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fester sa pensée et laver la honte imprimée au caractere national par une faction criminelle.

Investi de la toute puissance souveraine, roi comme l'étaient ses peres, mais placé par ses infortunes hors du cercle de nos malheurs, éloigné par un long exil du théâtre de nos crimes, Louis-le-Désiré voulut être à-la-fois législateur de ses peuples et vainqueur de ses propres ressentiments; il couvrit de la même indulgence les crimes et les erreurs.

De nouveaux désastres, suites d'une clémence et d'une confiance sans bornes, ont aggravé nos malheurs ; mais du moins, Messieurs, ils nous offrent ce qui peut consoler des Français de toutes les infortunes, et si la défection de l'armée a terni l'éclat de nos armes, il nous est permis de reconquérir l'estime de nos contemporains et l'honneur de la na

tion.

Investis de la confiance de vos départements, portion de la puissance législative, appelés par le souverain à prononcer sur le sort des auteurs de la derniere conspiration, la divine Providence, toujours auguste dans ses décrets, profonde dans ses desseins, immuable dans sa volonté, livre enfin dans vos mains les artisans de nos premiers crimes et de nos premiers malheurs, comme si la justice suprême les avait réservés à ne compléter nos désastres que pour prouver d'une maniere irrésistible la vanité de l'humaine prudence et la perfidie des cœurs sans remords. A ces traits ne reconnaissez-vous pas les meurtriers de vos Rois, les assassins de vos familles, les oppresseurs éternels de la liberté française? Vaincus et désarmés, ils invoquent une générosité qu'ils ne connurent jamais; ils réclament, l'oubli d'un passé toujours présent à leur mémoire, d'un passé criminel, source impure et intarissable de nouvelles fureurs.

Ces hommes qu'une funeste énergie et des passions sans frein, surent élever au-dessus de toutes les considérations que fait naître l'habitude du respect et de l'obéissance, de toutes les craintes qu'inspirent des exemples fameux et effrayants; ces hommes que la clémence trouva sans repentir et sans reconnaissance; ces hommes que des passions fougueuses, des systêmes pervers, une haine exaltée et l'habitude du crime rendent sí dangereux, paraissent aujourd'hui devant vous et sous l'égide d'une clémence saus bornes, invoquent l'amnistie de la charte pour des crimes qui lui sont postérieurs, comme si de premiers for

faits étaient le gage d'une constante impunité : comme si l'auguste sang dont ils sont couverts, semblable au sceau de réprobation placé par l'Eternel sur le front du premier fratricide, objet d'horreur et d'épouvante à-la-fois, suspendant la justice des hommes, les réservait aux vengeances éternelles. Mais, non, Messieurs, les remords de Caïn n'assiégent point ces cœurs endurcis; ils n'errent point, effrayés, au milieu des déserts, ce n'est point dans la profondeur des solitudes qu'ils vont déplorer leurs forfaits, c'est au milieu de vous qu'ils levent audacieusement leurs têtes criminelles. Comblés d'honneurs et de richesses, la porte de leurs palais est assiégée par une foule d'esclaves, de nombreux clients courbés par le respect, la crainte ou l'espérance attendent un coup-d'œil, un parti nombreux, formidable par son ensemble, plus dangereux par son aveugle rage, demande impatiemment le signal des vengeances; et vous, magistrats pusillanimes; législateurs sans prévoyance, vous verriez leurs complots et ne les puniriez pas ! Attendrez-vous, pour les déclarer criminels, qu'ils portent encore audacieusement la main sur l'oint du Seigneur, qu'ils renversent sa puissance, qu'ils élevent un trone illégitime sur les débris de la monarchie?

Vingt-cinq ans d'expérience, vingt-cinq ans de fureurs, n'ont ni dessillé vos yeux, ni assouvi leur rage! Les avez-vous oubliés ces cris épouvantables, qui signalerent le retour du tyran? Menacés dans vos fortunes, menacés dans votre existence, c'est à la prudence du vainqueur et non à sa clémence, que vous devez de

vivre.

Quels étaient alors les conseils du tyran, les ministres de sa puissance? Des régicides! Quels étaient ces hommes criminels qu'une faction victorieuse plaçait constamment à sa tête, et signalait à notre indignation? Des régicides! Quels étaient les plus fougueux de ces repré sentants pour qui tout souverain était désirable, pourvu qu'il fût illégitime? Des régicides! La grandeur de leurs forfaits est la mesure de la confiance de leur parti, comme la terreur du supplice est la garantie de leur dé

voûment.

Cependant, Messieurs, quelques voix imprudentes trahissant d'augustes pensées, veulent étayer le projet de loi des ministres, des sentiments personnels du souverain, comme si des opinions qui n'ont pas encore été formées par vos discussions, des opinions susceptibles d'être modiVOL. LII, I

chambre.

fiées par vos délibérations, pouvaient être manifestées dans la chambre sans danger de commettre la dignité royale, ou d'influencer vos opinions, résultats opposés à l'esprit de la charte, basée sur le plus profond respect pour le souverain, et l'indépendance la plus entiere de la C'est pour atteindre ce double but, que la volonté royale ne s'exprime légalement qu'à l'instant où la sanction des deux chambres a donné à vos délibérations le caractere de lois. Jusque-là ce ne sont que des projets que le Roi permet à ses ministres de vous communiquer. Vos discussions éclairent le gouvernement, la volonté royale se forme, et la proclamation de la loi lui donne sa derniere

sanction.

Combinaison admirable qui, préservant le souverain de la surprise des passions, de l'enthousiasme des vertus, conserve la dignité du trône, sans arrêter l'élan des pensées nobles et généreuses, et faisant, pour ainsi dire, deux volontés d'une seule volonté, laisse en ce moment au Monarque le mérite de la clémence, sans lier sa volonté royale à persister dans un pardon que vous lui représenteriez contraire à l'intérêt de la justice, au besoin d'un grand exemple, et au salut de l'état.

Combinaison admirable, sur laquelle est fondée tout le systême du gouvernement représentatif; combinaison qui permet, qui ordonne même au sujet respectueux, au serviteur fidele, devenu législateur, de combattre les propositions du gouvernement, de les rejeter, d'accuser les ministres, d'être, en un mot, en opposition avec les sentiments personnels du Monarque; pour le maintien des prérogatives imprescriptibles du trône, pour l'intérêt de la monarchie, pour éclairer la volonté royale elle-même. Combinaison qu'avaient entrevue nos peres et qui contenait le droit des parlements, de refuser l'enregistrement, et de faire de respectueuses remontrances.

Mais combinaison, je l'avouerai, qui répugne à la pensée, et que quatorze siecles d'obéissance et de dévoûment ont rendue presque étrangere à nos mœurs et à nos senti

ments.

Combinaison, cependant, tellement nécessaire, tellement inhérente à notre constitution, qu'elle en est la seule garantie, comme elle sera toujours la sauve-garde du trône et la protectrice des droits des citoyens.

En effet, Messieurs, si ce sentiment de respect et de

déférence, qui, comme sujets, nous soumet à la volonté royale, même à la volonté personnelle du souverain, enchaînait notre volonté comme membres de la chambre, réduits à adopter des lois sans les discuter, où ce qui serait plus dangereux encore après les avoir discutées et reconnues mauvaises, nous ne serions qu'un simulacre de représentation, nous cesserions d'être un corps délibérant, et vains jouets d'un spectacle théâtral, nous avilirions la nation, dont nous sommes les députés. Loin de fortifier l'autorité royale, nous l'affaiblirions de notre propre faiblesse, et dans notre chute nons courrions le risque d'entraîner le trône, sous lequel nous chercherions un appui.

Cependant, sans expérience du gouvernement représentatif, effrayés des erreurs criminelles des premieres assemblées, quelques esprits timides redoutent toute espece d'opposition: ils n'entrevoient que le danger des discussions publiques, sans apprécier leurs immenses avantages. lls taxeraient volontiers de résistance coupable la demande des plus légers amendements.

C'est une grande erreur, Messieurs; la force de tout gouvernement légitime réside dans l'opinion publique. Dans le systême représentatif, cette opinion se forme dans les deux chambres, c'est de là qu'elle se répand, qu'elle acquiert cette popularité qui constitue sa puissance. Otez aux membres de la chambre, la liberté, le courage; le mépris amènera l'insouciance générale: alors plus d'esprit public, plus d'amour de la patrie, plus de dévoûment à la personne du souverain: tous les liens du corps politique sont dissous.

Et c'est ainsi que dépouillant le gouvernement représentatif de sa force réelle, ils réduiraient les chambres à un simulacre de représentation. Ils laisseraient passer une loi dangereuse pour la tranquillité publique, une loi d'impunité qui porterait aux générations futures une accusation générale contre le peuple français ; ils entacheraient à jamais la postérité dans ses racines!

Non, Messieurs, si une pareille loi vous était proposée, c'est au fond de vos cœurs, dans le sentiment de vos de voirs, dans l'orgueil national; que vous trouveriez des armes pour la combattre; et ce serait vainement qu'elle vous serait présentée.

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C'est en tirant une ligne profonde de démarcation

entre le crime et la faiblesse ; c'est en expulsant du territoire de la patrie des hommes devenus l'opprobre de la nation, que vous la replacerez au rang dont elle est descendue.

Aussi, Messieurs, ce n'est pas sans une profonde douleur qu'en parcourant le discours du ministre du Roi, j'aperçois dans un cadre aussi rapproché, mais dans une situation si différente, des hommes accusés par la cla meur publique, traduits devant les chambres par les ministres du Roi; et les assassins du Roi, convaincus de nouveaux crimes, défendus non plus contre la clameur publique seulement, mais contre le soulevement de l'opinion générale, contre l'intérêt du gouvernement menacé par la présence d'ennemis implacables, d'ennemis puissants, d'ennemis que la clémence n'a pu désarmer.

Le testament de Louis XVI, vous dit-on, est toujours présent à la pensée du Roi, et sa parole sacrée, en maintenant une des dispositions importantes de la charte, rassurera la nation sur toutes les autres,

Mais ceux qui vous rappellent le testament de Louis XVI, ont-ils oublié ses malheurs? en ont-ils oublié la cause? Ne sesouviennent-ils plus qu'au commencement de nos malheurs, la punition de quelques grands coupables aurait sauvé le monarque et la monarchie?

Ceux qui nous rappellent les promesses contenues dans la charte, ont-ils oublié que ces promesses ont été observées religieusement par le monarque, et dédaignées par le crine? Cette inviolabilité des régicides est-elle done acquise pour l'avenir? et désormais la tranquillité de la France, le repos de l'Europe seront-ils constamment sa crifiés à une poignée d'agitateurs toujours pardonnés et toujours conspirants.

A-t-on oublié les réclamations de l'immense majorité des colléges électoraux; le vœu de tous les gens de bien? A-t-on prévu les chances d'une amnistie générale ?

Les souvenirs du mois de Mars ne sont-ils plus présents à la mémoire des ministres ? Ignorent-ils que, dans cette révolution, l'usurpateur fut moins le chef que le drapeau du parti? Qu'une conjuration sourde avait miné tous les appuis du trône avant d'avoir osé l'attaquer ? Que la puissance royale n'avait pas survécu à la mise en liberté d'Excelmans? Cette évasion de Lavalette, couverte

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