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dans certains cas pour un belligérant le droit de passer par le territoire neutre. « Ce n'est pas, dit cet auteur (1), violer la neu»tralité, que d'accorder aux deux parties ou à celui qui la sollicite, la permission de faire passer par l'État neutre un corps » de troupes soit armé, soit sans armes et de le laisser jouir de » ces droits qu'exige nécessairement le passage, ou dont on est » convenu à cette fin. Moins encore la neutralité qu'on professe, peut-elle imposer l'obligation de s'opposer de force à un tel » passage. De plus l'inégalité même que le neutre observerait à » cet égard, en accordant le passage à l'une des Puissances » belligérantes et en le refusant à l'autre, n'emporterait pas

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toujours la violation de la neutralité, si cette inégalité de » conduite s'observait déjà en temps de paix, ou si elle était » fondée sur des traités généraux conclus antérieurement à la » rupture. S'il y a des cas où l'entrée forcée sur un territoire qui » a gardé la neutralité peut s'excuser par l'urgence des circon»stances, c'est moins par la disposition d'une loi naturelle qui >> en accorde le droit que par le défaut d'une loi prohibitive qui peut en empêcher.

L'ancienne école établit un droit de bienséance qu'elle fait provenir d'un besoin ou d'une nécessité absolus et en vertu duquel elle autorise un belligérant à passer par le territoire neutre et même à s'emparer de positions ou de places fortes dans ce territoire, et à les detenir tant que sa convenance le paraît exiger. Cette étrange doctrine a été développée principalement par Réal (2) et les auteurs qui le suivent, dans le Droit des Gens moderne il n'en est plus question, ou quand on en parle c'est pour en montrer toute la déraison.

(1) Voyez DE MARTENS, Précis du Droit des Gens, § 310, 311.

(2) Voyez RÉAL, Science du gouvernement, t. V, Droit des Gens, p. 552 suiv.

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Les auteurs anglais se prononcent sur le droit de passage avec beaucoup plus de réserve que ne le font les auteurs français. Voici comment Oke Manning dans ses « Commentaries on the law of nations», pose le résultat des recherches étendues auxquelles il s'est livré sur cette question. «< It may, in conclusion, be savely » asserted, dit-il, that the opinion of jurists and the spirit of » treaties agree with the dictates of reason in the principle, that >> the passage of troups cannot be claimed, unless under special >> treaty and cannot be granted by a neutral, where there is no >> antecedent treaty, unless an equality of privilege be allowed >> to both belligerents. » Wheaton s'exprime à peu près dans le même sens. «The rights of war, dit-il (1), can be exercised » only within the territory of the belligerent powers, upon the >> high seas, or in a territory belonging to no one. Hence it follows >> that hostilities cannot lawfully be exercised within the terri»torial jurisdiction of the neutral state which is the common » friend of both parties. This exemption extend to the passage » of an army or fleet trough the limits of the territorial juris» diction, which can hardly be considered an innocent passage, » such as one nation has a right to demand from another; and » even if it were such an innocent passage, is one of those imperfect rights, the exercise of which depends upon the » consent of the proprietor, and which cannot be compelled against his will. It may be granted or withheld, at the dis»cretion of the neutral state; but its being granted is no ground >> of complaint on the part of the other belligerant power, pro»vided the same privilege is granted to him, unless there be » sufficient reasons for withholding it. »

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L'école allemande évite d'établir des principes généraux ap

(1) Voyez WHEATON, Elements of international law, t. II, p. 157.

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plicables à tous les cas que peut faire naître la question du passage. Son représentant le plus récent, Mr Heffter, se contente d'émettre des doutes sur la compatibilité d'une permission de passage avec les devoirs d'une stricte neutralité. Voici comment il s'exprime (1): « Nicht so unbedingt verboten kann beim ersten » Anblick erscheinen, wenn ein neutraler Staat einer krieg>> führenden Macht gestattet, sein Gebiet für ihr Angriffs-und » Vertheidigungssystem zum Schaden des Gegners vorüberge>> hend zu benutzen, falls man diesem selbst auch das Naemliche » zu erlauben bereit ist, Z. B. einen Durchzug von Truppen, » oder die Durchführung von Schiffen durch das neutrale Wassergebiet, ferner die Anhæufung von Magazinen, Ausrüstung » von Truppen, Kriegsschiffen und Capern; und noch entfernter » von einem partheiischen feindseeligen Verhalten liegt im Allgemeinen, wenn der Neutrale einzelnen Personen der einen Kriegsparthei den Aufenthalt in seinem Gebiet, sowie das einstweilige Einlaufen von Kriegs-und Handelsschiffen in » seine Hæfen, ferner die Instandsetzung derselben bewilligt; » allein unbedingt lassen sich dennoch diese Vergünstigungen » nicht mit dem Wesen der Neutralität in jedem Falle vereini» gen. Sind naemlich die Umstænde so geartet, dass aus sol>>chen Gestattungen ein wirkliches Præjudiz für die andre Par>> thei wenigstens mit Wahrscheinlichkeit enstehen kann, ist » die Lage eines neutralen Landes für die eine Kriegsparthei günstiger als für die andre, und ihre Benutzung von Seiten der » Einen wirkliche Forderung ihrer feindlichen Zwecke gegen » die andre Parthei, so ist es gewiss auch Pflicht des Neutralen dergleichen Vergünstigungen nicht zu gestatten, er muss sich

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» wenigstens mit dem andern Theile hierüber verstændigen. »

(1) HEFFTER, Das Europæische Volkerrecht der Gegenwart. Berlin, 1844, p. 247, 248.

Le Droit des Gens positif offre de son côté un assez grand nombre de traités appartenant à toutes les époques de l'histoire moderne, dans lesquels une puissance s'engage envers une autre, à lui accorder, en tout état de cause, le passage de son territoire, même dans les cas où, dans une guerre à venir, la première observerait la neutralité (1).

En présence de ces opinions et de ces faits, cherchons à nous rendre compte de la véritable nature de cette question, pour en appliquer ensuite les résultats à la situation particulière de la Belgique.

Remarquons d'abord qu'il ne peut s'agir que du passage qu'un belligérant désire effectuer par le territoire neutre, quand la guerre a déjà commencé et avec des forces qui ont concouru ou qui doivent concourir à la faire. Dans tout autre passage la neutralité n'est pas en cause, et la question de savoir, si un passage qui ne présente pas les caractères mentionnés, doit être accordé

(1) OKE MANNING, Commentaries etc., p. 185: The subject (le passage par le territoire neutre) is mentioned in a great variety of treaties.—In the alliance between France and Switzerland, in 1452, it was stiputated that the Swiss should not allow passage through their territories to the enemies of France; and this article was inserted in a great number of subsequent treaties between the same powers, the last instance, as far as J am aware, being in the treaty of 1803. In 1512, Louis XII and the King of Navarre agreed to allow no passage to the enemies of the other party. By the treaty of Munster, in 1648, the German Princes were to be allowed passage through each others dominions; but passage is otherwise expresly forbidden by the same treaty.—In 1792 Russia and Austria agreed that they would conjointly request passage for their troops through the territory of third parties. — During the numerous agressive wars after the French revolution, it became a constant object of French diplomacy to obtain this privilege for the French armies, which was done in a great variety of treaties; see, for instance, that with Prussia, in 1796, and, in the same year, those with Sardinia, Parma, the Pope, Wirtenberg, Baden and Bavaria, and in 1800 the treaties with the princes of Ysemburg, Hesse Homburg, Wied and Nassau. And by the confederation of the Rhine, in 1806, passage was to be allowed to the troops of any of the members, but was to be refused to any who were not members of the confederation.

ou non, cette question n'a aucun rapport avec les principes du régime politique dont nous nous occupons. De cette définition nous tirons une première conséquence. C'est qu'il faut écarter ce que Vattel et d'autres auteurs appellent le « passage innocent,» passage qui est venu compliquer mal à propos la question. La guerre une fois déclarée, il n'y a plus de passage innocent, tout mouvement de troupes d'un belligérant peut et doit être considéré par son adversaire comme se reliant d'une façon quelconque aux opérations militaires de l'ennemi, et s'il a lieu sur ou par le territoire du neutre, comme incompatible avec la neutralité de ce dernier. Si le passage innocent était admis et qu'il fût reconnu en droit public, comme Vattel le pense, que le neutre doit l'accorder en tout état de cause, la neutralité ne serait plus qu'un vain mot et son observation deviendrait impossible, car tout belligérant prétendrait que le passage qu'il demande est innocent et se croirait autorisé par le refus du neutre de le reconnaître comme tel, à considérer et traiter ce dernier comme ennemi.

Le passage innocent écarté, il reste le passage dans les conditions indiquées et celui que l'école appelle de nécessité. Quant au premier, tous les auteurs sont d'accord à reconnaître que le belligérant qui veut l'effectuer, doit en demander la permission au neutre et que celui-ci peut l'accorder ou la refuser, comme il le juge conforme à ses intérêts. Seulement le neutre est obligé comme dans toutes les concessions de ce genre, à observer une égalité parfaite entre les belligérants et ne pas défendre à l'un ce qu'il tolère de la part de l'autre. Quel que soit le parti auquel il s'arrête, du moment où il se montre impartial et traite de la même façon les différentes puissances en guerre, il reste dans les termes de la neutralité, et aucune de ces dernières n'a le droit de faire de sa décision un « casus belli. » Comme le neutre

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