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sible, et insista surtout pour qu'en attendant l'instant favorable à cette réduction, on convertît au moins en une extension aux droits d'octroi déjà existants, tout ou partie du contingent des grandes communes.

C'est cette dernière idée, la seule sans doute que les circonstances permissent encore de réaliser.qu'un Gouvernement paternel,toujours attentif aux besoins du peuple, s'est appropriée. Il l'a fait avec la circonspection qui accompagne toujours les innovations dans une administration sage et éclairée, avec les ménagements que pouvaient réclamer les localités; et la nouvelle application qu'il vous en propose aujourd'hui prouve de plus en plus que l'événement a pleinement justifié ses vues et les nôtres.

C'est dans ses vues, Messieurs, que le 15 germinal an XI, le Gouvernement propose au Corps législatif d'autoriser la commune de Paris à remplacer, en tout ou partie, le montant de ses contributions mobilière et somptuaire par une perception dont le mode, provisoirement exécuté, ne devait devenir définitif qu'après avoir été converti en loi dans la session suivante. Cette mesure que recommandait à l'avance l'opinion, et qui s'offrait à vous environnée des précautions les plus rassurantes, obtint votre assentiment; et vous rendites, dans les termes proposés, la loi du 26 germinal an XI.

Il vous a été rendu compte dans le temps, Messieurs, de la faveur avec laquelle les dispositions de cette loi furent accueillies, et des résultats heureux qu'eut son exécution pour les contribuables à la fois et pour le trésor public. Le montant des contributions personnelle et somptuaire de la ville de Paris fut proportionnellement réparti à raison des loyers excédant cent francs; son contingent à la contribution mobilière fut converti en une extension aux droits d'octroi déjà existants; et ce mode de remplacement, provisoirement exécuté d'abord, d'après la loi du 26 germinal an XI, fut, conformément à la même loi, présenté dans la session suivante à la sanction du Corps législatif, qui le consacra définitivement par la loi du 5 ventôse an XII.

Peu de jours avant, et le 27 pluviôse, une loi, semblable en tous points à la première, avait accordé à la ville de Marseille la même faculté de remplacer, en tout ou partie, ses contributions mobilière et somptuaire; et c'est identiquement encore la même mesure qui vous est proposée aujourd'hui pour la ville de Lyon.

Il serait superflu sans doute, Messieurs, il serait étranger, surtout à l'objet qui vous occupe, de reproduire ici ce qui a été si souvent dit et écrit sur la nature, les inconvénients et les avantages respectifs des contributions tant directes qu'indirectes, et les arguments plus ou moins spécieux, par lesquels deux sectes rivales, également éclairées, également pures dans leurs vues, mais également exagérées, parce que toutes les sectes le sont, s'efforcèrent respectivement d'obtenir à l'une ou à l'autre de ces deux natures d'impôts, une préférence absolue et exclusive. S'il est résulté quelques vérités constantes de ces discussions savantes, mais toujours restées interminables, c'est que chaque espèce d'imposition a ses avantages propres, comme elle a des inconvénients particuliers inhérents à sa nature; que de la proportion de ces diverses impositions entre elles, de leur rapport avec les sources où elles doivent respectivement puiser, et de leur combinaison plus ou moins appropriée au temps, aux lieux et aux choses, dépend le plus ou moins

bon emploi de chacune d'elles ; et qu'en matière d'impôts comme dans toute autre, c'est entre les systèmes opposés et non dans les dogmes absolus de tel ou de tel système, que l'homme sage doit chercher sa règle de conduite et la vérité.

Ce n'est point en effet, Messieurs, sur la pr férence à donner à tel ou tel système de contribution, à telle ou telle contribution même &hstractivement envisagée, que vous avez à vous prononcer ici c'est d'un cas particulier, d'une exception locale qu'il s'agit; et la question circonscrite ainsi est elle-même, à proprement parler, déjà résolue et décidée. Elle l'est pour le Tribunat, dont l'opinion constante et le vœu souvent prononcé n'ont cessé de préparer, et ont provoqué plus d'une fois la mesure proposée; elle l'est pour le Corps législatif, par qui cette mesure a été déjà consacrée deux fois dans des cas semblables; elle l'est pour tous, par les résultats heureux et incontestables dont cette même mesure a été suivie, depuis deux ans, dans deux essais successifs.

La loi que vous discutez est en tout semblable à celles rendues en l'an XI, pour Paris, et l'année dernière pour Marseille, comme la position de Lyon, dans l'objet présent, est semblable en tout à la position de ces deux communes. Comme ces deux dernières lois, celle proposée aujourd'hui consulte et ménage l'intérêt local, en faisant intervenir dans le choix du mode de remplacement l'administration municipale; comme elles, elle assure la continuité des rentrées par l'exécution provisoire du mode de remplacement adopté; comme elles, enfin, elle n'est, à proprement parler, qu'un essai dont les inconvénients, s'il y en avait, seraient passagers, et dont les avantages seuls, consacrés par la loi, seront durables.

Messieurs, la section des finances du Tribunat, dont je suis en ce moment l'organe, a vu, dans la loi proposée, une application nouvelle de principes constamment professés par elle, consacrés plusieurs fois par vous et justifiés par l'expérience; elle y a vu un pas de plus fait par la législation vers l'amélioration de notre système de contributions publiques; elle y a vu en particulier, pour la ville de Lyon, un nouveau bienfait du génie réparateur que déjà elle admire et chérit à tant de titres. C'est sur ces motifs, dont vous apprécierez la justesse et l'importance, qu'elle en a unanimement voté l'adoption.

Aucun orateur ne prenant la parole, la discussion est fermée.

Le Corps législatif délibère sur le projet de loi, qui est décrété à l'unanimité de 215 votants.

Les orateurs du Conseil d'Etat et du Tribunat ayant quitté l'assemblée, un membre demande que le Corps législatif se forme en comité général. M. le président invite les étrangers à évacuer les tribunes.

Quelques instants après, la séance est rendue publique.

M. le président prononce que l'assemblée, dans sa conférence particulière, vient d'arrêter qu'il serait nommé une députation de quinze de ses membres, à l'effet de se rendre auprès de LL. AA. SS. les princes Murat, grand amiral, et Beauharnais, archi chancelier d'Etat, pour leur exprimer les sentiments et les félicitations du Corps législatif au sujet de leur promotion à ces dignités.

D'après l'observation que M. le prince Beauharnais est en ce moment à Milan, il sera à son égard suppléé à la députation par une lettre que lui adressera M. le président.

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SÉNAT CONSERVATEUR.

PRÉSIDENCE DE S. A. S. M. L'ARCHICHANCELIER DE L'EMPIRE.

Séance du 15 pluvióse an XIII (lundi 4 février 1805).

Le Sénat s'est réuni aujourd'hui en grand costume, sous la présidence de S. A. S. M. Cambacérès, archichancelier de l'Empire.

M. le maréchal Murat, grand amiral, étant venu prendre place au Sénat, S. A. S., avant de prêter le serment accoutumé, s'est exprimé de la manière suivante :

Sénateurs, je viens remplir des obligations que m'impose la dignité à laquelle je viens d'ètre élevé je viens prêter entre les mains du Sénat le serment voulu par ses règlements et par les Constitutions de l'Empire. Sa Majesté m'a nommé grand amiral; elle m'a conféré le titre de prince; elle m'a fait sénateur. Quelle récompense pour quelques services rendus, et quel prix pour l'attachement que je lui ai voué presqu'en entrant dans la carriere des armes! Mais quelles obligations ne m'impose pas le message de Sa Majesté au Sénat, et le message du Sénat à Sa Majesté! Comment pourrai-je jamais espérer de justifier les termes honorables dans lesquels l'un et l'autre sont conçus. Si jeune encore, je n'espérais trouver dans les bontés de Sa Majesté des occasions de lui prouver qu'elle n'a pas de sujet plus fidèle et plus ardent à la servir, et de prouver en même temps au Sénat que je suis digne d'appartenir à un corps tout composé de sages choisis parmi les personnages les plus distingués de l'Empire.

M. l'archichancelier (Cambacérès), président, a répondu en ces termes au discours de M. le grand amiral :

Monsieur le grand amiral, depuis longtemps le vœu public avait marqué la place de Votre Altesse parmi les grands dignitaires de l'Empire.

L'utilité de vos services, vos talents militaires, vos rapports intimes avec la famille impériale, votre attachement inviolable pour la personne sacrée de Sa Majesté : tels sont les titres qui parlaient en votre faveur, que chacun de nous se plaisait à reconnaître, et que votre modestie seule semblait ignorer. Sa Majesté les a sanctionnés en vous élevant au plus haut rang de la société. Que n'a-t-elle pu être le témoin de la joie qui s'est manifestée dans cette enceinte lorsque votre nomination y a été annoncée! Que ne peut-elle entendre les applaudissements qui couvriront votre nom lorsque la nouvelle de son choix parviendra aux armées! Mais l'Empereur sait déjà combien à votre égard l'opinion publique est d'accord avec ses propres sentiments. Dans les camps, comme dans les conseils, soit qu'il s'agisse de défendre la gloire de nos armes, ou de délibérer sur les grandes affaires de l'Etat, tous les bons Français voient Votre Altesse Sérénissime à la place qui lui convient; tous se réjouissent de penser que Sa Majesté peut dire de son beau-frère ce qu'un grand roi disait d'un grand ministre : Il est bon à présenter à mes amis et à mes ennemis.

Déjà le Sénat, par une démarche distinguée, a fait témoigner tout son intérêt pour Votre Altesse

T. VIII.

Sérénissime. En me rendant plus longtemps son organe, je craindrais d'affaiblir ce qui vous a été dit de sa part par son éloquent interprète; mais en m'abandonnant aux effusions de l'amitié, j'ai la douce certitude que son langage est justifié par l'approbation de tous ceux qui m'écoutent.

M. Talleyrand, ministre des relations extérieures, est introduit.

M. l'archichancelier Cambacérès expose en ces termes l'objet de la communication que le ministre est chargé de faire au Sénat de la part de l'Empereur.

Messieurs, Sa Majesté a fait de nouveau connaitre au gouvernement de la Grande-Bretagne les dispositions pacifiques, dont les plus flatteuses espérances ne l'ont détourné dans aucune circonstance de sa vie, et qui toujours lui ont fait préférer à la gloire des armes le repos du monde et le bonheur de l'humanité.

Si la réponse du cabinet de Londres n'a point été telle qu'on avait lieu de l'espérer, la démarche de l'Empereur n'en conserve pas moins tout son éclat. Il est beau de voir un prince accoutumé à vaincre déplorer les malheurs de la guerre, s'occuper sans relâche d'assurer à l'Europe les douceurs de la paix, et renoncer pour ainsi dire à l'esprit de conquête dans l'âge où la force des passions doune taut d'empire a la voix de l'ambition, et en laisse si peu aux conseils de la sagesse.

Quel que soit le résultat de cette ouverture, l'amour des Français pour leur prince, la reconnaissance de l'Europe, l'admiration mène de ses ennemis, sont une récompense digne de son cœur et qui ne peut lui échapper.

Sa Majesté l'Empereur, voulant donner au Sénat un nouveau témoignage de sa confiance, a ordonné, Messieurs, que sa lettre au roi d'Angleterre fút mise sous vos yeux, ainsi que la réponse qui a été faite à cette lettre au nom du gouvernement britannique.

Tel est l'objet de la présente séance que j'ai reçu la mission de presider, et dans laquelle le ministre des relations extérieures se trouve pour satisfaire aux intentions de Sa Majesté.

M. Talleyrand, ministre des relations extérieures, invité à monter à la tribune, présente le rapport suivant :

Messieurs, la solennité nationale du couronnement, ce noble et nécessaire complément de nos institutions sociales, tenait à des sentiments trop profonds et trop universels pour ne pas occuper l'attention entière de toutes les classes de l'Etat; aux approches, à la suite de ce grand événement intérieur, qui vient d'assurer à jamais les destins de la France, en consacrant par la voix des hommes et par celle du ciel, tout ce que nous avons acquis de gloire, de grandeur et d'indépendance, on a généralement et comme par une commune impression, senti diminuer et s'affaiblir l'intérêt de tous les autres événements; la pensée même de la guerre, au sein d'une nation qui doit tant à ses victoires, a semblé disparaître.

Tout est accompli, l'Empire est fondé et en reprenant les soins extérieurs, et en rappelant les esprits aux intérêts de la guerre, le premier sentiment de l'Empereur a été de s'élever au-dessus de toutes les passions, et de justifier la grande destinée que la Providence lui réserve en se montrant inaccessible à la haine, à l'ambition, à la vengeance.

S'il existe des hommes qui ont conçu le projet de nous combattre avec les armes du crime, qui ont, autant qu'il a été en eux, réalisé cette

31

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se: Empereur, je n'en ai point d'autre. >>
Duis deux ans la guerre est déclarée, et n'a
Tanmencer encore. Toutes les actions ont été
a préparatifs, en projets mais le moment étant
arrivé, où l'exécution devait amener des évé-
nements réels, et faire naître les plus terribles
chances, l'Empereur a pensé qu'il était dans les
principes de cette religion politique, qui sans
doute attire sur les pensées et sur les efforts des
princes justes et généreux l'assistance du ciel, de
faire tout ce qui était en son pouvoir pour pré-
venir de grandes calamités en faisant la paix.

J'ai ordre de vous communiquer la lettre que,
dans cette vue de modération et d'humanité
Sa Majesté l'Empereur a jugé convenable d'écrire à
Sa Majesté le roi d'Angleterre.
LETTRE DE L'EMPEREUR

AU ROI D'ANGLETerre.
Monsieur mon frère, appelé au trône de France
par la Providence et par les suffrages du Sénat,
du peuple et de l'armée, mon premier sentiment est
un væude paix. La France et l'Angleterre usent leur
prospérité. Elles peuvent lutter des siècles; mais
leurs gouvernements remplissent-ils bien le plus
sacré de leurs devoirs? Et tant de sang versé
inutilement, et sans la perspective d'aucun but,
ne les accuse-t-il pas dans leur propre conscience?
Je n'attache point de déshonneur à faire le premier
pas. J'ai assez, je pense, prouvé au monde que je
ne redoute aucune des chances de la guerre; elle
ne m'offre d'ailleurs rien que je doive redouter.
La paix est le vœu de mon cœur, mais la guerre
n'a jamais été contraire à ma gloire. Je conjure
Votre Majesté de ne pas se refuser au bonheur de
donner elle-même la paix au monde. Qu'elle ne
laisse pas cette douce satisfaction à ses enfants;
car enfin, il n'y eut jamais de plus belles circons-
tances, ni de moment plus favorable pour faire
taire toutes les passions, et écouter uniquement
le sentiment de l'humanité et de la raison. Ce
moment une fois perdu, quel terme assigner à
une guerre que tous mes efforts n'auraient pu
terminer? Votre Majesté a plus gagné depuis dix
ans, en territoire et en richesse, que l'Europe n'a
d'étendue. Sa nation est au plus haut point de
prospérité. Que veut-elle espérer de la guerre ?
coaliser quelques puissances du continent? Le
continent restera tranquille; une coalition ne
ferait qu'accroître la prépondérance et la grandeur
continentale de la France. Renouveler des troubles
intérieurs? les temps ne sont plus les mêmes.
Détruire nos finances? des finances fondées sur
une bonne agriculture ne se détruisent jamais.
Enlever à la France ses colonies? les colonies sont
pour la France un objet secondaire, et Votre
Majesté n'en poss de-t-elle pas déjà plus qu'elle
n'en peut garder? Si Votre Majesté veut elle-
même y songer, elle verra que la guerre est sans
but, sans aucun résultat présumable pour elle.
Eh quelle triste perspective de faire battre les
peuples pour qu'ils se battent ? Le monde est
assez grand pour que nos deux nations puissent
y vivre, et la raison a assez de puissance pour
qu'on trouve les moyens de tout concilier, si de
part et d'autre on en a la volonté. J'ai toutefois
rempli un devoir saint et précieux à mon cœur.
Que Votre Majesté croie à la sincérité des sentiments
que je viens de lui exprimer, et à mon désir de
lui en donner des preuves. Sur ce, etc., etc.
Paris, ce 12 nivôse an XIII (2 janvier 1805).
Signé NAPOLEON.
Pour copie conforme :
des relations extérieures,
MAUR. TALLEYRAND.

Le

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En calculant les avantages de notre position, et en pensant à cet élan unanime d'affection et de respect qui, dans les dernières circonstances, nous ont fait voir la France entière toute disposée à se dévouer pour maintenir l'honneur du nom français, la gloire du trône et la puissance de l'Empire, je ne cacherai pas qu'étant seul admis, comme ministre, dans la confiance d'une telle détermination, j'ai dû, pour l'apprécier tout entière, la considérer moins en elle-même que dans son principe héroïque, et la voir plutôt comme conséquence de caractère que comme application d'une maxime d'Etat. Si tout autre prince m'eût manifesté une telle disposition, j'eusse cru que l'honneur de ma place et mon dévouement personnel me faisaient une loi de la combattre par mes conseils.

Et, en effet, quelle est notre position? et de quel côté sont les avantages de la guerre ? Nous n'avons rien perdu au dedans et au dehors, tout s'est amélioré parmi nous. Nos flottilles, dont la création semblait une chimère, dont la réunion paraissait impossible, ont été créées et réunies comme par prestige. Nos soldats sont devenus marins; on dirait que les ports, les rivages se transforment en villes, où les soldats de terre et de mer se livrent en pleine sùreté, et comme pendant la paix, aux terribles et périlleux exercices de la guerre. Nous avons, sans doute, moins de vaisseaux que l'Angleterre; mais leur nombre suffit pour que leur réunion, sagement préparée, puisse porter des coups mortels à l'ennemi.

L'Espagne, engagée dans la lutte par des proVocations sans prétexte et sans excuse, nous a donné pour auxiliaires la désapprobation de l'Europe contre une injuste agression, l'indignation d'un peuple généreux et les forces d'un grand royaume. Invulnérables sur notre territoire, nous avons éprouvé que la vigilance et une énergie qui ne se dément jamais suffisent à notre sûreté. Nos colonies sont à l'abri de toute attaque la Guadeloupe, la Martinique, l'Ile-deFrance, résisteraient à une expédition de 20 mille hommes.

Nos villes, nos campagnes, nos ateliers prospèrent la perception constante et facile des impôts atteste la fécondité inépuisable de l'agriculture et de l'industrie; le commerce, accoutumé depuis dix ans à se passer de ses coûteuses relations avec l'Angleterre, se fait une autre assiette et trouve à remplacer ses relations par des communications plus profitables, plus indépendantes et plus sûres. Point de nouveaux impôts; point d'emprunts; une dette qui ne peut augmenter, et qui doit décroître; une réunion enfin dé moyens suffisants pour soutenir pendant dix ans l'état actuel de la guerre telle est la position de la France.

Cette guerre a donc été peu offensive; mais elle est loin d'avoir été inactive, la France a été garantie. Elle s'est créé des forces jusqu'à ce jour inconnues. Elle a perpétué dans le sein du pays ennemi un principe d'inquiétude sans remède; et par une prudence et une énergie sans relâche, elle a conquis pour toujours la confiance du continent, d'abord un peu ébranlée par le début d'une guerie incendiaire qui pouvait mettre l'Europe en feu, et dont le progrès a été arrêté par des efforts assidus de surveillance, de modération, de fermeté et de sagesse.

Quelle est la situation de l'ennemi? Le peuple est en armes, et pendant que le besoin, secondé du génie, nous a fait inventer une nouvelle espèce de marine, le besoin et la frayeur ont

forcé le cabinet anglais de substituer partout les piques aux armes ordinaires de la guerre. Ce cabinet est partagé entre des projets d'invasion et des projets de défense. Il prodigue d'inutiles retranchements; il hérisse les côtes de forteresses; il établit et déplace sans cesse ses batteries; il cherche s'il ne pourrait pas arrêter ou détourner le cours des fleuves.

11 projette des inondations sur ses propres campagnes. L'indolence des villes est dans ses camps; la turbulence des camps est dans ses villes.

L'Irlande, les Indes, les rivages même de l'Angleterre sont un objet perpétuel et indéterminé d'inquiétudes. Tout ce qui appartient à l'Angleterre est incessamment menacé par 1500 bâtiments qui composent notre flottille aujourd'hui, par soixante vaisseaux de ligne, et par une armée valeureuse que les premiers généraux de l'univers commandent. La plus effrayante de toutes les menaces ne serait-elle pas celle de la patience facile, qui nous ferait persister pendant dix ans dans cet état d'arrêt et d'attente qui laisse à nos hostilités l'intelligence et le choix des lieux, du temps et des moyens de nuire ?

Ces considérations et ce contraste eussent dû, ce me semble, inspirer au gouvernement anglais la sage résolution de faire les premières démarches, pour prévenir les hostilités: il ne l'a point fait. Il a laissé à l'Empereur tout l'avantage de cette initiative honorable. Toutefois, il a répondu aux propositions qui lui ont été faites, et si on compare sa réponse aux déclamations sí honteusement célèbres de lord Grenville, en l'an VIII, j'aime à le dire, elle n'est pas dépourvue de modération et de sagesse. Je vais avoir l'honneur de vous en faire la lecture.

LETTRE DU LORD MULGRAVE

A. S. E. M. DE TALLEYRAND, ministre des relations extérieures. Sa Majesté a reçu la lettre qui lui a été adressée par le chef du Gouvernement français, datée du deuxième jour de ce mois.

Il n'y a aucun objet que Sa Majesté ait plus à cœur que de saisir la première occasion de procurer de nouveau à ses sujets les avantages d'une paix fondée sur des bases qui ne soient pas incompatibles avec la sûreté permanente et les intérêts essentiels de ses Etats. Sa Majesté est persuadée que ce but ne peut être atteint que par des arrangements, qui puissent en même temps pourvoir à la sûreté et à la tranquillité à venir de l'Europe, et prévenir le renouvellement des dangers et des malheurs dans lesquels elle s'est trouvée enveloppée. Conformément à ce sentiment, Sa Majesté sent qu'il lui est impossible de répondre plus particulièrement à l'ouverture qui lui a été faite, jusqu'à ce qu'elle ait eu le temps de communiquer avec les puissances du continent, avec lesquelles elle se trouve engagée dans des liaisons et des rapports confidentiels, et particulièrement avec l'empereur de Russie, qui a donné les preuves les plus fortes de sa sagesse et de l'élévation des sentiments dont il est animé, et du vif intérêt qu'il prend à la sûreté et à l'indépendance de l'Europe. Signé: MULGRAVE. Downing-Street, 14 janvier 1805. Pour copie conforme :

Le ministre des relations extérieures.
Signé CH. MAUR. TALLEYRAND.

Le caractère qui domine dans cette réponse est vague et sans détermination. Une seule idée se montre avec quelque précision, celle du recours

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à des puissances étrangères, et cette idée n'est point pacifique : une intervention superflue ne doit point être réclamée, si on n'a pas l'envie l'embarrasser les discussions et de les rendre interminables. Le résultat ordinaire de toutes les négociations compliquées est d'aigrir les esprits, de asser les bonnes intentions, et de rejeter les Etats dans une guerre devenue plus ardente par le dépit d'une tentavivede rapprochement sans succès.

Cependant dans une question qui tient à une multitude d'intérêts et de passione, qui sont loin d'avoir jamais été en harmonie, il ne faut pas s'arrêter à un seul indice.

Le temps nous dévoilera bientôt le secret des résolutions du gouvernement d'Angleterre. Si ces résolutions sont justes et modérées, nous verrons finir les calamités de la guerre; si, au contraire, cette première apparence de rapprochement n'était qu'une lueur trompeuse, destinée seulement à servir des spéculations de crédit, à faciliter un emprunt, des rentrées d'argent, des achats et des entreprises, alors nous saurions sans incertitude à quel point les dispositions de l'ennemi sont implacables et obstinées, et nous n'aurions plus qu'a rejeter loin de nous des espérances d'un attrait dangereux, et à nous confier sans réserve en la bonté de notre cause, à la justice de la Providence et au génie de l'Empereur.

En attendant que de nouvelles lumières nous éclairent sur l'obscurité de la situation actuelle des affaires, Sa Majesté l'Empereur a pensé que la révélation imparfaite que Sa Majesté le roi d'Angleterre a jugé à propos de faire des premières démarches de la France, exigeait de sa part une exposition complète de ce qu'elle a voulu, de ce qu'elle a fait, et de la réponse du gouvernement anglais.

En même temps elle me charge d'annoncer qu'elle trouvera toujours une satisfaction réelle et chère à son cœur, de faire connaître au Sénat et à son peuple, par des communications franches, entières et jamais douteuses, tout ce qui tiendra aux grands intérêts de sa prospérité et de sa gloire, toutes les fois que cette communication sera compatible avec les principes de la politique. et avec les règles de la prudence.

Après ce rapport, un membre a dit qu'il convenait de faire une adresse à Sa Majesté Impériale pour la remercier du nouveau témoignage de confiance que le Sénat venait de recevoir, par la communication de ce rapport si remarquable et si important, et que suivant l'usage du Sénat dans les matières politiques, cet objet devait être renvoyé à une commission spéciale.

Le Sénat a nommé au scrutin cinq commissaires pour lui faire un rapport à ce sujet dans une prochaine séance. Ce sont MM. Barthélemy, Cacault, Hédouville, et LL. EE. M. le maréchal Pérignon et M. François (de Neufchâteau), président du Sénat.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE M. FONTANES. Séance du 15 pluvióse an XIII(lundi 4 février 1805). Le procès-verbal de la séance du 13 pluviôse est adopté.

MM. Béguinot et Bassenge écrivent qu'une indisposition les empêche de se rendre à cette

séance.

Des orateurs du Gouvernement sont annoncés et introduits.

M. Ségur, conseiller d'Etat, fait à l'assemblée la communication suivante :

[4 février 1805.]

Messieurs, Sa Majesté a voulu que vous fussiez instruits, par une communication officielle, des faits récents qui intéressent notre situation politique.

Sa Majesté, depuis qu'elle a été élevée sur le trône, a pensé que cette situation nouvelle et les circonstances qui l'y avaient placée, pouvaient lui faire concevoir des espérances de paix.

L'ennemi, désabusé du vain espoir qu'il avait fondé sur nos divisions et sur les chances d'un pouvoir électif, se trouvait dans une position qui devait le disposer à écouter des conseils plus modérés. L'Empereur a fait ce que le général Bonaparte avait fait avant le passage de la Drave, ce qu'avait fait le Premier Consul avant que d'être forcé de combattre à Marengo. Il a écrit à Sa Majesté britannique la lettre dout nous allons vous donner lecture. (Voy. cette lettre, à la séance du Sénat conservateur de ce jour).

Cette lettre, Messieurs, convenait à la dignité d'une puissance qui connaît sa force et ne peut pas en abuser. Le caractère et les actions de l'Empereur ne permettaient pas d'y soupçonner de la faiblesse.

A cette lettre, le ministre britannique a fait une réponse non pas telle qu'il le devait à des ouvertures aussi franches et aussi pacifiques, mais une réponse dont les termes, du moins, si on les compare à ceux dont il se servit en l'an VIII dans d'autres circonstances, ne blessaient pas les convenances, et permettaient d'espérer des communications plus utiles. (Voy. cette lettre à la séance du Sénat conservateur de ce jour).

La lettre et la réponse seraient restées dans le secret du Gouvernement comme tous les actes préliminaires dont le but est de conduire à des négociations effectives, si le message du roi d'Angleterre à son parlement n'en eût appelé la publicité.

Ce message, Messieurs, qui annonce, de la part de la France, des communications pacifiques, n'est plein que d'aigreur, d'accusations et de reproches. On y feint une pitié insultante pour une nation généreuse qu'on vient subitement d'attaquer au sein de la paix, dont on a saisi, pillé, détruit les vaisseaux naviguant sur la foi des traités; et on s'étonne qu'elle ne s'abaisse pas à des explications vis-à-vis d'un ennemi qui la traite en brigands, et qu'à des hostilités elle ait répondu par une déclaration de guerre.

On y annonce des liaisons, une correspondance, des rapports confidentiels avec des puissances du continent. On s'efforce d'y établir l'idée d'une coalition qui n'existe point, et qu'il serait impossible de réaliser.

La France est trop grande pour s'abaisser à discuter des injures.

Elle doit, à un allié cruellement outragé, non pas une vaine pitié, mais le plus constant et le plus fidèle appui.

La France n'a point d'ennemis sur le continent; elle n'a, avec aucune puissance continentale, aucune discussion qui puisse s'attacher à sa querelle avec le ministère britannique.

L'Autriche, la Prusse, l'Allemagne tout entière, veulent la paix et la veulent avec la France. Depuis peu de jours encore, l'Empereur a reçu, de leurs dispositions amicales, les assurances les plus positives.

L'empereur Alexandre eût empêché la guerre, si l'Angleterre eût voulu accepter sa médiation; il l'eût peut-être fait cesser depuis, si ses ministres, à Paris et à Londres, eussent suivi les intentions qu'il avait alors.

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