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est forcé de reconnaître aussi qu'il peut être trompé, ou même se tromper; or, dans cette dernière hypothèse, il est lésẻ.

Aussi Pothier veut-il que la rescision lui soit accordée; et d' Aguesseau, qui écrivait avant que la jurisprudence fût fixée, est de la même opinion.

Depuis, la jurisprudence est devenue uniforme, et les acheteurs lésés ont obtenu la rescision.

Le citoyen Tronchet dit qu'il ne s'oppose pas à ce que l'action en rescision soit accordée aux acheteurs lorsqu'ils se trouvent lésés; mais que, pour rendre cette disposition juste, il faut la restreindre par un amendement.

Il arrive en effet, assez souvent, qu'un propriétaire qui désire s'agrandir sollicite le propriétaire voisin de lui céder une partie de sa chose. Celui-ci se détermine avec peine : l'acheteur le décide en lui offrant des conditions trèsavantageuses. Il ne serait pas juste que, dans ces circonstances, il pût se faire restituer.

Le Premier Consul dit qu'en accordant l'action en rescision à l'acheteur lésé, on embarrassera souvent les propriétés.

Un particulier, qui a le projet d'établir une manufacture, achète un terrain où il trouve un courant d'eau dont il a besoin pour son entreprise. Les circonstances changent; il ne réalise pas ses projets, ou il vient à mourir lui-même ou ses héritiers viennent alléguer qu'ils ont payé ce terrain cinq fois sa valeur, et demandent la restitution. Le vendeur cependant s'est défait des terres voisines; il les a aliénées à un prix inférieur à celui qu'elles auraient eu si l'héritage eût été entier, et il s'y est déterminé par l'indemnité que lui offrait la première vente. Il est évident que, dans cette hypothèse, la rescision du contrat ne le replacerait pas dans la position où il se trouvait.

On voit, par cet exemple, que si l'on accordait la rescision à l'acheteur, ce ne pourrait être qu'en distinguant entre les divers cas; ce qui rendrait la loi très-confuse, en même temps qu'incomplète, car il serait impossible de prévoir ni de saisir toutes les distinctions qu'exigerait l'équité.

Il n'en est pas de même de la rescision accordée au vendeur; elle ne porte jamais préjudice à l'acheteur; son intérêt et sa volonté sont d'avoir la chose qu'il a achetée. Si la rescision la lui ôtait, elle serait mauvaise et injuste; mais elle la lui laisse, et ne l'oblige qu'à en payer le véritable prix.

La loi qui accorderait la rescision à l'acheteur blesserait les intérêts du fisc, en ouvrant la porte aux fraudes. Le prix réel de la vente ne serait plus exprimé dans les contrats; le vendeur exigerait que ce qui est au delà de l'exacte valeur de la chose fut donné par forme de pot-de-vin.

Enfin, un dernier inconvénient serait que, si le prix exprimé dans le contrat n'est plus certainement le véritable prix, on ne saurait pas quelle valeur donner à l'héritage dans les partages de famille.

La proposition d'accorder à l'acheteur l'action. en rescision est rejetée.

Le Conseil adopte l'article 104.
Les articles 105 et 106 sont adoptés.
La séance est levée.

Pour extrait conforme :
Le secrétaire général du Conseil d'Etat,
J. G. LOCRÉ.

SÉANCE

DU 12 PLUVIOSE AN XII DE LA RÉPUBLIQUE. (Jeudi 2 février 1804).

Le Premier Consul préside la séance. Le second et troisième Consul sont présents. Le citoyen Gally annonce que le titre III du livre II du projet de Code civil, de l'usufruit, de l'usage et de l'habitation, a été décrété par le Corps législatif, dans sa séance du 9 pluviose.

Le citoyen Berlier annonce que le titre IV du livre II du projet de Code civil, des servitudes ou services fonciers, a été décrété par le Corps législatif, dans sa séance du 10 pluviôse.

LIVRE III. TITRE III.

DES ENGAGEMENTS QUI SE FORMENT SANS CONVENTION.

Exposé des motifs.

Le citoyen Treilhard', nommé par le Premier Consul, avec les citoyens Foureroy et Laumond, pour présenter au Corps législatif, dans sa séance du 9 pluviose, le titre III du livre III du projet de Code civil des engagements qui se forment sans convention, et pour en soutenir la discussion dans sa séance du 19 du même mois, dépose sur le bureau l'exposé des motifs de cé titre.

Get exposé est ainsi conçu :

«Citoyens législateurs,

« Le titre du Code civil que le Gouvernement vous présente aujourd'hui ne contient qu'un petit nombre d'articles: il a pour objet les engagements qui se forment sans convention.

« Une société politique serait bien imparfaite, si les membres qui la composent n'avaient entre eux d'autres engagements que ceux qu'ils auraient prévus et réglés par une convention.

« Quel est celui qui pourrait se flatter de lire dans les profondeurs de l'avenir tous les rapports que les événements établiront entre lui et ses concitoyens? Et quelle opinion devrait-on se former de la sagesse d'un législateur qui laisserait les hommes errants, sans guide et sans boussole, dans cette vaste mer dont personne ne sonda jamais les abîmes?

« Que le philosophe recherche si l'homme est sorti bon des mains de la nature; le législateur ne saurait ignorer que les passions ont trop souvent étouffé la raison et fait taire la bonté.

«La loi doit donc vouloir pour nous ce que nous voudrions nous-mêmes si nous étions justes, et elle suppose entre les hommes, dans les cas imprévus, les obligations nécessaires pour le maintien de l'ordre social.

« Voilà le principe des engagements qui se forment sans convention.

« Ces engagements peuvent être considérés sous deux rapports: ou ils résultent de la seule autorité de la loi, ou ils ont pour cause un fait personnel à celui qui se trouvé obligé.

« Les engagements des tuteurs, obligés en cette qualité, quoiqu'il n'ait pas été en leur pouvoir de la refuser; les engagements des voisins, obligés entre eux à raison de leur seule position et sans aucun acte de leur volonté particulière, sont dans la première classe. Ces obligations et les autres de la même nature prennent leur racine dans les besoins de la société.

« Quel serait le sort d'un malheureux, privé des soins paternels dans sa plus tendre enfance,

si la loi ne réparait pas envers lui les torts de la nature?

« Où serait la garantie des propriétés, si nos voisins pouvaient jouir de la leur d'une manière qui compromettrait la nôtre? L'autorité du législateur a dù y pourvoir. Mais les engagements de cette espèce ne sont pas l'objet du présent titre; les règles qui les concernent sont répandues dans les diverses parties du Code: il s'agit dans ce moment des engagements qui se forment par le fait d'une seule personne. Un projet de loi vous fut présenté, il y a peu de jours, sur les engagements qui résultent du concours des volontés de toutes les parties intéressées ici nous ne nous occupons que des engagements qui naissent d'un fait, et sans qu'il intervienne aucune convention.

:

« Les faits qui peuvent donner lieu à ces engagements sont, ou permis ou illicites.

« Les faits permis forment ce qu'on a appelé des quasi-contrats; les faits illicites sont des délits ou des quasi-délits : cette division fournit la matière de deux chapitres.

«Dans les contrats, c'est le consentement mutuel des parties contractantes qui produit entre elles l'obligation.

« Dans les quasi-contrats, au contraire, comme dans les délits et les quasi-délits, l'obligation, ainsi que je l'ai déjà observé, résulte d'un fait : c'est la loi qui le rend obligatoire. Les engagements de cette espèce sont fondés sur ces grands principes de morale si profondément gravés dans le cœur de tous les hommes, qu'il faut faire aux autres ce que nous désirerions qu'ils fissent pour nous dans les mêmes circonstances, et que nous sommes tenus de réparer les torts et les dommages que nous avons pu causer.

« Les dispositions dont vous entendrez la lecture sont toutes des conséquences plus ou moins éloignées, mais nécessaires, de ces vérités éternelles.

«< Ainsi celui qui, volontairement et sans mandat, gère l'affaire d'autrui, s'oblige par ce seul fait à continuer sa gestion jusqu'à ce que l'affaire soit terminée il est tenu d'y porter les soins d'un bon père de famille.

«N'est-ce pas là en effet ce qu'il exigerait pour lui dans la même position? Si c'est une action louable de prendre en main l'affaire d'un absent, cet acte de bienfaisance ne serait-il pas une véritable trahison, si, après avoir commencé de gérer, après avoir peut-être prévenu et écarté, par une diligence apparente, des amis plus éclairés et plus solides, l'on pouvait abandonner l'affaire sans l'avoir terminée, ou si on ne la suivait qu'avec une incurie fatale au propriétaire ?

«En prenant la gestion d'une affaire, on contracte donc nécessairement l'obligation de la finir; et s'il ne faut pas glacer le zèle des amis par trop d'exigence, il ne convient pas moins de se garantir de ces officieux indiscrets, si actifs quand il s'agit d'offrir des services, si prompts à se mettre en mouvement, mais dont l'ardeur se calme avec la même promptitude, et dont les empressements seraient une véritable calamité, si la loi ne les chargeait pas de toutes les suites de leur légèreté et de leur inconstance.

«En forçant celui qui s'est ingéré dans une affaire à la terminer, il est aussi bien juste, lorsqu'il l'aura gérée avec loyauté, qu'il puisse réclamer l'indemnité de tous les engagements qu'il aura pris, et le remboursement de toutes les dépenses utiles et nécessaires qu'il aura faites.

« Cette indemnité, ce remboursement, sont une obligation étroite et sacrée pour celui dont on a

géré l'affaire; obligation qui résulte du fait seul de la gestion, et qui se forme sans le consentement et même à l'insu de celui qui est obligé.

« Je ne m'attacherai pas à prouver la sagesse de dispositions si constamment fondées sur l'équité naturelle; il ne serait pas moins superflu de m'arrêter sur les autres articles du chapitre 1er. Qui pourrait en effet contester que celui qui a reçu une somme, ou toute autre chose qui ne lui était pas due, est obligé par le fait à la rendre; que celui qui l'a reçue de mauvaise foi est responsable même des cas fortuits; que celui à qui la chose est restituée doit, de son côté, tenir compte des dépenses nécessaires et utiles faites pour sa conservation?

«Toutes ces propositions sont d'une évidence à laquelle il n'est permis à personne de se refuser.

« Les dispositions du chapitre 1, des délits et des quasi-délits, ne sont pas moins nécessaires, moins justes, moins incontestables.

« Celui qui, par son fait, a causé du dommage est tenu de le réparer; il est engagé à cette réparation, même quand il n'y aurait de sa part aucune malice, mais seulement négligence ou imprudence c'est une suite nécessaire de son délit ou quasi-délit. Il offrirait lui-même cette réparation, s'il était juste, comme il l'exigerait d'un autre, s'il avait éprouvé le dommage.

་་

Dirai-je que de graves docteurs ont mis en question si un interdit pour cause de prodigalité s'oblige de réparer les torts causés par ses délits? Dirai-je que quelques-uns ont eu le courage de décider qu'il n'était pas tenu de cette réparation; qu'il pouvait, à la vérité, compromettre par son délit sa liberté, même sa vie, mais qu'il ne pouvait pas compromettre sa fortune, parce que toute aliénation lui est interdite?

« Vous croirez sans peine, citoyens législateurs, que nous n'avons pas dû supposer qu'une pareille question pût s'élever de nos jours, et vous nous approuverez de n'avoir pas fait à notre siècle l'injure de la décider.

«Le principe une fois établi, nous n'avons eu qu'une disposition à ajouter c'est qu'on est responsable non-seulement du dommage qu'on a causé par son propre fait, mais encore de celui qui a été causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

« La responsabilité des pères, des instituteurs, des maîtres, est une garantie et souvent la seule garantie de la réparation des dommages; sans doute elle doit être renfermée dans de justes limites. Les pères ne répondront que du fait de leurs enfants mineurs et habitant avec eux; les maîtres, que du fait des domestiques dans les fonctions auxquelles ils sont employés; les instituteurs, les artisans, que des dommages causés pendant le temps que les élèves ou les apprentis sont sous leur surveillance.

« Ainsi réglée, la responsabilité est de toute justice. Ceux à qui elle est imposée ont à s'imputer, pour le moins, les uns de la faiblesse, les autres de mauvais choix, tous de la négligence: heureux encore si leur conscience ne leur reproche pas d'avoir donné de mauvais principes et de plus mauvais exemples!

«Puisse cette charge de la responsabilité rendre les chefs de famille plus prudents et plus attentifs! Puisse-t-elle faire sentir aux instituteurs toute l'importance de leur mission! Et puissent les pères surtout se pénétrer fortement de l'étendue et de la sainteté de leurs devoirs! La vie que

nos enfants tiennent de nous n'est plus un bienfait, si nous ne les formons pas à la vertu, et si nous n'en faisons pas de bons citoyens. »>

LIVRE III.

TITRE X.

DU CONTRAT DE MARIAGE ET DES DROITS RESPECTIFS DES ÉPOUX.

Exposé des motifs.

Le citoyen Berlier, nommé par le Premier Consul, avec les citoyens Portalis et Treilhard, pour présenter au Corps législatif, dans sa séance du 10 pluviose, le titre X du livre III du projet de Code civil, du contrat de mariage et des droits respectifs des époux, et pour en soutenir la discussion dans sa séance du 20 du même mois, dépose sur le bureau l'exposé des motifs de cé projet.

Cet exposé est ainsi conçu :

« Citoyens législateurs,

« L'une des lois que vous avez portées dans votre dernière session détermine les conditions requises pour le mariage, en règle les formes, et statue sur les droits et devoirs principaux qu'établit entre les époux le lien justement révéré qui est le fondement des familles et de la société.

« Cette loi s'est occupée de tout ce qui touche à l'état civil des époux, et a laissé à d'autres dispositions du Code le soin de régler ce qui regarde les conventions que les époux peuvent établir par rapport à leurs biens, et les droits que, dans leur silence, la loi doit suppléer.

"

C'est ce complément que renferme le projet que nous vous apportons aujourd'hui, intitulé du contrat de mariage et des droits respectifs des époux.

« Dans cette importante matière, le Gouvernement a dû ne rien admettre qui pût blesser l'institution fondamentale, fût-on capable de ralentir cet heureux élan que la nature elle-même a pris soin d'imprimer aux hommes en les dirigeant vers le mariage.

་་

Ainsi, point d'inutiles entraves; car si la volonté doit essentiellement présider aux contrats, c'est surtout lorsqu'il s'agit de conventions matrimoniales.

« Cependant cette volonté doit être limitée en quelques circonstances, éclairée toujours et suppléée quelquefois.

«De là la nécessité d'une loi; puisse celle dont nous vous offrons le projet, remplir les vues qu'on s'est proposées!

« Pour bien comprendre et surtout pour juger ses dispositions, il n'importe pas seulement de connaître le dernier état de notre législation sur les rapports qui existent entre les époux quant aux biens; mais il ne sera pas inutile peut-être de remonter à la source de cette législation, et de porter un coup d'œil général sur cette partie de notre droit.

"

Ici, comme en beaucoup d'autres matières, il serait difficile de ne point citer Rome et ses lois. Les femmes, qui y furent longtemps incapables de succéder, ne pouvaient rien apporter à leurs maris ceux-ci les prenaient sans biens; ils les recevaient de leurs familles sous la formule d'une vente, et ce contrat fut appelé mariage par achat. << Mais cet état de choses cessa quand les femmes furent rendues habiles à succéder alors s'établit le régime dotal, dont les principaux effets consistèrent à donner les fruits de la dot au mari pour soutenir les charges du mariage, en frappant d'inaliénabilité les immeubles dotaux de la

femme, et en laissant à celle-ci la pleine disposition de tout ce qui n'avait point été stipulé dotal.

« Cette règle de l'inaliénabilité des fonds dotaux de la femme fut puisée dans cette considération d'ordre public qui devint une maxime, interest reipublicæ dotes mulierum salvas esse.

«Dans ce dernier état de la législation romaine, la séparation entière des deux patrimoines fut le but constant de ses dispositions : la femme devait, à la dissolution du mariage, recouvrer le principal de sa dot; elle conservait, pendant le mariage, la disposition de ses biens paraphernaux, et demeurait étrangère à tout le reste.

« Cet isolement des intérêts respectifs était en harmonie avec les autres institutions du peuple qui nous a transmis un si grand nombre de ses lois. « Celle-ci, pourtant, est loin d'avoir obtenu un succès général en France.

« Je n'entreprendrai point la recherche de l'époque précise où la communauté conjugale s'introduisit dans un grand nombre de nos provin

ces.

« Le voile qui couvre cette origine, comme tant d'autres, n'a pas besoin d'être levé pour fixer nos résultats.

« Il serait sans doute difficile de déterminer le degré d'influence que purent obtenir soit le régime dotal, soit la communauté, quand les lois étaient sans territoire, et lorsque le Romain, le Franc, le Bourguignon et le Gaulois, quoique habitant le même pays, étaient jugés chacun selon les lois personnelles qui pouvaient les régir d'après le seul titre de leur origine; ce qui a fait dire à Montesquieu que le territoire était le même, et les nations diverses.

<< Sans recourir à de vagues hypothèses, il est du moins certain que la communauté conjugale était déjà et depuis longtemps dans les habitudes d'une grande partie de la nation française, lorsque nos coutumes furent rédigées par écrit, et vinrent toutes (à l'exception de celles de Normandie, Reims et Auvergne) consacrer, chacune dans leur ressort, la communauté comme une loi territoriale qui devenait le droit commun de quiconque n'y avait pas formellement dérogé.

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Tel est le dernier état des choses qui nous laisse apercevoir la France divisée sur ce point en deux grandes parties, se composant, l'une des pays appelés de coutume, et l'autre des pays restés fidèles au droit romain; les premiers vivant sous le régime de la communauté, et les seconds sous le régime dotal.

« Dans une telle situation, on comprend combien de ménagements exige la matière que nous traitons; car loin de heurter les habitudes qui ne nuisent point au corps social, celui-ci doit, sans distinction de lieux, inviter les citoyens au mariage; et cet appel de la patrie sera d'autant mieux reçu, que chacun pourra plus librement régler ses conventions matrimoniales.

Que la plus grande liberté y préside donc, et qu'elle n'ait d'autres limites que celles que lui assignent les bonnes mœurs et l'ordre public; car rien en cette matière ne doit être spécialement commandé; mais ce qui serait contraire à l'ordre public peut et doit être positivement défendu.

« C'est d'après ces vues que notre projet exprime, dans ses dispositions générales, que les époux ne peuvent déroger ni aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, ou qui appartiennent au mari comme chef, ni aux droits conférés au survivant des époux par le titre de la puissance paternelle

et par le titre de la minorité, de la tutelle et de l'émancipation; et c'est dans les mêmes vues que toutes conventions tendantes à intervertir l'ordre légal des successions sont spécialement défendues.

« Mais sera-t-il aussi défendu de stipuler, en termes généraux, que les droits des époux seront réglés selon telle ancienne loi ou coutume?

Cette disposition qui, au premier coup d'œil, ne semble renfermer rien de contraire à l'ordre social, aurait cependant l'inconvénient majeur de perpétuer comme lois de l'Etat cette foule d'usages divers qui couvraient le territoire français.

«Le but du Code civil serait totalement manqué, s'il pouvait en être ainsi notre projet défend donc de tels référés, sans néanmoins porter atteinte à la faculté qui appartient aux époux de stipuler spécialement, et sauf les limites ci-dessus indiquées, tout ce qui leur conviendra.

Cependant, comme cette spécification même, si elle devait s'appliquer à toutes les parties d'un grand système, serait presque toujours accompagnée de graves difficultés, il a été jugé non-seufement commode, mais utile pour les citoyens, de tracer séparément et les règles qui s'adaptent le mieux au régime de la communauté, et celles qui ont paru le mieux convenir au régime dotal.

« Ces règles, posées dans deux chapitres distincts, et parallèlement, auront pour avantage certain d'offrir aux citoyens une collection de principes auxquels ils pourront se référer en termes généraux; et s'ils veulent y déroger en quelques points, le soin du rédacteur se bornera à exprimer les modifications dictées par la volonté particulière des contractants.

"

« Jusqu'à présent, citoyens législateurs, la marche de notre projet est simple et facile; mais il faut aborder une difficulté plus sérieuse.

« Nous n'avons vu encore que des époux stipulant leurs intérêts avec toute la liberté que la matière réclame, adoptant l'un des deux systèmes qui leur sont offerts, ou les modifiant selon leur volonté.

Mais il fallait apercevoir aussi le cas assez fréquent où nulles conventions particulières n'auront précédé l'acte civil du mariage.

«En l'absence de toutes conventions, la loi doit nécessairement régler les droits respectifs des époux, ou, en d'autres termes, il doit y être pourvu par un droit commun quelconque; mais quel sera-t-il?

« On avait à se décider ici entre les deux systèmes que j'ai exposés: car il n'était pas possible, sans renverser toutes les idées d'uniformité, d'établir un droit commun qui ne fût pas le même pour toute la République; il était nécessaire d'opter, et le plus mûr examen a présidé au choix qu'a fait le projet.

<< Sans doute le régime dotal pourvoit mieux à la conservation de la dot, puisqu'il en interdit l'aliénation.

« Sans doute aussi il présente quelque chose de plus simple que la communauté voilà ses avantages; mais la communauté a aussi les siens.

« D'abord l'union des personnes ne conduit-elle pas à la société des biens, et la communauté des travaux n'établit-elle point la communauté des bénéfices?

« A la vérité, quelques personnes ont voulu rapporter au mari seul les bénéfices, comme provenant presque exclusivement de son propre travail; mais cette proposition est-elle bien vraie, et doit-elle surtout s'appliquer à la classe nombreuse des artisans et des agriculteurs? Leurs

femmes ne travaillent-elles pas autant qu'eux, et ne sont-elles pas ordinairement plus économes ? Et comme c'est principalement dans cette classe qu'on se marie sans contrat, n'est-ce pas elle que le législateur doit avoir en vue quand il établit un droit commun précisément pour le cas où il n'y a point de contrat?

Au surplus, si l'on examine la question d'une manière plus générale, on trouvera qu'un grand nombre de femmes, autres que celles dont nous venons de parler; contribuent aux bénéfices, sinon par des travaux semblables à ceux de leurs maris, du moins par les capitaux qu'elles ont versés dans la communauté, et par les soins qu'elles prennent du ménage.

« Mais d'ailleurs cette société serait-elle la seule où l'on exigeât une mise parfaitement égale, et la femme devrait-elle rester sans participation aux bénéfices, parce qu'elle n'y aurait pas contribué autant que son mari?

<< Laissons ces froids calculs, et revenons à ce que prescrit, en cette matière, la simple qualité d'époux, en l'absence de toutes conventions; car alors c'est la nature des choses qui exerce son empire, et certes elle ne saurait prononcer la séparation des intérêts pécuniaires de toute espèce entre personnes aussi étroitement unies que le sont un mari et une femme.

Jusqu'ici je n'ai examiné la communauté que sous les rapports de la justice; mais ce régime a paru aussi plus favorable à l'ordre social et plus conforme au caractère national.

<< Loin de nous l'idée d'imprimer aucun caractère de réprobation au régime dotal; nous avons indiqué ses avantages, et le projet lui réserve une place honorable parmi ses dispositions: cependant si l'on calcule la juste influence des deux régimes sur l'union conjugale, on devra trouver sous l'un plus de froides compagnes, et sous l'autre plus de femmes affectionnées et attachées par leur propre intérêt aux succès communs.

« Disons aussi que les mœurs françaises sont généralement plus en harmonie avec le régime de la communauté, et que peut-être les femmes n'ont acquis chez nous la juste considération dont elles jouissent que par ce titre d'associées, qui, en leur imprimant plus de dignité, ne saurait être sans influence sur le bonheur domestique.

« Comment d'ailleurs pourrait-on méconnaître la tendance de l'esprit national vers la communauté conjugale, quand on voit que les stipulations de sociétés d'acquêts étaient devenues trèscommunes, même dans plusieurs ressorts soumis au régime dotal?

«Tant de considérations ne pouvaient être impuissantes sur l'esprit du Gouvernement, et il croit avoir répondu au vœu de la nation, en lui présentant la communauté non comme un système absolu qu'il faille suivre, mais comme la loi qui régit les époux quand ils ne l'ont pas exclue.

« Cette disposition du projet, l'une des plus importantes du chapitre er, est suivie de deux autres dont l'utilité sera facilement sentie.

« L'une porte que toutes conventions matrimoniales seront rédigées avant le mariage, devant notaire.

« L'autre interdit tout changement après la célébration du mariage, et prescrit la manière dont les changements faits antérieurement devront être constatés pour être valables.

« Ces dispositions, communes aux deux régimes que nous venons d'examiner, ont eu pour objet d'empêcher, dans l'un et dans l'autre, des

fraudes envers les tiers, telles que celles dont le passé n'a offert que trop d'exemples.

« Le Gouvernement entre certainement dans vos vues, toutes les fois qu'il enlève à la mauvaise foi quelques-uns de ses nombreux asiles, ou qu'il en rend l'accès plus difficile.

« Je viens, citoyens législateurs, de vous exposer les dispositions générales comprises au chapitre 1er de notre projet de loi; mais je n'ai rempli qu'une très-faible partie de ma tâche et je dois maintenant vous faire connaître la route qu'on a suivie pour organiser soit le régime en communauté, soit le régime dotal, objet des chapitres II et in.

« Le régime en communauté se divise luimême en deux parties : l'une relative à la communauté légale (c'est celle qui a lieu quand les parties se sont mariées sans contrat); l'autre relative à la communauté conventionnelle, ou modifiée par des conventions particulières.

De la communauté légale.

« Ces puissantes considérations ont dicté les dispositions de notre projet, contre lesquelles on objecterait vainement que souvent le mobilier peut être d'un grand prix; car s'il en est ainsi, et que cette considération influe sur les parties, elles stipuleront ce qui leur conviendra le mieux; cette faculté ne leur est point ravie; mais le droit commun pécherait par là base, s'il se réglait sur quelques situations particulières, et non sur les cas généraux.

« Ainsi les meubles présents et futurs entreront dans la communauté, et par la même raison, les dettes mobilières respectives seront à la charge de cette communauté, soit qu'elles existent au moment du mariage, soit qu'elles dépendent de successions ou de donations échues pendant son

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Cependant une succession ou une donation peut être ou purement mobilière ou totalement

de l'une et de l'autre espèce; et ces cas divers doivent trouver chacun des règles qui leur soient

« Il n'entre pas dans mon plan, citoyens légis-immobilière, ou composée d'objets qui participent lateurs, de fixer successivement votre attention sur chaque article du projet; il en est beaucoup dont l'extrême simplicité ou la justice évidente.propres et qui, sans grever la communauté au repousse tout commentaire.

«Je me bornerai donc à motiver les vues principales du système, et si je m'arrête sur quelques dispositions d'un ordre secondaire, je ne le ferai qu'autant qu'elles porteront sur des points coatroversés ou qu'elles seront nécessaires pour l'explication ou l'intelligence du plan général.

« De quoi la communauté se composera-t-elle? Par qui et comment sera-t-elle administrée? Comment se dissoudra-t-elle? Et quels seront, après sa dissolution, les droits des époux, et principalement ceux de la femme? Telles sont les matières dont je vais vous entretenir.

« Je reprends successivement ces diverses questions.

«De quoi la communauté légale se composera-telle?

« Dans le dernier état des choses, les coutumes variaient entre elles sur la composition de cette communauté dans quelques-unes, la communauté ne portait que sur les acquêts; mais, daus le plus grand nombre, elle embrassait les meubles comme les acquêts.

Cependant les meubles mêmes étaient régis diversement par les diverses coutumes: ainsi, dans plusieurs, la communauté ne profitait que des meubles existants lors du mariage, tandis qu'ailleurs on ne faisait nulle distinction entre les meubles existants lors du mariage et ceux qui échéaient pendant son cours.

<< Notre projet a adopté cette dernière vue; et si vous lui accordez votre sanction, la communauté conjugale embrassera, outre les acquêts, les meubles respectifs des époux, présents et futurs; car, en toute institution, le but du législateur doit être d'éviter les embarras qui deviennent euxmêmes des sources de discorde.

"Que l'on admette des distinctions en cette matière, et l'on ne pourra plus y faire un pas sans inventaire. Que d'embarras dans cette seule obligation, et que de difficultés dans le récolement Reconnaîtra-t-on facilement, après un long usage, les meubles qui auront appartenu au mari ou à la femme, et qui auront été longtemps confondus? Et si, à défaut de documents écrits, il faut arriver par la preuve vocale à la connaissance de ce qui appartient à chacun, où en sera-t-on ? Que deviendront surtout le bonheur et le repos des familles ?

delà de son émolument, assurent aux tiers l'exercice de leurs droits légitimes, et aux époux de suffisantes indemnités quand il y a lieu. Notre projet y a pourvu.

« Je passe à la seconde question.

«Par qui et comment la communauté sera-t-elle administrée ?

« Sans doute il est inutile d'énoncer que le mari sera seul administrateur légal de la communauté; cette qualité ne pouvait être conférée qu'à lui.

« Ainsi il pourra seul vendre, aliéner et hypothéquer les biens de la communauté.

« Ainsi la femme (à moins qu'elle ne soit marchande publique) ne pourra s'obliger ni exercer aucune action, non-seulement par rapport aux biens de la communauté, mais même relativement à ses biens propres, sans le consentement de son mari.

« Mais le mari, chef de communauté et maître des acquêts, ne pourra néanmoins disposer entrevifs et à titre gratuit ni des immeubles acquis pendant la communauté, ni de l'universalité ou d'une quotité du mobilier.

« Il ne pourra non plus donner par testament au delà de sa part dans la communauté; car les facilités qui lui sont dues pour sa gestion ne vont pas jusqu'à autoriser des dispositions qui, évidemment hors de l'intérêt de la société, ne tendraient qu'à dépouiller la femme.

« Au surplus, il administrera les immeubles propres à celle-ci, mais il ne pourra les aliéner sans son consentement; car la femme en est essentiellement restée propriétaire; et la mise qu'elle en a faite dans la communauté, n'a eu lieu que pour les fruits et non pour le fonds.

«Par une suite du même principe, si le mari, simple usufruitier des immeubles appartenant à sa femme, meurt après en avoir passé des baux par anticipation ou à trop long cours, leur effet sera nul ou réductible, selon que les limites ordinaires auront été dépassées.

Dans cette partie du projet, vous reconnaitrez, citoyens législateurs, les soins qu'on a pris pour garantir les biens propres de la femme, autant que cela se pouvait dans un système qui n'en prescrit point l'inaliénabilité, et qui ne suppose ni le mari disposé à ruiner sa femme (parce qu'il n'y a pas d'intérêt ou qu'il a même l'intérêt contraire), ni

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