Page images
PDF
EPUB

connaître qui sortoient des prisons de Vincennes, de Ham, de Bouillon, de Turin, de Milan, de Ferrare, de Rimini, etc. où ils avaient été, les uns cinq, les autres six, quelques-uns jusqu'à dix et quatorze ans. Mon prêtre était pâle, trèsdéfiguré, d'une santé fort affaiblie, mais d'un grand courage et d'un zele aussi ferme qu'il m'a paru éclairé et prudent. Voici ce qu'il m'a dit et répété en plusieurs rencon

tres:

"Vous savez, Monsieur, qu'en 1791 au commencement de cette funeste révolution, qui n'est pas terminée, la constitution civile du clergé fut inventée et publiée pour décatholiciser la France. Ce sont les termes du chef de la révolution. La gloire du clergé français, à cette époque, fut immortelle: sur 132 évêques, quatre seulement prêterent le serment exigé. L'immense majorité des prêtres suivit les évêques. Tous furent déplacés et contraints de ne plus porter aux fidelles les consolations de la religion que dans les ténebres et au péril de leurs jours. Le zele eut un grand nombre de martyrs dans toutes les provinces. Un massacre plus général se fit à Paris, au mois de Septembre, 1792, pour donner le signal aux départements. Mais les départements ne l'entendant pas, ou ne voulant pas y répondre, la déportation de tout le clergé fidele de France fut décrétée. On croit qu'il sortit quarante mille prêtres Français. Il en resta un plus grand nombre. Je fus de cette derniere classe. Nous exercions le ministere au milieu de tous les dangers où plusieurs de nous succombaient tous les jours, mais avec d'indicibles consolations du côté de la ferveur des fideles, du côté de nos évêques qui trouvaient encore les moyens de nous diriger et de nous encourager, enfin du côté de Rome, qui nous a fait passer des instructions dans toutes les difficultés qui nous environnaient. Jamais l'église gallicane ne fut plus illustre ni plus brillante. Une partie de ses membres avait porté sa foi dans les pays étrangers et lui rendait tous les jours un glorieux témoignage. L'autre partie maintenait en France cette même foi en s'immolant pour elle. Les peuples frappés de ce grand spectacle revenaient se ranger autour de nous; et la secte qui d'abord avait paru devoir engloutir et faire disparaître cette grande église, se dissipait tous les jours par l'abandon de ses premiers partisans. Elle était sur le point de s'évanouir entierement elle-même, lorsqu'un nouveau gouvernement lui redonna la vie par la même

main qui lui avait porté le premier coup et dont le devoir était de lui porter le dernier.

Buonaparte, premier consul, forma le dessein de détruire la religion catholique en France par son amalgame avec la secte constitutionnelle. Par promesses et par menaces il obtint l'intervention de Rome. Un concordat est signé qui confirme, qui étend les suppressions, les destructions, tous les bouleversements de la constitution civile du clergé. Le concours du pape met la division parmi les évêques et parmi nous. Une partie des évêques réclament contre ce nouvel ordre de choses. Un nombre àpeu-près égal s'y soumet. Du côté des prêtres et du peuple la défection est plus considérable. Grand Dieu! quelle horrible confusion! quel affreux désordre de toutes parts! O église gallicane, que tu parus alors, que tu es encore dissemblable à toi-même! Il sera donc vrai de dire

que tu ne t'es pas élevée avec ton ancienne énergie et contre l'injustice qui t'enlevait ta subsistance, le patrimoine des pauvres, le moyen de décorer tes autels; et contre l'extinction simultanée d'un si grand nombre de tes siéges épiscopaux, dont plusieurs remontaient jusqu'à ton origine, jusqu'au berceau du christianisme; et contre las uppression universelle de tes titres, dont quelques-uns ne devaient être rétablis que par l'attache des philosophes, en portant la marque ineffaçable du philosophisme et contre la destitution en même temps de tous les pasteurs vertueux, confesseurs de la foi, non jugés, ne pouvant être jugés, faute de crimes, cependant condamnés!" Avec quelle force, Monsieur, avec quelle énergie, avec quel chagrin profond le confesseur prononçait ces paroles ! l'impression en est restée au fond de mon âme : elle y sera long-temps gra

vée.

Mais il faudrait l'avoir entendu pour concevoir le ton et la douleur avec lesquels il prononça les paroles suivantes qui ne s'effaceront jamais de ma mémoire. "O comble de désolation, s'écria-t-il; les constitutionnels condamnés, les constitutionnels devenus hérétiques, par la résistance au jugement prononcé contre eux, les constitutionnels publiquement apostats du christianisme, les constitutionnels sont pasteurs reconnus de l'église catholique, sur des siéges épiscopaux, dans des cures, dans toutes les places ecclésiastiques; ils sont reconnus pasteurs par les mêmes évêques qui les avaient condamnés, ils sont reconnus pasteurs, obéis, honorés par ces mêmes prêtres, qui avaient reçu le jugement des évêques

qui avaient évité leur communion par la privation de leur patrie, le danger du dernier supplice! Ces évêques, ces prêtres ne semblent revenir de leur exil pour la foi et ne sortir de leur retraite que pour donner aux fideles ce scandale, et mettre devant eux cette pierre d'achoppement! Tout est confondu, tout est mêlé, le désordre est général. Ceux qui avaient obéi aux décisions de l'église, et ceux qui leur avaient opiniâtrément résisté, les constitutionnels et les catholiques marchent ensemble, n'ont plus rien qui les distingue, entrent dans le même temple, entourent le même autel, et ne forment qu'un seul corps d'église une et indivisible! Il ne reste pas un seul vestige de l'église gallicane. Affligée et malheureuse, elle s'est réfugiée dans un petit nombre d'évêques, de prêtres, et de fideles qui n'ont pas cédé au torrent qui a fait tant de ravages. C'est un de ces prêtres qui vous parle. Cette fermeté que Dieu lui-même a mise dans son âme, m'a mérité la gloire de la longue prison dont je sors, plus décidé que jamais à ne pas abandonner, jusqu'au dernier soupir, les décisions de l'église, les évêques qui les soutiennent aux dépens de ce qu'ils ont de plus cher, et les traces sanglantes et honorables des martyrs de Paris et de toute la France."

Puis rabaissant son ton et se livrant à la discussion la plus paisible, il me faisait toucher au doigt le danger et tous les vices de l'amalgame, et combien il était destructif de l'église. Il commença par l'exemple des Juifs à l'égard des Samaritains. Les Juifs de Jérusalem avaient conservé le culte du vrai Dieu dans sa pureté, selon la loi de Moïse. Les Samaritains en faisant observer presque toute la police civile et religieuse du Penthateuque, y avaient joint l'adoration des fausses divinités. Les Juifs détestaient ce culte mêlé. Jamais ils ne voulurent sacrifier dans le même temple avec les Samaritains; horreur si forte en eux qu'ils refuserent l'offre de leurs secours pour la construction du second temple au retour de la captivité de Babylone, et qu'ils s'exposerent plutôt volontairement à voir échouer cette religieuse et sainte entreprise qu'ils avaient tant à

cœur.

Si le Dieu d'Israël est un Dieu jaloux qui ne souffre pas d'autres Dieux devant lui, sa religion partage, si je puis ainsi dire, cette divine jalousie il ne peut souffrir, ni qu'on lui égale, ni qu'on lui associe une autre religion contraire à elle-même. L'église catholique qui est une suite plus déve loppée, une continuation de l'ancienne synagogue arrivée à

sa derniere perfection, souffre encore moins ce mélange de vérités et d'erreurs, qui la souillerait en la dégradant. La preuve en est dans la simple notion de cette église.

Elle est une comme la vérité qu'elle professe; et l'admission d'une seule erreur est incompatible avec ce beau titre d'unité. Etant celle qui, suivant les prophêtes, devait recevoir dans son sein toutes les nations comme ses enfants, elle est aussi catholique. Une et catholique, deux caracteres inséparables: catholique dans l'unité, une dans la catholicité: unité catholique, marque destinctive de la véritable église, preuve sensible de la protection divine qui la soutient. Si elle était renfermée dans des bornes étroites, son unité serait moins étonnante; mais être en même temps une et répandue dans tout l'univers, ou catholique sans que jamais ni l'unité périsse, ni l'étendue décroisse, voilà le miracle des miracles, et l'empreinte visible de la main d'un Dieu fidele à ses promesses.

La même autorité, reconnue dans toutes les parties du monde et commandant à tous la même obéissance, est l'éternel et indissoluble lien de cette unité catholique.

Celui qui refuse de croire un seul des points décidés par l'autorité souveraine de l'église, n'appartient plus à l'unité. Il est dehors; il est étranger et profane. Il n'a plus la foi divine. Les autres articles qu'il a retenus et qu'il reçoit, il les retient et les reçoit par son choix, par les lumieres de sa raison naturelle, que sais-je, peut-être par pur caprice et par fantaisie. Dès que l'autorité n'a plus la force de lui faire professer l'article particulier qu'il rejette, elle est anéantie pour lui et sa foi sur tout le reste est une foi humaine.

On est étonné, ajoutait-il, d'entendre un apôtre nous dire que celui qui est coupable de la violation de la loi en un seul point est devenu coupable de la violation de la loi dans tous les autres articles. Mais cette décision apostolique repose sur le principe que je viens de vous exposer, et elle le confirme. Pourquoi le violateur d'un point de la loi est-il coupable de la violation de tous les autres? C'est que par le violement d'un seul it a méprisé le législateur, le droit, et l'autorité qui lui appartiennent. Que sert au coupable contempteur de l'autorité divine, l'obser vation des autres préceptes? Il s'est mis dans un état de révolte ouverte. Il y persévere opiniâtrément, sans avoir égard aux avertissements, aux invitations, aux menaces. Par cette rébellion invincible il a perdu tout droit à la récompense du souverain. Il ne peut recouvrer ce droit que

par un retour sincere à la fidélité et par une obéissance absolue au Maître Suprême sur tous les points et sous tous les rapports. L'application de ce principe moral à la foi se fait d'elle-même. Pour revenir à notre objet, appliquons ce que nous avons dit sur la foi aux premiers sectaires de France.

Les jureurs de la constitution civile du clergé leverent l'étendard de la révolte contre l'église catholique, puisqu'ils firent serment de maintenir une constitution condamnée par l'église universelle; condamnation aussi certaine que le sont leur serment et leur opiniâtreté encore existante. Par leur serment ils sortirent de l'unité catholique et firent un corps à part, entierement séparé du corps mystique de Jésus-Christ. Par leur opiniâtreté dans leur serment ils sont demeurés dans l'état où ce serment les avait mis, c'est-àdire, hors de l'église, étrangers aux promesses divines. L'église avait ordonné de se séparer des novateurs, sous peine de devenir, par la réunion, semblable à eux. Tant qu'ils n'ont pas changé, l'ordre de les éviter subsiste dans toute sa force et la défense de la réunion est également obligatoire, également pressante. Vous vous rappelez, Monsieur, me dit à cette occasion le vénérable prêtre, la demande que me fit l'autre jour cet amalgame et la réponse que je lui donnai. "Qui nous a fait un devoir de nous séparer des constitutionnels? et s'il y a jamais eu un changement dans les constitutionnels ?" Je lui répondis ces propres paroles et il garda un profond silence. "C'est le corps entier des évêques de France, c'est Pie VI, c'est l'église entiere approbatrice des prélats et du pontife, qui nous ont imposé le devoir de la séparation; devoir qui nous a fait souffrir toutes les rigueurs d'un long exil; devoir qui ne nous a plus laissé en France pour retraites que les lieux les plus écartés, souvent les antres et les cavernes, pour lumiere que les ténebres de la nuit. Ce devoir de la séparation oblige encore aujourd'hui, puisque le motif qui l'a fait prescrire subsiste encore, c'est-à-dire, le crime des constitutionnels et leur serment non retracté. Le Pape qui est avec vous ne vous dispense pas de ce devoir, parce qu'il est obligé lui-même de le remplir. Un supérieur ne peut validement affranchir de l'obligation d'une foi qu'il est tenu lui-même d'observer. L'union du Pape avec vous, si elle était réelle, me montrerait un coupable de plus, et non une excuse pour les autres coupables. Vous ne trouverez pas une ressource plus assurée dans le changement des constitutionnels. Ce chan

« PreviousContinue »