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députation le dépôt des trophées recueillis par la grande armée, qu'elle l'autorisait à prendre à Munich les drapeaux réunis dans la galerie du palais qu'elle avait habité; que ces enseignes arrachées aux ennemis de l'Etat seraient montrées à la France par la députation, qui, dans le voyage qu'elle venait de terminer, avait eu l'avantage d'être la première à apprendre les victoires dont elles sont les glorieux fruits; qu'elles orneraient le palais du Sénat; qu'elles décoreraient la salle des délibérations du Tribunat, et qu'elles perpétueraient le souvenir de ces triomphes, par lesquels ont été comblés les vœux que le Tribunat n'a cessé de former pour la gloire de l'Empereur et la prospérité de la patrie.

Pour remplir la nouvelle mission contenue dans cette lettre, la députation revint à Munich; M. le baron de Deux-Ponts, accompagné de la garde de S. A. électorale, lui remit solennellement les drapeaux qu'elle devait porter à Paris.

Il en fut dressé un procès-verbal, qui fait partie des pièces justificatives du rapport que j'ai l'honneur de vous faire.

Avant de quitter Munich, vos députés crurent devoir remercier Sa Majesté de la mission honorable qu'elle venait de leur donner, et de la touchante sollicitude qu'elle avait manifestée sur les difficultés qui les avaient empêchés de parvenir jusqu'à elle; ils lui envoyèrent en même temps l'adresse du Tribunat du 5 vendémiaire dernier, l'arrêté de la veille en vertu duquel elle avait été faite et le procès-verbal contenant leur nomination.

Après avoir ainsi rempli ce qu'elle devait à l'Empereur et au Tribunat, la députation revint en France, et arriva à Paris le 7 frimaire, après un voyage de cinquante-sept jours.

La lettre du ministre secrétaire d'Etat, du 18 brumaire, constatait la mission donnée à la députation de retirer les soixante-dix drapeaux déposés dans le palais électoral de Munich, et de les porter à Paris.

Mais Sa Majesté n'avait pas encore décidé ni en quel nombre ni de quelle manière ils seraient remis aux autorités dont ils devraient décorer la salle des délibérations.

Le prince Joseph voulut bien solliciter auprès de l'Empereur cette décision.

Elle porte que les drapeaux qui ont été confiés à la députation du Tribunat seront distribués de la manière suivante :

Huit à la commune de Paris, c'est-à-dire ceux qui ont été pris au combat de Wertingen; Huit qui resteront au Tribunat;

Cinquante-quatre qui seront portés au Sénat. C'est le Tribunat en corps qui doit, le 1er janvier, apporter au Sénat les drapeaux qui lui sont destinés, et arrêter, pour la partie qui le concerne, le programme de cérémonie du transport.

Quant à ceux qui sont destinés à la commune de Paris, la députation du Tribunat doit en faire la remise le jour qui sera jugé convenable; le préfet convoquera pour cette solennité les maires, le conseil général faisant les fonctions de conseil municipal, et tous les fonctionnaires publics qu'il est d'usage de réunir dans les occasions d'apparat.

Messieurs, la députation vient de vous rendre un compte exact des faits et des pièces relatifs à la mission dont vous l'aviez chargée.

Maintenant, si l'on demande et ce qu'elle a vu à la grande armée, et ce que mille témoins oculaires lui en ont raconté, elle dira qu'à aucune

époque de la Révolution, les conscrits n'ont montré un empressement égal à celui dont ils sont animés. Nous en avons rencontré dans les routes allant à marches forcées au son des instruments; d'autres, plus favorisés de la fortune, courant la poste pour atteindre l'armée; tous ne manifestaient qu'une crainte, celle de n'être pas à temps à combattre et à signaler par des actions d'éclat leur dévouement pour la patrie et pour le héros qui couvre d'illustration et de gloire le nom français.

La députation vous attestera encore le bon ordre, la belle tenue et l'exacte discipline de nos troupes, leur respect pour les personnes et les propriétés des alliés et des vaincus. Une bonne partie de nos soldats a reçu une éducation soignée; ils aiment à montrer des sentiments généreux, et tous tiennent à honneur d'imiter sous ce rapport, comme sous celui du courage, leurs officiers et leurs généraux.

Aussi remarque-t-on une grande différence entre les pays qu'ils ont parcourus et ceux où les Russes ont pénétré.

Dans ces derniers pays, nous avons été saisis d'horreur en voyant des villages entiers tout à fait déserts, et dont les édifices avaient été la proie des flammes.

Les habitants de ces malheureuses contrées n'y ont reparu que lorsqu'ils ont appris que la grande armée en était la maîtresse, et nous les avons entendus, d'un côté, accuser amèrement leur Empereur d'avoir introduit dans ses Etats les barbares du Nord, et de l'autre, combler de bénédictions le vainqueur généreux qui les avait délivrés de ces férocés alliés.

Enfin la santé de nos troupes, bien loin de s'affaiblir par les grandes manœuvres et les marches forcées, s'est affermie et corroborée à tel point, qu'on n'y voit pas à beaucoup près le même nombre de malades qu'on trouve, proportion gardée, dans nos cités les plus salubres.

Combien la députation se félicite d'avoir pu vous rendre, Messieurs, un compte aussi satisfaisant! En voyant tant de miracles opérés par le génie de l'Empereur, tant d'habileté et de présence d'esprit dans les généraux, tant de bravoure et de discipline parmi les officiers et les soldats, on ne peut se défendre d'un sentiment profond d'admiration et de reconnaissance.

C'est à vous, Messieurs, qui, par la nature de vos fonctions, pouvez exprimer constitutionnellement le vœu du peuple français, à être ses organes dans les circonstances actuelles.

Vous avez aussi à remercier le vainqueur des magnifiques présents dont il veut bien décorer la salle de vos délibérations.

Par le don de ces enseignes, il a voulu en quelque sorte nous associer aux triomphes de la grande armée, et consacrer cette union intime entre les pouvoirs militaires et civils qui constituent la force et assurent la perpétuité des empires. La lecture de ce rapport est suivie des plus vifs applaudissements et des acclamations réitérées de Vive l'Empereur et Roi! Vive la grande Armée!

Le Tribunat ordonne l'impression du compte rendu fait par M. le président.

Jard-Panvilliers. Messieurs, trois mois se sont à peine écoulés depuis que, pénétrés d'indignation par l'agression aussi injuste qu'impolitique de l'empereur d'Autriche contre la France, nous présagions les malheurs que cette guerre allait attirer sur les peuples soumis à sa domination.

Notre confiance dans le génie du grand homme qui nous gouverne, et l'expérience que nous avons

de la valeur des soldats français, ne nous permettaient pas de douter que cette imprudence ne reçût tôt ou tard une juste punition mais aucun de nous ne pouvait prévoir qu'elle serait aussi terrible ni aussi prompte. Il n'appartenait qu'au héros qui avait la conscience de son habileté et du parti qu'il pouvait tirer de l'ardeur de nos braves, d'en calculer d'avance tous les événements. Il paraît, en effet, qu'il avait réglé sa marche victorieuse vers la capitale de l'Autriche, comme un voyageur aurait réglé son itinéraire en temps de paix, et s'il s'est trouvé quelque inexactitude dans ses prédictions, il ne faut l'attribuer qu'à une rapidité d'exécution plus grande que son génie même n'avait cru devoir l'espérer.

Qui parlera jamais dignement de si hauts faits? qui pourra les rendre vraisemblables aux yeux de la postérité, quand l'histoire de tous les temps qui les ont précédés n'en offre point qui puissent leur être comparés, quand nous-mêmes, qui en sommes les contemporains et les témoins presque oculaires, craignons, pour ainsi dire, de nous livrer à des illusions trop flatteuses, lorsque nous en lisons le récit fidèle ?

Comment concevoir, en effet, qu'une armée de 80,000 hommes qui avait pris tout le temps qu'elle avait jugé nécessaire pour faire ses préparatifs contre une puissance généreuse et sans défiance, qu'une armée si nombreuse, qui s'était avancée jusque sur nos frontières, et s'était emparée des dispositions les plus formidables, serait prise, dispersée ou réduite en moins de quarante jours, et qu'en moins de deux mois, le monarque agresseur serait chassé de ses Etats, et verrait ses propres alliés forcés de l'abandonner et d'implorer pour eux-mêmes la clémence du vainqueur?

De pareils événements n'entrent point dans les chances ordinaires de la guerre ils ne peuvent être que le résultat des conceptions d'un esprit surnaturel et d'une valeur sans exemple. Heureuse la nation qui peut se glorifier d'avoir pour chef et pour défenseurs des hommes capables d'opérer tant de prodiges!

Toutefois, Messieurs, nous avons à nous féliciter d'être les dépositaires d'une portion des monuments de leurs exploits, et de compter parmi nos membres un des braves qui, par leur courage, ont puissamment contribué à conquérir ces gages honorables de nos triomphes.

L'histoire qui racontera la journée à jamais mémorable de la prise d'Ulm, où près de quarante mille Autrichiens ont mis bas les armes devant notre Empereur, ne se taira point sur les combats glorieux qui l'on précédée, à Wertingen, à Gunsburg et à Memmingen. Elle ne passera point sous silence l'affaire brillante d'Albeck, où six mille Français, cernés par vingt-cinq mille Autrichiens, opposèrent partout une résistance victorieuse, firent quinze cents prisonniers, enlevèrent plusieurs des drapeaux qui sont sous vos yeux, et préludèrent ainsi à la grande journée dont ils sont principalement le fruit; comme peu de jours après, les mêmes braves, en plus petit nombre encore, attaqués à Diernstein par trente mille Russes, firent mettre bas les armes à une grande partie de cette armée, s'emparèrent de ses drapeaux et préludèrent de même à la victoire européenne d'Austerlitz.

Qu'ils sont honorables pour les vainqueurs, les drapeaux enlevés avec tant de bravoure! qu'il est précieux pour nous, le témoignage d'estime et de satisfaction de Sa Majesté l'Empereur qui nous permet d'en décorer la salle de nos délibérations!

Sans doute l'aspect de ces glorieux trophées n'augmentera pas le sentiment d'admiration dont nous sommes déjà pénétrés pour le génie qui a conçu les savantes manœuvres dont ils sont le fruit, et pour les braves qui les ont si vaillamment exécutées la faculté de sentir, comme toutes les autres facultés physiques et morales, a des bornes, il n'y que la valeur de nos guerriers à laquelle on n'en connaisse pas encore; mais il élèvera nos âmes, il y entretiendra le désir de suivre l'exemple de la grande armée dans l'accomplissement de nos devoirs, et de seconder les conceptions législatives de notre Empereur avec le même zèle et la même distinction qu'elle a secondé ses conceptions militaires.

Au degré de gloire où la nation française se trouve maintenant élevée, rien de ce qui ne porte pas un caractère éminent de sagesse et de grandeur ne peut être toléré dans sa législation, ni dans aucune partie de son système politique intérieur ou extérieur. Tout doit en être harmonie avec l'élévation du génie qui la gouverne. C'est un principe que nous ne devons jamais perdre de vue. Tous nos efforts doivent tendre à remplir dignement la tâche qu'il nous impose dans les attributions que les Constitutions de l'Empire nous ont déléguées. Nous ne devons faire ni adopter aucune proposition, nous ne devons former ni émettre aucun vou, pas même celui de la paix que nous désirons si ardemment pour le bonheur de l'humanité, qui ne soit d'accord avec ce principe.

Ah! oui, sans doute, au sentiment d'orgueil national que nous inspire la vue de ces drapeaux conquis par la valeur de nos guerriers, se mêle aussi l'espérance consolante d'une paix prochaine, et nous ne pouvons douter qu'elle ne soit digne du grand peuple et du héros qui seul a le droit d'en dicter les conditions. Mais si, par des prétentions exagérées, si, dans l'espoir d'abuser de la générosité du vainqueur, nos ennemis refusaient de souscrire aux conditions justes et modérées que sa magnanimité n'a cessé de leur offrir, nous invoquerions de nouveau le Dieu des combats, et le peuple français tout entier répondrait à cet appel; car ce serait trahir ses propres intérêts, ce serait trahir les intérêts de l'Europe, que de faire le sacrifice de tous les avantages que nous a donnés la victoire, et de ne pas exiger des garanties contre le succès des nouvelles intrigues et des corruptions de la part des insulaires ennemis du repos du continent.

Mais écartons ces suppositions affligeantes pour l'humanité. Livrons-nous sans réserve aux sentiments de reconnaissance, d'amour et d'admiration dont nous sommes pénétrés pour le sauveur de la France!

Quoi de plus propre à exalter ces sentiments, que la réponse honorable que Sa Majesté daigne faire à l'expression de nos vœux pour le succès de ses armes? Ce ne sont point seulement des paroles obligeantes que la bonté si naturelle aux grandes âmes ne leur permet pas souvent de refuser à la manifestation de quelques intentions louables; ce sont des monuments durables de sa satisfaction comme de sa gloire; c'est, pour ainsi dire, une part que Sa Majesté daigne nous accorder dans les triomphes de la grande armée. Qu'ils soient religieusement conservés dans cette enceinte dont ils seront le plus bel ornement. Qu'ils soient pour nous un nouveau sujet d'émulation pour acquérir quelques titres à la gloire; et si jamais le Tribunat avait à justifier de son zèle et de ses services pour le bien public, nous di

rions: Voilà le don que lui fit le GRAND NAPOLÉON. Messieurs, je demande que le Tribunat arrête : 1° Qu'il sera procédé sur-le-champ à l'inauguration des drapeaux qui lui sont donnés par S. M. l'Empereur et Roi:

20 Qu'il soit nommé une commission pour lui présenter, séance tenante, un projet d'adresse ayant pour objet d'exprimer à Sa Majesté la reconnaissance dont le Tribunat est pénétré pour le témoignage de satisfaction qu'elle a daigné lui donner en lui envoyant ces drapeaux;

3o Que le Tribunal en corps se rendra mercredi prochain, premier janvier 1806, au Sénat, pour lui remettre les cinquante-quatre drapeaux qui lui sont destinés par S. M. l'Empereur et Roi;

4o Que la commission, qui va être chargée de présenter un projet d'adresse à Sa Majesté, sera également chargée de lui présenter aussi, séance tenante, un projet de programme de la cérémonie relative au transport des drapeaux au Sénat ;

5° Qu'il charge la députation qui avait été envoyée par S. M. l'Empereur et Roi, de porter dimanche prochain, 5 janvier 1806, à la préfecture du département de la Seine, les huit drapeaux pris au combat de Wertingen par S. A. S. le prince Murat, gouverneur de Paris, et que Sa Majesté a bien voulu donner à cette ville, en témoignage de son affection particulière.

Challan. Messieurs, la vue des drapeaux dont la bienveillance de S. M. l'Empereur et Roi a chargé votre députation, le souvenir des événements qui ont précédé et suivi la mission que vous lui avez confiée, ou qui ont eu lieu pendant son cours, imposent aux membres qui en ont fait partie l'obligation de vous faire connaître les diverses affections dont ils ont été émus, en traversant un pays immense tout rempli de la gloire de Napoléon le grand.

M. le Président, dans le compte qu'il a rendu, vous a transmis les actes officiels et les traits d'héroïsme dont nous avions été les témoins ou que nous avons recueillis les premiers; mais comme une foule de circonstances ne sont pas toujours observées par les mêmes personnes, et qu'aucune n'est indifférente lorsqu'il s'agit d'un héros qui veut que vous n'ignoriez rien de ce qui intéresse la nation, j'ai pensé que vous m'accorderiez votre indulgence et votre attention.

Ne vous attendez cependant pas, mes collègues, que je suive avec vous ces marches étonnantes, qui, de l'aspect des côtes d'Angleterre, ont fait franchir aux troupes le Rhin et le Danube avec la rapidité de l'éclair: d'autres, mieux que moi, vous exprimeront ce que le génie de l'Empereur a imprimé de grand à cette immortelle campagne.

Je vous avouerai même qu'en voyant ces champs dont la terre foulée par les hommes, sillonnée par les machines de guerre, offrait encore l'image des combats, en entrant dans ces cités dont les murs ébranlés attestaient l'attaque et la résistance, je fus plus étonné de la sécurité des habitants que de l'éclat des victoires.

Elles sont cependant dues à des manœuvres savantes et à des méditations plus qu'humaines; mais au milieu de la mêlée, prévenir le massacre des vaincus, préserver des fléaux de la guerre l'utile l'aboureur et le citoyen paisible, me parut être l'œuvre d'une âme céleste qui, comme la divinité, ne lance la foudre que sur les coupables.

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Aussi sur notre passage les dangers étaient oubliés, et l'on ne parlait que de la générosité de S. M. l'Empereur et Roi, protégean la fois le conquis.

ire de ses allés et celui des

Des proclamations écrites dans deux langues annonçaient partout cette volonté bienfaisante; quelques officiers suffisaient pour la rappeler aux soldats (ils ne sont terribles que dans le combat); une police sévère la faisait respecter de ceux qui, dans tous les pays, font un métier de fuir et de piller. Le dirai-je, Messieurs? les prisonniers ne montraient aucune tristesse: un grand nombre d'entre eux avaient déjà été retenus en France, et le souvenir de leur séjour rassurait les plus timides; de sorte, mes collègues, que ces drapeaux, en annonçant à ceux qui assisteront à vos séances, les conquêtes que Sa Majesté a faites par les armes, rappelleront en même temps celles qu'il a faites par l'affection.

Si votre députation a entendu quelques gémissements, aperçu des pays incendiés, des habitations désertes, le croirez-vous, cette barbarie était l'ouvrage des alliés de l'Autriche, de ces hordes aussi funestes lors de leur arrivée que cruelles lors de leur départ!

Cependant ce ministre qui les avait appelées du fond du Nord, qui avait dédaigné les conseils des hommes sages, des militaires expérimentés, qui avait donné sa confiance à un homme que des défaites et une honteuse fuite avaient signalé depuis longtemps au mépris, ne connaissait ni sa force ni son impuissance.

Content d'abandonner Vienne à la discrétion du vainqueur, il essaya inutilement de rallier les restes d'une armée en déroute; de nouveaux renforts ne peuvent les soutenir; la masse des Russes, qui devait tout renverser par son poids, et elle-même rompue, divisée; des marais que la glace semble avoir rendus praticables leur donnent en vain l'espoir de la retraite bientôt ces malheureuses victimes, dont l'Anglais avait payé la vie avec un peu d'or, sont englouties sous les eaux.

Messieurs, en vous parlant de la victoire d'Austerlitz, dont la nouvelle est arrivée à Paris presque en même temps que ces drapeaux, de cette victoire qui a sauvé l'Europe de l'invasion des barbares, je me sens pressé par le sentiment qui vous anime tous pour celui de nos collègues qui, avec tant de braves, a eu le bonheur, dans cette mémorable journée, de combattre sous les yeux de l'Empereur. Sa Majesté me pardonnera, je l'espère, d'avoir suspendu un instant votre admiration en faveur de l'amitié. Le tribun, général Sahuc, avait également combattu à Ulm jugez, mes collègues, combien il sera flatteur pour lui, combien il sera heureux pour nous de pouvoir dire en contemplant le trophée de ces enseignes: Il est le témoignage des bontés de Napoléon le grand pour le Tribunat et pour chacun de ses membres !

Au sein des plaisirs, au milieu d'une capitale, on se dissimule quelquefois des dangers qui semblent ne devoir menacer que les frontières (l'Autriche en fait aujourd'hui la triste expérience); quelquefois aussi, égaré par l'imagination, on ajouté à la crainte des revers.

L'aspect du théâtre de la guerre fait naître d'autres pensées.

Il imprime d'abord le sentiment de la reconnaissance la plus profonde pour le génie qui sut l'éloigner de son Empire, en portant au loin l'action de ses armes, en triomphant au milieu même des Etats de ceux qui, au mépris des traités, recommençaient la guerre,

Il apprend ensuite combien il importe de conserver l'attitude imposante qui convient à une grande nation, assez heureuse pour avoir un chef plus grand encore.

Je sais que dans le cœur de Nopoléon un nou

"veau succès est toujours un nouveau motif pour accorder la paix; mais il n'en est pas moins du devoir des magistrats spécialement chargés d'exprimer les vœux de la nation, de faire connaitre à S. M. l'Empereur et Roi que la conduite passée des ennemis l'a éclairée sur ses vrais intérêts, qu'elle conjure Sa Majesté, trop généreuse peut-être, d'user des droits de la victoire; et que chacune de ses acclamations et un acte de dévouement.

Vous partagez cet enthousiasme, princes de l'Allemagne qui avez trouvé dans le cœur d'un héros les sentiments d'un bienfaiteur, et la voix de vos peuples s'unit à celle du peuple français. Les membres de la députation, mes collègues, ont entendu un prince recommandable par de rares qualités manifester son inviolable attachement pour l'Empereur et Roi qui l'avait rendu à ses Etats.

Des bords du Danube aux portes de Paris, les souverains, le peuple et l'armée n'ont donc qu'un même désir. La jeunesse, pleine d'ardeur, écoute avidement le récit des hauts faits d'armes que raconte le soldat contraint de rentrer dans ses foyers par une honorable blessure; il échauffe ceux qui n'ont point encore couru le hasard des combats, et chasse de leur cœur toute crainte; il ne leur reste que celle de n'avoir plus de lauriers à cueillir.

Rassurez-vous, jeunesse intéressante, votre empressement aussi est utile à la patrie; d'ailleurs ne vous reste-t-il pas à punir et le farouche insulaire, et ces puissances haineuses qui se sont mises à sa discrétion ?

Se seraient-ils flattés que la diversion, occasionnée par de perfides trames, ferait autre chose que de retarder leur ruine?

Espérance fondée sur le crime, vous serez encore déçue; les bataillons de Boulogne, illustrés par tant d'actions surprenantes, sauront la dissiper.

Peut-être même que l'insidieuse politique de cette nouvelle Carthage accélérera sa perte: il ne serait pas étonnant que les rois du Nord rapprochés de nous par le malheur, que dis-je! par la magnanimité du vainqueur, ne reconnussent qu'il est de leur intérêt d'abandonner à lui-même un gouvernement qui, dans tous les temps, a trompé ses amis et dépouillé ses alliés.

Alors les chefs des nations proclamant de concert l'indépendance des pavillons, on verrait enfin le tyran des mers disparaitre, et peut-être forcé de cacher sa honte sous un autre hémisphère.

Messieurs, le marbre et le bronze peuvent transmettre à la postérité ce que la renommée publie du génie et de la puissance de l'Empereur; mais le marbre et le bronze dureront moins que l'amour des peuples: c'est sur cet amour que Napoléon fonde principalement son empire et sa gloire.

Voyez-le essuyer les larmes des familles que le sort des armes fait gémir: ce n'est plus le dieu de la guerre, c'est un père qui console, c'est un roi qui récompense.

Les veuves des braves morts au champ d'Austerlitz n'éprouveront point les rigueurs de la misère; leurs enfants ne seront point orphelins: le nom immortel de Napoléon leur sera imposé par la loi bienfaisante de l'adoption.

Ainsi, le cœur de celui qui balance dans ses mains les destinées de l'univers, qui sait allier les lois de l'honneur aux calculs de l'utilité, qui sait préparer des armes pendant la paix,et jeter les fondements du bonheur pour la postérité, sait encore s'occuper des malheureux.

Messieurs, un tel prince n'eut point de modèle

dans l'antiquité, ni d'égaux parmi les modernes. Les monuments anciens, les usages des derniers siècles ne peuvent donc suffire à la composition de celui que la génération présente voudrait élever à la gloire de S. M. l'Empereur et Roi leur réunion même exprimerait faiblement ce que l'Empire, l'Eglise, l'armée, la justice, l'instruction et l'industrie doivent à ses hautes conceptions.

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Toutefois, en indiquant la difficulté, je suis loin de penser qu'on ne puisse la vaincre ; je suis loin de vouloir affaiblir l'enthousiasme qui se manifeste dans tous les corps et dans tous les rangs des citoyens je le partage, au contraire, mes collègues, et si vos pensées ne m'étaient connues, j'essayerais aussi d'offrir ma couronne; peut-être me sera-t-il permis un jour, lorsque les arts s'empareront du programme, de joindre mon offrande au vou que le Tribunat doit émettre comme organe de l'amour national.

A ce vœu vous unirez, sans doute, des actions de grâces particulières et personnelles.

S. M. l'Empereur et Roi, en daignant confier à votre députation ces enseignes de l'armée vaincue, en chargeant le corps entier de les montrer au peuple, de les porter au Sénat, a donné non-seulement un témoignage de bienveillance au Tribunat, mais elle a encore proclamé les principes d'union qui, pour le bien de son service, doivent exister entre tous les citoyens. Cette manifestation ajoute un motif de plus à la reconnaissance du Tribunat, puisqu'elle le met à portée de payer à l'armée un tribut mérité, d'offrir au Sénat un hommage respectueux, et de répéter à la capitale de l'Empire les expressions affectueuses dont Sa Majesté s'est servie en parlant de sa bonne ville de Paris.

Notre collègue Jard-Panvilliers a proposé une adresse à S. M. l'Empereur et Roi, pour le remercier de tant de bontés : je me joins à lui pour que le Tribunat porte au pied de son trône l'hommage de son dévouement, de son respect et de sa reconnaissance.

Grenier. Messieurs, quel est celui de nous qui oserait s'imposer la tâche de raconter dignement les merveilles qui viennent d'étonner le monde? •

Lorsque le plus célèbre orateur de l'antiquité tonnait contre l'indifférence de ses concitoyens sur les progrès de leur ennemi, alarmants surtout par leur rapidité, il leur disait que ses récits emportaient plus de temps que Philippe n'en mettait à prendre des villes et à gagner des batailles,

Pour que cette fiction oratoire pût devenir une réalité, il fallait arriver à une époque féconde en prodiges qui n'obtiendront la croyance des générations les plus reculées que parce que l'histoire les leur transmettra avec tous les caractères de la vérité,

Mais si l'esprit devait s'effrayer devant la grandeur des objets qu'il voudrait peindre, il n'en est pas de même du cœur qui exprime ses sentiments d'amour et de reconnaissance.

Ma pensée se porte en ce moment sur ce que Sa Majesté l'Empereur et Roi, mème au milieu de ses nouveaux triomphes, a daigné faire pour le Tribunat.

La garde des trophées de ses victoires, dont elle a voulu honorer notre députation, pour les remettre au premier corps de l'Etat et à la municipalité de Paris, était déjà pour nous tous une marque précieuse de sa confiance. L'ordre que Sa Majesté a donné ensuite de déposer une partie de ces mêmes trophées dans cette enceinte, aété pour le Tribunat un trait signalé de sa bienfaisance.

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Le fête solennelle qui nous rassemble reçoit un nouveau degré d'intérêt de ces réflexions patriotiques.

Il s'agit de l'inauguration d'une partie des drapeaux enlevés à nos ennemis au premier moment où l'Empereur a pu les atteindre et en purger nos frontières, après avoir fait retomber sur eux les maux que nous préparaît leur déloyale agression; drapeaux qui, grâce à la munificence de ce prince adoré, feront désormais le plus bel ornement de nos séances.

Ces drapeaux, mémoriaux assidus de toutes les grandes actions qui ont illustré sa carrière militaire, la seule que nous devions considérer dans ce moment, nous rappelleront ces belles campagnes de l'an IV et de l'an V, dans lesquelles, simple général, il marqua par une victoire chacun de ses pas dans l'Italie; détruisit, dans l'espace de quelques mois, cinq armées ennemies; réduisit la superbe Mantoue à implorer sa clémence, et cinq grands potentats coalisés contre nous à demander la paix; effaça par ses talents, ses exploits, son activité, la gloire d'Annibal dans les mêmes lieux qui avaient fait sa renommée, et mérita d'être placé auprès de Scipion, par sa sagesse, sa modération, sa générosité.

Ils ne peuvent nous rien rappeler des deux années qui suivent tant de gloire.

La fortune jalouse, ou le mauvais génie de la France, l'occupèrent loin d'elle dans cette Égypte, jadis si éclairée, si florissante, si renommée par la sagesse de ses lois, aujourd'hui si abrutie, si dégradée, si désolée par les brigands qui la dépècent alternativement, et s'en partagent les misérables dépouilles.

Mais, là mème, la grande âme de Bonaparte, toujours active, toujours ouverte au cri de l'humanité, avait commencé une restauration qui aurait annoncé à cette mère patrie des mœurs, des sciences et des arts, le retour de son antique splendeur, si son cœur tout français lui eût permis de l'achever, s'il eût pu se résoudre à voir d'un œil indifférent la France prête à tomber dans l'abîme que l'anarchie dévorante lui avait creusé.

Un nouvel ordre de choses va naître.

Je ne rouvrirai pas les plaies de ma patrie par le douloureux souvenir d'une de ses plus déplorables crises.

Bonaparte, instruit de son danger, traverse, avec la rapidité de l'éclair, les mers qui le séparent de cette terre chérie, quoique couvertes de vaisscaux ennemis il touche nos côtes, et soudain l'espoir et la confiance renaissent dans tous les cœurs; son nom seul atterre la malveillance; le 18 brumaire luit; il se forme, sous l'égide de sa seule réputation, un ralliement de tout ce qui restait au gouvernement de la France d'hommes forts et généreux la Révolution reprend le caractère qu'elle n'aurait jamais dù perdre: ses principes primitifs sont proclamés et remis en honneur, une nouvelle Constitution les conserve; l'acte en est présenté au peuple français qui l'accepte avec transport, et place Bonaparte à la tête de son Gouvernement.

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Cependant une nouvelle coalition avait mis à profit son absence.

Ici, j'interroge ces drapeaux, et ils ramènent

ma pensée à la glorieuse campagne de l'an VIII, et, avec une application plus particulière, au camp de Marengo, où le sort de l'Italie et des armées ennemies parut et aurait dû être définitivement décidé.

Mais d'un côté, l'ambition démesurée du cabinet de Saint-James, de l'autre la soif insatiable de l'or qu'elle a provoquée et promis d'assouvir dans quelques cabinets du Nord accessibles à cette ignominieuse cupidité, ont suscité de nouveaux orages.

Bonaparte, élevé au trône impérial, devait mettre un terme aux insolentes prétentions du gouvernement insulaire qui se jouait impunément des traités les plus sacrés. Il avait épuisé toutes les tentatives de conciliation que sa modération et son désir de la paix pouvaient permettre à sa diguité et aux intérêts de son peuple. Il était temps de mettre un mors à l'indomptable chimère de ce gouvernement sans foi sur l'empire exclusif et tyrannique des mers.

La foudre était au moment d'éclater: une diversion salutaire peut seule alors la suspendre: la perfidie et l'avarice se donnent la main pour l'opérer les Etats de l'électeur de Bavière, notre fidèle allié, sont envahis; nos frontières menacées de l'irruption d'une horde de barbares descendants de ces Vandales, lluns et Sarmates qui infestèrent l'Europe dans le déclin de l'Empire romain. Il n'y avait pas un moment à perdre, pour garantir la France et l'Italie des horreurs d'une pareille irruption. Mais Napoléon était là. Quelques jours lui suffirent pour faire passer, comme par enchantement, une armée entière des bords de la Manche à la rive droite du Rhin. Il y surprend l'armée ennemie il pouvait la tailler en pièces par des moyens trop savants po ur les généraux qu'il avait en tète; mais son génie humain éloigne ces ressources. Avare du sang des hommes, il se contente de faire poser les armes à ceux qu'il pouvait détruire, et peu de jours après le passage d'u Rhin, la journée d'Ulm anéantit ou disperse une armée de 100,000 hommes, dont nous voyons flotter les drapeaux dans cette enceinte.

Vous savez, Messieurs, tout ce qui a suivi cette brillante journée, et les prodiges sans nombre qui se sont succédé depuis, jusqu'à la victoire décisive d'Austerlitz, sont tous présents à vos esprits. Ils sont trop récents et trop intéressants pour que leur impression ait rien perdu de sa vivacité; je n'entreprendrai donc pas de vous les retracer, je craiudrais d'en affaiblir le tableau.

Mais ce qui doit surtout intéresser de bons Français, c'est l'enthousiasme qu'ont produit dans toutes nos armées la présence de l'Empereur, la sûreté de ses plans, l'abandon de sa personne à toutes les rigueurs d'une âpre et rude saison, à toutes les fatigues, à toutes les plus grandes privations des soldats, la sollicitude paternelle qu'il n'a cessé de montrer pour leurs besoins et leurs soulagements, le partage qu'il a fait entre eux tous, sans autre distinction que celle du grade, de la contribution des 100 millions à lever sur l'Autriche, la Moravie et les autres provinces de la maison d'Autriche occupées par l'armée française; les pensions assurées aux veuves de tous les militaires morts à la bataille d'Austerlitz, l'adoption de tous leurs enfants et l'engagement de les entretenir, élever et doter, le tout encore sans autre distinction que celle du grade; son humanité et sa générosité héroïque pour les vaincus, sa sévérité pour toute atteinte à leur repos et à leurs propriétés.

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