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Messieurs, en nous chargeant de vous apporter le décret qui termine cette mémorable session, Sa Majesté l'Empereur nous a donné l'ordre de vous exprimer la satisfaction que lui fait éprouver votre utile concours à tout le bien qu'il a voulu faire.

Avec cette harmonie de volontés, cette unité d'intentions, cet ensemble dans les efforts, aucun obstacle n'est insurmontable, aucune amélioration n'est impossible, les malheurs passés s'oublient, les opinions se confondent, les espérances renaissent, les ressources s'augmentent, les forces se multiplient; et la confiance publique, accélérant la marche du temps, exécute tout ce que le génie a projeté, réalise tout ce qu'il a conçu, consolide tout ce qu'il a créé.

Ce que vous avez vu, ce que vous avez entendu, ce que vous avez fait pendant le cours de quelques mois, suffirait pour occuper de longs souvenirs.

En vous rassemblant ici de toutes les parties de l'Empire, dont vous êtes les dignes soutiens, vous êtes venus compléter, décorer et admirer ce noble et touchant spectacle, cette grande cérémonie, cette consécration religieuse et civique qui semblait réunir dans une même enceinte tout ce qui doit imprimer le respect, frapper les esprits, élever les âmes, enfin tout ce que l'union de la gloire et de la religion peut offrir d'auguste et de sacré.

Vous avez vu un pontife vénérable, digne par ses vertus des premiers âges du christianisme, appeler les bénédictions célestes sur Napoléon, sur ses armées victorieuses, et sur son auguste épouse que depuis longtemps la reconnaissance avait bénie et couronnée.

En présence de toutes les autorités, de toutes les classes des citoyens, de toutes les députations de nos invincibles armées, vous avez reçu le serment d'un Empereur qui n'avait à promettre que la durée de la gloire qu'il nous avait acquise, des lois qu'il avait fait renaître, de la liberté de conscience qu'il avait établie, des institutions qu'il avait créées, de l'Empire qu'il venait de fonder.

Et tandis que les voûtes du temple retentissaient des acclamations d'un peuple qui jurait unanimement une fidélité éternelle, ce peuple lui-même, tout entier répandu sur la surface de l'Empire, et qui se trouvait à la fois privé de chefs, d'adininistrateurs, de magistrats, de généraux, attestait, par sa tranquillité profonde et par son respect pour l'ordre public, son adhésion à ce serment d'obéissance, son attachement au noble faisceau qui se formait pour sa gloire et sa juste confiance dans le chef qui préside à ses destinées.

Voilà. Messieurs, la faible esquisse du premier tableau qui s'est offert à vos regards avant de reprendre le cours de vos utiles travaux.

Bientôt votre session s'est ouverte, et Napoléon, par sa présence, est venu imprimer un caractère plus imposant, plus majestueux à vos séances. Le respect qu'inspirait cette cérémonie vit dans tous les souvenirs, et le discours qu'a prononcé Sa Majesté est gravé dans tous les esprits.

Vos acclamations vives, unanimes, prolongées, qu'il me semble encore entendre, m'avertissent qu'il est superflu de rappeler icí une solennité dont nous croyons encore être témoins, et un discours dont aucune parole ne sera perdue.

Peu de jours après, le ministre de l'intérieur est venu vous présenter le tableau de la situation de l'Empire. Cet exposé fidèle, satisfaisant pour nous, rassurant pour nos alliés, redoutable pour nos ennemis, vous répondait dé la sécurité pro

fonde avec laquelle vous pouviez vous livrer à l'examen impartial et tranquille des projets qui devaient vous être successivement soumis.

Vous me permettrez sans doute ici, Messieurs, de vous présenter, avec satisfaction, l'énumération rapide des différentes lois que vous avez rendues. Heureux le temps et le pays où le récit tient lieu d'éloges, et l'histoire de panégyrique!

Vous attendiez avec impatience la discussion du Code criminel, du Code de procédure et du Code de commerce, qui vous étaient annoncés; mais l'Empereur a pensé qu'ils devaient encore être mûris avant de vous être présentés, et vous avez approuvé la sagesse de celui qui sait apprécier la puissance du temps, quoiqu'il en ait si souvent devancé la marche.

Vos premières lois ont eu pour objet les vœux de quelques localités; vous avez encouragé leur activité, en réalisant leurs espérances.

La ville d'Anvers a obtenu un tribunal de commerce; le temps approche où l'on verra renaître partout ce commerce qu'avait détruit la violence, et sur les débris duquel s'était élevé le colosse britannique.

D'autres villes ont obtenu la translation de quelques tribunaux, et leur établissement dans des lieux où la justice sera plus à portée des justiciables et plus convenablement placée.

En élevant un pont sur le Rhône, vous avez rétabli une utile communication entre les deux rives d'un fleuve rapide et dangereux.

Vous avez débarrassé la Saône des entraves qui arrêtaient les navigateurs, et vous payez l'art industrieux qui rend dans cette partie la vie au commerce, en lui donnant pour récompense les terrains qu'il doit conquérir sur les eaux.

Après avoir, par une loi, délivré la ville de Lyon de la contribution mobilière, de l'arbitraire qui l'accompagne, des vexations qu'elle entraîne; après avoir remplacé cette contribution par une taxe légère sur les consommations, impôt volontaire qui n'offre point de non-valeur et qui se perçoit sans gène et sans injustice, vous avez pris des mesures qui feront disparaître les ruines de cette cité célèbre, et rendront la place Bonaparte digne du nom que lui donne la reconnaissance.

D'autres lois autorisent des échanges, des aliénations, des impositions avantageuses pour une grande quantité de communes, et vous facilitez par ce moyen la construction des ponts, le rétablissement des bacs, l'édification des monuments utiles, l'amélioration du sort des hospices, le service des cultes, et tout ce que l'intérêt, guidé par la sagesse, devait attendre des législateurs.

Tandis que chez nos ennemis tout fermente, tout s'agite, tout s'arme, vous prouvez, par une loi sur la conscription, que nous n'avons pas besoin de nouveaux efforts, et cette loi nouvelle ne diffère de celle de l'année dernière que par une répartition plus juste et plus modérée, relativement à nos côtes et à nos départements maritimes.

Vous avez régularisé la législation sur les consignations.

Cette partie de la propriété, dont les tribunaux suspendent la jouissance, ne sera plus si longtemps perdue sans intérêt pour les propriétaires, et leur remboursement serà plus prompt et plus assuré.

En portant vos regards sur les cautionnements, Vous avez aussi donné une plus forte garantie aux intérêts publics et privés, aux particuliers, aux prêteurs et à l'Etat.

La loi sur les douanes contient de nouvelles

dispositions favorables à notre commerce, à notre industrie; elle diminue les droits d'entrée sur les matières premières nécessaires à nos fabriques, et les droits de sortie sur nos objets manufacturés; elle accorde à de grandes villes des entrepôts que leur faisait souhaiter leur position, et prouve cette sollicitude éclairée d'un gouvernement paternel qui s'occupe autant des ateliers et des détails de l'administration que des grands objets qui décident de la destinée des Empires.

Vous avez accordé, pour la révision des jugements obtenus par les communes dans les départements de la rive gauche du Rhin, un délai qu'exigeaient la justice, l'intérêt national et la dispersion des titres dans des régions que le sort a si longtemps condamnés à être le théâtre de la guerre.

D'autres lois, venant au secours des administrations, des prytanées et de celles de la Légion d'honneur, autorisent des aliénations, des échanges et des remplacements qui rendront leur dotation plus convenable, leurs revenus plus sûrs, leur gestion plus simple et plus facile.

Frappés d'un désordre trop longtemps toléré, vous avez ordonné qu'on désobstruât les voies publiques; votre loi fera disparaître ces démolitions interrompues, ces tristes ruines, cette image de la destruction qui contrastait si honteusement avec tant de créations et avec le rétablissement de l'ordre public.

Par l'effet de vos sages décrets, toutes les routes de l'Empire vont offrir aux voyageurs du repos et de l'ombrage, et par cette mesure salutaire, vous multipliez la reproduction des bois que réclament les arts.

Il existait entre Paris et les autres cités de l'Empire une différence sans motif sur les droits des actes civils; votre loi parle, et cette diffé

rence va cesser.

Le sceau de l'Etat, adopté par vous, prend le caractère le plus propre à commander la confiance, à prescrire l'obéissance aux lois dont il présage la durée.

La cupidité s'était ouverte une voie honteuse que vous venez de fermer; vous avez diminué les frais de procédure de la justice criminelle; retrancher des dépenses abusives, c'est prendre le moyen le plus noble pour augmenter les revenus de l'Etat.

Pour encourager les bonnes mœurs, l'union des époux, la fécondité des mariages, vous avez approuvé la disposition bienfaisante qui, sur chaque famille où sept enfants se trouvent vivants, on en choisit un pour l'élever aux frais de l'Etat par là vous faites plus et mieux que les autres législateurs qui accordaient des exemptions injustes, ou des récompenses pécuniaires plus dangereuses qu'utiles aux mœurs.

Grâce à vos lois, les pupilles, les tuteurs, les prêteurs, trouveront dans le Piémont un emploi et une garantie pour leurs créances.

Les orphelins, les enfants abandonnés avaient déjà obtenu des asiles; aujourd'hui, vous leur faites trouver, dans de sages administrations, des parents et des tuteurs. Celui qui protége les États n'a pas cru devoir laisser sans appui l'innocence abandonnée, et vous avez fait, par une loi pieuse, un devoir général et sacré de ce qui n'était jusqu'à présent qu'une obligation volontaire, incertaine et individuelle.

La gendarmerie, ce corps respectable à qui nous devons en grande partie le retour de la tranquillité publique, trouve dans vos décrets une juste protection contre les brigands qu'elle

poursuit; vous avez attribué aux tribunaux spéciaux le jugement des crimes de rébellion contre elle; une triste expérience et trop de sang versé prouvaient la nécessité de cette loi juste et sévère.

L'Empereur avait ramené la paix dans cette Vendée qu'on vit si longtemps en proie à la fureur des discordes civiles; les champs ravagés tant de fois y redeviennent fertiles, les passions y sont éteintes, le commerce y reprend la vie; enfin, une capitale s'y élève sous le nom et l'augure de Napoléon; vous sanctionnez le vœu de la reconnaissance, et, par une exemption d'impôt juste et sage, vous encouragez l'activité d'une création destinée à faire oublier de si longs malheurs.

Un intérêt plus général, plus pressant, a fixé votre attention; l'Empereur vous a fait présenter la loi sur les finances et les comptes du ministre. Conformément à l'usage salutaire établi par Sa Majesté, ces tableaux contiennent l'exposition détaillée de notre situation passée et présente; on y suit, par degrés, la marche du talent qui, dans ses pas semés d'obstacles, a tout régularisé, tout aplani, tout fécondé.

Les comptes de l'an XII surtout prouvent l'inutilité des efforts qu'ont employés nos ennemis pour nous empêcher d'atteindre l'heureux but dont ils nous voyaient approcher, et que nous touchons.

Pour s'opposer à notre restauration, ils ont risqué leur existence, ils ont tenté la guerre, et la guerre a trompé leur espoir. Dans le cours de cette année mémorable, ils nous ont forcés de sortir tout armés du sein de la paix; leur agression impolitique autant qu'injuste nous a obligés de creuser des ports, d'équiper des flottes, de créer des flottilles, de lever des matelots, d'armer nos troupes, de construire des forts, de garnir nos côtes, de fondre de l'artillerie; tout a été presque aussitôt exécuté que conçu, et les revenus de cette même année, qui s'est trouvée chargée de tant de dépenses imprévues, ont suffi pour les acquitter.

Cependant les encouragements promis aux arts, l'entretien des routes, le soulagement des hospices, le creusement des canaux, les projets d'embellissement des villes, rien n'a été suspendu; les frais du culte ont même été augmentés; nos rivages seuls ont entendu de loin le bruit de la guerre, et l'Europe attentive a dù voir avec un juste étonnement que vous n'imposiez au peuple français pour l'an XIII aucun nouveau sacrifice.

La loi que vous avez sanctionnée, Messieurs, améliore la répartition de quelques impôts, assure, par de meilleures dispositions, l'accroissement naturel de quelques branches de revenus, et n'offre de ressources extraordinaires que l'augmentation des cautionnements, augmentation qui, dans toute autre circonstance, eût été jugée également nécessaire pour offrir plus de garantie au trésor public.

Et quelle confiance ne doit pas inspirer l'emploi de ces revenus, puisqu'ils ont suffi l'année dernière à tant de préparatifs achevés aujourd'hui ! Nos ports garnis, nos troupes armées, nos arsenaux remplis, nos magasins renouvelés, notre artillerie augmentée, nos équipages complets, nos forts réparés, beaucoup de vaisseaux construits, nous placent dans la position la plus rassurante; et si l'humanité nous fait désirer constamment la paix, de longtemps la lassitude ne nous en fera sentir le besoin.

Quelle crainte, en effet, pourrait concevoir une nation qui jette, en sortant d'une si longue et si

désastreuse Révolution, un si vif éclat? un peuple qui s'est régénéré par ses malheurs, aguerri par ses dangers et fortifié par ses secousses?

La loi sur les finances, Messieurs, donne la mesure vraie de nos ressources; elle prouve que cette guerre qui inspire de si vives alarmes à nos ennemis, qui leur fait barrer leurs rivières, armer leurs ateliers, augmenter leurs deties, suspendre leur liberté, et rêver sans cesse à l'invasion qu'ils ont provoquée, laisse le chef de notre gouvernement poursuivre, dans la plus entière sécurité, ses nobles projets, amortir graduellement la dette publique, travailler à la confection d'un cadastre général, et parcourir toutes les parties de l'Empire que sa présence vivifie.

C'est dans cette position brillante où l'ivresse d'un noble orgueil pouvait si facilement se concevoir et s'excuser; c'est dans un moment où un guerrier, presque toujours favorisé par la fortune, devait si naturellement se promettre de nouveaux lauriers, qu'imposant silence à ses passions, Napoléon a modestement proposé la paix à nos ennemis. Chargés par lui de l'honorable mission de vous communiquer sa lettre au roi d'Angleterre, nous avons vu la touchante, la profonde impression qu'elle vous a faite. Ah! si le sang doit couler encore sur la terre et sur l'océan, cette lettre nous en absout à jamais; à jamais elle doit en rendre responsable le gouvernement aveugle qui en prolongerait l'effusion!

Cette victoire remportée par la modération sur de si justes ressentiments, ce triomphe de l'humanité sur la gloire, étaient dignes de l'homme qui, préférant à toutes les renommées celles de législateur et de pacificateur, a reçu de vous le prix de la sagesse.

Son image, qui frappe en ce moment mes regards, me rappelle, Messieurs, ce jour mémorable où, suspendant le cours de vos travaux, vous avez si solennellement inauguré la statue du chef de l'Empire! La voix éloquente de votre président a proclamé que cette statue n'était pas offerte au vainqueur de tant de généraux, au conquérant de l'Egypte et de l'Italie, mais au sage à qui nous devons le Code immortel de nos lois; jamais un plus digne hommage ne fut plus noblement offert dans le sanctuaire de la législation; et la France entière a répété vos vœux pour le principe qui a détrôné l'anarchie, reposé l'ordre social sur ses véritables bases, et qui tend, par ses constants efforts, à rendre le repos à sa patrie, l'indépendance aux mers, et la paix au monde.

En retournant, Messieurs, au milieu de vos concitoyens, vous leur porterez tous ces grands souvenirs; vous recevrez les justes hommages qu'ils rendront à votre sagesse; vous les verrez jouir des bienfaits des lois que vous avez sanctionnées, et vous pourrez, avec une noble fierté, leur répéter ces paroles sí vraies que l'Empereur proférait dans cette enceinte : Princes, soldats, magistrats, citoyens, nous n'avons tous qu'un seul but l'intérêt de la patrie.

Ce discours est couvert des plus vifs applaudissements de l'assemblée et des tribunes, et l'impression en est ordonnée à six exemplaires.

L'orateur donne lecture du décret suivant : Napoleon, par la grâce de Dieu et par les Constitutions de la République, Empereur des Français; Les affaires pour lesquelles le Corps législatif a été convoqué étant terminées, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

Article 1er. La clôture de la session du Corps égislatif aura lieu mercredi 15 veutôse.

Article 2 Le présent décret sera porté au Corps

législatif par les orateurs de notre Conseil d'État, et inséré au Bulletin des lois.

Signé Napoléon.

M. FONTANES, président. Messieurs les orateurs du Conseil d'Etat, les plus heureuses époques pour une nation ne sont pas celles où les discussions nationales out le plus d'éclat, d'énergie et de mouvement; c'est par les soins paisibles d'une sage administration que la prosperité s'accroît dans les empires comme dans les familles. Le Corps législatif peut donc se féliciter, au nom du peuple français, d'avoir vu s'écouler cette session dans des travaux plus utiles que brillants; je n'ai pas besoin de relever leur importance lorsqu'ils viennent d'être retracés avec tant d'intérêt par un orateur qui honore à la fois le Corps législatif dont il est sorti, et le Gouvernement dont il est un des plus dignes organes.

Quelle que soit désormais la nature de nos délibérations politiques, tous les vœux doivent être satisfaits. Nous cherchions le moyen de réunir la monarchie avec la liberté, et la liberté avec le repos; ce problème difficile est enfin résolu. Le Gouvernement est fort, et il doit l'être ; car le pire de tous les malheurs pour un grand peuple, est la faiblesse de son gouvernement; mais cette force a ses limites naturelles dans le droit de voter l'impôt que se réserve la nation française. Le corps à qui ce droit est attribué méritera toujours une haute considération : il se trouve heureux de vivre sous un prince qui met l'ordre et l'économie au rang de ses premiers devoirs. En ne sacrifiant aucun principe, la nation peut confier sans crainte à celui qui gouverne des ressources proportionnées à l'exécution des plus grands desseins; c'est pour l'intérêt même de la patrie, que jusqu'à ce moment il fallait plutôt donner à l'autorité des appuis que des contre-poids.

Cette nécessité reconnue d'affermir le pouvoir, a fait revivre le système monarchique. La religion et la victoire ont relevé le trône abattu; et ne le dissimulons pas, de ces deux forces, à qui rien ne peut résister, la religion n'est pas la moins puissante; elle seule explique et consacre le plus grand des mystères, celui du pouvoir et de l'obéissance.

Dix siècles se sont écoulés depuis l'époque où la France vit un semblable spectacle. Une monarchie de 1,400 ans, qui semblait ensevelie sous tant de ruines, a reparu tout à coup avec ses antiques splendeurs; et presque tous les diadèmes qu'avait perdus la famille des Martel se sont réunis encore une fois sur la même tête.

Le Corps législatif, présent à la solennité de ce grand jour, en a partagé toutes les émotions. Dès qu'il a pu se faire entendre, il a confirmé le vœu individuel de tous ses membres pour la dignité impériale. Nulle faveur particulièrement n'a déterminé son opinion; et dans cette circonstance, comme dans toutes les autres, il n'a regardé que l'intérêt national.

Le sentiment qui nous dirige ne peut changer; il anima ceux de nos collègues que nous perdons cette année, et qui emportent nos regrets; il sera transmis à ceux qui doivent les remplacer, et ne s'éteindra jamais au milieu de nous.

L'image auguste que nous avons placée dans cette enceinte nous rappellera toujours nos devoirs en nous montrant ce livre de la loi, sur lequel un jour sera jugé lui-même le premier dépositaire e l'autorité. Le prince qui eut la gloire de rce Code mémorable, l'un des premiers b de son règne, en sera le plus

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constant observateur; il ne cessera point d'être fidèle à sa gloire, et notre zèle ne peut pas plus se démentir que ses actions et son génie.

Les plus vifs applaudissements se renouvellent de toutes parts.

M. LE PRESIDENT. Je déclare, au nom du Corps législatif, qu'en exécution du décret impérial du 14 ventôse présent mois, la session ouverte le 6 nivôse, en vertu de celui du 26 frimaire précédent, est terminée.

Le Corps législatif arrête que cette déclaration sera transmise par des messages à Sa Majesté l'Empereur, au Sénat conservateur et au Tribunat.

Un secrétaire fait lecture du procès-verbal. Le procès-verbal ayant été approuvé, le Corps législatif se sépare.

SÉNAT CONSERVATEUR.

Séance du 27 ventóse an XIII.

(Lundi 18 mars 1805).

Aujourd'hui, lundi 27 ventôse, à deux heures après midi, Sa Majesté l'Empereur s'est rendu au Sénat avec le cortège et dans l'ordre annoncé par le programme qui a été inséré au Moniteur du 27 ventôse, et en traversant un immense concours de citoyens qui se pressaient sur son passage.

Sa Majesté a été reçue à la porte extérieure du palais du Sénat, par les grands officiers de ce corpset vingt-quatre de ses membres qui l'ont précédée dans la nouvelle salle, dont les dispositions sont très-belles, et qui offrent un magnifique coup d'œil.

Sa Majesté a pris place sur le trône, entourée des princes, de ses ministres, de ses grands officiers, et des officiers de sa maison.

Le grand maître des cérémonies ayant pris les ordres de l'Empereur, a appelé M. de Sémonville et M. le général Férino, sénateurs nouvellement nommés, qui ont été présentés par S. A. I. Mgr le prince Joseph, grand électeur, au serment qu'ils ont prêté entre les mains de l'Empereur.

Le grand maître des cérémonies ayant pris de nouveau les ordres de Sa Majesté, les a communiqués à M. Maret, ministre secrétaire d'Etat, qui a donné lecture du message et du décret suivants : Sénateurs, la principauté de Piombino, que la France possède depuis plusieurs années, a été depuis ce temps administrée sans règle et sans surveillance. Située au milieu de la Toscane, éloignée de nos autres possessions, nous avons jugé convenable d'y établir un régime particulier. Le pays de Piombino nous intéresse pour la facilité qu'il offre pour communiquer avec l'ile d'Elbe et la Corse nous avons donc pensé devoir donner ce pays, sur le haut domaine de la France, à notre sœur la princesse Elisa, eu conférant à son mari le titre de prince de l'Empire. Cette donation n'est pas l'effet d'une tendresse particulière, mais une chose conforme à la saine politique, à l'éclat de notre couronne et à l'intérêt de nos peuples.

Signé NAPOLÉON.
Par l'Empereur,

Le secrétaire d'Etat, signé : H. B. MARET.

Au palais des Tuileries, le 27 ventôse an XIII. NAPOLEON, par la grâce de Dieu et par les Constitutions de la République, EMPEREUR DES FRANÇAIS, à tous présents et à venir, salut.

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er. L'EMPEREUR NAPOLÉON cède et donne en toute propriété la principauté de Piombino à la princesse Elisa, sa sœur.

Art. 2. Le gouvernement de cet État et la propriété

du domaine du prince sont héréditaires dans la descendance de la princesse Elisa, et se perpétuent dans sa branche ainée; les cadets et les femmes n'ayant droit qu'à une légitime viagère.

Art. 3. A chaque mutation, le prince héréditaire de Piombino ne pourra succéder, s'il n'a reçu l'investiture de l'EMPEREUR DES FRANÇAIS.

Art. 4. Les enfants, nés ou à naître de la princesse Elisa, ne pourront se marier sans le consentement de I'EMPEREUR DES FRANÇAIS.

Art. 5. La descendance de la princesse Elisa venant à s'éteindre, ou ayant perdu ses droit par l'infraction de la règle prescrite dans l'article précédent, l'EMPEREUR DES FRANÇAIS disposera de nouveau de la principauté de Piombino, en consultant l'intérêt de la France et celui du pays.

Art. 6. Le mari de la princesse Elisa prend le nom et le titre de prince de Piombino ; il jouira du nom et des prérogatives de prince de l'Empire français.

Art. 7. Le prince de Piombino maintiendra en bon état la forteresse de Piombino. Il donnera ses soins à favoriser les communications avec l'ile d'Elbe. И assurera la défense des côtes en maintenant le nombre de batteries qui sera jugé nécessaire pour leur sûreté.

Art. 8. Le prince de Piombino sera tenu d'avoir à sa solde, pour le service de la côte et de la forteresse, un bataillon de cinq compagnies de 80 hommes chacune.

Art. 9. En recevant l'investiture de son État, le prince de Piombino prête le serment dont la teneur suit:

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« Je jure obéissance et fidélité à Sa Majesté N..... « EMPEREUR DES FRANÇAIS. Je promets de secourir de << tout mon pouvoir la garnison française de l'île d'Elbe, de contribuer en tout ce qui dépendra de moi « à l'approvisionnement de cette ile; et je déclare que je « ne cesserai de remplir, dans toutes les circonstances, « les devoirs d'un bon et fidèle sujet envers Sa Majesté << l'EMPEREUR DES FRANÇAIS. »

Signé NAPOLÉON.
Par l'empereur,

Le secrétaire d'État, signe: II. B. Maret. D'autres ordres de l'Empereur ont été communiqués par le grand maître des cérémonies à M. de Talleyrand, ministre des relations extérieures, qui est monté à la tribune et a lu le rapport suivant :

Rapport fait à Sa Majesté l'Empereur en séance du Sénat, par M. de Talleyrand, ministre des

relations extérieures.

Sire, les pensées dont je vais occuper Votre Majesté tiennent à ses affections les plus chères comme aux intérêts les plus importants de l'Empire; et en même temps l'objet de ces pensées se lie, par les plus intimes rapports, aux grands principes de la politique extérieure, à la sûreté d'un grand nombre d'Etats, qui ne peuvent se maintenir et prospérer sans votre appui, et enfin à la tranquillité de toutes les puissances du continent.

Depuis plusieurs mois l'Europe entière a les yeux fixés sur l'Italie. Les plus grands souvenirs, une longue suite de malheurs, l'immense gloire que Votre Majesté y a recueillie, attachent tous les esprits à sa destinée. On se demande si le sort de cette belle contrée, qui si longtemps gouverna le monde, qui, depuis qu'elle est déchue de sa première grandeur, de siècle en siècle est devenue le théâtre et le jouet de toutes les ambitions, sera enfin déterminé. De toutes parts on entend éclater le vœu généreux que l'Italie retire de l'honneur d'avoir décidé du sort de la dernière guerre, l'avantage inespéré d'exister par ellemême, de se conduire par les règles d'une politique indépendante, et enfin de rester pour toujours étrangère aux débats, à la més intelligence, à la jalousie des grandes puissances.

Sire, sous un règne tel que le vôtre, toutes les conjectures qui s'attachent à des choses justes et grandes ne sont que le pressentiment et le pré

sage des desseins magnanimes du souverain. L'Italie, ses intérêts, ses besoins, n'ont cessé d'être l'objet de votre sollicitude, et on peut l'annoncer avec confiance, le sort que vous lui destinez comblera toutes les espérances qu'elle peut former, lorsqu'à la suite de vos belles victoires, la première entre toutes les nations, elle fit éclater son admiration et sa reconnaissance, et vous exprima le vœu de s'attacher pour toujours à votre grande destinée.

Ce fut par suite de ce vou souvent renouvelé, que vingt peuples réunis, impatients de consolider leur liberté ou de consacrer leur obéissance par la solennité d'une transaction publique, reçurent à Lyon une organisation commune, et déférèrent à Votre Majesté la première magistrature. Cette institution, indéterminée par sa dénomination et indécise par sa durée, ne répondait qu'à l'intérêt et au besoin d'associer les affections et d'apaiser les inquiétudes du moment; mais si l'organisation de la France avait permis à ces peuples de s'ouvrir sans réserve sur le Gouvernement qu'ils préféraient, dès lors ils auraient exprimé à Votre Majesté tout ce que, depuis la fondation de l'Empire, l'armée italienne, les autorités constituées et des réunions nombreuses de citoyens, douées de prévoyance et de lumières, lui ont unanimement exposé, dans leurs adresses, que même quand le système héréditaire ne serait pas établi en France, le nombre, la diversité, la rivalité, la faiblesse, les habitudes, les opinions des peuples qui habitent l'Italie, y rendaient son rétablissement indispensable.

De telles considérations ont dû prévaloir sur toutes les théories. Votre Majesté voulait assurer à ce peuple une existence indépendante. Elle a senti que quelle que fût la force de son autorité et celle de son génie, elle ne pouvait remplir ce généreux dessein, si elle entreprenait de lutter contre l'empire de toutes les circonstances et contre la tendance de toutes les opinions et la monarchie italienne a été fondée.

Mais un autre obstacle s'opposait à l'accomplissement des destinées de cet Etat. Deux trônes réunis ont paru présenter à Votre Majesté une complication difficile et dangereuse de puissance et de devoirs, et elle a voulu que la séparation des couronnes fùt positivement déterminée. A regret ses sujets d'Italie ont dû se soumettre à cette disposition, mais ils ont hautement demandé que l'exécution en fût différée. « Sire, vous ontils dit, il n'appartient à aucun homme, quelque grand qu'il puisse être, de subordonner à des vues de modération les sentiments libres et unanimes des peuples. »>

Il n'appartient à aucun homme, quelque puissant qu'il soit, de devancer la marche du temps. Plus d'un grand dessein a échoué par l'effet d'une précipitation peu réfléchie; plus d'une nation a manqué sa destinée parce qu'on a voulu accélérer pour elle ce qui, faute de patience et de durée, n'avait pu acquérir une suffisante maturité.

Nous sommes un peuple nouveau, et vous êtes le souverain d'un grand Empire. En séparant aujourd'hui les deux couronnes, que deviendrons-nous, éloignés que nous sommes des regards immédiats de notre fondateur, et délaissés, sans appui et sans guide, au milieu des discussions qui peuvent s'élever dans notre sein et autour de nous? Qui nous défendra des agitations, suite nécessaire d'une situation longtemps indécise? Qui nous préservera du tort de trop nous défier de nous-mêmes, ou du malheur d'une trop aveugle confiance?

La séparation des deux couronnes déterminerat-elle l'éloignement des troupes françaises de notre territoire? Mais le royaume d'Italie n'est pas isolé; il est contigu à de puissants voisins.

Il se compose d'un grand nombre d'éléments autrefois ennemis, récemment incorporés. Il touche à des rivages qui peuvent être exposés à des invasions soudaines. La formation d'une armée nouvelle, quelle que soit sa fidélité, quel que soit son courage, calmera-t-elle toutes les alarmes qui peuvent s'élever? Garantira-t-elle l'Etat contre la possibilité de toute entreprise?

Et si la séparation des couronnes ne détermine, que dans un avenir indéfini, l'éloignement des troupes françaises, il n'en faut pas douter, une confiance juste, mais fâcheuse par ses suites, en nous rendant moins nécessaire le devoir pénible et dispendieux de pourvoir nous-mêmes à notre défense, éloignera peut-être pour jamais l'établissement d'une armée nationale, sans laquelle cependant toute nation, quelles que soient sa population et son étendue, perd le droit de prendre la part qui lui appartient dans les sentiments réciproques de considération et de respect que les peuples se doivent les uns aux autres.

Si de ces considérations nous passons à celles que présente la politique extérieure, le danger devient plus pressant; une armée française occupe l'Etat de Naples, où elle n'a rien à faire. Elle y existe pour observer une armée anglaise qui occupe Malte, et une armée russe qui peutêtre n'existe dans les îles Ioniennes que pour observer l'armée française. Dans cette attente confuse d'événements, dans cette complication de rapports incertains et lorsqu'une fausse mesure, de quelque part qu'elle vienne, peut attirer sur nous les plus grandes calamités, couvrir notre pays de sang et de deuil, nous rendre victimes de la guerre, et ce qui est plus effrayant encore, nous rendre peut-être victimes de la paix, que pouvons-nous faire que de nous attacher, tant que le danger existe, à notre seul garant, à notre seule espérance, à notre seul défenseur, et de l'enchaîner, s'il se peut, par sa généreuse volonté, à l'ouvrage de son génie et de sa bienfaisance?

Sire, tels sont les vœux de vos peuples d'Italie; ils sont si pressants, si décisifs et si légitimes, que vous avez dû les exaucer.

Ainsi Votre Majesté régnera en Italie; et pendant quelque temps encore, l'Empire et le Royaume que vous avez institués, liés par les mêmes affections, engagés par les mêmes serments, s'élèveront, se raffermiront à l'abri du même pouvoir.

Et le temps étant venu où cette association ne sera plus indispensable à l'Italie, ne sera d'aucun intérêt pour la France, et n'importera plus à la tranquillité de l'Europe, elle sera rompue. Votre Majesté en a marqué irrévocablement le terme. Sur ce point, elle a résisté aux plus vives, aux plus touchantes sollicitations. Elle n'a voulu laisser aucun doute, aucune illusion, aucune espérance à ses peuples d'Italie. Elle a sagement pensé que dans d'aussi grands intérêts, et dans une aussi solennelle circonstance, il lui convenait, avant tout, de faire un digne et libre usage de sa puissance.

Tout n'est pas incertain dans l'avenir; les âmes fortes, les esprits élevés savent y distinguer ce qui est du domaine de leur prudence et ce qui appartient au grand arbitre des événements. Votre Majesté prévoit avec certitude l'événement futur de l'affranchissement de Malte, et de l'in

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