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représentant à Dresde, il eût été impossible à Sa Majesté de comprendre les régicides dans son pro-. jet de loi, sans se trouver en contradiction avec elle-même. Aussi ces monstres étaient-ils absolument passés sous silence.

Les commissaires nommés par la chambre pour faire un rapport sur la loi proposée par les ministres, furent MM. de Corbiere, de Villele, de Germiny, Pardessus, de Cotton, Cardonnel, Berthier de Sauvigny, Chifflet, Duvergier, et de Hauranne.

Le 23 Décembre, il s'engagea une querelle très-vive entre les députés et les ministres au sujet de l'évasion de Lavalette des prisons de la Conciergerie; on paraissait soupçonner aumoins deux des ministres du Roi, ceux de la justice et de la police, d'avoir connivé à l'évasion du condamné, par la lenteur qu'ils avaient mise à ordonner l'exécution de sa sentence de mort.

Enfin, le 27 Décembre, M. de Corbiere, procureur du Roi à la cour royale de Rennes, fit le rapport au nom de la commission sur cette loi d'amnistie qui, dit-il, depuis trop long-temps peutêtre occupait tous les esprits, et qui était devenue presque également l'objet des espérances et des inquiétudes de tous les Français.

Après les développements les plus lumineuxsur les causes et sur les résultats de l'horrible conspiration du mois de Mars, le rapporteur proposa, au nom de la majorité de la commission de nouvelles exceptions à l'amnistie. Il offrit à cet effet le tableau de différentes cathégories de crimes. L'article 4 du projet de la commission, exceptait de l'amnistie, comme principaux moteurs et instigateurs de la révolte: 1o. ceux qui avaient été complices du retour de l'usurpateur en France, en correspondant avec lui et avec ses agents, à l'ile d'Elbe, pour lui en faciliter les moyens; 2°. les individus qui, avant le 23 Mars, avaient accepté de

l'usurpateur les fonctions de ministres ou de conseillers d'état; 3°. les préfets nommés par le Roi, qui avaient reconnu l'usurpateur avant le 23 Mars; 4. les maréchaux et généraux commandant une division ou sous-division militaire, qui s'étaient déclarés pour l'usurpateur avant son entrée à Paris 5o. les généraux en chef qui avaient dirigé leurs forces contre les armées royales. Cependant la prescription de dix années, déterminée par le Code d'instruction criminelle, était réduite à trois mois à leur égard.

L'art. 5 stipulait que le trésor public se porterait partie civile par ses agents, pour réquérir contre les accusés, s'ils étaient jugés coupables, l'indemnité des préjudices causés à l'état. Le produit des condamnations prononcées devait être appliqué au payement des contributions extraordinaires de la guerre.

L'article par lequel se terminait le projet, portait que ceux des régicides qui, au mépris d'une clémence presque sans bornes, avaient voté pour l'acte additionnel, ou accepté des fonctions ou emplois de l'usurpateur, et qui, par-là, s'étaient déclarés ennemis irréconciliables de la France et du gouvernement légitime, seraient exclus à perpétuité du royaume, et seraient tenus d'en sortir dans le délai d'un mois, sous peine de la dépor tation.

Dès que la lecture de ce projet fut terminée, la chambre retraça le tableau d'une des plus orageuses séances de la Convention. Près de 100 membres se firent tumultueusement inscrire pour parler pour ou contre la question. Enfin, après des vociférations scandaleuses, le jour de la discussion fut fixé au Mardi 2 Janvier.

Nous regrettons infiniment que nos limites ne nous permettent pas de donner le discours de M. de Corbieres.

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Le 2 Janvier arriva. L'importance de la question qui devait, ce jour-là, occuper la Chambre, avait attiré un concours immense de specta

teurs.

Le président, M. Laîné, ouvrit la discussion en disant que l'usage, quand les commissions centrales n'avaient pas été unanimes, était d'accorder la parole à la minorité de la commission, et qu'en conséquence, cette minorité allait se faire entendre par l'organe de M. de Germiny, député de Rouen.

M. de Germiny, interprête de la minorité de la commission, après un long discours, vota pour l'adoption pure et simple du projet de loi présenté par les ministres.

M. Borderu.-La chambre est unanime sur la nécessité d'une amnistie, sauf des restrictions. En montant à cette tribune, j'ai fait toute abnégation d'amour-propre; je n'ai pas l'habitude de la parole, mais je sens que je suis français; nos maux sont grands; vous n'y remédierez pas par les arguments de la philantropie; depuis vingt-cinq ans on cite, à tort et à travers, la république romaine, comme si nous avions quelque chose de commun avec les Romains. Bornons-nous à être nous-mêmes, fideles au Roi, à la religion et à la France; ou si nous voulons être imitateurs, laissons là cette antiquité, quelque célebre qu'elle soit, et voyons ce qu'ont fait les princes de la maison de Bourbon, privés momentanément, comme notre Roi, de leur couronne. Ecoutons la voix de la raison; mettons la main sur le cœur, et nous verrons qu'il faut punir pour empêcher le retour des mêmes crimes. La faiblesse provoque, avec plus d'éclat, la chute des empires que le despotisme; ne point poursuivre les auteurs de la conspiration du 20 Mars, c'est tacitement leur dire, qu'ils peuvent, ou cette année ou une autre, renouer le fil de leurs complots. Appelés par nos fonctions à préserver le trône de toute secousse, nous devons montrer la plus grande rigueur. Nous sommes responsables vis-à-vis Dieu, du salut de la monarchie et de la sûreté du Roi, qui ne peut nous quitter qu'après que nous aurons été ensevelis sous les ruines de la royauté. Je pense

que les amendements faits au projet de loi, renferment, avec précision et clarté, tout ce que nous pouvons désirer; en conséquence, je demande que le projet de loi, ainsi amendé, soit adopté.

M. Siméon.-S'il est vrai que les rois sont l'image de Dieu sur la terre, ils peuvent comme lui punir ou pardonner; la grâce étant essentiellement un droit de souveraineté, l'amnistie qui n'est qu'une grâce anticipée, est aussi un de ses attributs; que l'on se rappelle l'histoire des séditions et des révoltes, elle a toujours été terminée par une amnistie, c'est un fleuve qu'on se hâte de répandre sur un vaste incendie; on accorde au président d'une cour criminelle le pouvoir discrétionnaire, et l'on pourrait le contester à un monarque, qui ne veut s'en servir que pour attirer sur son trône et sur lui, les bénédictions du peuple. La loi d'amnistie émanée du Roi qui est la source des grâces, sera encore revêtue de l'assentiment des deux chambres, mais cette loi a-t-elle besoin des amendements proposés par la commission? Je ne le pense pas; elle excepte cing cathégories différentes, et voilà ce qui excite les inquiétudes; jamais aucune amnistie n'a subi autant d'exd'ex¿ ceptions.

N'est-ce pas assez des dix-huit têtes marquantes, abandonnées au glaive de la justice, et des trente-huit qui doivent être jugées ou bannies?

personnes

Ce n'est pas de sang que la France a soif, c'est de paix, de bonheur et de tranquillité; oui, Messieurs, l'amnistie entiere et complete, et telle que le Roi la propose, voilà ce qui peut rendre le calme à notre malheureuse patrie, et c'est pour cela que j'adopte sans amendements le projet de loi présenté par les ministres.

Discours de M. de la Bourdonnaie.

Je ne répondrai point à ce qui vient de vous être dit sur le droit d'amnistie, cette question devient oiseuse, puisque le Roi nous appelle à y concourir.

De cette participation même, naît le droit de la discuter et de la modifier.

Soutenir le contraire, ce serait prétendre qu'elle ne nous est envoyée que pour l'enrégistrer.

Mais, Messieurs, si nous ne devions que l'enrégistrer, pourquoi la discussion est-elle ouverte? pourquoi un rap

port était-il nécessaire? pourquoi les ministres auraient-ils conféré avec votre commission?

Il est donc constant que du moment où la discussion est ouverte, nous avons le droit de modifier.

Ce fait est incontestable. J'entre en matiere:

Messieurs,

La question qui vous est soumise est une des plus importantes qui puissent occuper le législateur.

Il ne s'agit point ici de l'une de ces lois qui, destinées à être soumises au creuset du temps et de l'expérience, et révocables à volonté, peuvent n'avoir qu'une influence passagere sur le sort des peuples.

L'acte présenté à vos délibérations, irrévocable par sa nature, irrévocable par ses effets, irrévocable parce qu'il sera l'expression de votre pensée, et que cette pensée devieut à l'instant du domaine de l'histoire, et fixera le jugement de la postérité: cet acte solennel apprendra à l'Europe si les réclamations de la nation sont vaines: si oppresseur ou opprimé, victime ou complice le peuple français doit à jamais rougir des attentats dont l'univers l'acuse, ou faire retomber sur une minorité factieuse, mais dominante, la honte de vingt-cinq ans d'erreurs et de crimes: si, libres enfin de manifester la volonté nationale, nous saurons prouver notre haine contre de détestables oppresseurs; et séparant les vrais coupables de la foule séduite ou entraînée, les livrer au glaive de la justice, au mépris de l'Europe, à l'horreur de la postérité.

Un siecle et demi s'est écoulé depuis qu'une nation voisine, célebre aussi par de longs malheurs et les attentats de quelques factieux, sut relever avec gloire son front humilié et par des exemples éclatants venger le sang de ses rois et l'honneur national.

Séparée du continent, délivrée par la mort de Cromwel, par la faiblesse de ses enfants, plus heureuse dans ses guerriers, l'Angleterre ne dut qu'à elle-même sa restauration et son bonheur.

Rivaux de gloire et de généreux sentiments; mais, trabis par la fortune, brisés sous un sceptre de fer, c'est de l'Europe toute entiere que nous reçûmes le gage d'une tranquillité que nous devions espérer durable, et la France rortant de dessous l'esclavage d'un tyran pour passer rapidement dans les bras paternels de son Roi, ne put mani

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