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de ses véritables intérêts et à l'observation d'une impartiale neutralité, les démarches qui pouvaient être compatibles avec l'honneur de sa couronne, et que Sa Majesté pense que l'Electeur doit aussi, par les mêmes motifs, envoyer à Vienne un courrier extraordinaire, portant au ministre électoral l'ordre de faire des représentations à la cour de Vienne, et de lui demander dans quelles vues elle remplit le Tyrol de troupes, quand tous ses voisins sont en paix.

Des représentations sages à la fois et énergiques, faites en même temps par divers cabinets, peuvent arrêter l'Autriche si elle n'est qu'entraînée par des suggestions étrangères, comme Sa Majesté se plaît encore à le croire; et dans la supposition contraire, elles feront peser sur l'Autriche seule la responsabilité des événements qu'elles avaient pour objet de prévenir.

Nota. Une lettre semblable a été écrite à l'ambassadeur de Sa Majesté à Berne. En conséquence de cette invitation qui leur a été adressée, les gouvernements helvétique et de Bavière ont fait les démarches désirées.

Signé: CH. MAUR, TALLEYRAND.

MINISTÈRE DE LA JUSTICE.

Le grand juge ministre de la justice, à Messieurs les procureurs généraux impériaux près les cours de justice criminelle.

Paris, le 3 vendémiaire an XIV. Les intrigues et l'or de l'Angleterre ont enfin prévalu, Messieurs: elle a entrainé dans la guerre deux grandes puissances, dont l'une est d'autant plus coupable envers la France, que son trône deux fois ébranlé par la valeur de nos soldats, n'est resté debout que grâce à la modération du vainqueur.

L'Empereur marche en personne pour déconcerter les projets de nos ennemis, et sous un tel chef, secondé par d'aussi braves armées, la victoire ne saurait être douteuse.

Mais pour assurer la durée et la plénitude de nos succès, il faut que tout s'enflamme du saint amour de la patrie. Guerriers, magistrats, citoyens, nous devons tous, par un commun effort, contribuer, autant qu'il est en nous, à soutenir la plus juste des guerres, et seconder de toute notre énergie le généreux monarque qui, pour maintenir la France au haut degré de gloire et de puissance où il l'a élevée, vole de nouveau affronter les fatigues et les dangers.

Parmi les moyens qui doiyent garantir nos succès, la conscription est sans contredit le plus puissant de tous, puisque c'est d'elle que dépendent le renouvellement et la permanence de nos forces militaires, ainsi que la bonne composition de nos armées; il faut donc s'attacher avec une infatigable persévérance à faire religieusement exécuter les lois et les décrets qu'elle a rendus nécessaires.

Sans doute la jeunesse française, si distinguée par sa valeur, et toujours si prête à marcher à la voix de l'honneur et de la patrie, va se précipiter en foule sur les pas de son Empereur, et au milieu de cet élan sublime, il faut espérer qu'il ne se rencontrera guères de Français assez peu dignes de ce nom pour refuser de s'associer aux périls et à la gloire de nos guerriers.

Cependant, s'il s'en trouvait qui, cédant lâchement à la peur, ou s'abandonnant à des suggestions perfides, préférassent l'infamie à l'honneur, il faut qu'eux et leurs fauteurs et complices s'attendent à une punition inévitable.

Ainsi, tandis que les tribunaux militaires fe

ront justice des conscrits réfractaires, vous devez poursuivre et faire poursuivre par vos subordonnés, avec une sévérité inflexible, tous ceux qui, par malveillance, par corruption ou même par une intempestive et fausse pitié, oseraient, d'une manière plus ou moins criminelle, aider ou favoriser le lâche qui fuit nos drapeaux. Point d'acception de personnes, point de molles complaisances: songez que, dans une matière aussi grave et à laquelle le salut public est si essentiellement lié, toute partialité, comme tout relâchement dans l'exécution des lois, serait un grand crime envers la patrie.

Pénétrez-vous de cette doctrine salutaire; frappez-en souvent l'oreille des magistrats devant lesquels vous exercez vos fonctions, et faites-leur bien sentir qu'un devoir impérieux leur commande de ne s'en écarter jamais.

Recevez, Messieurs, l'assurance de mes sentiments affectueux,

Signé REGNIER.

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR. Le ministre de l'intérieur à M. le préfet du. département.

Monsieur, je vous envoie le discours que Sa Majesté l'Empereur a prononcé au Sénat quelques heures avant son départ pour l'armée. Qu'il soit connu des fonctionnaires publics et des citoyens de votre département. Que tous s'animent des sentiments qui l'ont dicté qu'à l'exemple de l'Empereur, ils fassent leur devoir! Ce devoir n'est pas douteux : la France est menacée, insultée, attaquée dans les possessions de ses alliés; les armées ennemies marchent contre nos frontières; l'Empereur se met à la tête de nos troupes pour les rejeter sur leur territoire. Quel sacrifice peut coûter pour imiter cet exemple de dévouement? Que ceux qui n'auront pas le bonheur de partager ses dangers, concourent au moins à sa gloire par une obéissance empressée aux ordres du Gouvernement. L'Empereur, secondé par son peuple, obtiendra des succès qui seront le partage de tous, la prospérité de la France, son indépendance et une paix solide et honorable devant être le résultat de ses travaux, de ses périls et de nos efforts.

Le ministre de l'intérieur à M. le préfet du département

Paris, le premier vendémiaire an XIV. Monsieur, l'Empereur a dù compter, dans tous les moments, sur votre zèle pour son service et votre amour pour votre patrie. Il est aujourd'hui dans le cas de réclamer d'une manière particulière la preuve de ce double sentiment. Une circonstance inattendue change la position de la France et exige d'elle de nouveaux efforts qui doivent la conduire à une gloire nouvelle et à un repos qui ne sera plus troublé. Des puissances de l'Europe, intervenant dans notre querelle avec l'Angleterre, ont armé pour prescrire à la France les conditions d'une paix désavantageuse, ce qui déjà était une déclaration de guerre; car sans doute elles n'attendaient pas d'elle cette lâche condescendance. Leurs armées ont envahi le territoire de ses alliés, et marchent contre nos frontières; la paix du continent n'existe plus! Ainsi est détourné ou plutôt suspendu le coup qui allait frapper l'Angleterre. C'est encore sur le continent, et par de nouvelles victoires, qu'il faut aller chercher la paix. L'Empereur voit avec regret cette triste nécessité; mais il n'hésite pas lorsque l'honneur et l'intérêt national ne laissent pas le choix d'un autre parti. Que la guerre soit vive pour être

courte! Que la nation fasse un grand effort, et détruise, par son union toute-puissante, par son invincible courage, et surtout par son activité, cette coalition nouvelle, non moins odieuse que les autres, puisqu'elle a pour but de la mettre sous le joug d'une nation rivale, qui ne sera satisfaite que lorsqu'elle aura détruit, sans qu'il soit possible de les voir renaître, notre marine, notre commerce, notre industrie, notre richesse et nos moyens de prospérité. Les menaces de l'ennemi commandent surtout une détermination prompte et unanime. L'Empereur appelle la conscription de l'an XIV: pour une guerre extraordinaire, il se borne à accélérer de quelques mois une mesure ordinaire. Que cet appel fait au courage de la jeunesse française soit entendu par elle et répété par tous les fonctionnaires publics! Employez votre activité, votre influence, pour en hâter les résultats. Plus l'opération sera prompte, plus ses suites seront heureuses. Joignez les moyens de persuasion à l'emploi de votre autorité. Appelez, pressez ceux que la loi appelle; encouragez le zèle de ceux qui se montrent prêts à lui obéir; déployez contre les autres toutes ses rigueurs.

Dites à vos administrés que c'est par cette mesure décisive qu'ils arriveront à une prompte paix, premier et dernier objet des vœux de l'Empereur; qu'elle seule peut leur épargner les calamités, l'épuisement d'une guerre longtemps prolongée et les sacrifices qu'elle nécessite; que c'est elle qui éloignera la guerre de nos frontières et en rejettera le fardeau sur l'ennemi. Parlez de leurs intérêts, de leurs véritables intérêts, à ceux qui pourraient ne pas être touchés de la gloire nationale; mais ceux-là ne seraient pas Français. L'honneur, ce sentiment essentiellement français, parlera avec force à tous les cœurs dignes de ce nom; la voix de la patrie, les appelant à sa défense contre une injuste provocation, ne sera pas méconnue par eux, et tous s'empresseront à partager ce long héritage de gloire recueilli sur les Alpes, dans les plaines de l'Italie, sur les bords du Rhin et du Danube.

Celui qui a toujours maîtrisé la victoire, dont le génie est aussi puissant que sa volonté est ferme et inébranlable, dont la pensée embrasse toutes les combinaisons des temps, des lieux, des hommes, qui vous a sauvé des maux du dedans et des périls du dehors, et sous l'égide duquel vous avez placé vos destinées, votre Empereur, l'homme du siècle et de la nation, guide lui-même vos phalanges. Quel Français n'est pas jaloux de partager ses dangers et sa gloire?"

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Quel est celui qui entendra sans émotion ce mot de l'Empereur au Sénat, à l'instant de son départ : Votre Empereur fait son devoir, l'armée fera le sien: Français, faites le vôtre.

Fonctionnaires publics, c'est surtout à vous que ce mot s'adresse. Le premier de vos devoirs, c'est la défense de la patrie: propriétaires, cultivateurs, il faut vous assurer la tranquille possession de vos champs; négociants, manufacturiers, artistes, artisans, c'est dans votre industrie qu'est votre richesse et votre existence : sachez vous en assurer le libre exercice et ouvrir de nouveaux débouchés à ses produits. Pères de familles, vous avez à éloigner de vos paisibles demeures, et les maux et jusqu'au fruit de la guerre; et si vos fils ne marchaient contre l'ennemi, vous auriez à prendre les armes pour la défense de vos foyers; Français, il est question de votre gloire et de votre indépendance.

Vous, Monsieur, vous avez à justifier le choix dont l'Empereur vous a honoré, et c'est en hâtant la marche de la conscription que vous acquer

rez le plus de droits à son suffrage et à sa bienveillance. Votre zèle sera jugé par ses résultats: qu'ils soient tels, que j'aie à vous féliciter d'avoir bien mérité du prince et de la patrie.

Recevez, Monsieur, l'assurance de ma parfaite considération.

Signé: CHAMPAGNY.

MINISTÈRE DES FINANCES.

Le ministre des finances, aux chefs des administrations placées dans ses attributions.

Paris, le 3 vendémiaire an XIV. La guerre, Monsieur, se rallume sur le continent par la perfidie de nos voisins.

L'Empereur marche à la tête d'une armée formidable, et l'honneur des aigles françaises sera bientôt vengé.

Le zèle de tous les citoyens de l'Empire doit seconder le dévouement de son auguste chef, et prouver qu'ils sont tous animés du même sentiment l'amour de la patrie.

Il appartient à ceux que leurs fonctions placent plus près du Gouvernement de se distinguer, dans cette circonstance importante, par leur empressement à concourir aux mesures qui peuvent hâter le retour de la paix, l'unique but des travaux et des vœux du héros qui préside à nos destinées.

Ceux dont les enfants sont appelés par leur âge à l'honorable devoir de défendre leur pays, doivent presser leur réunion à leurs émules dans cette glorieuse carrière.

Tous doivent redoubler de zèle, soit pour empêcher les fraudes qui pourraient diminuer les revenus de l'Etat, soit pour accélérer la rentrée de ses revenus au trésor public.

Je vous invite, Monsieur, à écrire dans cet esprit aux divers préposés de l'administration que vous dirigez. J'ai l'honneur de vous saluer,

Signe GAUDIN.

MINISTÈRE DES CULTES.

Lettre de Son Excellence le ministre des cultes, à NN. les cardinaux, archevêques et évéques français, à l'occasion de la guerre.

Monsieur, la foi solennelle des traités avait paru à la grande âme de l'Empereur une barrière inviolable qui couvrit nos frontières orien tales; il en avait rappelé les défenseurs, pour les associer à cette grande expédition qui, ramenant sur les îles britanniques, comme vers leur source, toutes les calamités de la guerre, en eût peut-être à jamais délivré le continent. Mais la corruption des cours ouvrait mille voix secrètes aux instigations d'une politique insidieuse. Tout à coup, deux grandes puissances s'unissent à l'Angleterre, elles dévoilent leurs pactes mystérieux; l'Ottoman circonvenu par de vils complots frémit de n'être plus que le passif instrument des vengeances et de l'ambition des Russes; l'Allemagne, au mépris de ses lois, est envahie par son propre chef, et les bataillons autrichiens occupent la Bavière. Napoléon était dans son camp de Boulogne: il ne veut pas désespérer encore de la paix; mais déjà ses aigles s'ébranlent, les soldats jurent aux citoyens qu'ils ne font qu'échanger le théâtre de la victoire, et les citoyens promettent aux soldats ce concours vraiment français de toutes les volontés et de tous les cœurs vers un seul but : l'honneur national, le salut de la patrie, l'inaltérable fidélité au souverain que la Providence a couronné. L'Empereur vient déposer dans son Sénat et ses sentiments pacifiques et ses disposi

tions guerrières. Il donne à son peuple un grand témoignage de confiance, et en reçoit un grand témoignage d'amour. Il part et va se placer à la tête de nos légions invincibles, en se reposant du soin de ses destinées sur la main puissante qui l'a ramené d'Egypte.

Dans cet instant solennel, il veut que, dans tous les temples qu'il a ouverts, des prières soient adressées au Dieu des armées. Il reconnaît que la justice de sa cause ne lui en garantit le triomphe qu'avec le secours de Celui qui est le distributeur de toute justice, qui dissipe les ligues et qui fait régner les rois. Quel appel touchant au patriotisme et à la piété des ministres de la religion! Ils y répondront: nous avons un clergé vraiment national qui veut tout ce que l'intérêt de l'Etat exige, qui désire la paix, parce que l'esprit de l'Evangile est un esprit de paix, de charité et d'amour, mais qui la désire stable, glorieuse, digne de la France, telle enfin que les armes victorieuses de S. M. 1. et R. peuvent seules nous la garantir.

C'est à votre zèle, Monsieur, à développer dans votre diocèse ces affections généreuses, ce dévouement héroïque qui distinguent notre nation. C'est la patrie, c'est l'EMPEREUR, c'est la religion même qu'il s'agit de défendre. Tout ce qui peut désoler l'Etat et ébranler le trône est évérsif des autels. La France doit aux Constitutions de l'Empire le libre exercice de la religion sainte que vous annoncez; c'est sous les auspices de Napoléon qu'elle est sortie glorieuse du sein des ruines avec toute la pompe de ses cérémonies, toute la douceur de ses consolations, toute la puissance de sa parole. Qu'une sainte émulation embrase à votre voix tous les cœurs! qu'on se dispute l'honneur de servir sous celui qui a rétabli le culte de nos pères; et que le peuple français prouve que sous le règne de NAPOLÉON il n'a plus qu'un même esprit, qu'un même cœur, et qu'il est devenu comme un seul homme!

Vous apprécierez Monsieur, cette preuve de confiance que S. M. I. et R. vous donne par mon organe; vous lèverez les mains vers le ciel, et vous ne cesserez de parler au cœur des hommes pour l'exercice de leur devoir, et éclairer les manœuvres ténébreuses des ennemis du bien public. Par vos sages inspirations, vos coopérateurs béniront en tous lieux les armes de ces jeunes citoyens que la Providence appelle à l'honorable tâche de défendre la patrie; ils leur citeront d'illustres exemples, et distribueront à leurs parents ces consolations pieuses qui nourrissent l'âme et lui font concevoir de généreuses résolutions. Plus que jamais ils inculqueront à leurs ouailles les principes d'ordre et de charité; en un mot, ils développeront toute la puissance de leur influence pour concourir de tous leurs moyens au succès des desseins magnanimes de notre auguste souverain.

J'ai l'honneur de vous saluer, monsieur, avec la considération la plus distinguée. Signé PORTALIS.

SENAT CONSERVATEUR.

Séance du 2 vendémiaire an XIV (mardi, 24 septembre 1805).

S. EXC. M. FRANÇOIS (de Neufchâteau) fait un rapport au nom d'une commission spéciale composée de Messieurs les sénateurs, maréchal Serrurier, Lemercier, Barthélemy, Jacqueminot, d'Aguesseau et François (de Neufchâteau), sur deux projets de sénatus-consultes relatifs: 1° à la

conscription de 1806; 2° à la réorganisation des gardes nationales.

Messieurs, la France se trouve placée dans une circonstance tout à fait extraordinaire, et vos délibérations doivent prendre aujourd'hui un caractère tout nouveau, mais qui n'est toutefois qu'un simple développement de l'idée renfermée dans les deux mots qui font le titre de votre autorité Sénat conservateur.

Avant de partir pour l'armée, l'Empereur s'est rendu dans le sein du Sénat. Le discours qu'il a prononcé a laissé dans vos cœurs une profonde impression.

SA MAJESTÉ étant sortie, le Sénat s'est formé en séance ordinaire, et il a renvoyé à une commission spéciale deux projets de sénatus-consultes qui avaient été présentés par des orateurs du Conseil d'Etat. Tout est pressant dans ces mesures, parce que tout est rapide dans les événements qui les ont motivées. Votre commission n'a point perdu de temps pour les examiner. Je vais avoir l'honneur de vous en rendre compte.

Vous avez confié l'examen de ces deux projets à la même commission, parce qu'en effet il y a connexité dans leur objet.

Le premier projet est relatif à la conscription pour l'an 1806.

Et le second prépare la réorganisation de la garde nationale, dans les points où Sa Majesté jugera qu'elle peut être plus utile.

La première question à examiner est la compétence du Sénat.

Si le Sénat est compétent, le fond ne présente pas de difficultés.

La compétence du Sénat ne nous a pas paru pouvoir être révoquée en doute, dans la situation où nous nous trouvons jetés tout à coup.

Quant au premier projet, l'on sait que la conscription est le mode adopté pour recruter l'armée française, suivant la loi du 19 fructidor an VI, modifiée par d'autres lois.

Sans doute, ce qui concerne la conscription est, dans l'ordre naturel, simple et habituel des choses, de la compétence du Corps législatif, sur la proposition du Gouvernement. Et le Sénat, qui nomme le Corps législatif, et qui veille à ses attributions, est bien éloigné de l'idée de songer à l'en dépouiller.

Mais le Sénat est conservateur de la Constitution, c'est-à-dire de l'organisation de l'Empire; il doit être considéré comme pouvoir constituant et permanent; le Corps législatif n'a qu'un pouvoir déterminé et temporaire. L'autorité chargée de conserver la Constitution, de parer à toutes les atteintes qui pourraient lui être portées, de suppléer à son silence, lorsque des besoins imprévus et pressants l'exigent, a, par une conséquence nécessaire, le pouvoir d'adopter les mesures que le Gouvernement juge indispensables à la conservation du territoire menacé d'une agression qu'on n'a pas pu prévoir.

Il importe surtout que ce soit le Sénat qui délibère sur tout ce qui excède le tribut ordinaire et annuel de la conscription militaire.

Dans toute constitution libérale, il faut distinguer deux états, l'un ordinaire, l'autre extraordinaire.

Dans l'état ordinaire, le Gouvernement ne doit s'adresser qu'au pouvoir commun; ce pouvoir commun est, dans notre organisation, le Corps législatif, formé de députés choisis, de degrés en degrés, par divers corps électoraux, dont le dernier est le Sénat.

Dans l'état extraordinaire, le Gouvernement

doit porter ses demandes au corps dont le pouvoir n'a de limites que celles de la conservation.

Dans la République française, ce corps est le Sénat, qui, dans les cas urgents, est appelé à exercer la souveraineté nationale.

La distinction de ces deux états, de l'état ordinaire et de l'état extraordinaire, importe aux citoyens, importe à l'existence du corps politique.

En la reconnaissant, cette distinction, le Gouvernement, qui est particulièrement la puissance exécutive, s'oblige de lui-même à une sage ré

serve.

Il se place dans l'heureuse nécessité de ne pas abuser des moyens des citoyens et de ne pas exagérer l'emploi de la force nationale.

On a pu remarquer qu'à chaque grande époque, la destinée et la sagesse ont fixé, de concert, dans le sein du Sénat, le lien de la nation et du Gouvernement, et le dépôt central des droits et des devoirs.

Il sera digne de la méditation de l'histoire, que ce soient les projets de ruine conçus contre la nation française, qui aient successivement amélioré notre organisation politique. Ainsi, l'atroce projet de l'assassinat du chef de la République, de la part de l'Angleterre, a démontré la nécessité de l'hérédité du pouvoir gouvernant dans une famille consacrée. Ainsi, l'agression subite de la puissance autrichienne aura développé, dans l'institution du Sénat, la plénitude de son pouvoir et son grand caractère.

Appliquons plus particulièrement ces idées aux objets des deux sénatus-consultes.

La conscription militaire est le plus délicat. Tous les peuples supportent impatiemment les sacrifices; ils n'y voient d'abord que ce qu'ils ont d'onéreux; ceux qui privent momentanément les pères de leurs enfants sont surtout les plus pénibles. Mais le peuple français est magnanime, fier et généreux. Il est jaloux de sa gloire. 11 supporterait impatiemment toute espèce d'humiliation; il n'est rien qu'il ne fit, qu'il ne supportât pour s'y soustraire. Il ne voudra pas être humilié par un ennemi qui prépare la guerre en protestant qu'il veut la paix; qui espère suppléer a sa faiblesse par l'artifice et la perfidie; auquel le souverain magnanime que ce peuple s'est donné a deux fois fait grâce. C'est au corps qu'il sait être son appui plein de sollicitude, l'interprète fidèle et zélé de ses vœux et de ses besoins, conservateur de ses Constitutions, à lui montrer la vérité, à lui dire qu'il s'agit non-seulement de sa gloire, mais de son repos, de son commerce, de sa prospérité tout entière. Dites-lui donc que les préparatifs faits avec tant d'artifices contre lui, que la coalition de la Russie et de l'Autriche vendues à l'or de l'Angleterre, commandent aussi des mesures subites et extraordinaires Sénateurs, votre voix sera entendue. Eh! quel Français pourrait rester impassible, lorsque son souverain brave tous les dangers, supporte toutes les fatigues, pour terminer glorieusement et promptement une guerre qu'il n'a pu éviter, malgré sa longanimité! Oui, c'est au Sénat qu'il appartient de parler au peuple, de lui montrer que les sacrifices qu'on lui demande sont pour lui-même et dans son intérêt.

Nous le répétons avec confiance. Sénateurs, votre voix sera entendue. La jeunesse française, naturellement belliqueuse, ne verra dans le sénatusconsulte qu'une mesure indispensable pour repousser un ennemi qui semble ne vouloir nous laisser de repos qu'autant que nous l'y aurons

contraint.

T. VIII.

Quant au sénatus-consulte relatif à la garde nationale, il faut observer que le dernier état de la législation sur cette matière résulte des dispositions de la Constitution de l'an III, et non pas d'une simple loi.

L'article 78 portait : « Son organisation et sa discipline sont les mêmes pour toute la République; elles sont déterminées par la loi. »>

L'article 28 « Les officiers de la garde natio«nale sédentaire sont élus à temps, par les ci«toyens qui la composent, et ne peuvent être « réélus qu'après un intervalle. »

Le caractère de l'acte où ces dispositions sont consignées, acte sur lequel le peuple français a délibéré, ne permet pas de soumettre au pouvoir ordinaire et commun, la révocation expresse de ces dispositions, qui ne sont plus en accord avec la nature de notre Gouvernement.

Il ne s'agit plus aujourd'hui d'un de ces mouvements désordonnés qu'on appelait des levées en masse. Il s'agit de régulariser, dans les points où cela peut être jugé nécessaire, le dévouement de l'armée nationale intérieure. La garde nationale laissera disponibles toutes les troupes de ligne, sans laisser dégarnir aucune partie menacée ou importante. Les amis de l'honneur français adopteront cette mesure avec enthousiasme, et cet enthousiasme, dirigé par notre héros, sera toujours sublime et ne pourra jamais devenir dangereux. La France a ainsi dans son sein une force prodigieuse qu'il serait imprudent d'abandonner à elle-même; mais qui, sagement dirigée par des décrets impériaux, sera extrêmement utile et ne peut être inquiétante.

Maintenant que la compétence du Sénat est justifiée, nous demandera-t-on, Messieurs, de nous expliquer sur le fond de la question? En vous répétant ce qu'a dit l'orateur du Gouvernement, nous craindrions de l'affaiblir. Mais cependant, Messieurs, tandis que nous délibérons, les Autrichiens sont en marche; nos alliés sont dépouillés, et la position de l'Europe est changée.

Il y a peu de jours, le continent était tranquille. Un cabinet perfide avait rompu la paix d'Amiens presque aussitôt que cette paix avait été signée. Les motifs de cette rupture étaient alors inexplicables enfin, nos efforts avaient dù se tourner vers la mer. Toutes les forces de la France, fixées sur un seul point, menaçaient l'Angleterre. Des manoeuvres savantes nous donnaient les moyens d'embarquer en 15 minutes une armée de 200 mille hommes, et de la débarquer en dix. Cette armée n'avait devant elle qu'un trajet de mer de sept lieues; et taudis que nos flottes reparaissaient sur l'océan, unies aux flottes espagnoles, il ne fallait plus désormais à la flottille de Boulogne qu'un jour de brume, une nuit calme, quelques heures peut-être, pour porter tout à coup de l'autre côté de la Manche nos invincibles légions, impatientes de punir la violation d'un traité solennel. D'un jour à l'autre pouvait luire le moment favorable, et telle était l'anxiété où cette perspective réduisait l'Angleterre, qu'il était impossible qu'elle pût résister longtemps, je ne dis pas à la descenté effective de notre armée, mais à la terreur qu'inspirait la seule démonstration de cette descente prochaine et son attente inévitable.

Si le gouvernement de la Grande-Bretagne cut voulu sauver aux Anglais cette crise effrayante, il en ayait été le maître. Vous avez su, Messieurs, par quel mouvement généreux notre Empereur avait cru devoir ouvrir une porte à la réconciliation. Toute l'Europe a su comment cette ouver48

ture magnanime a été repoussée. On ne pouvait alors concevoir les motifs cachés du refus de la paix; mais enfin nous avons le mot de cette énigme politique: on voit que la cour de SaintJames n'a pas voulu la paix que lui offrait notre EMPEREUR, parce que dès ce moment-là même, elle avait l'espérance d'une diversion qui écarterait de son ile le fléau de la guerre, et qui renverserait les calamités qu'elle entraîne sur peuples du continent.

Comment cette affreuse espérance s'est-elle donc réalisée ?

Il est une puissance qui a toujours, depuis deux siècles, troublé le repos de l'Europe. Un de ses premiers traits dans l'histoire moderne fut de déchirer l'Allemagne par une guerre de trente ans. Tous les moyens de s'agrandir lui ont été indifférents. Entre autres exemples sinistres, elle a donné celui d'appeler au Midi des torrents de barbares, qu'une politique plus sage n'avait jamais laissés sortir des limites du Nord. Ayant rêvé longtemps la monarchie universelle, elle a englouti des royaumes, et son ambition n'en a pas été assouvie. Toujours jalouse de nos rois, elle leur fut bien moins funeste par sa rivalité que par son alliance. Armée contre la République, elle à voulu l'anéantir et démembrer son territoire. La République généreuse a pourtant arrondi le sien, dont les possessions éparses avaient été consolidées pour la première fois par le traité de Lunéville. Tant d'Etats réunis lui faisaient enfin une masse homogène et immense; mais la Bavière lui manquait, la Bavière qu'elle a déjà plusieurs fois envahie et n'a jamais pu con

server.

C'est à cette puissance que s'est adressée l'Angleterre ; c'est l'usurpation de l'électorat de Bavière qu'on a fait briller à ses yeux. C'est au moyen d'un tel appât qu'une cour imprudente a consenti à vendre aux querelles d'autrui le sang de ses sujets. C'est pour un peu d'argent qu'elle a bien voulu se charger de tous les torts de l'Angleterre, et c'est pour sauver l'Angleterre que l'Allemagne est écrasée par son propre Empe

reur.

Vous avez entendu, Messieurs, dans la séance impériale tenue hier matin, la révélation de cet incroyable mystère, enseveli depuis neuf mois dans les profondeurs ténébreuses d'une diplomatie qui s'est crue bien adroite, parce qu'elle a pu réussir à en imposer un moment à la candeur d'une grande âme. Elle épiait l'instant où les flots de la mer devaient apporter bientôt César et sa fortune et pendant qu'elle prodiguait des protestations de paix, elle faisait entrer les Russes sur ses terres, et ses propres troupes entraient sans déclaration sur les terres d'un Electeur qui est un de nos alliés.

Vous vous ressouvenez, Messieurs, que trèslongtemps notre EMPEREUR a refusé de croire à tant de perfidie; il disait hautement qu'elle lui semblait impossible, et qu'il mettrait sa gloire à être pris au dépourvu. Paroles mémorables, que l'histoire doit recueillir! elles n'ont été que trop vraies; mais ceux qui s'applaudissent d'avoir cru tromper l'EMPEREUR se sont bien plus trompés eux-mêmes. De fausses notions sur l'état de la France ont pu les aveugler; mais qu'ils seront désabusés! J'en atteste, Messieurs, l'émotion profonde avec laquelle vous avez tous entendu dans cette enceinte, et le discours de l'EMPEREUR, et le rapport de son ministre, et les communications qui ont rendu cette séance si remarquable et si auguste. Dès hier, vous vous

êtes empressés de placer au bas du manifeste impérial le témoignage motivé de l'assentiment unanime de tous les membres du Sénat. En s'adressant à vous. Messieurs, S. M. I. a parlé au peuple français. Vous avez répondu au nom de ce grand peuple. Votre décret sera scellé par son suffrage et par ses acclamations. Il le sera surtout par l'exécution facile et spontanée de ces mesures de prudence que l'Empereur a cru devoir vous proposer de revêtir de votre sanction. Les sénatus-consultes dont les projets vous sont soumis ne sont qu'un appel régulier au patriotisme, à l'honneur, et à la bravoure des Français.

Patriotisine! honneur ! bravoure! idoles de la nation! sources constantes de sa gloire! ressorts puissants de son génie! mobiles de tous ses succès! Celui qui vous réclame est ce même héros dont le premier mérite, parmi tant d'autres qualités, a été d'avoir su connaître l'esprit national. Ah! c'est à lui surtout qu'il appartient de l'invoquer. A cette voix toute-puissante, se répétera le prodige dont se vantait jadis ce célèbre Romain à qui il suffisait de frapper la terre du pied pour en faire sortir des légions.

N'en doutons pas, Messieurs, elle retentira dans tous les cœurs français, cette phrase sublime prononcée hier par l'EMPEREUR. Oui! le peuple français voudra toujours être ce qu'il était, lorsque, sur un champ de bataille, le premier il le salua du nom de Grand Peuple.

Messieurs, votre commission spéciale m'a chargé de vous proposer d'adopter les deux projets de sénatus-consultes.

Les deux projets de sénatus-consultes sont mis aux voix et adoptés.

(Voy. le texte. Sénat conservateur, 1er vendemiaire an XIV.

La séance est levée.

TRIBUNAT.

PRÉSIDENCE DE M. FABRE (de l'Aude). Séance secrète du 2 vendémiaire an XIV (mardi 24 septembre 1805).

M. le Président annonce qu'il a reçu ce matin, à trois heures, de M. le ministre secrétaire d'Etat, la lettre dont la teneur suit:

A Saint-Cloud, le 1er vendémiaire an XIV. Monsieur le président, j'ai l'honneur de vous annoncer que des orateurs du Conseil d'Etat se rendront demain mardi, à cinq heures après midi, au Tribunat, pour y faire une communication au nom de S. M. L'EMPEREUR.

L'Empereur désire que cette séance ne soit pas publique.

Veuillez agréer, Monsieur le président, les assurances de ma plus haute considération.

Signé HUGUES-BERNARD MARET. Les orateurs du Conseil d'Etat sont introduits. M. Mounier, l'un d'eux, s'exprime ainsi : Tribuns, nous sommes chargés par l'EMPEREUR et Roi de vous donner communication du discours que S. M. a prononcé hier au Sénat, de l'exposé de la conduite réciproque de la France et de l'Autriche depuis la paix de Lunéville, et des causes de la guerre présente.

L'orateur du Conseil d'Etat fait, en conséquence, lecture des pièces suivantes:

(Ces pièces ont été imprimées dans la séance du Sénat, du 1er vendémiaire).

L'orateur du Conseil d'Etat continue en ces termes :

Tribuns, vous venez de l'entendre; la guerre a commencé sur le continent. Cet événement affli

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