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né fier et courageux, a éminemment la conscience de sa force et de sa dignité. Cependant les suites des calamités qui avaient affligé la France faisaient espérer à nos ennemis que nos plus belles provinces deviendraient leur proie; Napoléon a paru, il a nommé le peuple français la grande nation, et c'est lui, c'est son génie qui a développé tout ce que les Français ont de vertus; ce sont ses travaux, ses triomphes qui les ont élevés au plus haut point qu'une nation puisse atteindre; et voilà ce qui explique l'enthousiasme dont les Français sont transportés pour l'auteur de leur gloire, et ce qui fait répéter avec une noble sollicitude... que ferons-nous pour notre Empereur?

Les victoires excitent toujours l'admiration chez un peuple belliqueux; mais le Français, qui a toutes les vertus militaires, est de plus sensible, délicat, généreux. Il existe pour lui un droit des gens; pour lui la victoire doit être le triomphe de la justice.

Toute l'Europe en a été témoin, Napoléon n'a repris les armes que pour repousser des agresseurs, venger des alliés fidèles, maintenir les droits des nations, assurer la liberté des mers et du commerce. Napoléon, toujours vainqueur, a posé lui-même des bornes à la victoire pour ne songer qu'à l'humanité; des potentats, après avoir été vaincus par son épée, l'ont été une seconde fois par sa magnanimité.

Ce sont encore ces traits héroïques qui pénètrent toutes les âmes, et qui font dire aux Français... que ferons-nous pour notre Empereur?

Enfin, Messieurs, les rèves flatteurs de l'ambition, les faveurs de la fortune, ont souvent inspiré aux grands conquérants une confiance dans leurs forces, une audace dans leurs entreprises, qui ont été pour eux le présage de leurs succès. Mais ce qu'on n'a jamais vu, c'est un général prophétiser sa victoire, en assigner l'époque, en fixer les résultats.

Napoléon nous a accoutumés à ces prodiges. Avant de passer les Alpes, et lorsqu'il méditait l'immortelle bataille de Marengo, il fixait le jour où il la gagnerait.

L'armée autrichienne est tournée, elle ne peut m'échapper, écrivait-il peu de temps avant la prise d'Ulm.

La veille de la bataille d'Austerlitz, lorsque les ennemis, fiers d'une retraite simulée, mancuvraient pour l'envelopper de leurs nombreux bataillons, on le vit calculer froidement leur défaite, et faire passer dans l'âme de tous ses soldats, par une proclamation à jamais mémorable, lá certitude de sa victoire.

de

Tu n'auras pas besoin de l'exposer, Sire; main nous t'apporterons pour bouquet les drapeaux et l'artillerie des Russes, lui dit avec une noble liberté un de ses vétérans qui connaissait si bien la valeur de ses promesses.

Quel plus bel hommage fut jamais rendu au génie et à la valeur! Ah! toute autre louange languit auprès de l'apostrophe sublime de ce brave grenadier.

Qu'avec cette supériorité de moyens, cet ascendant de génie, et ces succès inouïs, il eût été facile à Napoléon de réaliser les projets de conquêtes que nos ennemis lui ont gratuitement opposés, et qui sont pourtant si pardonnables à un grand courage!

Mais son âme inflexible dans ses desseins, est aussi inébranlable dans sa vertu.

Oui, oui, ce sont tous ces prodiges qui font naître cette pensée si naturelle... que ferons-nous pour notre Empercur?

Nous pourrions demander à notre tour: Que peut-on faire, qu'admirer et chérir un mortel dont le nom remplit le monde, et qui, au jugement de l'Europe, ne peut plus étre comparé qu'à lui-mème?

Les premiers rangs au temple de la gloire sont assignés aux fondateurs des empires, aux législateurs, aux conquérants qui, par des motifs utiles pour leurs Etats, en ont étendu les limites, aux princes sages, justes et vigilants, qui ont acquis le titre de pères de la patrie.

Napoléon ne réunit-il pas tous ces droits sur sa tête auguste? N'est-il pas l'homme de l'histoire, l'homme de tous les siècles; et ne pouvonsnous pas dire qu'il y a en lui quelque chose de surnaturel, puisqu'il est vrai que Dieu dispose du sort des empires, et que Napoléon le Grand se plaît lui-même à soumettre tout à la Providence, et qu'il rapporte tout à la religion?

Nous sommes donc forcés d'avouer que la grandeur des bienfaits et l'immensité de la gloire ne laissent aucun moyen d'exprimer dignement la reconnaissance.

Toutefois, Messieurs, l'élan du peuple ne peut être perdu : c'est pour la nation et pour la postérité que nous avons un vœu à former.j

La gloire attachée aux événements mémorables de la vie de Napoléon le Grand est une propriété nationale; et si cette grande suite de prodiges fait l'orgueil de la génération présente, elle doit être aussi l'instruction de nos derniers neveux.

Les arts vont tous à l'envi continuer à retracer les merveilles du siècle de Napoléon le Grand. Chacune est digne d'admiration. Leur réunion offrirait un spectacle nouveau qui serait toujours l'unique dans le monde, toujours le plus grand que l'imagination put concevoir, toujours le plus beau que la première nation de l'univers pût présenter à l'étonnement des autres peuples, toujours le plus utile qu'elle pût créer pour entretenir la passion de l'honneur et de la gloire, et pour exciter toutes les émulations nobles et généreuses.

Oui, Messieurs, que par le concert de tous les arts et de tous les talents, le siècle de Napoléon le Grand se retrouve pour les siècles à venir plein de vie et d'expression, dans un édifice digne de la grandeur de l'objet. Tel est le vœu que je vous propose d'émettre; et quoique je ne doive yous arrêter que sur la pensée qui seule peut former la matière d'un vou constitutionnel, vous pourriez peut-être examiner si ce ne serait pas aussi dans ce superbe édifice que pourraient être célébrées de grandes solennítés, comme celles de la Légion d'honneur et des distributions des grands prix que Sa Majesté l'Empereur et Roi veut faire, de sa propre main, aux auteurs des grandes productions.

Ah! Messieurs, songez à l'enchantement que tant de monuments réunis dans cet édifice produiraient sur l'imagination, toutes les émotions qu'ils exciteraient dans les cœurs, tout le feu dont ils pénétreraient les âmes!

On verrait Napoléon le Grand dans toute sa gloire militaire, civile et politique; son cortége serait formé de son illustre famille, des personnages éminents qui, par ses inspirations, auraient secondé ses grandes vues de gouvernement, de ses lieutenants, de ses fidèles compagnons d'armes, et de cette foule de heros qu'il a créés; on retrouverait cette campagne d'Italie qui, la première, nous accoutuma aux prodiges, l'Egypte, le passage des Alpes, Marengo, qui nous sera toujours cher, quoiqu'il n'ait plus que le second

rang dans le temple de mémoire, le concordat, Ulm, Austerlitz: Austerlitz! journée immortelle ! je te salue au nom de la France, de l'Europe! On verrait gravé sur l'airain cette lettre touchante du 20 frimaire, au cardinal archevêque de Paris, monument de la piété du vainqueur des rois, et ces décrets de récompenses et de secours qui ont fait verser tant de larmes de reconnaissance.

Mais pourrais-je mentionner les innombrables sujets qui devraient décorer l'édifice que la nation élèverait à sa gloire!

Grand prince! cette gloire, la nation la tient de vous; il doit lui être permis de la montrer tout entière. Vous aviez dit que la postérité jugerait s'il vous était dù des monuments: la voix de la postérité s'est fait entendre, lorsque l'immortalité a commencé.

Je propose au Tribunat d'émettre le vou qu'un grand édifice, que tous les arts concourront à embellir, soit spécialement destiné à perpétuer le souvenir des événements mémorables du siècle de Napoléon le Grand, et qu'il serve à la distribution des récompenses nationales.

Chabot (de l'Allier). Messieurs, je n'essayerai pas de retracer les événements qui fixent aujourd'hui l'admiration de toute l'Europe. Je ne parlerai ni de la gloire immense à laquelle s'est élevé notre Empereur, ni des triomphes inouïs de nos armées, ni de cette victoire d'Austerlitz, qui formera l'une des époques les plus brillantes de nos annales, et qui mérite si bien le nom de victoire européenne, puisqu'elle a sauvé la civilisation de cette belle partie du monde de la férocité des hordes barbares du Nord.

La langue ne fournit d'expressions assez fortes ni pour atteindre à de si grands objets, ni pour rendre les émotions qu'ils nous ont fait éprouver. Ici, les faits en disent bien plus que toutes les paroles. Eh! que seraient les éloges les plus pompeux, à côté des bulletins de la grande

armée?

Lorsque les événements sont des prodiges, les tableaux qu'on en veut faire ne peuvent être que froids et décolorés.

Lorsque l'admiration est à son comble, il n'y a que le silence qui puisse en exprimer le senti

ment.

Je me borne donc, Messieurs, à faire une proposition qui ne pourra répondre à la grandeur des motifs qui nous commandent, mais qui offrira du moins à la postérité un monument de notre reconnaissance.

Elle n'exclut point celle qui vient d'être faite par notre collègue Jaubert; elle tend à y ajouter. Comment se restreindre à l'objet d'un seul vou, quand il s'agit de reconnaître tant et de si éminents services?

Je propose l'arrêté suivant :

Le Tribunat émet le vœu que l'une des places de la capitale soit appelée place de Napoléon le Grand, et qu'il y soit élevé une colonne, sur le modèle de la colonne Trajanne, laquelle sera surmontée de la statue de l'Empereur, et aura pour inscription:

A Napoléon le Grand,

La Patrie reconnaissante. Carrion-Nisas. Messieurs, d'innombrables batailles ont ensanglanté la vieille Europe: en quelque lieu que nous y combattions aujourd'hui, c'est presque toujours sur les tombeaux de nos pères.

Que de sang! et combien de ces journées où il a coulé par torrents, n'ont été qu'une calamité inutile, un malheur obscur!

Un petit nombre de souvenirs de ce genre surnage avec gloire sur cet océan des âges qui submerge tant de faits, de dates et de noms.

Ces grands exploits, destinés à vivre dans la mémoire, sont tous marqués du même sceau, du même caractère.

Il ne suffit pas de l'acharnement et du courage déployés dans l'action, il faut que le résultat ait influé sur les destinées du monde, sauvé une portion du genre humain.

Ainsi, dans les premiers et les plus beaux jours de la Grèce, Marathon et Salamine sauvèrent l'Europe du joug de l'Asie.

Ainsi, quoique les plaines de Philippe et de Pharsale aient vu combattre avec le même acharnement presque les mêmes hommes, et en plus d'un point, pour la même cause que les mers d'Actium, c'est Actium qui forme une grande époque dans l'histoire; c'est là qu'il fut décidé de l'Empire du monde entre Rome et Alexandrie; c'est là qu'il s'agissait de savoir si l'Occident serait forcé de recevoir les mœurs et les servitudes orientales.

De même, bien que plusieurs faits d'armes figurent avec éclat dans notre histoire moderne, elle n'offrait rien jusqu'à ce jour qui égalât en importance et en majesté ce grand conflit où dans les plaines de Tours fut décidée par l'épée de Charles Martel la querelle entre l'Evangile et P'Alcoran, entre l'Europe d'un côté, et de l'autre l'Asie et l'Afrique qui la pressaient de toutes parts.

Les croisades, qui tiennent une si grande place dans les annales de l'Orient et de l'Occident, ne sont que la conséquence, que l'exécution de l'arrêt porté dans les plaines de Tours.

Par un rapprochement singulier, la terreur du nom arabe fut anéantie à Tours par Charles Martel, environ cent ans après que l'Arabie eut été illustrée par Mahomet.

La terreur du nom russe est dissipée par le vainqueur d'Austerlitz environ cent ans après l'époque où l'on commence à s'occuper en Europe de la Russie, inconnue jusqu'à Pierre-le-Grand.

Chose étrange, les grands événements, qui déjà s'enfoncent dans la nuit des temps, nous attachent fortement sous la plume des historiens; nous nous sommes passionnés au récit de ces importantes circonstances où nos aïeux ont vécu; et quand ces mêmes circonstances se présentent autour de nous, quand les mêmes ou d'aussi graves événements se préparent, éclatent, se consomment sous nos yeux, ils sont loin d'obtenir de nous le même degré d'attention et d'intérêt.

Tel est l'homme, telle son imprévoyance et sa frivolité, don quelquefois funeste et souvent précieux, à la faveur duquel, ne pouvant échapper à la réalité de nos maux, nous échappous du moins à leur pensée.

Toutefois, des hommes, dès longtemps attentifs à la marché des événements, en mesuraient, en annonçaient toute la grandeur.

Ils sentaient toute l'importance des résultats de cette vaste et nouvelle fermentation.

Ils voyaient avec effroi s'ouvrir aux Russes et aux Tartares les barrières de la Germanie, les ports du midi et du nord de l'Europe.

Pénétrés de l'imminence du péril, ils auraient voulu emprunter cette voix prophétique qui seule égalà les lamentations aux calamités.

L'Europe a été ébranlée; quelques rois, quelques peuples, ont continué de marcher dans leur aveuglement, d'autres se sont réveillés de leur fatale léthargie.

Quelques prétendus sages ont souri, et on a cru voir sur leurs lèvres le rire funeste du délire et de la mort.

Vous riez, malheureux, et déjà le torrent qui menace de vous emporter s'est déchaîné avec fu

reur.

Si vous doutez encore, venez et voyez.

Certes le champ de guerre a été spacieux; il s'est étendu de l'Adriatique à la Baltique, des plaines de la Moravie à celles du Palatinat.

Du haut des Pyrénées et des bords de la Vistule, de la Bretagne et de l'Istrie, de la Provence et de la Bohème, des troupes ont marché, elles se sont choquées, elles ont combattu.

Mais depuis la ligne du Rhin jusqu'au triple repli de l'Inn, ce sont les véritables soldats de l'Europe, les enfants de la civilisation qui ont couvert la terre.

Français, Bataves, Hongrois, guerriers de la Souabe, de la Bavière, de l'Autriche, il faut le dire en hommage à la vérité et à votre gloire, on ne voit sur le théâtre de vos meurtrières évolutions que les maux nécessaires, indispensables de la guerre.

Si les rigueurs qu'elle entraîne font toujours soupirer l'humanité, la justice est obligée d'absoudre ceux qui les ont adoucies, épargnées, autant que leur terrible devoir le leur a permis.

Mais si, franchissant pour la dernière fois la barrière de l'Inn, nous touchons cette terre foulée par une espèce d'hommes, de soldats, encore nouvelle dans les querelles de l'Europe,

Quel changement! quel aspect!

Partout les traces d'une dévastation gratuite, d'une marche dévorante; partout la solitude et des restes d'incendie.

Ce ne sont point les hommes qui parlent et se plaignent, ce sont les pierres qui crient dans les cités désertes et en ruine, c'est la nature qui gémit dans les campagnes.

Ce n'est point l'oreille qui reçoit un récit menteur ou exagéré, c'est l'œil qui embrasse la vérité nue et horrible (1).

Position singulière du gouvernement et du peuple des provinces autrichiennes, leçon effrayante pour d'autres peuples et pour d'autres gouvernemen's.

Quel est donc ce vainqueur dont les revers seraient le plus grand désastre et le désespoir des vaincus?

Quel est ce souverain qui tremble devant ses alliés, et qui ne trouvera le commencement de son salut que dans la consommation de sa défaite?

Voilà les signes, voilà les nouveaux et frappants caractères d'une guerre, d'une campagne, d'une victoire que la reconnaissance nationale, dont vous êtes les dignes organes, doit retracer, célébrer, développer.

Quelle source de méditation et d'enseignement! D'abord l'espoir et l'effroi que donnaient ces barbares s'est dissipé.

L'horreur seule en est demeurée aux amis et aux ennemis.

Trait remarquable, heureuse révélation qui confirme cette vérité déjà aperçue, que les lumières sont la grande force, que la civilisation n'est pas toujours amollissement et faiblesse;

Que les armes nouvelles, la tactique nouvelle, placent le soldat instruit fort au-dessus du barbare;

ui parle raconte ici ce qu'il a eu, ce qu'ont vu bres de la députation dont il faisait partie.

Que l'art et la discipline donnent une supériorité décidée sur le nombre et la férocité même valeureuse;

Que nos soldats sont en effet les premiers soldats du monde, par ce mode de recrutement qui donne à une grande nation des armées toujours dignes d'elle, toujours semblables à elle.

"Composition inappréciable, qui fait des soldats aussi doux aux citoyens que terribles à l'ennemi;

Qui rend toute désertion au dehors inconnue, impossible;

Qui naturalise au sein des camps la politesse des cités;

Qui agit même sur la santé du soldat dont l'honneur toujours actif, l'esprit toujours exercé, double la force, et par l'action de l'intelligence sur les organes, qui distingue éminemment l'homme de la brute, donne à des âmes invincibles des corps infatigables.

Que deviennent ces théories trop longtemps accréditées, qui, parmi nous, ont flétri le soldat d'un traitement inconnu au citoyen, ces systèmes avilissants qui plaçaient sa perfection dans le mérite d'une machine obéissante!

Misérables! ils avaient des Français, et ils voulaient faire des Russes!

Remarquons encore combien elle est convaincue d'erreur cette croyance si répandue au dehors et qui avait même jeté quelques racines au-dedans, que, l'élan révolutionnaire une fois passé, le soldat français serait comme tous les autres soldats; que l'ordre et la discipline attiédiraient l'énergie et dans la nation et dans l'armée, parce que l'énergie avait quelquefois éclaté aux dépens de l'ordre et de la discipline.

Le problème est résolu : la discipline et l'énergie, l'honneur et l'ordre, l'obéissance et l'enthousiasme, alliance universelle et désormais invariable chez le Français dans les camps et dans les cités.

Si l'armée donne l'exemple à la nation, ou la nation à l'armée, c'est le seul problème qui reste, et celui-là peut demeurer longtemps sans solution.

Mais ces éléments de force, de grandeur, de gloire, de vertu, répandus chez tous les Français, ils auraient été impuissants et stériles, où du moins ils n'auraient produit que des effets lents, pénibles, incertains, si tous ces moyens, tous ces germes n'avaient été fécondés, mis en œuvre, dirigées avec la rapidité de la foudre par un de ces chefs de nation et d'armée qu'une permission rare et expresse de la Providence fait naître égaux ou supérieurs aux circonstances qui les attendent à leur passage sur la terre.

Donc le résultat de la campagne, de la journée que nous célébrons, c'est la gloire de la France, le salut de l'Europe.

Les movens ont été :

La civilisation de l'Europe et de la France;
La composition de notre armée;

Les circonstances dont nous sortons, celles où nous sommes;

La tête et le bras de notre chef.

Voilà l'échelle d'idées et d'objets que doit parcourir notre pensée, notre reconnaissance.

Voilà ce que doit révéler au dernier âge le monument que vous préparez.

J'applaudis à cette idée heureuse d'un bon citoyen, de graver sur le bronze, d'offrir aux regards des contemporains et de la postérité ces bulletins de l'armée, cette histoire qui n'est comparable à nulle autre, écrite avec l'épée, pleine de vie, pleine d'instruction;

Tantôt attachante par la naïveté des récits, tantôt étonnante par là profondeur des réflexions qui les sillonnent.

Que ces tables sacrées se multiplient et se répètent dans toutes les parties de l'Empire.

Revivez-y pour une éternelle mémoire et pour une reconnaissance éternelle, noms chers à la France, Mas, Saint-Dizier, Morland, braves chefs de braves;

Toi, dans un rang moins élevé, âme sublime, intrépide Brard;

Jeune et sage Valhubert, dernière et intéressante victime offerte à la patrie dans les plaines d'Austerlitz;

Et toi, caractère si noble, esprit si cultivé, cher Lacuée, première rançon que nous avons payée à la victoire dans cette mémorable campagne (1).

Mais quoi, vous n'avez pas seulement honoré la France, vous avez sauvé l'Europe, et c'est le caractère particulier de votre gloire.

Que l'Europe participe à la reconnaissance, comme elle a participé au bienfait.

Napoléon l'a dit (2), ou plutôt il l'a fait : Paris est la capitale de l'Europe civilisée. Que des fêtes soient instituées sur un plan nouveau et grand comme son objet;

Que des prix soient proposés par nous à tous les arts, à toutes les sciences, à toutes les vertus dont l'Europe civilisée s'honore;

Que ces fêtes reviennent au bout d'un certain nombre d'années seulement, pour en mieux marquer l'importance et la majesté ;

Que toujours l'Empereur des Français les préside en personne;

Que de ses mains augustes il distribue les prix aux vainqueurs.

C'est là qu'à jamais, aux yeux des nationaux et des étrangers, les Empereurs qui succéderont à Napoléon seront obligés de répondre à un grand souvenir.

Précieux aiguillon d'émulation et de vertu. Vous aurez vos places dans ces grandes solennités, vous dont l'influence sur les mœurs, la présence dans les cérémonies publiques, est le gage le plus assuré, le prix le plus doux de la civilisation, le caractère de l'Europe entre toutes les régions de la terre, la France, entre toutes les contrées de l'Europe.

Des prix seront distribués aux arts, aux vertus qui vous sont propres.

Les prix remportés par les femmes, ainsi le veut la modestie de leur sexe, elles les recevront des mains de l'Impératrice des Français.

Et que puissent, pour l'embellissement des fêtes dont nos neveux seront témoins, toutes les Impératrices des Français ressembler à celle qui est aujourd'hui pour eux l'objet d'un amour si universel et si juste

Puissent-elles toutes porter sous un extérieur orné des grâces les plus touchantes une de ces âmes heureusement nées, que la bienveillance, la sensibilité, toutes les affections douces, remplissent si bien qu'il n'y reste plus aucune place pour les passions tristes, haineuses, vindicatives, qui troublent et désolent tant de cours et tant de sociétés!

Mais tarderai-je plus longtemps à saluer l'objet en quelque sorte principal, ce symbole de force, ce gage de puissance et de conservation que j'ai voulu surtout vous proposer d'honorer?

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Ils marcheront aux combats comme lui; ils verront, comme lui, de près, les maux de la guerre, pour les abréger par les conceptions du génie et les mesures de la sagesse.

Tant que leur cœur palpitera à la vue du lieu qui contiendra ce dépôt sacré, il n'y aura rien à craindre pour la dynastie ni pour la France.

Mais quel sera le lieu de ce dépôt solennel, précieux, unique ?

Quel sera l'emplacement de ces tables héroïques à l'aspect desquelles le conscrit brûlera de rejoindre ses drapeaux, le magistrat s'enflammera d'un nouvel amour pour la patrie, à l'aspect desquelles l'ambassadeur d'un monarque insensé qui voudrait recommencer la grande erreur de la maison d'Autriche, sentirait déjà la mort dans son sein, et, retournant vers son maître, lui porterait d'avance son arrêt?

Où contemplerons-nous, où ferons-nous contempler à l'étranger ces objets du culte de l'honneur?

C'est ici que je diffère essentiellement de ceux qui m'ont précédé à cette tribune.

Mon opinion est précise, et j'y tiens, je l'avoue, avec une forte conviction.

Rappelez-vous, Messieurs, quel fut le premier soin de l'Empereur après le premier combat qui ouvrit si glorieusement la campagne de la grande armée? quel, après la bataille décisive, la victoire européenne, comme il l'appelle avec raison, qui a mís un terme si glorieux à cette campagne merveilleuse?

A qui a-t-il écrit pour célébrer sa gloire et celle de sa brave armée?

Ignore-t-il quel enthousiasme animait tous les magistrats, électrisait tous les citoyens? Il a écrit aux évêques.

C'est dans le lieu saint qu'il a voulu qu'on célébrât sa victoire.

Il l'a rapportée tout entière au Dieu qui la lui avait donnée.

Par là combien il s'en est rendu plus digne! Aussi, dans cet état de triomphe où l'ivresse s'empare des âmes ordinaires, et attaque quelquefois les plus grandes âmes;

Où l'orgueil, assouvi par tous les sens, laisse éclater tout ce qui remue au fond des cœurs, quel calme, quelle magnanimité, quelle modération! Reconnaissons-en la source pure et sacrée.

La terre tremble devant lui; il s'abaisse devant Dieu, lui fait hommage de sa victoire, et il en reçoit en échange quelque chose de plus rare, de plus difficile, de plus grand que la victoire même.

Coulez, larmes généreuses, sur le sang qui a été versé; ce sang, le génie l'épargne, la vertu le pleure.

Relevez-vous, ennemi humilié, monarque déjà dépouillé et tant de fois battu en quelques jours.

Utile entretien, précieuses semences, puissiezvous n'être pas perdues pour un princé né ver

tueux et personnellement digne d'une meilleure fortune!

Partez, Repnin, retournez à la tête des braves, plus honorés de leur défaite qu'ils n'ont jamais pu l'être d'aucun triomphe; allez dire à votre maitre quel noble adversaire il est venu provoquer de si loin et si gratuitement.

Oh! pourquoi ce jeune Alexandre n'a-t-il pu recevoir à son tour de cette bouche victorieuse des renseignements salutaires, ineffaçables! L'ombre du magnanime et infortuné Paul serait venue se placer entre eux; et quel poids elle eut donné aux paroles de Napoléon, pour le bonheur du monde ! Messieurs, la vertu purement humaine a quelquefois des efforts admirables: mais cette constante sagesse, cette modération non démentie, cette infatigable longanimité, avouons que ces vertus appartiennent à un principe d'un ordre supérieur.

Attribuons-les avec franchise à l'esprit de la religion, et de la religion chrétienne; elle seule a pu inspirer tant de détails qui nous pénètrent de tendresse pour celui qui nous terrassait d'admiration.

Nous voulons que le monument où sa gloire sera consacrée soit durable comme elle, comme notre amour, transmis à nos derniers neveux.

Vous l'avez vu, les monuments religieux sont les seuls qui se soutiennent ou se relèvent; les solennités religieuses, les seules qui ne se perdent jamais.

Tel est sans doute l'ordre d'en haut; mais ce n'est pas par prévoyance seulement et par intérêt qu'il faut associer avec une étroite fidélité la reconnaissance à la religion.

C'est par la reconnaissance même que nous devons à cette religion, et qu'il serait aussi injuste de ne pas s'avouer à soi-même, qu'il serait impolitique de s'en interdire l'aveu authentique.

Observez et voyez que l'esprit du christianisme s'est tellement insinué dans toutes les habitudes de la vie et dans tous les détails de la société moderne, qu'il gouverne à leur insu ceux-là mêmes qui font l'imprudente profession d'en étre les ennemis.

Tel qui n'est pas chrétien dans ses paroles, ni peut-être dans sa foi, l'est tous les jours dans ses mœurs, dans ses moindres actions, dans les mouvements spontanés de sa pensée.

J'entends me renfermer dans les développements nécessaires aux vues que je vous propose, et je dis :

C'est le christianisme qui, en nous délivrant de la tyrannie extrême, nous affranchit aussi de l'extrême adulation.

A quelque excès que nous portions nos hommages pour un de nos semblables, jamais nous ne nous arrêtons à lui, et notre encens s'ennoblit, s'épure et se légitime en s'élevant.

Edifier un temple, un monument à un autre qu'à Dieu; l'en exclure, ou même ne pas l'appeler expressément en partage de notre encens, c'est du paganisme, c'est de l'idolâtrie, ou c'est un vague stérile, une confusion d'idées indigeste et inexplicable.

Je sais qu'autrefois on élevait un temple, des autels à Auguste, à d'autres bien plus indignes encore. Le plus méchant prince, s'il était habile, savait qu'il serait applaudi dans sa vie, déifié à sa mori, et il avait l'exemple de ses plus détestables prédécesseurs.

Que résultait-il de ce système, ou plutôt de cette absence de tout système?

Une abjection pour l'humanité, dont les temps

modernes n'offrent heureusement plus d'exemples: Un orgueil, une tyrannie, une démence sur le trône, auxquels les pires excès de princes les plus abandonnés ne présentent plus rien de semblable.

Un Caligula parricide et incestueux pouvait-il être repris au nom de ses dieux incestueux et parricides, au nom de lui-même qui allait le devenir, et de Tibère qui l'était déjà ?

La liberté, la vérité, au contraire, se réfugieraient encore dans nos temples chrétiens, si elles n'avaient point d'autre asile sur la terre, et les philosophes viendraient y adorer leurs derniers oracles.

Leur asile y sera inexpugnable tant que les princes feront profession ouverte du christianisme. Observons done d'honorer specialement les rois dans le seul lieu de la terre où l'on dira toujours la vérité aux rois.

C'est là que la leçon est toujours à côté de l'hommage.

C'est là qu'on leur commande au nom de Dieu d'écouter et d'être attentifs; qu'on leur répète sans cesse d'être parfaits comme le Père céleste est parfait.

C'est là qu'un orateur sacré, devant la dépouille récente d'un prince chargé pendant quarante ans du nom de grand, commence par ces mots sinples et sublimes Dieu seul est grand.

C'est là qu'une fois l'année retentit aux oreilles les plus délicates et les plus superbes cet avertissement sévère : Souviens-toi que tu es homme et poussière, et que la poussière l'attend.

Dans cet état mitoyen connu seulement dans les sociétés modernes, dans cet état dont l'indépendance et le bonheur sont des bienfaits du christianisme, on peut, humainement parlant, l'oublier ou le méconnaitre en quelque sorte avec impunité.

Mais aux deux points extrêmes de la société, parmi ceux qui souffrent et ceux qui peuvent faire souffrir, il faut que la religion soit toujours présente et visible, ici comme espoir, là comme crainte.

Aussi la masse populaire et ceux qui gouvernent s'entendront toujours, se répondront et se rallieront sans peine au nom de Dieu.

J'insiste donc sur ce point, que l'hommage principal soit décerné là où Dieu sera et où il recevra lui-même le premier encens.

Vous me direz Dieu est partout, je le sais ; mais les vérités les plus communes, comme les idées les plus sublimes, s'évaporent promptement si vous ne leur donnez un corps, si vous ne les attachez à des choses matérielles et sensibles.

Je n'exige pas que les trésors et les arts s'épuisent à élever un monument nouveau; je suis trop impatient de jouir et de bénir.

Tous les temples chrétiens sont également propres à mon dessein.

Toutefois je n'ai garde de m'opposer à ce que vous appeliez à vous tous les efforts et tous les arts, soit pour achever, soit pour orner et consolider un édifice commencé ou presque parfait, pourvu qu'on voie le terme de l'attente, qu'on puisse fixer à peu près l'époque de la première solennité.

Un noble édifice commencé termine le beau point de vue du pont de la Concorde.

The basilique superbe s'élève et domine Paris; elle semble appeler le Français et l'étranger à ses

solennités.

La douce Geneviève, antique patronne de la bonne ville, partageant ses tabernacles avec

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