment été le fidèle mandataire; et c'est cette tâche sacrée, autant qu'honorable et douce, que je viens remplir, en proclamant et motivant mon vou individuel.

Je vote pour la réunion définitive du pouvoir exécutif dans les mains d'un seul, parce que ce n'est que dans les mains d'un seul que le pouvoir exécutif peut avoir l'unité de vues, la rapidité d'action et la force nécessaires à un grand Etat, à une population nombreuse, à un peuple à la fois belliqueux, agricole, commerçant et industrieux, à une nation enfin que sa position topographique, le rang qu'elle occupe dans l'Europe, et ses relations avec toutes les parties du globe, exposeraient au dehors à de continuelles attaques, quand la multiplicité et la complication des intérêts de ses propres citoyens ne la menaceraient pas au dedans de dissensions fréquentes, de plus ou moins funestes agitations.

Je vote l'unité du pouvoir exécutif, parce que huit ans d'essais malheureux n'ont que trop prouvé combien peu convenait à la France un gouvernement collectif quelconque, tandis qu'une expérience fortunée de quatre années nous a apprís, au contraire, à quel degré de puissance et de considération, à quelle prospérité, elle peut prétendre sous l'empire des lois et la conduite d'un seul. Je vote enfin l'unité du pouvoir

exécutif, parce que cette unité du pouvoir exécutif existe, parce qu'elle existe par le vœu du peuple, et parce qu'en la consacrant aujourd'hui solennellement, nous ne faisons qu'obéir à sa voix souveraine et toute-puissante, qui nous commande de lui garantir à jamais les biens inappréciables dont il jouit depuis quatre années à l'abri de ce tutélaire pouvoir.

Je vote pour l'hérédité du pouvoir exécutif, parce que l'hérédité seule du pouvoir exécutif garantit la stabilité des gouvernements, et que l'instabilité des gouvernements est le fléau le plus destructeur des peuples; parce que l'hérédité seule assure aux Etats la tranquillité, sans laquelle il n'est pour eux ni vraie liberté, ni prospérité publique; parce qu'elle scule écarte les ambitions, prévient les rivalités, et étouffe le germe populaire des dissensions civiles. Je

vote pour l'hérédité du pouvoir exécutif, parce que je crois le gouvernement électif, quelque forme d'élection que l'on adopte, le plus dangereux, le plus abusif, le plus subversif de tous pour une nation telle que la France. Je vote Pour l'hérédité du pouvoir exécutif, parce que l'hérédité seule garantit les nations des déprédations d'un népotisme dévorateur, toujours renaissant sans elle, des convulsions périodiques qu'excite dans son sein chaque élection, et des fréquentes et inévitables révolutions qui en sont la suite. - Je vote enfin pour l'hérédité du pouvoir exécutif, parce qu'elle seule identifie l'intérêt des gouvernements à celui des peuples; parce qu'elle élève aujourd'hui entre les Bourbons et nous, entre la contre-révolution et nous, une nouvelle barrière indestructible et insurmontable; parce qu'enfin le pouvoir héréditaire seul est conservateur par essence, et que notre devoir aujourd'hui est d'assurer au peuple français la conservation des droits qu'il a recouvrés, des biens qu'il a conquis par tant d'efforts d'héroïsme et de sacrifices.

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Je vote le dépôt du pouvoir exécutif unique et héréditaire entre les mains de Napoléon Bonaparte et de sa famille, parce que Napoléon Bonaparte est, de tous les citoyens français, le citoyen le plus grand et le plus illustre; parce qu'après avoir étonné le monde par le bruit de ses exploits presque fabuleux, il en a excité l'admiration par une modération vraiment héroïque et plus incroyable encore; parce qu'après avoir vaincu et pacifié l'Europe, il l'a consolée encore par sa longanimité, son respect pour les traités et la loyauté de sa politique. Je vote le dépôt du pouvoir exécutif unique et héréditaire entre les mains de Napoléon Bonaparte et de sa famille, parce que, après avoir glorieusement défendu la France à la tête de ses invincibles guerriers, après l'avoir miraculeusement retirée des bords de l'abîme prêt à l'engloutir, Napoléon Bonaparte a su rallier tous les esprits, imposer silence aux factions, faire jouir les Français d'un repos inconnu pour eux depuis dix années, cicatriser au dedans toutes les plaies, et porter au dehors le nom français au plus haut point de gloire, de considération et d'estime où jamais il soit parvenu. - Je vote enfin le dépôt du pouvoir exécutif unique et héréditaire entre les mains de Napoléon Bonaparte et de sa famille, parce que, mieux que personne, Napoléon Bonaparte et sa famille sauront et voudront conserver ce dépôt sacré; parce que, mieux que personne, Napoléon Bonaparte et sa famille sauront et voudront maintenir la liberté sous les étendards de laquelle ils ont marché avec nous, l'égalité du sein de laquelle ils sont sortis avec nous, et les

principes libéraux, seule garantie assurée désormais de leur prospérité comme de la nôtre; parce que celui qui vainquit nos ennemis assura notre indépendance, et rendit à la France ses limites naturelles, celui qui rétablit parmi nous la religion et la liberté des cultes consacra l'uniformité de nos lois civiles, et nous fit jouir des douceurs de l'égalité politique, celui enfin qui, associé à tous les travaux d'une révolution fertile en malheurs mais également féconde en grandes choses, sut en compléter, régulariser et consolider les sublimes résultats, voudra et saura, plus que personne, conserver intact son ouvrage, et le transmettre de génération en génération à ses descendants, solidairement intéressés à le conserver à leur tour.

Je vote enfin pour que les institutions garantes de la liberté et de l'égalité politiques et civiles soient clairement et irrévocablement fixées; que la liberté politique soit à jamais assurée par une représentation nationale, indépendante et libéralement combinée; qu'une magistrature respectée et indépendante préside au maintien de la liberté civile; que l'égalité politique et civile soient irrévocablement garanties par l'éternelle proscription du régime féodal, des distinctions de naissance et des priviléges, que les biens conquis sur la mainmorte et sur les transfuges soient imperturbablement acquis à leurs légitimes possesseurs; que des institutions enfin libérales à la fois et fortes préviennent pour toujours le retour des anciens abus, et celui non moins effrayant des révolutions qu'ils entraînent à leur suite: et nous pourrons dire alors, mais alors seulement, que la Révolution est finie, et la grandeur comme la prospérité du peuple français fondées à jamais.

Jamais ma conviction, que je votais dans l'intérêt du peuple, n'a été plus intime et plus profonde. Vive la grande nation! vivent les droits imprescriptibles du peuple! Vive Napoléon Bonaparte, sauveur et glorieux Empereur des Français !

Perrée. Tribuns, il est temps, sans doute, de revenir au point d'où nous sommes si inconsidérément partis.

Dix ans de délire, de paroles et d'actions; une génération engloutie; les richesses de plusieurs générations consommées;

Le savoir, l'honneur et l'innocence proscrits ou immolés ;

La divinité insultée :

Tel a été le résultat de cette souveraineté, créée pour l'effroi du présent et pour l'exemple de l'avenir.

Les plus viles passions ont bien pu s'emparer des rênes d'un empire que tenait d'une main faible la probité privée, jouet de la corruption de sa famille, si coupable pour sa félonie et sa trahison envers la nation.

Mais, dans un temple inconnu du crime, l'éternelle raison, la force du climat et des mours, la conscience de la nation, travaillaient de concert et en silence à rétablir une autorité digne de leurs efforts.

Depuis dix ans, chaque jour la victoire et la magnanimité déposaient dans cet asile leurs droits et leurs titres.

C'était le temple de la gloire ses portes ne devaient s'ouvrir qu'à la voix de la patrie econnaissante; elle y a donné l'autorité suprême à l'homme qui, par-dessus tous les genres de courage, a eu celui de l'accepter.

Il a justifié l'attente de la patrie; il s'est montré digne de sa fortune.

Les décrets de la Providence sont remplis. Qu'il gouverne longtemps pour le bonheur des Français, pour l'affermissement de l'Empire dont il a si loin reculé les bornes.

Il vous était réservé d'évoquer les événements du septième et du dixième siècles, pour les appliquer à de semblables circonstances.

Mais alors la noblesse laissa prendre ce qu'elle ne pouvait garder.

Le clergé confirma ce qu'il s'était arrogé, le droit de disposer au nom du ciel.

Et tous deux ne s'oublièrent pas dans la transaction.

Les chaînes de la servitude restèrent les mêmes. Maintenant la nation est dans tous et pour tous; tous sont la nation, illustrée par tant de prodiges de valeur, de dévouement et de patience.

Ici, sous les portiques de ce palais, ont été développées les premières opinions généreuses de 1789.

Les abstractions et leurs fauteurs ont passé. Ici, au milieu de vous, qui avez traversé les orages de trois constitutions, commande la voix de la nécessité et du sentiment.

Dans quel moment plus calme sera-t-il permis d'obéir à une voix aussi puissante et aussi chère?

Vous êtes l'écho légal de l'acclamation nationale: elle veut l'hérédité du pouvoir, elle veut l'égalité des droits.

Elle veut l'un pour éternel hommage à tant de sacrifices, l'autre pour son repos et pour le maintien de tant de gloire.

Soyons donc en mesure de la majesté nationale, en mesure de la prescience de celui qui a devancé le temps.

Consacrons le vœu d'hérédité de l'autorité suprême dans la famille du Premier Consul par tous les vœux qui peuvent rendre cette autorité glorieuse, prospère et durable.

1. Je demande une loi relative à l'ordre successif de cette hérédité.

Cette loi, déclarée loi fondamentale de l'Etat, sera placéé en tête du Code civil des Français; elle en sera le principe, tandis que l'hérédité féodale n'était que la conséquence de la loi salique.

2. La perpétuité du régime représentatif, objet de la vénération comme de l'attachement des Français.

3. La permanence d'un corps intermédiaire, égal à tous par les droits, supérieur à tous par les grands services rendus à la patrie;

Que ces membres, gardiens de la liberté civile, obtiennent le respect des peuples par leur courage à dire la vérité au gouvernement, et la confiance du monarque qu'ils feront chérir des peuples. 4. L'indépendance des tribunaux.

5. La dépendance civile des ministres de tous les cultes.

Ainsi nous paierons notre dette à la patrie et à celui qui la préserva de l'anéantissement.

Puissent les successeurs du Premier Consul conserver, par vénération pour sa mémoire, pour leur propre intérêt, pour la prospérité nationale, le plus bel heritage qui ait jamais été transmis, celui de son génie et de sa gloire, celui de la reconnaissance des Français! Là seulement est notre garantie.

J'adopte le vœu proposé.

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Jard-Panvilliers fait un rapport sur l'émission d'un vœu tendant à ce que Napoléon Bonaparte, actuellement premier consul de la République, soit déclaré Empereur des Français, et à ce que la dignité impériale soit héréditaire dans sa famille.

Citoyens tribuns, après dix ans d'efforts inutiles pour se donner un gouvernement stable et régulier, la France allait être de nouveau livrée aux fureurs des partis et aux désordres de l'anarchie, lorsqu'elle vit luire la journée à jamais mémorable du 18 brumaire an VIll. Dès lors tous les cœurs se livrèrent à l'espérance.

Un héros,qui avait déjà rempli l'univers du bruit de ses exploits militaires et de la profondeur de ses vues politiques dans les divers traités qu'il avait conclus en Italie, et dans le gouvernement de ses conquêtes d'Egypte, était accouru des bords du Nil aux rives de la Seine, à la voix de la patrie éplorée. Conduit par le génie tutélaire de la France à travers des flottes ennemies, il avait touché le sol de la République au moment même où des factieux se disposaient à y rétablir le règne affreux de la terreur, son nom seul pouvait leur en imposer; il devint l'objet des espérances de tous les bons citoyens. Tout ce qu'il y avait d'hommes amis de leur pays dans les premières autorités de l'Etat se rallia autour de lui, et sentit la nécessité de lui remettre les rênes du gouvernement. Il les saisit d'une main ferme, mais avec tous les ménagements que commande une politique sage et éclairée.

Il introduisit l'esprit de modération dans le gouvernement; et le premier usage qu'il fit de l'autorité qui lui était confiée fut de proposer aux puissances étrangères de mettre un terme aux maux de la guerre qui depuis dix ans ensanglantait l'Europe. Des propositions de paix de la part d'un héros qui n'avait jamais connu de défaites que celles de ses ennemis étaient bien propres à rassurer les gouvernements sur les projets de conquêtes et de bouleversement qu'on supposait à la France mais les passions qui avaient allumé le feu de la guerre étaient encore trop exaspérées pour que ces propositions fussent accueillies. Il fallut recourir encore à la force des armes, et cette nécessité donna lieu à ce prodige militaire, à cette campagne de Marengo, monument éternel de la valeur des Français et de l'habileté de leur chef, qui,par une démarche aussi audacieuse que savamment combinée, s'empara de tous les magasins de l'ennemi, et le força par une seule victoire à lui remettre toutes les places fortes du Piémont et de la Lombardie.

Depuis longtemps il avait accoutumé les peuples à ses succès; mais celui-ci parut si fort au-dessus de tout ce que l'histoire nous apprend des triomphes des plus grands capitaines et de ses propres victoires, qu'il excita une admiration universelle, et fit sentir aux puissances coalisées qu'elles tenteraient inutilement de vaincre une nation qui dès lors se crut elle-même invincible sous un tel chef.

Toutefois le fléau de la guerre ne fut encore suspendu que pour quelques instants; mais la gloire militaire du premier consul de la République, son administration intérieure, la dignité et modération qu'il mettait dans ses rapports avec autres gouvernements, inspirèrent tant de lance à la nation, que la sécurité renaquit esprit de chaque citoyen, que le commerce activité, et le crédit public se rétablit sein de la paix la plus parfaite.

d'inquiétude pouvait-on avoir en

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