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Nul doute que ces avantages ne dépassent de beaucoup l'utilité qu'aurait pour elle l'occupation de la Belgique, en dépit des traités. A moins d'événements qui sortent tout à fait du cercle des probabilités, cette occupation ne pourrait être que temporaire, et ne conduirait certainement pas à l'incorporation. D'un autre côté elle exposerait la France à une déclaration de guerre de la part de toutes les Puissances signataires des traités de 1889, dont plusieurs pourraient fort bien, sans cette violation de la neutralité belge, s'abstenir de se joindre à ses ennemis. Et puis n'est-il pas évident qu'en cas d'échec des armes

extrêmement remarquable qui a eu lieu en 1831 à la chambre des députés de France. Les avantages qui résultent pour ce dernier pays de la neutralité de la Belgique s'y trouvent exposés avec une grande supériorité de raisonnement, par des hommes parfaitement compétents à les apprécier sous le rapport politique et militaire. MM. Thiers et Sebastiani. M. Bignon avait reproché à cette neutralité d'être plutôt nuisible à la France qu'utile. M. Sebastiani combattit cette opinion et montra l'importance de la neutralité pour la défense des frontières. M. Thiers prit la parole après lui, pour réfuter d'une manière plus complète encore les assertions de M. Bignon. Voici comment il s'exprima : << Mais, dit-on encore, qu'a produit en Belgique la neutralité. Je m'étonne » qu'un homme aussi éclairé, aussi savant, ait raisonné comme il l'a fait sur » la neutralité.

» La Suisse, Messieurs, est dépositaire, si je puis m'exprimer ainsi, d'une >> immense portion de frontières; elle commande les Alpes et sa neutralité >> est dans la balance politique d'un poids immense. On a voulu d'elle la »> neutralité non l'inviolabilité. Il était sage sans doute de remettre une si importante partie de nos frontières dans les mains d'un petit peuple, qui >> les pouvait conserver au besoin et qui jamais n'en pouvait abuser.

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» Ainsi grâce à cette neutralité, l'Autriche ne peut pas entrer en Suisse, » sans que nous y entrions aussi. C'est une garantie pour l'Autriche et pour »> nous. Le hasard nous a procuré les mêmes avantages en Belgique. La Belgique est gardienne des embouchures de grands fleuves, qu'aucune

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» grande Puissance de l'Europe n'aurait voulu céder. On a mis ce dépôt dans » les mains d'un petit peuple, sans qu'aucun roi voisin pût y toucher. Voilà » la neutralité de la Belgique. Nous ne pouvons pas faire de traité avec la Belgique, cela est vrai, mais si nous pouvions faire un traité (d'alliance)

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» avec la Belgique, mettre nos soldats dans ses forteresses, ce serait la réunion complète de la Belgique à la France et personne ne voulait que cette portion

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françaises, le danger pour la France devient très-grand, quand, après l'avoir occupée, elle est obligée à abandonner la Belgique, tandis que ce danger est infiniment affaibli, si elle respecte la neutralité de ce pays. Combien la position de l'empereur Napoléon eût elle été meilleure, si, après les désastres de la campagne de 1813, il avait pu se couvrir de la neutralité de ces territoires au lieu d'être obligé de distraire une partie considérable de ses forces, afin de pourvoir à leur défense!

Dans un autre ordre de faits la neutralité de la Belgique assure des avantages plus grands encore à la France; elle lui permet de continuer en temps de guerre par des voies faciles et sûres

>> importante des frontières de l'Europe fût entre les mains d'une des grandes >> Puissances.

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>> Ce que nous gagnons à la neutralité de la Belgique? Le voici. Les Anglais »> ne peuvent plus y entrer par l'Escaut, ni les Puissances y porter leurs » armées, sans que nous ayons le droit de courir au Rhin, et comme nous >> sommes plus près, l'avantage est pour nous. Les avantages de la neu>>tralité sont tous de notre côté. Surtout comparez cet état à celui dans » lequel la Belgique se trouvait. C'était un État ennemi, hérissé de forteresses, » confié à la garde du généralissime de la Sainte-Alliance, un État dans lequel » tout le monde pouvait entrer, excepté nous. Je demande si la situation » actuelle n'est pas mille fois meilleure qu'auparavant. » Voyez Moniteur universel du 21 Septembre 1831, p. 1632.

A ces paroles de M. Thiers il convient d'ajouter une assertion de M. Lebeau, émise à la chambre des représentants, à l'occasion de la discussion citée plus haut. «Messieurs, disait M. Lebeau (séance du 30 Mars 1843, Moniteur belge » no 90), on vous a parlé de la neutralité; il semble, à entendre certains de » nos collègues, que cette neutralité nous couvre contre toute éventualité, » contre tout danger du dehors. Notre neutralité, pour signifier quelque chose, » doit être forte et doit être armée. Naguère encore un ancien ministre fran» çais, un homme d'État illustre, un de ceux à qui l'on prête quelquefois des >> idées de conquête, disait à un de mes amis : « Si la neutralité belge est sé» ricuse, si elle est convenablement et énergiquement défendue, l'intérêt mili>> taire de la France n'est plus d'étendre ses frontières au nord. Si la neutralité belge peut être défendue en tout temps, de manière qu'une agression quel» conque n'y puisse aisément porter atteinte, que cette agression vienne du >> nord ou vienne du midi, le grand intérêt qui pouvait exiger que la France » étendît ses limites vers le nord, est sauvegardé. »

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les échanges et toutes les autres opérations dont son commerce et son industrie, dans l'état où le pacifique développement des trente dernières années les a placés, ne peuvent plus se passer sans compromettre la prospérité et le repos publics. C'est par la Belgique que lui arriverait les denrées coloniales et les matières premières qui alimentent la consommation et le travail national, c'est encore par cette même voie qu'elle écoulerait ceux de ses produits, que le blocus de ses ports sur l'Océan et sur la Manche pourrait empêcher de sortir par les voies ordinaires. Nous pouvons nous borner à indiquer seulement ce côté de la question, il a été développé avec un talent supérieur et distingué dans un travail récemment publié, auquel nous renvoyons le lecteur (1).

Les considérations dans lesquelles nous venons d'entrer s'appliquent au même degré à l'Allemagne. Les intérêts les plus essentiels de ce pays dans l'ordre politique aussi bien que dans l'ordre matériel, lui font un devoir de respecter, dans une guerre contre la France, la neutralité de la Belgique. Cette neutralité couvre ses frontières sur des points dont la défense importe extrêmement à la sûreté de la confédération, et lui assure la liberté des communications avec l'Angleterre. Cette dernière considération est surtout d'un grand poids pour la politique des Puissances allemandes, qui ne peuvent pas avoir oublié les inconvénients et les dangers de plus d'une espèce, qu'entraîna pour elles pendant les guerres de l'Empire français, l'absence ou la difficulté de ces communications. D'ailleurs la question de l'intérêt et de l'importance stratégiques que présente au point de vue allemand la neutralité belge, a été con

(1) Voyez : De l'école politique nationale au point de vue de la France, par Ch. De Coux, dans le Correspondant, revue mensuelle, tome VI, 4me livraison, Avril 1844.

sidérablement modifiée par un fait qui s'est produit depuis la conclusion des traités de 1839. Nous voulons parler de la fortification de Paris. L'avantage que les armées allemandes pouvaient retirer de l'occupation de la Belgique consistait principalement dans les facilités qu'elles obtenaient par là, de marcher sur la capitale de la France. La création d'un système de fortifications, qui ne met pas seulement cette dernière à l'abri d'un coup de main, mais qui lui permet même une longue et active résistance, a détruit presque complétement cet avantage. Les écrivains, qui dans la presse allemande ont pris à tâche d'examiner la fortification de Paris dans ses rapports avec les intérêts militaires de leur pays, reconnaissent que les anciens plans de campagne contre la France devraient nécessairement être changés, qu'on n'aurait plus les mêmes chances de succès qu'auparavant, en opérant sur la frontière du nord de ce pays; et que le théâtre des hostilités, surtout quand il s'agirait d'actions décisives, serait très probablement transporté sur le Haut-Rhin et dans les provinces riveraines depuis Bâle jusqu'à Mayence (1). On conçoit aisément combien un pareil déplacement serait favorable au maintien de la neutralité de la Belgique, et l'on peut dire avec quelque raison que les forts détachés et l'enceinte continue n'ont pas seulement fortifié Paris, mais encore le régime que les Puissances ont créé pour nous.

(1) Voyez Eine kurze Betrachtung über die Befestigung von Paris. Deutsche Vierteljahrs-Schrift 1845, IV, 188. Et : über den strategischen Werth einiger Punkte im suedlichen Deutschland, même ouvrage 1843, 1, 333, 334.

V.

POUR que la neutralité de la Belgique en cas de guerre soit assurée, il ne suffit pas que les Puissances qui pourraient la violer, soient portées par leur intérêt à la respecter, il faut encore, et c'est là une condition tout aussi indispensable, que la Belgique elle-même sache la maintenir et la défendre sérieusement et fortement. A cet effet deux choses sont nécessaires, d'abord la force morale du gouvernement s'appuyant sur une bonne organisation intérieure qui permette de concentrer et de diriger vers un seul but tous les efforts et toutes les ressources du pays, et ensuite sa force matérielle, représentée par des forces militaires suffisantes, capables et prêtes à agir avec cette promptitude et cette unité d'impulsion qui assurent le succès. Il importe que par sa conduite et par l'attitude qu'il prend en présence des événements, le gouvernement d'un pays neutre inspire, aux belligérants une confiance entière dans sa ferme résolution de maintenir envers et contre tous sa neutralité. L'indépendance

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