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ni ces premiers événements qui forment l'introduction de l'histoire du sieur Revel, ni ces incidents bizarres qui eu constituent la partie dramatique. Loin de nous la pensée d'affaiblir en rien l'intérêt qu'appelle sur sa personne le héros de cette scene judiciaire; et, après avoir présenté le sommaire de ses infortunes, il ne nous reste plus qu'à indiquer les moyens de sa cause. Pour cette fois, nous n'osons plus nous fier à une analyse; c'est le sieur Revel lui-même qui va parler. Quelques traits manqueront peut-être à son discours; mais que l'orateur s'en prenne à la rapidité de son débit plutôt qu'à la paresse de notre plume.

D'abord, M. Lambert-Sainte-Croix, avoué nommé d'office au sieur Revel, prend pour lui des conclusions tendantes à ce que le divorce, que sa femme a fait prononcer le 29 Avril 1806, soit déclaré nul, et à ce qu'elle soit déclarée non recevable à le faire prononcer de nouveau, attendu que les délais fixés par la loi sont expirés depuis le jugement qui a admis le divorce.-Cet avoué demande que le sieur Revel soit autorisé à présenter lui-même les moyens de sa cause.

M. Popelin, président, s'adressant au sieur Revel, lui annonce que le tribunal l'admet à plaider sur la demande par lui formée, et l'avertit qu'il doit éviter leș personnalités.

Le sieur Revel, empressé de mettre cet avertissement en pratique, s'exprime ainsi: Mon affaire a causé de la rumeur au bareau, j'ignore si les auditeurs réunis dans cette enceinte y sont attirés par des motifs de bienveillance pour moi, mais je dois préluder par quelques explications pour justifier mon avocat et mon avoué. Celuiei a été dénoncé à la chambre pour m'avoir accompagné chez mes juges et leur avoir distribué mon mémoire. De son côté, Me. Mauguin a été signalé au conseil de discipline de son ordre comme l'auteur du mémoire dont il s'agit. Je déclare qu'il est mon ouvrage, et que je n'ai confié mon manuscrit à cet avocat que pour y faire quelques corrections de style-On se récrie au scandale à l'occasion de ce mémoire; mais il est permis à tout homme d'écrire l'histoire de sa vie, et de la publier. Quoi qu'il en soit, Je brave les deux corporations qui semblent s'agiter contre

moi.

Je somme d'abord mon adverse de me communiquer les pieces dont il prétend faire usage contre moi, l'acte de

divorce de ma femme, l'acte de célébration de son mariage avec le général Auger, celui du décès de ce général; enfin l'acte civil du second mariage qu'elle annonce avoir contracté avec M. le comte de Luxbourg.

"L'histoire n'offre pas un crime semblable à celui que je viens dénoncer à la justice. La bassesse des agents secondaires, l'abus du pouvoir par ceux qui en étaient revêtus, tout s'est réuni contre moi depuis que j'épousai Mlle. Laplaigne. Pendant dix ans j'ai été la victime de ce monstre détestable qui opprima la France, et de ses vils suppôts- vous, qui avez coopéré à ma ruine, qui avez vendu au poids de l'or l'honneur de mon épouse, venez contempler votre victime bientôt obligée de mendier de porte en porte le pain que l'égoïsme refuse au malheur ! ....Vous avez été jusqu'à faire saisir par mes créanciers le prix de l'histoire de mes malheurs."

Ce morceau, écrit et débité d'inspiration, présente un tableau pathétique; mais un trait y manquait, à ce qu'il nous semble. Après s'être montré victime de l'oppresseur du genre humain, le sieur Revel eût dû parler peut-être de cette vertu vraiment stoïque qui le détermina, il y a quelques mois, à servir dans des fonctions administratives ce même homme qu'il devait maudire et comme français et comme époux.

"La requéte en divorce (s'écrie le sieur Revel en reprenant haleine) me peint comme un homme sans fortune, sans état....je maltraite ma femme la premiere nuit de mes noces....je l'empêche d'aller voir sa respectable institutrice......je me livre à des passions honteuses

...j'ai été poursuivi et condamné comme coupable de faux en écriture privée. Sur un tel exposé, un jugement du 11 Avril 1806 a prononcé le divorce pour cause d'injures graves.

"Tous ces faits sont faux......Je prouve que j'étais solvable à cette époque; ma signature était reçue dans le commerce; et en effet c'est le porteur d'un billet que j'ai souscrit alors qui vient former aujourd'hui des oppositions sur le prix de mon histoire.

"Je n'ai pas été, comme on l'a dit, comptable infidele du 15eme régiment de dragons; un quartier-maître de ce régiment se brûla la cervelle, et ce n'est pas moi. (On rit d'une observation aussi naturelle.) Mes comptes ont éte reconnus réguliers, et j'ai été maintenu dans mon grade de capitaine; en voici des preuves convaincantes.

(Il présente un petit registre, que l'huissier remet au président.)

"O m'a reproché aussi d'avoir abandonné mes deux enfants d'un premier mariage, et d'en avoir même caché l'existence à mon épouse; ils ont couché un mois dans notre appartement, et dans des lits que j'avais achetés pour eux et pour leur belle-mere......Exista-t-il jamais des preuves aussi positives?......

"Mes moyens de nullité contre le divorce sont au nombre de trois.

"Le premier résulte de l'illégalité du jugement qui l'a admis. Comment les juges ont-ils pu attribuer à une peine correctionnelle l'effet que les lois ont voulu attacher seulement aux condamnations afflictives et infamantes, celui d'autoriser la dissolution du lien conjugal ?......Ce jugement est injuste, inique, révoltant, scandaleux, etc.; c'est un déni de justice, une véritable forfaiture.

"Le deuxieme moyen de nullité est fondé sur l'insuffisance du délai entre le jugement et la prononciation du divorce par l'officier de l'état civil. D'après les articles 264 et 265 du code, ce n'est qu'à la suite d'un jugement confirmé sur l'appel, ou après l'expiration des délais de cet appel que le divorce peut être prononcé....Ici les délais expiraient seulement le 16 Juillet, puisque c'est le 16 Avril 1806 que le jugement avait été signifié. Si sur le refus de l'officier public de le prononcer le 29 Avril, les parties s'étaient adressées au tribunal, sans doute il aurait ordonné d'observer les délais prescrits par la loi; ainsi le maire n'a pu s'en dispenser de sa propre autorité, sans violer la loi, sans se rendre coupable.

"M'opposera-t-on mon acquiescement au jugement du 11 Avril?.... et qui me l'opposerait?.... ceux-là même qui me l'ont arraché avec violence dans ma prison. ....Je pourrais parler plus tard de ce qui m'est personnel, et je me borne à observer que l'article 6 du Code civil qui défend de déroger aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs, ainsi que l'article 253 du même Code, qui déclare nulles les transactions qui sont l'ouvrage du dol ou de la violence, imposaient au maire le devoir de ne pas admettre un acquiescement daté de ma prison à Dourdan.

"Enfin je tire mon troisieme moyen de nullité, de ce qu'il n'y a pas identité dans les prénoms et même dans le nom de celle qui a poursuivi son divorce devant les tribu

naux, et de celle qui l'a fait prononcer par l'officier de l'état civil.... Donc l'une ou l'autre n'est pas mon épouse. L'acte civil du divorce ne peut m'être opposé, et je persiste dans mes conclusions."

Quelque disposé que paraisse le sieur Revel à prodiguer des injures, du moins nous ne mériterons pas le reproche d'avoir affaibli ses moyens; qu'il salisse un journal obscur de ses phrases décousues,où la sottise et la calomnie rivalisent d'efforts, peu nous importe, nous n'en remplirons pas moins notre devoir, et nous saurons toujours distinguer une question de droit public importante par elle-même, de ces écrits étranges sur lesquels la critiquepeut exercer tous ses droits.

Me. Masson, avant de commencer son plaidoyer, conclut à la suppression du Mémoire dont le sieur Revel venait de se déclarer l'auteur.

"Si Mme. de Luxbourg, dit-il, pouvait remettre en question la validité du jugement qui a admis son divorce, elle vous rappellerait les pénibles circonstances qui ont accompagné son mariage; elle vous parlerait des injures. des mauvais traitements, des sévices dont elle fut accablée pendant quelques mois; elle mettrait sous vos yeux l'enquête dans laquelle les preuves en ont été recueillies, et l'arrêt qui a prononcé la condamnation du sieur Revel pour crime de faux.

"Mais l'intérêt des mœurs et de l'ordre public vient surtout la protéger devant vous. Vous aurez à juger si, depuis dix ans, la comtesse de Luxbourg a joui du titre d'épouse légitime, ou si, pour servir les calculs d'un vil spéculateur, il faudra juger que deux hommes, justement honorés, ne furent que les complices d'un long adultere.

"Avant de publier son libelle, le sieur Revel avait voulu faire acheter à-la-fois et la suppression de cet écrit scandaleux et le désistement de son action; mais l'on n'a pas voulu conclure avec lui ce marché honteux, et il a mis en pratique la maxime des méchants: Calomnions, calomnions, il en restera toujours quelque chose.

"C'est au mois de Nivose an 13 que fut conclu le trop fatal mariage du sieur Revel avec la 'demoiselle Eléonore Laplaigne; le mari, qui parle aujourd'hui de sa fortune, n'avait alors aucun domicile.

"Il logea d'abord à Saint-Germain, chez l'aubergiste Lemaire, qu'il ne peut payer, et qui cherche à se débarrasser le plutôt possible de cet hôte incommode. VOL. LII.

N

Bientôt après il s'établit avec sa compagne chez l'aubergiste Sorel; et, pour retirer ses effets de chez lui, il lui remet une traite de 2000 fr., signée Lafeuille.

"Vient il ensuite s'établir à Paris dans un domicile qui puisse être le domicile conjugal? Non, c'est encore dans un hôtel garni, rue de la Concorde, qu'il conduit sa compagne; il est sans moyens d'existence pour lui et pour son épouse; l'enquête le prouve; il vend jusqu'aux effets personnels de cette derniere, quand on vient l'arrêter; la malheureuse Eléonore est obligée de garder la chambre, parce qu'il ne lui a laissé qu'un mauvais vêtement; il a spéculé même sur les livres qu'elle obtint en prix dans ses classes.

"Dans cette déplorable situation, la jeune épouse s'adresse à son ancienne institutrice, et bientôt, à sa recom mandation, elle est admise comme dame d'honneur chez Mme. Murat.

"Ne pouvant échapper ici à la notoriété des faits, le sieur Revel se répand en calomnie contre tout ce qui se trouve en point de contact avec lui, et la cour qui l'a condamné, et le magistrat du ministere public qui a été forcé de conclure contre lui, et l'avocat qui lui a prêté son secours généreux.

"La cour de Versailles le déclare coupable d'avoir méchamment contrefait la signature de cette traite de 2000 fr. remise à Sorel. Elle ordonne l'affiche de son arrêt.

"Certes, la dame Eléonore de Laplaigne dut chercher dès-lors à briser des liens honteux..... Elle portait le nom d'un homme flétri par la justice. L'adoucissement de la peine ne changeait pas la nature du crime. Elle était la femme d'un faussaire; et la publicité de l'arrêt ne lui permettait pas de cacher son déshonneur.

"Toutefois cette circonstance ne suffisait peut-être pas pour la justice. La demanderesse articule des injures graves, des voies de fait: et une enquête en offre bientôt la preuve concluante.

"Une discussion sérieuse s'engage sur cette enquête; le mari avait pour défenseur ce même avocat au, zele duquel il devait de n'avoir pas subi une peine infamante, et qu'il récompense du succès de ses efforts en vomissant contre lui les calomnies les plus atroces. Après une premiere plaidoirie, le tribunal déclare qu'il y a partage; les moyens respectifs sont de nouveau présentés; et le juge

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