Page images
PDF
EPUB

hostiles; et si la possession de Gênes lui a paru une légitime compensation, elle a donné, en se contentant d'un tel équivalent, une preuve de sa constante modération, puisque Gênes n'ajoute rien et ne peut rien ajouter à sa force continentale et à ses ressources contre la maison d'Autriche, tandis que cette puissance, par ses acquisitions en Souabe, est devenue plus menaçante pour la Bavière, plus capable d'attenter à l'indépendance du midi de l'Allemagne, et enfin, qu'en rapprochant ses forces de nos frontières, elle a rendu plus imminente et plus facile la première agression qu'elle tentera contre l'Empire français.

Peut-on parler de griefs sans songer combien la France serait en droit de se plaindre de la partialité si manifeste de l'Autriche en faveur de l'Angleterre, de la facilité inexplicable avec laquelle elle a souffert et même favorisé les usurpations les plus monstrueuses du cabinet de Saint-James, en reconnaissant implicitement ce prétendu droit de blocus, si inouï, si violent, si tyrannique, si contraire à tous les principes, comme à tous les intérêts de l'Europe, que le gouvernement britannique a osé s'arroger dans les derniers temps? L'amirauté de Londres avait à peine déclaré le port de Gênes bloqué, quoique réellement il ne le fût pas, que les expéditions destinées pour la Ligurie furent arrêtées à Venise et à Trieste. Les Anglais n'ont cessé d'insulter le pavillon autrichien quelles plaintes l'Autriche a-t-elle portées ? Quels efforts a-t-elle faits pour assurer à son pavillon la jouissance des avantages de la neutralité, sur lesquels la France avait droit de compter? L'Autriche a gardé le silence sans égard pour sa dignité, sans égard pour les intérêts de ses peuples, mais en sacrifiant ainsi les intérêts de la France, puisque les violences exercées contre le pavillon autrichien n'étaient réellement dirigées que contre elle.

Mais laissons, Monsieur le comte, la discussion des griefs; je n'en prolongerai point l'enumération. Je ne m'étendrai point sur le droit d'épave, sur le non-paiement de la dette de Venise, sur une foule d'autres détails. Dans une circonstance aussi grande, leur objet, quoique grave autant que juste, est d'une importance inférieure à celle des résultats qu'un avenir peutêtre prochain place devant nous.

Alfons au fond de la question : l'Autriche veut-elle prendre les armes dans la vue d'abaisser le pouvoir de la France? Si c'est là son dessein, je vous demande, Monsieur le comte, d'examiner si une telle entreprise, dût-elle réussir, serait conforme aux vraís intérêts de l'Autriche ? Si elle doit toujours considérer la France comme une rivale parce qu'elle le fut autrefois, parce qu'elle l'est même aujourd'hui, et si ce n'est pas d'un côté bien différent que viendront les dangers qui peuvent menacer et l'Autriche et l'Europe?...

Le jour n'est pas éloigné peut-être, où l'Autriche et la France réunies auront à combattre, non-seulement pour leur propre indépendance, mais encore pour la préservation de l'Europe et des principes mêmes de la civilisation.

Dans toute guerre entre la Russie et l'Autriche d'une part, et la France de l'autre, l'Autriche, quelque nom qu'elle veuille prendre, sera toujours partie principale. Le fardeau sera tout entier pour elle. Abandonnée peut-être par un allié dont elle a déjà éprouvé l'inconstance et les caprices, elle restera seule exposée aux coups de la fortune; son armée est brave sans doute; mais les armes sont journalières, et l'exemple du passé autorise la France à ne pas craindre les chances de la

guerre, et, dût l'Autriche avoir des succès, ces succès mêmes l'auraient affaiblie. Cependant la Russie, profitant de nos divisions, achèverait sans obstacle la conquête déjà si avancée de l'Empire ottoman. Qui peut prévoir où s'arrêterait alors ce torrent s'il s'était répandu de l'Euxin à l'Adriatique, et du Danube à l'Hellespont? A quels dangers l'Europe ne serait-elle pas exposée si la croix grecque, relevée dans Constantinople y remplaçait, une fois le croissant? Quel est le politique autrichien ou français qui pourrait rester sans inquiétude en considérant les acquisitions que la Russie a faites depuis un demi-siècle? Les deux tiers de la Pologne lui sont échus en partage; elle possède la Crimée; elle s'établit aux bouches du Phase; elle s'étend dans la Géorgie; elle s'avance sur la Perse; elle occupe les îles Ioniennes, arme secrètement la Morée, et hâte par son ascendant et ses intrigues, la décadence et la dissolution de l'Empire ottoman. Tous ces événements sont funestes à la France, et si quelques-uns ont été favorables à l'Autriche, dans leur ensemble ils lui seront certainement funestes.

C'est de là que le danger viendra pour l'Autriche, non de la part de la France, qui, étant dans la dure nécessité de dépenser chaque année 200 millions pour la défense de ses côtes, pour l'entretien de ses colonies et pour faire front à la puissance si redoutable de l'Angleterre, n'est pas plus puissante que l'Autriche; et je prie Votre Excellence de considérer si la conduite que la Russie ose tenir aujourd'hui envers la France, dont elle est si éloignée et qu'elle ne peut atteindre, si cet oubli de toute décence que marque son langage et ses procédés, n'annoncent pas clairement ce qu'elle sera un jour pour l'Autriche, quand le moment lui paraîtra venu de ne plus la ménager.

L'Autriche a éprouvé les Français et dans la guerre et dans la paix. Dans la guerre elle les a trouvés ennemis loyaux, et s'il m'est permis de le dire, ennemis généreux; dans la paix, amis sincères, pleins de déférence et d'égards.

Elle a trouvé dans les ennemis de la France des alliés infidèles, disposés à lui laisser supporter des revers et à profiter eux-mêmes de ses victoires.

Par quelle étrange fatalité les leçons de l'expérience seraient-elles perdues pour elle?

Que demande la France à l'Autriche? Ce ne sont ni des efforts ni des sacrifices. L'Empereur désire le repos du continent; il est même prêt à faire la paix avec l'Angleterre, quand celle-ci voudra revenir au traité d'Amiens. Mais dans les dispositions présentes de l'Angleterre, ne pouvant arriver à la paix que par la guerre maritime, Sa Majesté veut pouvoir s'y livrer tout entière. Elle demande à l'Autriche de ne point l'en détourner; de n'entrer dans aucun engagement contraire à l'état de paix qui les unit, et enfin de la tranquilliser en remettant ses forces sur le pied de paix.

Sa Majesté n'a plus de corps qui soient disponibles pour renforcer son armée d'Italie. Si elle était obligée d'en tirer de son armée des côtes, son système de guerre maritime serait entièrement dérangé. Dans cette extrémité, elle le dit avec douleur, mais avec franchise, après avoir calculé toutes les chances et tout apprécié, elle préférerait la guerre et ses maux à une paix indécise et ruineuse; car pour ne pas se trouver prise au dépourvu, elle vient de donner l'ordre d'approvisionner ses places d'Italie; ce qui lui causera d'énormes dépenses. Elle préférerait la guerre à une paix pleine de menaces qui contra

rierait et rendrait impossible tout système régulier d'administration. Enfin, elle préférerait la guerre à une paix qui ôterait tout espoir de pacification raisonnable avec l'Angleterre. La paix maritime est entre les mains de l'Allemagne. Qu'au lieu de mouvements de troupes qui annoncent l'intention de faire la guerre, l'empereur d'Allemagne et d'Autriche dise à l'Europe qu'il veut vivre en paix avec la France, l'Angleterre sentira aussitôt l'impossibilité d'une coalition; elle sentira la nécessité de la paix.

Aussi l'Angleterre met-elle tout en œuvre pour exciter la défiance, pour semer les soupçons, pour amonceler les nuages sur le continent, parce que si elle ne peut obtenir une coopération plus directe et plus efficace, elle a du moins pour auxiliaires ceux-là mêmes que des (alarmes mal conçues poussent à des préparatifs sans objet, et que les apparences seules de la guerre, si elles ne suffisent point à sa haine, lui paraissent suffire à sa sûreté, sachant bien que l'Empereur ne pourra pas se livrer pleinement à l'exécution de ses desseins, tant que la paix du continent sera menacée.

Dans l'état actuel des choses, l'Empereur ne remplirait pas son devoir envers ses peuples; il s'exposerait aux reproches des contemporains et de la postérité, si des protestations pacifiques que les faits contredisent lui faisaient négliger de considérer les mesures et les dispositions de l'Autriche sous leur véritable aspect, c'est-à-dire comme de véritables préparatifs de guerre dirigés contre lui, surtout lorsqu'en les rapprochant du langage de l'Angleterre et de la conduite de la Russie, il n'est presque plus permis de douter que ces trois puissances se soient unies dans un Concert contre la France.

Si cependant le langage de l'Angleterre n'est de sa part qu'un artifice, si la conduite de la Russie n'est qu'une suite des caprices et de l'inconséquence dont elle a donné tant de preuves, soit à ses ennemis, soit à ses amis; si les protestations de l'Autriche sont sincères, les faits devant alors s'accorder avec elles, l'empereur d'Allemagne et d'Autriche sentira qu'il est juste et conforme à l'esprit de la véritable neutralité de ne point inquiéter la France, de ne point l'obliger à lever ses camps et à porter ses forces sur le Rhin et sur ses autres frontières;fil sentira qu'il ne peut rassurer la France qu'en faisant rentrer dans leurs garnisons respectives les troupes qui ont été dirigées vers l'Italie et les provinces limitrophes, et en réduisant au pied de paix tout le matériel de son armée.

S'il en était autrement, ceux-là seuls qui ont fait les premiers des préparatifs hostiles et tiré l'épée du fourreau, devant être considérés comme les véritables auteurs de la guerre, et responsables des maux qui en seront la suite, quelle que soit d'ailleurs celle des deux puissances qui aura frappé les premiers coups, Sa Majesté n'hésitera point à prendre les mesures qui lui seront conseillées par l'honneur autant que par le soin de sa sûreté, soit qu'elle lève ses camps et qu'elle envoie sur le Rhin et en Italie les forces qu'elle a maintenant sur l'Océan, soit qu'elle appelle tous les conscrits de la réserve pour porter au grand complet de guerre son armée qui, jusqu'à présent, est restée tout entière sur le pied de paix, les corps employés contre l'Angleterre n'ayant été mis sur le pied de guerre qu'au moyen des renforts tirés des troisièmes bataillons laissés dans les garnisons.

La réponse que j'aurai reçue de Votre Excellence réglera ses déterminations.

T. VIII

La franchise de ces communications ne me fait pas craindre, M. le comte, que les vues dans lesquelles j'ai été chargé de les faire puissent être mal interprétées. Vos lumières me sont garant que vous y reconnaîtrez le langage de la loyauté. J'ose croire que vous serez frappé de l'exactitude des raisonnements que j'ai eu l'honneur de vous soumettre; j'ose même espérer que vous leur préterez une nouvelle force en les développant dans le conseil de votre auguste souverain, et que nonseulement Sa Majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche dissipera toutes les inquiétudes et tous les doutes qui ont pu s'élever sur la conservation de la paix du continent; que non-seulement il la maintiendra en replaçant le matériel de ses armées sur le pied de paix, en faisant rentrer dans leurs garnisons ordinaires toutes les troupes dirigées sur l'Italie et les provinces limitrophes, mais encore qu'il aura la gloire de contribuer à la paix maritime, qui sera certaine du moment qu'il sera connu de tout le monde que son intention est de persévérer dans la paix, et de rester inébranlable au milieu de toutes les sollicitations et de toutes les instances de l'Angleterre.

Ainsi l'Europe, qui compte Votre Excellence parmi ceux auxquels elle a dû le bienfait de la paix, vous devra, Monsieur le comte, le bienfait non moins grand de sa continuation.

Recevez, Monsieur le comte, l'assurance de ma haute considération.

Signé : CH. MAUR. TALLEYRAND.
No IV.

Déclaration de la cour de Vienne, portant offre de sa médiation.

Quoique l'Empereur n'ait pris jusqu'ici aucune part directe aux diverses tentatives faites dans le cours de la présente guerre maritime, pour rapprocher les parties belligérantes, et opérer le ré tablissement de la paix, Sa Majesté n'en a pas moins toujours vivement désiré qu'un but aussi salutaire puisse être obtenu par les soins des puissances dont l'intervention avait été spécialement requise à cet effet.

Ce désir de la cour de Vienne a dû redoubler depuis que des événements, impliquant directement les intérêts et l'équilibre du continent, ont été motivés par des conséquences dérivées de la guerre entre la France et l'Angleterre, et depuis que SA MAJESTÉ L'EMPEREUR DES FRANÇAIS a publiquement déclaré que l'arrangement définitif des affaires de la Lombardie serait ajourné jusqu'à la fin de cette guerre, et lié aux négociations qui auraient lieu pour la terminer dès lors la Cour de Vienne, possessionnée en Italie, et vis-àvis de laquelle il a été pris des engagements concernant cette partie intéressante de l'Europe, s'est trouvée immédiatement intéressée au succès des négociations pacifiques, et elle a témoigné en conséquence, en diverses occasions, combien elie désiraít de pouvoir contribuer à en accélérer l'ou

verture.

Par une suite de ces dispositions, rien ne lui a été plus agréable que d'apprendre la démarche pacifique faite au commencement de cette année par SA MAJESTÉ L'EMPEREUE DES FRANÇAIS, Vis-à-vis de la cour de Londres, ainsi que celle de cette dernière puissance, par laquelle il s'en est remis à cet égard à l'intervention de Sa Majesté Impériale de toutes les Russies: démarches annonçant de part et d'autre des intentions modérées et conciliantes, et dont on se flattait de voir réaliser le but par la mission de M. de Novosilzoff à Paris, offerte et acceptée avec un égal empressement.

47

C'est donc avec bien du regret que l'Empereur vient d'être informé que cette mission était arrêtée par les nouveaux changements concernant le sort des Républiques de Gênes et de Lucques : trouvant de son côté, dans ces derniers changements, des motifs d'autant plus urgents de désirer la plus prompte ouverture des voies de la conciliation, et ne pouvant abandonner l'espoir qu'elle avait fondé jusqu'ici sur les dispositions modérées, annoncées et confirmées solennellement par le souverain de la France, la cour de Vienne s'empresse d'offrir ses bons offices, afin que l'attente générale, placée dans les intentions conciliantes de toutes les puissances intéressées, ne soit pas de nouveau frustrée. En conséquence, elle invite les cours des Tuileries et de Pétersbourg à ce que la négociation, qui était sur le point de s'ouvrir, soit immédiatement renouée, étant prête à concourir, par ses soins les plus zélés, à cette fin désirable, et se flattant que la cour de Berlin voudra bien y contribuer aussi de sa part par une suite du vif intérêt qu'elle a toujours témoigné prendre au rétablissement de la tranquillité publique.

No V.

Note du ministre des relations extérieures à M. le comte Philippe de Cobenzl, remise le 25 thermidor an XIII.

Le soussigné s'étant empressé, à l'issue de la conférence qu'il a eu l'honneur d'avoir avec M. le comte de Cobenzl, d'envoyer à Boulogne la déclaration qui lui a été remise par Son Excellence, a reçu de l'EMPEREUR ET ROI l'ordre d'y faire la réponse suivante:

L'EMPEREUR n'a pu qu'être touché des sentiments de modération manifestés par la déclaration susdite, et des dispositions amicales qui portent Sa Majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche à vouloir hâter par son intervention la fin des maux que la guerre cause à la France; mais plus Sa Majesté attache d'importance et de prix aux bons offices de Sa Majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche, plus elle est reconnaissante de l'intention qui les a fait offrir, et plus elle sent que sa reconnaissance même lui défend de s'en prévaloir, lorsque, soit par la nature des choses, soit par celle des circonstances, il n'est pas même permis d'espérer qu'ils puissent être employés avec fruit, ni conséquemment sans compromettre la dignité du médiateur. Ce motif seul serait déterminant pour Sa Majesté, quand bien même il lui serait possible d'oublier de quel retour les cabinets de Londres et de Pétersbourg ont payé tout récemment encore ses procédés les plus nobles et les plus généreux.

M. Novosilzoff venait en France, sans que l'EMPEREUR sût avec quelles intentions. Le roi de Prusse avait demandé des passeports pour ce chambellan de l'empereur de Russie. Les passeports avaient été délivrés sur-le-champ et sans explication. Quel fruit Sa Majesté a-t-elle retiré de cette extrême déférence? Une note injurieuse et remplie d'assertions mensongères a été l'unique résultat d'une mission que l'Empereur n'avait ni provoquée ni désirée.

re

Ainsi insulté dans son honneur, il ne lui est plus possible de rien vouloir, ni de rien de la Russie, qui, d'a'''anys loin de paix, trouve son inté

son renouvellement e

drait en vain dissinen sa conduite les

pénétrants.

Depuis un an, ¦

rre, et

es qu tou

russe que des outrages. Son caractère et ses sentiments sont trop connus, pour que l'on puisse croire qu'il s'exposera à des outrages nouveaux. C'est à l'empereur Alexandre à juger lequel de ces deux partis lui convient, ou de persister dans le système que des suggestions étrangères lui ont fait embrasser, ou de revenir à des sentiments plus modérés, plus justes et plus sages. Il a plus d'intérêt à y revenir que la France à l'y ramener; ce changement doit être le fruit de ses propres réflexions, et ne peut faire l'objet d'aucune négociation.

Quant à l'Angleterre, Sa Majesté fit, il y a huit mois, pour la porter à la paix, des instances que l'Europe sut apprécier, et qui n'auraient point été vaines si l'Angleterre n'eut compté que sur ses propres ressources; mais par la réponse du cabinet de Saint-James, il devint évident qu'elle ne penserait à la paix qu'après avoir perdu l'espoir d'embrâser le continent et de couvrir de carnage et de sang l'Allemagne et l'Italie. C'est dans cette vue et dans cette vue seulement, qu'elle avait appelé l'intervention de la Russie. Le cabinet de Vienne est trop éclairé pour s'y être mépris, quand bien même les projets et les motifs de l'Angleterre ne lui auraient pas été connus par les sollicitations et les offres de subsides dont elle n'a cessé d'obséder la cour de Vienne, pour l'engager à reprendre les armes.

Ce n'est point à une telle puissance que l'on peut espérer de faire goûter les conseils de la modération et de la justice. Ce serait même inutilement qu'on lui parlerait de ses intérêts les plus chers. Des passions aveugles les lui font méconnaître. La voix de la persuasion n'aurait sur elle aucun empire. Mais, ce que les bons offices de l'Autriche ne pourraient obtenir de l'Angleterre, l'Autriche peut la mettre dans la nécessité de le faire. Elle n'a besoin pour cela ni d'efforts, ni de menaces, mais uniquement d'une démarche fort simple qui donne à l'Angleterre la conscience de son impuissance.

L'Angleterre sait, et plus d'une fois elle a déclaré que la Russie seule ne peut lui être d'aucun secours, et qu'une diversion lui serait inutile, tant que la Prusse et l'Autriche n'y coopéreraient pas.

La Prusse a déclaré dans tous les temps, que dans aucun cas elle n'entrerait dans aucun projet hostile contre la France. Que l'empereur d'Autriche fasse la même déclaration, et aussitôt le cabinet britannique, sentant ses intérêts sur lesquels aucune illusion ne l'abusera plus, entraîné par l'opinion des hommes éclairés de son pays, verra la nécessité de revenir aux stipulations du traité d'Amiens, et sera heureux de cette nécessité même. Alors, non-seulement l'empereur d'Allemagne aura obtenu des droits à la reconnaissance de l'EMPEREUR DES FRANÇAIS, mais encore il aura plus fait pour sa propre utilité, que s'il eût gagné dix batailles contre la France; car une conséquence immédiate de la paix sera l'exécution de l'engagement que SA MAJESTÉ L'EMPEREUR DES FRANÇAIS a pris, et qu'il se plaît à renouveler, de séparer les couronnes de France et d'Italie.

Si au contraire décises, laisse fl l'incertitude, et į du ministère an ng coalition, si mes en Italie, de croire qu'elle qui affaiblit favorable pour

triche, par des mesures inl'opinion dans le doute et fe autorise les assertions la dit entraînée dans le à avoir 72 mille ne pourra s'empêune joie secrète et qu'elle juge ncer des hos

tilités dont la génération actuelle doit être fatiguée.

Sa Majesté qui n'a en Italie que 50 mille hommes, dont 15 mille à l'extrémité du royaume de Naples, voyant sa frontière la plus importante exposée, et ne pouvant la dégarnir qu'en retirant des troupes de son armée de l'Océan, ne pourra considérer l'Autriche que comme faisant en faveur de l'Angleterre une diversion non moins efficace et plus onéreuse pour lui que ne le serait une guerre ouverte.

Son Excellence M. le comte de Cobenzl n'aura pas manqué d'observer ce que les circonstances présentes ont de grand et d'extraordinaire; de telles circonstances nécessitent des mesures qui leur correspondent. C'est une vérité sentie de tous les hommes éclairés et dont Sa Majesté est pénétrée. Frédéric II, quand il vit que l'on méditait la guerre contre lui, prévint ses ennemis. Plus d'une fois la maison d'Autriche en a fait autant. Aujourd'hui l'EMPEREUR DES FRANÇAIS voit des préparatifs se faire en Pologne, et d'autres préparatifs en Italie. Les lieux mêmes où ils se font indiquent, et qu'ils sont le résultat d'un concert, et contre qui ils sont dirigés. Le soussigné doit le demander à M. le comte de Cobenz!: que ferait l'empereur d'Allemagne s'il était à la place de l'EMPEREUR DES FRANÇAIS?

Cependant l'EMPEREUR se plaît à bien augurer d'un avenir qu'il dépend de l'Autriche de rendre heureux pour l'Europe, et dont il regarde comme un présage les sentiments exprimés dans la note que le soussigné à reçue de M. de Cobenzl. Que l'Autriche fasse la même déclaration que la Prusse, et que confirmant cette déclaration par les faits, elle remette sur le pied de paix toutes ses forces et tout le matériel de son armée; qu'elle renonce à tenir 72 mille hommes en Italie; qu'elle fasse rentrer dans leurs garnisons habituelles les régiments qui sont réunis en corps d'armée dans le Tyrol; qu'elle fasse cesser la formation des magasins et des travaux des fortifications de campagne qui désignent que la guerre est imminente: rien alors ne pourra plus troubler la paix du continent, cette paix si désirable pour tous, puisque, si la France n'a rien à gagner dans une nouvelle lutte, l'Autriche n'y gagnera pas davantage; et la paix maritime suivra de près; lorsque l'Autriche aura déclaré qu'elle reste et qu'elle veut rester neutre, la paix sera le désir et l'espoir de l'Angleterre; avant le mois de janvier elle sera conclue et le traité d'Amiens rétabli; les couronnes de France et d'Italie seront séparées et pour toujours; l'Europe jouissant de la sécurité et du repos les devra à la sagesse de l'Autriche, qui, par une couduite opposée, l'aurait précipitée dans un état de choses que ni le cabinet des Tuileries, ni celui de Vienne, ni tout autre ne pourrait calculer ni prévoir.

Son Excellence M. le comte de Cobenzl sentira que dans ses communications que le soussigné été chargé de faire, il était impossible à Sa Majesté de mettre plus de franchise, de grandeur et de loyauté. C'est pour les intérêts de l'Autriche elle-même et pour la gloire de son souverain qu'elle désire que Sa Majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche mette à profit l'occasion qui lui est offerte. Il a maintenant entre ses mains et le destin de ses propres Etats et celui de l'Europe. Dans l'une, il tient les troubles et les bouleversements; dans l'autre, la paix générale. Une impartiale neutralité lui suffit pour obtenir ce qu'il désire et pour assurer la paix du monde. La médiation la plus efficace que puisse faire l'Autriche

739 pour la paix, c'est d'observer la plus parfaite neutralité, de ne pas armer, de n'obliger la France à aucune diversion, de ne laisser à l'Angleterre aucun espoir de l'entraîner.

Le soussigné ne peut douter que Son Excellence M. le comte de Cobenzl n'apprécie les considérations développées dans la présente note, et ne contribue, par son influence, à les faire envisager sous leur véritable point de vue.

Signé: CH. MAUR. TALLEYRAND,

No VI.

Note remise à Son Excellence M. le comte Philippe de Cobenzl, le 17 thermidor an XIII. Sa Majesté l'Empereur s'était livré avec d'autant plus de confiance aux protestations de paix et d'amitié de l'Autriche, qu'il croyait être en droit de compter sur de bons sentiments de la part de cette puissance, s'étant conduit envers elle comme il l'a fait après deux guerres dont tout l'avantage avait été du côté de la France, et dans lesquelles la plus grande partie des possessions autrichiennes avait été conquise par ses armes. Occupé tout entier à la guerre que l'Angleterre lui a suscitée, il espérait que, ne donnant aucun sujet de plainte à l'Autriche, elle garderait la plus fidèle et la plus impartiale' neutralité. Mais les mouvements de troupes et les autres dispositions hostiles qui se font dans les Etats héréditaires et dont l'Europe s'inquiète ou s'étonne, obligent Sa Majesté l'Empereur à demander non-seulement une explication catégorique, mais aussi l'explication la plus prompte.

Les nouvelles réitérées que l'Empereur reçoit de toutes parts le forcent à suspendre ses projets contre l'Angleterre. Ainsi l'Autriche a fait autant que si elle eût commencé les hostilités, car elle a fait en faveur de l'Angleterre la diversion la plus puissante.

L'Autriche réunit une armée dans le Tyrol quand la France a évacué toute la Suisse. Son Excellence M. le comte de Cobenzl sait très-bien que l'Autriche a 72 mille hommes en Italie, quand la France n'y en a pas 50 mille, dont 15 mille sur le golfe de Tarente, et c'est là ce qui a surtout décidé l'Empereur à suspendre ses projets. L'Autriche fait élever de toutes parts des fortifications de campagne comme si la guerre était déclarée ou imminente. Toutes les troupes de l'Autriche sont en mouvement; toutes ont quitté leurs garnisons de paix; toutes marchent dans une direction qui annonce la guerre. Et comment en effet Sa Majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche, avec des vues pacifiques, rassemblerait-il tant de régiments dans un pays tel que le Tyrol, pays si ingrat et si pauvre, où il ne peut les maintenir qu'au détriment de ses finances? Pourquoi formerait-il des magasins? Pourquoi ferait-il fabriquer du biscuit? Pourquoi lèverait-il tant de chevaux do charroi? Il est dans le droit commun de l'Europe que des rassemblements de troupes, la formation de magasins, la fabrication de biscuit, les levées des chevaux pour les charrois, soient considérées par toutes les puissances comme une déclaration de guerre, surtout lorsque de tels préparatifs se font sur la frontière dégarnie d'une puissance occupée ailleurs sur une frontière opposée et lointaine.

Sa Majesté, qui voudrait concilier de telles dispositions avec les paroles de paix de Sa Majesté Tempereur d'Allemagne, dans lesquelles elle a toujours eu une entière foi, ne peut le faire qu'en supposant que ce monarque ignore le tort qu'il fait à la France, et que la diversion opérée par ses

armements équivaut à de véritables hostilités. Sa Majesté aime à se persuader qu'il l'ignore effectivement; mais les conséquences naturelles d'une pareille erreur n'étant pas moins préjudiciables à la France que ne le seraient des vues décidément hostiles, Sa Majesté n'est pas moins intéressée à les prévenir.

Ce ne sont plus des protestations qui peuvent la rassurer; Sa Majesté ne peut admettre un état intermédiaire entre l'état de guerre et l'état de paix. Si l'Autriche veut la paix, tout en Autriche doit être remis sur le pied de paix. Si l'Autriche voulait la guerre, il ne resterait plus à Sa Majesté qu'à rejeter sur l'agresseur tous les maux qu'il attirerait non-seulement sur la génération actuelle, mais encore (Sa Majesté ose le dire avec fierté sur ses propres Etats et sa propre famille; car Sa Majesté se flatterait d'obtenir dans une guerre nouvelle les mêmes succès que dans les guerres précédentes, et de se mettre désormais à l'abri de ces diversions qui sont comme le premier pas d'une coalition en faveur de l'Angleterre.

Le soussigné est donc chargé de demander, dans la supposition la plus agréable à Sa Majesté l'Empereur, c'est-à-dire dans la supposition que l'Autriche désire véritablement la paix,

1° Que les vingt-un régiments qui ont été envoyés, soit dans le Tyrol allemand, soit dans le Tyrol italien, en soient retirés et qu'il ne reste dans l'une et l'autre de ces provinces que les troupes qui y étaient il y a six mois;

20 Que les travaux de fortification de campagne soient suspendus; non que l'Empereur prétende que l'Autriche n'élève point de véritables fortifications: le droit d'en élever appartient à tous les Etats, et la prévoyance en fait souvent un devoir aux princes; mais Venise n'étant assurément point une place forte, les travaux qui s'y font actuellement ne sont que des travaux de campagne;

3° Que les troupes qui sont dans la Štyrie, la Carinthie et la Carniole, dans le Frioul et le pays vénitien, soient réduites au nombre où elles étaient il y a six mois;

4o Enfin que l'Autriche déclare à l'Angleterre la ferme et inébranlable résolution de rester dans une stricte et scrupuleuse neutralité, sans prendre part aux différends actuels, puisqu'il est du devoir de l'Autriche, si elle veut conserver la neutralité, de ne rien faire directement ni indirectement en faveur de l'Angleterre.

Le soussigné est en même temps chargé de déclarer à S. E. M. le comte de Cobenzl, ou plutôt de lui réitérer la déclaration déjà faite tant de fois, que le vœu le plus cher de S. M. L'EMPEREUR DES FRANÇAIS est la continuation de la paix avec l'Empereur d'Allemagne ; qu'en prenant les mesures auxquelles elle serait forcée, soit par un refus positif, soit même par une réponse évasive et dilatoire aux demandes que le soussigné a été chargé de faire, Sa Majesté ne s'y porterait qu'à regret; mais que, dans une position pareille à la sienne, le prince Charles n'hésiterait pas, ce prince était trop bon militaire pour ne pas se comporter de la même manière, et qu'étant obligée de repousser la force par la force, et de pourvoir à la sûreté de ses frontières, elle ne commettra pas la faute d'attendre que les Russes se réunissent aux Autrichiens contre elle.

Son Excellence le comte de Cobenzl sait trop combien les circonstances présentes sont graves, et combien elles sont urgentes, pour que le soussigné croie nécessaire de l'inviter à accélérer autant qu'il dépendra de lui la réponse que Sa Ma

jesté attend avec une impatience que tant de raisons justifient. Signé : CH. MAUR. TALLEYRAND.

No VII.

Note présentée à la Diète de Ratisbonne, par M. Bacher, le 24 fructidor.

Dans les circonstances présentes où les préparatifs et les mouvements de la maison d'Autriche menacent le continent d'une guerre nouvelle, S. M. L'EMPEREUR DES FRANÇAIS, Roi d'Italie, sent le besoin d'exposer, dans une déclaration franche et solennelle, les sentiments qui l'ont animé et qui l'animent, afin de mettre les contemporains et la postérité à portée de juger avec connaissance de cause, dans le cas où la guerre viendrait à éclater, quel aura été l'agresseur.

C'est dans cette vue que le soussigné, chargé d'affaires de S. M. L'EMPEREUR DES FRANÇAIS près la Diète germanique, a reçu l'ordre de présenter un exposé fidèle des principes qui ont constamment dirigé la conduite de S. M. L'EMPEREUR envers l'Autriche.

Tout ce que cette puissance a fait de contraire à l'esprit et à la lettre des traités, L'EMPEREUR l'a souffert. Il ne s'est point récrié contre l'extension immodérée donnée au droit d'épave, contre l'acquisition de Lindau, contre tant d'autres acquisitions faites en Souabe, et qui, postérieurement au traité de Lunéville, ont matériellement altéré la situation relative des Etats voisins dans le midi de l'Allemagne, contre celles enfin qui sont encore en ce moment en négociation avec différents princes, à la connaissance de l'Allemagne tout entière; il a feint d'ignorer que la dette de Venise, non-seulement n'était point acquittée, mais était déclarée anéantie, nonobstant l'esprit et la lettre des traités de Campo-Formio et de Lunéville il s'est tù sur le déni de justice que ses sujets de Milan et de Mantoue éprouvaient à Vienne, où, malgré les stipulations formelles, aucun d'eux n'a été payé, et sur la partialité avec laquelle l'Autriche a reconnu par le fait ce droit si monstrueux de blocus qu'à voulu s'arroger l'Angleterre; et lorsque la neutralité du pavillon autrichien, tant de fois violée au détriment de la France, n'a provoqué de la part de la cour de Vienne aucune plainte, il a fait encore à l'amour de la paix un sacrifice, en gardant le silence.

L'Empereur a évacué la Suisse rendue tranquille et heureuse par l'acte de médiation; il n'a laissé en Italie que le nombre de troupes indispensable pour soutenir les positions qu'il devait occuper à l'extrémité de la péninsule, dans la vue de protéger son commerce du levant, et de s'assurer un objet de compensation qui put déterminer l'Angleterre à évacuer Malte, et la Russie à évacuer Corfou il n'a laissé sur le Rhin et dans l'intérieur de son Empire, que le nombre de troupes indispensable pour la garde des places.

Livré tout entier aux opérations d'une guerre qu'il n'a point provoquée, qu'il soutient autant pour les intérêts de l'Europe que pour les siens, et dans laquelle son principal but est le rétablissement de l'équilibre dans le commerce et l'égale souveraineté de tous les pavillons sur les mers, il a réuni toutes ses forces dans des camps sur les bords de l'Océan, loin des frontières autrichiennes; il a employé toutes les ressources de son Empire à construire des flottes, à lever des marins, à creuser des ports, et c'est dans le moment même où il se repose avec une entière confiance sur l'exécution des traités qui ont rétabli la paix sur le continent, que l'Autriche

« PreviousContinue »