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Constitution. Il fit même partie d'une députation de ce club, qui alla rendre visite au général Pichegru, du côté de Strasbourg, où le général venait de battre les Autrichiens.

Pendant la Terreur, un ancien officier du génie, M. Girod de Chantrans, forcé de quitter Besançon par suite du décret qui interdisait aux ci-devant nobles le séjour dans les places de guerre, alla habiter Novilars, non loin de Besançon, et emmena le jeune Nodier avec lui. C'est par cet officier que Nodier fut initié à la botanique, pour laquelle il fut bientôt pris d'une véritable passion. C'est sous sa direction qu'il s'occupe d'études entomologiques, qu'il réunit ses collections, s'attachant principalement aux coléoptères, et qu'il découvre l'organe de l'ouïe chez les insectes.

Au retour de Novilars, Charles Nodier suit, à Besançon, les cours de l'Ecole centrale. En 1797, grâce au crédit de son père sans doute, il obtient une petite place d'adjoint au bibliothécaire de la ville, avec de petits appointements qui lui permettent quelque indépendance.

Dès cette époque, le jeune Nodier lit beaucoup et même commence à écrire. Il pratique surtout Werther et les œuvres de Shakespeare, qu'il lit dans le texte; car Nodier, comme le remarque Sainte-Beuve, a, dès son enfance, manifesté de merveilleuses dispositions pour les langues.

En 1799, Nodier se trouve compromis dans un complot politique assez mal défini, puisqu'il s'agit d'un complot contre la sûreté de l'Etat, et que cela se passe sous le Directoire, quelques mois avant le 18 Brumaire! Condamné d'abord par contumace, Nodier fut ensuite acquitté, à la majorité d'une voix, le 10 fructidor an VII.

C'est alors que son père l'envoie à Paris, vers 1800. Le jeune homme avait déjà en portefeuille quelques romans et quelques pièces de vers. Mais, vous le savez, les débuts littéraires sont presque toujours très pénibles, et le succès ne vint guère encourager le nouvel arrivant.

Nodier prit alors le parti de retourner dans sa ville natale, où il se lia avec quelques jeunes émigrés, assez imprudemment, du reste, car cela lui valut d'être de nouveau impliqué dans certaines menées et de passer pour suspect.

Revenu à Paris, à l'époque où le Premier Consul songeait déjà de très près à l'Empire, Charles Nodier écrivit en 1801 une satire très vive, la Napoléone, pièce animée de l'esprit républicain, où Bonaparte et ses projets de tyrannie étaient hautement dénoncés. Les copies s'en multiplièrent à l'infini, ce qui détermina la police

à se transporter chez l'imprimeur Dabin, d'ailleurs responsable d'autres écrits séditieux, et à arrêter ledit Dabin. Nodier, ne voulant pas laisser poursuivre un innocent, écrivit alors la lettre suivante, où il se déclarait l'auteur de la satire incriminée :

Parvenu au comble de l'infortune et du désespoir, abandonné de tout ce que j'aimais, veuf de toutes mes affections, à vingt-cinq ans, j'ai survécu à tout amour et à toute amitié (1). «Il me reste du moins le bonheur d'être coupable, et de pouvoir vous demander la prison, l'exil ou l'échafaud.

« Un ouvrage intitulé la Napoléone et dirigé contre le Premier Consul a paru, il y a deux ans. La police en a recherché l'auteur.

C'est moi.

<< Sans attendre des hommes et de vous ni égards ni pitié, je vous apporte ma liberté. Demain, l'usage en serait peut-être terrible. Quiconque a pu beaucoup aimer peut hair avec excès, et mon temps est venu.

« Je m'appelle Charles Nodier.

« Je loge hôtel Berlin, rue des Frondeurs. »>

Le nom même de la rue, vous le voyez, était une menace ! L'adresse, digne de la lettre, se trouvait ainsi libellée : « Au Premier Consul, ou, en son lieu, à l'un des préfets du Palais (2). » La date est du 25 frimaire an XII (décembre 1803), ce qui place la date de la composition de la Napoléone en 1801.

Naturellement, le jeune mécréant fut arrêté; mais, comme Fouché avait pour bibliothécaire le Père Oudet, ancien ami du père de Nodier à l'Oratoire, on se contenta de renvoyer le coupable à son père à Besançon. Charles Nodier resta là jusque vers 1806. Il en profita pour publier des romans imités de Werther, tels que les Proscrits ou le Peintre de Salzbourg, et une Histoire des Insectes. Il publia même, en 1805, un Dictionnaire des Onomatopées françaises. Mais voici que, de nouveau, la persécution vint s'abattre sur lui. Accusé d'avoir pris part à l'évasion de Bourmont, il fut plus ou moins enveloppé dans un soi-disant complot destiné à préparer une alliance des jacobins et des royalistes, et dut prendre la fuite. Il erra jusque vers le début de 1806, soit dans le Jura français, soit en Suisse, cherchant asile chez les médecins ou chez les curés, soupant gaiement, couchant sur la paille, et engageant ses hôtes à faire des collections. Mérimée, successeur de Nodier à l'Académie, a dit malicieusement en

(1) Il est à peine besoin de faire remarquer combien cette lettre, comme dit Sainte-Beuve, « sent son Werther au premier chef ».

(2) Je n'ai pas besoin de souligner tout ce que cette bizarre adresse contient d'ironie moqueuse et sceptique.

parlant de cette époque de sa vie, où il était peut-être moins persécuté qu'il se l'imaginait : « Il croyait fuir les gendarmes et poursuivait les papillons. >>

En 1806, le mandat d'arrêt ayant été levé, Nodier put rentrer en France et séjourner à Dôle, où il fit notamment la connaissance de Benjamin Constant.

En 1808, il se maria. Puis il trouva une place de secrétaire à Amiens, auprès d'un chevalier Herbert Croft, baronnet anglais, prisonnier de guerre à Amiens, où il s'occupait de philologie et d'archéologie. Nodier resta deux ans chez cet érudit; mais, comme Croft était un peu avare et prenait peu à peu l'habitude de ne lui donner que le vivre et le couvert, Nodier se vit forcé de le quitter.

Il revint d'abord dans son cher pays natal, séjourna dans ce riant Quintigny, qu'il a souvent décrit et chanté ; puis, vers 1811, espérant trouver des ressources à l'étranger, il accepta une position officielle que lui avait procurée le général Bertrand. Il s'agissait pour Nodier de se rendre à Laybach, en Carniole, où il serait chargé de la direction de la librairie et de la rédaction d'un journal intitulé le Télégraphe. Nodier se rendit donc à Laybach, avec sa femme et une fille qui lui était née, et là s'occupa consciencieusement de publier son journal, d'abord en trois langues, français, allemand et italien, puis en quatre, en y ajoutant le slave. L'abandon des provinces illyriennes le ramena en France au bout de quelques mois. Il avait gagné à ce séjour lointain de connaître plus intimement Fouché, alors gouverneur d'Illyrie, et aussi Jean Sbogar, personnage romantique, demi-brigand, demi-rêveur, qui lui fournira le sujet et le titre d'un de ses ouvrages.

Rentré à Paris, Nodier fut admis à la rédaction des Débats, alors Journal de l'Empire, où il resta de 1811 à 1820. Pendant les Cent Jours, il se tint à l'écart. Il écrivit même dans les Débats une nouvelle Philippique contre Napoléon, et l'on prétend que Fouché, l'ayant fait venir pour lui demander ce qu'il voulait, Nodier répondit : « Eh bien, donnez-moi cinq cents francs... pour aller à Gand». Je ne vous cite pas l'anecdote comme absolument authentique.

En 1820, les Débats étant redevenus royalistes, Nodier passa à la Quotidienne, légitimiste, sans préjudice, bien entendu, des journaux de rencontre.

Il publia Jean Sbogar en 1818, Thérèse Aubert en 1819, Adèle en 1820, Smarra en 1821, Trilby en 1822. Ce sont surtout Trilby de délicieux petits chefs-d'œuvre. Vous savez que Nodier

est admirable dans les contes de fée : nul n'a su aussi habilement que Nodier allier et fondre le réel et la fantaisie. A cet égard, on voit que Mérimée - le Mérimée de la Vénus d'Ille notamment - l'a beaucoup pratiqué, sans jamais avoir atteint d'ailleurs à cette parfaite aisance qui nous charme, quand nous lisons des contes de Nodier.

Charles Nodier écrivit aussi quelques mélodrames sans grande valeur, et sur lesquels il ne se faisait aucune illusion; car il disait lui-même, paraît-il : « Je les écris, non pour faire des livres, mais pour en acheter. » Il n'abordait le théâtre que pour augmenter ses ressources personnelles. Ne lui en gardons pas rancune; car Nodier était, à cette époque, bien loin de vivre dans l'aisance, et il a suffisamment mérité des lettres françaises par ailleurs, pour qu'il ait droit à toute notre indulgence. Parmi ces pièces destinées au théâtre, Nodier écrivit notamment un Faust, que je n'ai pu retrouver (probablement vers 1827 ou 1828), et que je serais assez curieux de lire, pour voir ce qu'est devenu la légende de Faust dans l'esprit et sous la plume de ce « frère cadet (bien Français d'ailleurs) des grands poètes romantiques étrangers », comme l'appelle Sainte-Beuve.

Enfin, en 1824, à l'âge de 44 ans, Nodier trouva la « situation sérieuse », pour parler comme dans Le Fils de Giboyer: il fut nommé bibliothécaire à l'Arsenal, et, pour la première fois, il put asseoir un peu son existence, jusque-là si orageuse. Désormais, dans le calme de l'étude, Nodier put se livrer à ses travaux favoris avec la certitude du lendemain. Son salon, paré de la grâce de Mme et de Mile Nodier, devint rapidement un des plus fréquentés de la capitale. Tout ce que la littérature et les arts ont compté de célébrités, pendant plus de vingt ans, a défilé dans ce salon, aussi important dans l'histoire de notre littérature que celui de Mme de Rambouillet, de Mme de Lambert ou de Mme Geoffrin. Au milieu des jeunes écrivains et des jeunes artistes, Charles Nodier, toujours jeune lui-même, fut « comme la flamme, comme le sylphe gracieux qui excite et lutine ». Nodier, qui était le bon sens fait homme, eut toujours soin, d'ailleurs, de ne verser dans aucune exagération; il n'est ni classique ni romantique, et il garde jalousement sa liberté d'appréciation et de critique. Il promène sur les hommes et sur les choses une ironie douce et bienveillante. Sainte-Beuve, qui l'a beaucoup connu, a dit en termes excellents l'influence exercée par Nodier sur les jeunes écrivains qui se pressaient dans son salon:

« Le propre de Nodier, son vrai don, était d'être inévitablement aimé... Il avait acquis avec l'âge assez d'autorité, ou, si ce mot

est trop grave pour lui, assez de faveur universelle pour se permettre franchement l'attaque contre quelques-uns de nos travers, ou peut-être de nos progrès les plus vantés... Il faut lui savoir gré d'avoir, en plus d'une circonstance, opposé aux abus littéraires cette expression franche, cette contradiction indépendante qui, dans une nature de conciliation et d'indulgence comme la sienne, avait tout son prix. » C'est ainsi que s'exprime Sainte-Beuve, dans un article paru dans la Revue des Deux Mondes le 1er février 1844, c'est-à-dire trois ou quatre jours après la mort de Nodier. Quelques années auparavant, en 1840, Sainte-Beuve s'était plu à nous peindre Nodier entouré de sa famille, le soir, « en cet Arsenal rajeunissant, où tous ceux qui y reviennent après des années retrouvent un passé encore présent, un frais sentiment d'euxmêmes, et des souvenirs qui semblent à peine des regrets, dans une atmosphère de poésie, de grâce et d'indulgence » (1).

Le charme discret et les talents délicats de Mlle Marie Nodier, non moins appréciés des littérateurs et des artistes que l'indulgence souriante et l'accueil cordial de M. et de Mme Nodier, ne contribuèrent pas peu à la prospérité du salon de l'Arsenal. On s'empressait autour de cette aimable jeune fille, qui était passionnée pour la musique et pour les vers.

La perle de son album, ce fut le sonnet d'Arvers, que vous connaissez tous.

Vous connaissez aussi les sonnets qu'Alfred de Musset adressait, en mai 1843, à la même Marie Nodier devenue Mme Ménessier. J'espère que vous ne m'en voudrez pas, si je me permets de vous les rappeler. Voici, d'abord, le premier sonnet:

« Je vous ai vue enfant, maintenant que j'y pense,
Fraîche comme une rose et le cœur dans les yeux.
Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ;
Vous aimiez lord Byron, les grands vers et la danse. »

Ainsi nous revenaient les jours de notre enfance.
Et nous parlions déjà le langage des vieux ;

Ce jeune souvenir riait entre nous deux,
Léger comme un écho, gai comme l'espérance.

Le lâche craint le temps, parce qu'il fait mourir ;
Il croit son mur gâté, lorsqu'une deur y pousse.
O voyageur ami, père du souvenir !

C'est ta main consolante, et si sage et si douce,
Qui consacre à jamais un pas fait sur la mousse,
Le hochet d'un enfant, un regard, un soupir.

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