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ancienne, plus large et, pour ainsi dire continuelle, s'était établie. Des pèlerins parcouraient l'intérieur du pays et les routes qui reliaient l'Occident à l'Orient. On a maintes fois noté le développement qu'ils donnaient aux relations commerciales. Derrière eux venaient les clercs instruits et les artistes, avides de voir et disposés à raconter. Leurs récits, tracés sur parchemins ou transmis de bouche en bouche, s'appliquaient au présent comme au passé et décrivaient, outre les monuments, les détails de mœurs. Dans son ouvrage si intéressant sur Les Français de divers états, Alexis Monteil constate que la plupart des villes avaient un hôpital des pèlerins. Exposant en détail la vie domestique du Chevalier, Léon Gautier montre l'empressement des habitants du château à questionner les pèlerins tout en les hébergeant: « Venez-vous de Saint-Martin de Tours, de Saint» Michel au péril de la mer, ou de Saint-Gilles ? » Avez-vous été jusqu'à Cologne ou jusqu'à Saint» Jacques de Compostelle ? Avez-vous rapporté des >> images en plomb (ou en étain), des enseignes, >> des coffrets, des étoffes ? »

Écoutons ce pèlerin de Saint-Jacques dont Alexis Monteil résume et anime la narration:

<< Les pèlerins lient entre elles toutes les contrées des états chrétiens, car, bien que les diverses universités aient chacune de nombreux messagers qui vont porter les lettres des écoliers dans toutes les parties de la France et de l'Europe; bien que des milliers de pénitents de tous les pays aillent vers l'évêque ou vers le Pape... nous nous servons plus souvent de la voie des pèlerins que de toute autre1. »

1. Les Français de divers états, tome I.

Combien d'hommes errants encore parmi les troubadours, les trouvères, les jongleurs et même les ménestrels! Tous ces nomades mélangeaient dans leurs vers les exploits antiques et les exploits récents. Ils passaient d'un manoir à l'autre, distribuant des nouvelles au vilain comme au seigneur. Ces « poètes voyageurs, la citole ou la harpe en sau>>toir, étaient naturellement les peintres de la so» ciété : ce qu'ils voyaient, ce qu'ils entendaient, les » coutumes, les modes, les opinions dominantes, >> les passions modifiées en tant de manières deve»> naient, sans qu'ils pensassent à en instruire la » postérité, le fond et l'ornement de leurs pièces ». La narration épique et familière était soigneusement recueillie par quelques habiles parleurs, qui la reproduisaient dans l'assemblée de la communauté, certains dimanches, après la messe ou les vêpres.

Par la circulation qu'elles entretenaient, souvent sur un rayon très étendu, les grandes écoles ne pouvaient manquer d'alimenter le besoin de récits et de nouvelles. Dès le début du douzième siècle, << des professeurs, suivis d'une foule d'auditeurs de tout âge et de toute condition, parcouraient le pays, donnant des leçons sur les places publiques et même en pleine campagne; puis l'enseignement finit par se concentrer à Paris. De nombreux étudiants y venaient des états qui entouraient l'île de France, d'Italie, d'Angleterre, d'Allemagne, de Suède, de Danemark, etc. 2».

1. Histoire des troubadours du Vivarais, du Gévaudan et du Dauphiné, par Henry Vaschalde.

2. La vie privée, Franklin, tome X.

Naturellement, les messagers existaient d'ancienne date. Alexis Monteil a retrouvé des pièces du xv° siècle concernant un service de messagers à pied, de messagers à cheval; de femmes qui vivaient de ce métier. Il y avait des messagers de la ville, des messagers fiéfés. D'après l'expression de Brussel1 tout était donné en fief par les principaux seigneurs ; et il indique un extrait du cartulaire de Montfort contenant une inféodation de l'office de courrier 2.

Et les messagers des Universités! Suivant sa méthode, Alexis Monteil en met un en scène, qui décrit ainsi leur emploi, conformément aux textes recueillis par l'historien. Monteil prouve que « de tout temps ou du moins depuis on ne sait quel temps >> il y eut des messagers d'Université qui conduisaient à la ville les écoliers et plus tard les ramenaient dans les familles 1 quand les études étaient terminées. D'autres messagers, ceux des sénéchaussées et des bailliages, qui portaient au Parlement les pièces des procès en appel, n'étaient que des imitateurs ; il fallut les ordonnances de 1576 et de 1582 pour qu'ils eussent le droit de se charger des lettres du public, en concurrence avec les commissionnaires de l'Université.

C'est vraiment au sein de ces vieilles et glorieuses institutions que se forma la première organisation de la poste. Leurs correspondances étaient souvent confiées à de « petits messagers » dénommés dans les chartes nuntii volantes et pourvus de privilèges

1. Usage des fiefs, livre 2, chap. 7.

2. Histoire des Français de divers états, Alexis Monteil, tome III.

3. Id., tome I.

que mentionne l'histoire de l'administration et du droit. De Paris, plus de cent messagers universitaires entretenaient « la correspondance générale de la France et de l'Europe 1».

Ainsi aux soldats, aux religieux, aux pèlerins, aux poètes, aux étudiants, aux artisans, aux compagnons s'ajoutaient les employés des hautes écoles pour faire fonction d'informateurs publics. On éprouve un plaisir particulier à rappeler ce fait, en résumant et en complétant ici le cours de conférences sur la presse établi, pour la première fois dans l'Enseignement supérieur, à l'Institut catholique de Lille.

II

Engendrée par le goût et par le besoin de nouvelles, la presse ne s'est pas contentée d'envahir la poste, de transformer une bonne partie de l'industrie et de susciter des industries spéciales: elle a étendu son empire sur le vaste domaine des opinions. Aussi, de tout temps, des voix nombreuses l'ont traitée d'usurpatrice. Elle était encore bien peu de chose lorsque la Bruyère croyait opportun de rappeler les nouvellistes à la modestie de leur condition méprisée : « Le devoir du nouvelliste est de dire: - Il y a » un tel livre qui court et qui est imprimé chez Cramoisy, en tel caractère; il est bien relié et en >> beau papier; il se vend tant. Le nouvelliste doit >> savoir jusqu'à l'enseigne du libraire qui le débite.

1. Histoire de l'Université, Du Boulay.

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» Sa folie est de vouloir faire le critique. » Ce jugement dédaigneux n'a pas tardé d'être tout entier réformé. Sans parler de la critique littéraire proprement dite, qui fut l'une des gloires du journalisme français, et même en tenant compte de l'inclination récente à imiter la presse d'Angleterre ou d'Amérique, on doit noter qu'en France le public ne se contente pas de faits purs et simples. Il veut des commentaires. Il veut de la pensée, fût-elle falsifiée ou même empoisonnée.

Chez nous, la politique remue continuellement les idées. Il y a chaque jour des incidents qui donnent une secousse à l'esprit. Une pièce de théâtre, opéra, comédie ou drame; le drame de la rue, même réduit à un accident vulgaire ; la mort d'un personnage; l'apparition d'un livre; la chronique des arts, du parlement, des tribunaux, du sport; n'oublions pas le crime du jour, indispensable, ni l'article de fond, moins intéressant que solennel, ce sont les matériaux de l'« exemplaire » quotidien : ils produisent une série d'impressions qui, si rapides qu'elles soient et même quand il s'en perdrait les trois quarts, laissent quelque trace sensible, un abrégé de réflexion. Comme le journal a sa tendance et son but, il présente, soit d'instinct, soit de propos délibéré, les mêmes événements... et aussi des événements très divers, sous un aspect à peu près uniforme. Par ce moyen, la disposition du lecteur est coup sur coup excitée. Certaines feuilles, graves ou virulentes, envisagent presque tous les incidents au point de vue du parti qu'elles en peuvent tirer pour l'opinion qu'elles soutiennent; parfois le numéro » est d'un bout à l'autre une démonstration où la lo

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