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SÉANCE SUPPLÉMENTAIRE DU 10 JUILLET 1878.

PRÉSIDENCE DE M. SIDENBLADH.

SOMMAIRE. Présentation d'ouvrages.

Lettres d'excuse de MM. Levasseur et Correnti. - SUR

LES BULLETINS DE MARIAGE; discussion: MM. Chervin, Lagneau, Bertillon, Bodio, professeur Worms, Janssens, de Bosch Kemper, Mouat, Rey. DU BULLETIN DE NAISSANCE; discussion : MM. le professeur Worms, Bertillon, Motheré. DU BULLETIN DE DÉCÈS; discussion : MM. Janssens, Finkelnburg, Kiær, Lagneau, Bertillon.

SUR LE PROGRAMME D'ENSEIGNEMENT

DE LA DÉMOGRAPHIE, par M. le D' Bertillon; discussion: MM. Worms, Bertillon, Lexis, G. Renaud, Bodio. Nomination d'une Commission permanente ayant pour but de provoquer un nouveau Congrès de Démographie. — Discours de clôture du Congrès, par M. le Président.

La séance est ouverte à dix heures quinze minutes.

M. CHERVIN, secrétaire général du Congrès. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau du Congrès la première année des Annales de Démographie. C'est un recueil destiné à propager et à développer les connaissances démographiques. Je crois bon que le Congrès décide que la bibliothèque spéciale du Ministère de l'agriculture et du commerce devra posséder la seule publication qui s'occupe spécialement de Démographie. (Approbation.)

J'ai reçu une communication que je dois faire connaitre au Congrès. On nous prie de publier la liste de tous les mémoires qui sont déposés sur le bureau. Pour donner satisfaction à cette demande, je déclare que toutes les pièces communiquées au bureau seront spécifiées sur un catalogue livré à la publicité.

M. BODIO (Italie). J'ai l'honneur de présenter au Congrès le premier volume d'une publication qui, si elle reste fidèle à son programme et à son titre, devra paraitre tous les ans. C'est l'Annuaire de statistique du royaume d'Italie. Je prendrai communication de la liste de tous les membres du Congrès, et je ferai parvenir directement de Rome, à chacun d'eux, un exemplaire de cet annuaire.

M. JANSSENS (Belgique). Je dépose également sur le bureau un exemplaire de l'Annuaire des mouvements de la population de la ville de Bruxelles (16° année, 1877).

M. BERTILLON. Je demande la parole pour faire au Congrès une communication au nom de notre Président d'honneur, qui m'a écrit pour me faire

savoir qu'il aurait désiré assister à cette séance et la présider, comme il a présidé la première, mais qu'il en était empêché par des circonstances indépen

dantes de sa volonté.

M. BODIO (Italie). M. Correnti s'excuse de ne pouvoir assister à cette séance. Il est retenu chez lui malheureusement pour cause de maladie; il doit garder la chambre par ordre du médecin. Il me prie de vous présenter ses remerciements bien sincères pour l'honneur que vous lui avez fait en l'appelant au bureau comme l'un des présidents du Congrès.

DISCUSSION

SUR LES BULLETINS DE MARIAGE, DE NAISSANCE ET DE DÉCÈS.

M. LE PRÉSIDENT. L'ordre du jour appelle la discussion sur les Bulletins de mariage, de naissance et de décès».

La parole est à M. Chervin.

M. CHERVIN, secrétaire général, donne lecture du projet de Bulletin de mariage adopté par la Commission. (V. p. 151.)

M. LE PRÉSIDENT. Quelqu'un d'entre vous, Messieurs, désire-t-il présenter des observations sur le bulletin de mariage?

M. le Dr Gustave LAGNEAU. En France, les mariages consanguins paraissent beaucoup plus fréquents que ne semble l'indiquer la statistique officielle; il importerait certes que leur indication fût plus exacte. Malheureusement, ainsi qu'il a été déjà remarqué, tant qu'il faudra se pourvoir de certaines dispenses religieuses, il est à craindre que de nombreux fiancés omettent volontairement d'indiquer leur degré de parenté.

M. BERTILLON. Mon cher collègue, quand nous avons fait ce bulletin, nous avons demandé qu'on y notat avec soin le degré de parenté entre conjoints, parce que nous estimions, comme vous, que cela était très utile; mais il ne faut pas oublier qu'il y a pour les futurs époux une question de frais de dispense qu'ils cherchent à éviter. Nous ne pouvons rien faire à ce sujet, en ce moment du moins.

UN MEMBRE. En dehors de la consanguinité des conjoints, il y a d'autres indications à obtenir. En Italie, est-ce qu'on ne demande pas des renseignements spéciaux pour les mariages entre beau-frère et belle-sœur ?

M. BODIO (Italie). On les demande; mais l'importance de ce renseignement est bien médiocre, vis-à-vis de celle qui s'attache à reconnaître l'influence de l consanguinité entre époux. D'ailleurs, les raisons pour lesquelles les législaleurs se préoccupent des rapports de parenté d'oncle à nièce ou de tante à neveu, qui se marient entre eux, sont de tout autre ordre que celles qu suggèrent de défendre les mariages entre consanguins à certains degrés.

M. BERTILLON. Au point de vue démographique, ils sont inutiles.

M. BODIO (Italie). Je voudrais aussi appeler l'attention du Congrès sur les difficultés énormes qu'il y aura à obtenir des notices sur le degré d'aisance ou de pauvreté des conjoints. Je doute fort que l'on puisse trouver de pareils renseignements. Je ne puis pas me figurer comment l'officier d'état civil s'y prendra pour les recueillir, à l'occasion du mariage. Qu'est-ce qui distinguera les pauvres des riches? Et d'après quels indices ou appréciations qui puissent ne pas être rejetés comme indiscrets ou tout à fait arbitraires? Est-ce qu'on demandera aux époux: Quelle est votre situation de fortune? Cela ne se pourrait pas évidemment sans inconvenance.

S'il n'y a pas une circonstance de fait qui ressorte évidente et qui s'offre d'elle-même à l'attention de l'officier d'état civil, il me semble qu'il sera impossible de reconnaître et d'enregistrer le degré d'aisance des conjoints. Je pense que l'on pourrait se contenter de savoir quelle est la profession de l'époux, avec cette distinction, si celui qui y est occupé travaille comme maitre, ou plutôt comme commis ou ouvrier. Il sera peut-être alors possible de distinguer entre professions plus ou moins lucratives.

UN MEMBRE. Ce sera là un excellent élément d'appréciation.

M. le professeur WORMS. Oui; mais, pour les ouvriers, qui fera la distinction entre les aisés et les pauvres, les pauvres et les mendiants?

M. JANSSENS (Belgique). Dans les petites communes, on se connaît généralement; c'est donc un renseignement qu'on peut assez facilement obtenir.

UN MEMBRE. Il ne faut pas perdre de vue que, dans cette indication de la misère sur un acte officiel, il y a quelque chose de profondément blessant. M. CHERVIN. Je comprends combien il est difficile d'obtenir des renseignements sur le degré d'aisance des conjoints; il doit y avoir cependant un moyen de s'en procurer. Ne pourrait-on, par exemple, demander s'il y a eu contrat préalable par-devant notaire? Cette question ne saurait blesser en aucune façon les époux, et la réponse qui y serait faite constituerait une précieuse indication. Généralement, entre les futurs qui possèdent un avoir, un pécule, intervient un contrat. Si donc on peut savoir qu'un contrat a précédé le mariage, on aura déjà une raison de penser que les époux sont dans l'aisance; s'il n'y en a pas eu, on sera autorisé à croire que les conjoints sont pauvres.

Mais il y a plus. La législation est la même partout, et, s'il y a contrat préalable, cet acte ayant été passé par-devant notaire, on pourra peut-être en obtenir communication; on y trouvera alors des renseignements précis sur l'apport de chacun des époux.

UN MEMBRE. Cela ne pourrait se faire en Allemagne.

UN AUTRE MEMBRE. Je crois que ce renseignement ne peut être demandé partout et toujours. Cependant, comme il est très important et qu'il constitue pour le Congrès une sorte de desideratum, il semble qu'on doive faire tous les efforts possibles pour trouver un moyen qui puisse le procurer.

A mon avis, les quatre catégories sont faciles à reconnaître. Il y a d'abord les véritables indigents, qui sont assistés et qui obtiennent de se marier gratuitement, sans avoir à payer aucuns frais. Ceux-là sont connus : c'est donc une catégorie facile à établir. Viennent ensuite les citoyens peu aisés, ceux qui ont besoin de lutter pour pourvoir à leur subsistance et ne pas être pauvres; puis les aisés, et enfin les riches. Eh bien! ces trois catégories sont très faciles à reconnaître en procédant suivant la méthode que propose M. Chervin.

M. BERTILLON. Ceux qui ont habité la campagne ne trouveront peut-être pas cette méthode très pratique. Les paysans font plus de contrats que les bourgeois; le notaire, qui a un intérêt immédiat à faire mettre en règle les conjoints l'un vis-à-vis de l'autre, les invite à recourir à cet acte, et l'on en a vu qui n'avaient rien qu'un champ ne valant pas 50 francs, signer un contrat dont le coût dépassait le prix de leur propriété. Dans ce cas, le fait d'un contrat ne constituerait donc pas une preuve d'aisance.

D'un autre côté, dans les familles bourgeoises, non pas riches, mais aisées, quand deux futurs ont le même apport, il n'est pas rare- j'en ai vu des exemples - qu'aucun contrat ne soit passé; on s'engage sous le régime de la communauté, qui est, en France, le régime légal de ceux qui se marient sans contrat, et comme ce régime convient assez à nos mœurs égalitaires, c'est lui qui est désiré le plus souvent, et l'on n'a pas besoin de contrat pour en jouir. Pour toutes ces raisons, je pense que bien souvent l'absence de contrat n'est pas un signe de pauvreté.

M. JANSSENS (Belgique). Le mieux, je crois, serait de laisser cette question à l'appréciation de l'état civil. Je reconnais, du reste, que les renseignements relatifs à l'aisance seront plus faciles à recueillir lors de la constatation des naissances et des décès. La question de profession est intimement liée à la question d'aisance, puisque certaines professions impliquent un certain degré ou au contraire un défaut d'aisance, et l'on sait que l'indigence a une très grande influence sur la mortalité.

UN MEMBRE. Je crois, Messieurs, que le degré d'aisance doit être retranché de notre bulletin de mariage. Il est trop difficile d'avoir des indications certaines sur ce point, et nous ne pouvons laisser à l'officier de l'état civil le soin de le déterminer ; il ne peut connaître la position de fortune de tous les conjoints, et, s'il la connaît, il ne peut cependant la certifier. Il vaudrait mieux ne pas insister sur ce genre de renseignements, car nous ne devons pas faire de la statistique avec des données qui n'ont pas même de vraisemblance, et il nous faut posséder une véritable certitude pour travailler utilement.

M. le Dr Gustave LAGNEAU. L'indication du degré d'aisance ou de fortune est très utile lors de l'inscription du décès, car, au point de vue de la mortalité, certaines statistiques, entre autres celles de Bruxelles, ont montré qu'elle était cinq ou six fois plus grande pour les indigents secourus par l'Assistance publique ou les Bureaux de bienfaisance que pour les personnes plus aisées non assistées. Et cette distinction de personnes secourues par l'Assistance publique et de celles non assistées semble assez facile à établir. Mais lors du

mariage, l'indication du degré d'aisance peut éveiller certaines susceptibilités.

M. DE BOSCH KEMPER (Pays-Bas). A ce qu'il me semble, la distinction dont parle M. Lagneau ne nous aiderait pas beaucoup, car tous les pauvres ne sont pas secourus pas l'Assistance publique. Du moins en Hollande, il y a beaucoup de pauvres qui ne sont secourus que par la bienfaisance privée. Ainsi, même en ayant des renseignements sur ceux qui sont secourus par la bourse communale, on reste ignorant au sujet de ceux qui reçoivent assistance de la main des particuliers.

M. CHERVIN. Je crois, Messieurs, qu'il faudrait renoncer à cette question du degré d'aisance à l'époque du mariage. Nous allons proposer des bulletins qui vont faire une petite révolution dans l'administration, car nous allons troubler sa manière de faire, et, si nous demandons trop, nous n'obtiendrons rien.

De quelle importance peut être pour nous ce degré d'aisance qui, six mois ou un an après le mariage, aura changé d'une façon ou d'une autre, selon des circonstances qui pourront se produire ?

Pour la mortalité, il est nécessaire de le savoir, et on pourra le connaître lors de la vérification des décès. Le médecin qui va à domicile constater la mort voit s'il entre dans une maison somptueuse, dans l'habitation modeste de petits bourgeois ou chez de pauvres gens, et il peut juger à coup sûr du degré d'aisance du défunt. Nous trouverons donc dans le bulletin de décès l'indication qui nous est utile. Ce degré d'aisance, si difficile à constater lors du mariage et qui peut varier peu de temps après, bornons-nous à demander qu'il soit recherché à l'époque du décès, lorsqu'il est aisé à établir, puisque c'est à ce moment qu'il exerce son influence.

UN MEMBRE. Le médecin jugera d'après l'aspect des lieux habités par le défunt, dit l'honorable M. Chervin; mais les apparences sont souvent trompeuses!

M. MOUAT (Angleterre). Je ne voudrais pas insister sur cette question. Il y a d'autres causes qui agissent au point de vue de la mortalité; je reconnais cependant que celle-ci exerce une grande influence. Quant au degré d'aisance, je dirai qu'en Angleterre, au moment du mariage, il y a surtout deux catégories, composées de ceux qui se marient avec dépenses et de ceux qui se marient sans dépenses. Les deux catégories sont bien distinguées par l'état de fortune, et la constatation est facile à faire.

Il n'est pas indifférent de pénétrer de plus en plus dans cette question de l'influence du degré d'aisance, et, pour ma part, je ne vois pas d'inconvénient à ce que le bulletin de mariage porte l'indication proposée. Si on en juge autrement, on renoncera peut-être à un élément utile.

M. JANSSENS (Belgique). Je ferai au Congrès la proposition d'ajouter sur le bulletin, à la suite des mots : indiquer le degré d'aisance", ces autres mots : s'il est possible". Ce sera alors comme pour la confession religieuse : s'il est possible de se procurer les renseignements nécessaires, on les indiquera.

N° 4.

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