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travaux et lui en faisaient envisager le fruit, le mérite et la récompense. "Vous êtes, nous écrivaient-ils, nos dignes coopérateurs, les soutiens du temple ébranlé, les forts d'Israël qui combattez encore avec courage dans la désertion la plus déplorable, les restes et l'espoir de l'immortelle église gallicane si violemment attaquée." Quel encouragement, quel surcroît de zele ne trouvions-nous pas dans ce glorieux témoignagne qui nous était rendu par nos premiers pasteurs! Ce témoignage nous assurait que nous étions dans la droite voie; que nous semions en effet le bon grain dans le champ du pere de famille; que nous ne travaillions pas en vain; et que nos filets, jettés en quelque sorte par les ordres de Jésus-Christ, puisqu'ils l'étaient par ceux des pasteurs de son église, devaient rapporter une multitude de poissons mystérieux. Nous n'avons pas été trompés dans notre attente. Notre petit troupeau s'affermissait dans la foi et dans les bonnes mœurs, dans des mœurs chrétiennes, et se grossissait tous les jours; l'ennemi en rugit et devint furieux. Un grand nombre de prêtres furent saisis et disséminés dans les diverses prisons de France et d'Italie, mais le troupeau ne fut pas dispersé. On vit même se renouveler en plusieurs endroits l'effet de cette ancienne parole: le sang des martyrs est une semence de nouveaux chrétiens. Ainsi se passerent vingtquatre années jusqu'au retour du roi. A cette époque, que nous avions appelée de tous nos vœux comme devant être la fin des malheurs de l'église gallicane, nous avons vu commencer une nouvelle série d'autres malheurs moins grands en apparence, mais en effet plus déplorables; je vous les raconterai quand nous aurons fait quelques réflexions sur ce que je viens de vous dire."

Ce prêtre me montrait alors que les deux clergés réunis ne pouvaient être membre de l'église catholique, par cette seule raison qu'ils ont varié dans la foi de cette église, et que le changement qu'ils ne peuvent ni couvrir ni pallier, est essentiel et fondamental. Ils ont varié dans la foi de l'église catholique. Ils ne croient plus ce qu'ils croyaient avant la révolution. Pour n'en citer que quelques exemples, ils ne croient plus que la puissance séculiere n'a aucun droit sur les choses sacrées: que la vraie constitution de l'église est dans le Pape comme chef et dans les évêques comme parties intégrantes et essentielles; que le souverain pontife n'a pas le pouvoir de destituer arbitrairement des évêques innocents; que l'église ne peut être dé

pouillée par les puissances de la terre, et que le Pape peut légitimer cette spoliation; qu'enfin les biens ne peuvent être enlevés sans injustice à des sujets pour punir leur fidélité à leur souverain légitime, et que l'on ne peut sans crime prêter le serment de fidélité à tout usurpateur des trônes. D'ailleurs, tous ces articles sont essentiels et fondamentaux, comme ils le paraissent par eux-mêmes, et comme Pie VI l'a défini dans plusieurs endroits de ses brefs. Du moins, un fait certain et qu'on ne peut contester, c'est qu'il existe une décision de l'église universelle, et que loin de recevoir cette décision, ces deux clergés agissent en opposition directe, et n'occupent des places que par une contradiction évidente aux points qu'elle renferme. La question est tranchée par cet endroit seul: quiconque a une décision dogmatique de l'église universelle, ne peut être membre de l'église universelle.

Une inébranlable fermeté dans la même foi distingue éminemment le troisieme clergé des deux autres. C'est pourquoi je l'ai appelé toujours fidele ou catholique. Il n'a jamais varié. Il pose avec assurance ce fondement de la prééminence qu'il réclame; et il ne craint pas d'être démenti: lorsqu'au commencement de la révolution, une assemblée anti-chrétienne proposa de nouveaux articles à sa croyance, il ne les reçut pas sur l'autorité des évêques de France, de Pie VI et de toute l'église. Lorsqu'un Pape intimidé lui présenta encore de nouveaux articles pour les ajouter à sa foi, il ne les reçut pas davantage, parce qu'il vit la main de la violence, parce qu'il reconnut aisément les mêmes points que l'église lui avait défendu d'accepter, parce qu'un corps d'évêques lui déclara que c'était en effet les erreurs précédentes, et joignit son autorité à celle qui les avait déjà proscrites. La fin de la révolution, s'il est vrai qu'elle soit terminée, retrouve donc ce troisieme clergé tel qu'il était avant ces temps désastreux, dans les mêmes principes, dans la même foi, avec tous les dogmes de la véritable église gallicane. Comme cette grande église était toute entiere catholique avant la révolution, ce clergé est donc encore aujourd'hui catholique après la revolution. C'est, ajoutait-il, l'invincible argument de Bossuet: l'église catholique qui n'a jamais varié dans la foi, est par cela seul démontrée la véritable église de Jésus-Christ, et par cela seul que les sectes ont varié, elles ne peuvent revendiquer ce beau titre. Ce raisonnement s'applique à tout corps particulier et même à

tout individu celui qui a bien cru, et qui n'a pas varié, croit encore bien. Celui qui a bien cru, et qui a varié ne croit plus comme i' faut. Voilà, d'un côté, la juste et inévitable sentence des deux clergés réunis, et de l'autre, l'invincible justification du troisieme clergé séparé.

Les deux premiers clergés ont bien montré, par leur aveugle et honteuse déférence à un gouvernement illégitime, impie, persécuteur, cruel et barbare, qu'ils n'avaient ni principes, ni regle. Le chef de ce gouvernement exerçait un empire absolu sur leur conscience, ou plutôt les trouvant sans conscience, il en obtenait sans peine tout ce qu'il voulait : il commettait des crimes ; ils les érigeaient en vertus. Il éteignait par un assassinat aussi affreux qu'inutile et sans motif, une des plus illustres branches de la famille royale; ils célébraient cet assassinat comme un acte de sage précaution et en rendaient des actions de grâces au ciel irrité. Il portait dans toutes les parties de 'Europe le flambeau d'une guerre injuste et de toutes les horreurs de la désolation; ils célébraient une cruauté inouïe, ils remerciaient le Dieu de la charité, d'attentats sans exemple. Il voulait séparer la France du siége apostolique et rendre plus visible le schisme qu'il avait opéré, ils s'assemblerent à sa voix pour seconder ses vues impies, ils le seconderent en effet. De plus de cent évêques unis dans le fameux concile de Paris en 1811,trois seulement opposerent quelque résistance. Eh! quelle résistance, grand Dieu! celle des premiers est légitimement suspecte. Celle du troisieme, de Boulogne, évêque de Troyes, si fort exalté comme un confesseur de la foi, comme un martyr, n'a eu que les effets suivants; il est mis en prison, le lendemain sa patience est déjà épuisée. Il offre pour le rachat de sa liberté, la démission de son siége. La démission est acceptée, mais la liberté n'est point accordée; il fallut encore que le généreux et inflexible confesseur signât un acte par lequel il s'engageait à n'exercer de sa vie aucune fonction épiscopale, faiblesse indigne, mais qui ne m'étonne pas! C'est avec raison que l'on a dit que la fermeté n'a presque jamais été le partage que des vrais enfants de l'église catholique.

Le clergé toujours fidele et catholique a fait voir, par sa constance, qu'il était réellement tel que je l'ai dépeint. Etranger au dominateur despotique de la France et tout à Dieu, il n'a jamais rien accordé à l'un au préjudice de l'autre; et son inflexibilité soutenue est un des plus beaux

trait que les hommes aient jamais vus, et qui doit effacer aux yeux des étrangers, une partie de la tache imprimée sur le nom français par tant d'exemples de faiblesse..

Ainsi, les deux clergés flétrissaient leur église naissante par une complaisance qui souvent prévenait jusqu'aux désirs du tyran, et le clergé catholique honorait l'ancienne église par un courage au-dessus des promesses, inaccessible aux terreurs. Les uns occupaient des places qu'ils devaient à leur lâcheté, l'autre aurait refusé des places qu'il aurait fallu acheter à ce prix. Les uns étaient honorés autant que peuvent l'être des hommes aussi profondément dégradés; l'autre était avili, autant que le mépris des méchants et des impies peut avilir les hommes honnêtes et les vrais chrétiens. Les uns étaient comblés de richesses et dans l'abondance de tous les biens qui ne supposent pas la vertu; l'autre n'avait, comme les premiers disciples de Jésus-Christ, pour subsister, que les aumônes et la charité des fideles.

Ce fait, Monsieur, que les membres de la nouvelle église en France aient été dans l'abondance, vous surprendra, parce qu'on n'a pas cette idée en Angleterre. Mais il n'est pas moins certain. Et voici comme ils sont riches. Buonaparte avait taxé toutes les fonctions ecclésiastiques à un prix fort haut, gradué sur les fortunes des particuliers. Ce prix est rigoureusement exigé par un clergé livré aujourd'hui à un intérêt sordide: d'où il résulte que telle cure qui, avant la révolution, ne valait pas douze ou quinze cents francs, rapporte aujourd'hui douze mille francs. J'en connais plusieurs exemples: d'où il arrive encore que ce clergé, enrichi par la misere des pauvres, est dans des fêtes continuelles, fier, hautain, attaché à des places si lucratives et regrettant le tyran. C'est pourquoi, pendant le regne du monarque, il a toujours été suspect au peuple royaliste, qui avait constamment les yeux sur lui. On voit, par sa conduite au retour de l'usurpateur, qu'il n'était pas injustement soupçonné. Presque tous les évêques ont donné des mandements en faveur de ce tyran. Le clergé, par l'ordre de ses chefs, lui a renouvelé le serment de fidélité. Le prêtre à l'autel chantait le Domine, salvum fac imperatorem. Il chantait seul. Nulle part le peuple ne répondait. En plusieurs endroits, le peuple n'a pu contenir son indignation; et si quelquefois le curé ne chantait pas la criminelle priere, C

VOL. LII.

qui est une infidélité et un parjure, ce n'est pas qu'il fût sujet fidele, c'est qu'il était timide et lâche.

"Nous avions, reprit l'homme de Dieu, appelé de tous nos vœux le rétablissement du roi comme la fin de tous les maux de l'église gallicane. Nous espérions, et vous avouerez, Monsieur, que cet espoir nous était bien permis; nous espérions que Louis XVIII, fidele à son beau titre de fils aîné de l'église, fidele à son titre particulier de protecteur de celle de France, marchant sur les traces de ses glorieux ancêtres, n'ignorant d'ailleurs ni les bienfaits de la Providence qui, malgré la corruption presque universelle, avait conservé dans son royaume un nombre de prêtres inébranlable, ni les dangers que nous avions bravés pour la religion, ni les sacrifices que nous avions faits pour son trône, ni la multitude des sujets dont nous avions maintenu l'inviolable fidélité, ni les prieres que nous adressions au ciel pour son retour, tandis que nos adversaires priaient pour la perpétuité de son éloignement,ni enfin notre union avec les évêques qu'il quittait, et qu'il paraissait écouter comme ses maîtres en Israël, et favoriser; nous espérions, dis-je, qu'en mettant le pied dans son royaume, il se jetterait dans les bras de la religion véritable qu'il y avait laissée, qui avait résisté à de si longues et si terribles persécutions, qui avait toujours été fidele au roi légitime et devait une partie de ses tourments à cette fidélité. Nous ne doutions pas qu'il ne témoignât ainsi la plus juste reconnaissance au Dieu qui le rappelait par tant de miracles. Le monarque, disons-nous, arrive tout instruit. I quitte des évêques, généreux confesseurs et défenseurs de la foi, les mêmes évêques qui nous ont constamment servi de guides, et dont nous n'avons jamais fait que suivre les solides instructions. Il connaît leurs écrits! Il aura pris leurs conseils! Il se conduira d'après les lumieres qu'il en aura reçues, et il n'est pas à craindre que des évêques de France adressent leur roi aux novateurs qu'ils ont censurés, dont l'éloignement les retient en exil, et qu'ils combattent encore aujourd'hui. De là nous pensions que le fils aîné de l'église se réunirait à ceux qui ont soutenu, aux dépens de leur liberté et de leurs jours, les droits, la morale, les dogmes et l'irrésumable autorité de cette sainte église catholique.

Mais hélas! que nous avons été cruellement déçus! le roi arrive, et il va droit au temple des novateurs, malgré

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