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fenser continuellement la doctrine. Louis Veuillot répondait : « Pourquoi la vérité, destinée à soutenir une guerre éternelle, n'aurait-elle pas des escadrons légers, des soldats exercés aux combats des broussailles et toujours prêts à partir? Voilà l'œuvre des laïques; ils sont bons à cela; je dirai plus, ils y sont plus propres que d'autres. » Exposant sa thèse, Louis Veuillot invoquait Bossuet, qui a prescrit à tout le monde de prêcher l'Évangile dans les simples conversations comme ailleurs; il rappelait l'exhortation de Bourdaloue : « Vous et moi devons être les garants des intérêts de Dieu »; enfin il citait les encouragements reçus de Mgr Parisis qui constatait que, sans le journalisme catholique, « la plupart des questions catholiques ne seraient pas même soulevées parmi le monde ». L'archevêque de Paris, sanctionnant les accusations émises par l'abbé Gaduel, avait interdit la lecture de la feuille dénoncée. Mais bientôt survenait l'Encyclique Inter multiplices, (21 mars 1853) dans laquelle un passage recommandait à la bienveillante protection des évêques les écrivains laïques, auteurs de livres et de journaux religieux. L'archevêque leva les censures dont il avait frappé l'Univers.

L'affaire Mortara. Le Pouvoir Temporel.

On se tromperait du tout au tout en supposant que la polémique sur des sujets religieux n'intéressât que les chrétiens. Elle passionnait les libres-penseurs. Dans les dix-huit volumes des Mélanges, nous voyons

continuellement aux prises les deux partis. Contre les Débats, contre la Presse, contre le Siècle, etc., Louis Veuillot développe sans arrêt l'apologie rendue nécessaire par des attaques ininterrompues. Qu'il s'agisse du rôle historique et social de l'Église ou de la vérité et de la crédibilité de la doctrine surnaturelle, il a une ardeur toujours prête, toujours sûre, souvent magnifique. Dans une instruction synodale, un évêque, comme Mgr Pie, signale les erreurs de la philosophie incrédule: aussitôt les Débats, la Presse, le Siècle réclament, chacun selon ses manières, et à leur tour veulent faire la leçon; les vieux arguments voltairiens reparaissent; et il faut discuter le procès de Galilée, les droits du clergé, la propriété ecclésiastique, la Saint-Barthélémy, les miracles. Louis Veuillot résiste à tous les adversaires et fonce sur eux, prodiguant sa logique, sa verve, son éloquence. Il ne manque pas, et assurément il en a bien le droit, de noter que, sous une forme correcte ou élégante, Guéroult et Prévost-Paradol émettent les mêmes idées que Jourdan, Plée et Labédollière. Les apparitions de Lourdes scandalisent la fière raison des journalistes libres-penseurs et inquiètent le res pect qu'ils se flattent d'accorder à la vraie foi: Louis Veuillot leur rappelle que, dans l'histoire et dans l'enseignement du dogme, dans la prédication et dans les actes de Jésus-Christ, les miracles abondent, afa firmés avec solennité. Il presse ses contradicteurs de se demander comment ils peuvent respecter une Eglise ainsi remplie de ce surnaturel qu'ils croient avoir le droit de bafouer. Là-dessus, jamais aucun n'a répondu directement.

Mais tout à coup s'engage une autre polémique

dont nous ne savons plus que le nom; et encore que dit-il à nos contemporains? L'affaire Mortara.

L'affaire Mortara, débat formidable, débat universel où se rencontraient la politique et la théologie, la puissance et les droits du baptême, le Pouvoir Temporel, les intrigues des révolutionnaires italiens, la conspiration et la domination juives, le programme poursuivi par la libre-pensée ralliée à l'Empire, programme dont Napoléon III était le prisonnier.

La polémique se produisit comme une explosion, aux secousses répétées durant six semaines. Elle mit en mouvement tous les partis qui attendaient l'heure de se ruer sur le Saint-Siège; elle eut des conséquences dont le monde porte encore le poids.

Un enfant juif de Bologne ayant été baptisé in extremis par une servante chrétienne, le gouvernement pontifical, en exécution de la loi civile aussi bien que de la loi religieuse, ordonna que cet enfant chrétien fût retiré de la maison de son père et élevé chrétiennement.

A peine la nouvelle leur était-elle parvenue, que le Constitutionnel, les Débats, le Siècle montaient au paroxysme de la colère pour y rester jusqu'à épuisement. Ils invoquaient le droit naturel, dénonçaient un crime, enjoignaient au gouvernement français de faire agir notre ambassadeur. Le Constitutionnel criait que la France entretenait dans les Etats romains assez de « baïonnettes » pour y modifier à son gré la loi politique et la loi religieuse. « En effet », répondait ironiquement Louis Veuillot, « à qui fera-t-on croire qu'un juif est baptisé si quelques baïonnettes françaises assurent qu'il ne l'est pas »? Les journaux partaient de ce point: qu'on était en

face d'un simple fait d'arbitraire commis par une administration fanatique.

Il fallut leur apprendre que la situation des Juifs dans les Etats pontificaux était réglée d'après des lois spéciales.

Depuis longtemps les Juifs sont les hôtes de l'Église romaine, écrivait Louis Veuillot : « Elle les accueillait et les protégeait sur son territoire, lorsque, partout ailleurs, ils étaient ou proscrits, ou bâtonnés et rançonnés. La protection s'étendait non seulement à leurs personnes et à leurs biens, mais à leurs croyances. Longtemps avant qu'ils fussent devenus une puissance en Europe, l'Église, chez elle, garantissait leur faiblesse contre le zèle indiscret qui aurait voulu les convertir par la force ou par la ruse, soit adultes, soit enfants. Pour plus de sûreté, elle défendait aux Juifs, ses hôtes, de garder dans leurs maisons des domestiques chrétiens. Deux cas seulement étaient prévus où les enfants juifs pouvaient être baptisés sans le consentement des parents: 1° le péril de mort; 2o l'abandon. Pour le premier cas, les Juifs pouvaient l'éviter en fermant leurs maisons aux chrétiens. Pour le second, ils n'avaient rien à dire 1.»

L'impulsion et la formule étaient données: on voulait que le baptême eût été conféré par force, avec l'appui de l'autorité. Cent fois, Louis Veuillot et ses collaborateurs durent démontrer qu'au contraire l'autorité publique avait précisément pris des mesures pour empêcher un tel abus et que c'était dans le dessein de prévenir les excès de zèle que la loi pontificale interdisait aux Juifs d'employer des

1. Mélanges, deuxième série, tome V, page 25.

domestiques chrétiens. Les parents du petit Mortara ayant contrevenu à la loi prévoyante et protectrice, la responsabilité initiale leur incombait.

En vain l'Univers rappelait ce fait essentiel aux journaux ameutés: ils continuaient de dénoncer et de flétrir comme s'ils n'en eussent jamais entendu parler. Puis ils se mirent à citer des auteurs avec lesquels ils venaient de faire trop rapidement connaissance. Le Journal des Débats invoquait Benoît XIV; le Siècle produisait des décisions rendues par les congrégations romaines; la Patrie commentait saint Thomas; et tous concluaient en chœur contre le baptême par force. Eh! justement, répliquait l'Univers, le gouvernement pontifical a voulu mettre les familles juives à l'abri de cette atteinte; et voilà pourquoi il a pris des mesures au sujet de leurs domestiques. Il y eut même divergence au sein de la presse catholique; et dans la Gazette de France, M. de Lourdoueix crut pouvoir dire que la mesure appliquée par l'autorité pontificale à Bologne était, non pas l'exécution des lois de l'Église, mais « une petite pratique du gouvernement romain ». A quoi l'Univers répondait que Pie IX avait mis en pratique l'Instruction même rendue par Benoît XIV comme chef de l'Église. Il ajoutait que, peu de temps auparavant les protestants anglais, utilisant la souscription faite au profit des orphelins des soldats morts en Crimée, avaient placé dans des écoles protestantes les nombreux catholiques qui se trouvaient parmi ces enfants. Bien que l'archevêque de Dublin eût réclamé en produisant la liste des familles catholiques dont les enfants étaient ainsi détournés de leur foi, ni le Journal des Débats, ni le Siècle, ni les autres n'a

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