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VI. La question de savoir si un adjudicataire de bois qui avait enlevé l'empreinte de la marque apposée par l'autorité publique sur des arbres de réserve, pour la transporter sur d'autres, s'était rendu coupable du délit réprimé par l'article 439, s'est deux fois présentée à juger par la Cour de cassation, et les deux fois il a été décidé que l'adjudicataire avait encouru les peines prononcées par l'article 459, contre les prévenus de destruction d'actes originaux de l'autorité publique. Lorsque la question se présenta pour la premiere fois le 14 août 1812, elle fut fortement débattue; mais après une discussion très-approfondie, l'arrêt passa à une forte majorité; aussi lorsque la question se représenta de nouveau le 4 mai 1822, fut-elle résolue dans le même sens, sans éprouver d'opposition: l'arrêt de 1812 fut motivé sur ce que « les empreintes du marteau royal >> apposées sur des arbres réservés, sont des actes originaux » de l'autorité publique; qu'elles opèrent même un titre de » propriété envers le domaine public et une obligation à » l'adjudicataire de conserver les arbres sur lesquels elles » sont apposées. » Celui de 1822 adopta les motifs du réquisitoire du Procureur-général, qui s'était pourvu en réglement de juges, attendu le conflit négatif qui s'était établi entre la Chambre d'accusation, qui avait renvoyé la connaissance de l'affaire au tribunal correctionnel, et ce tribunal qui avait refusé d'en connaître. On objecterait vainement, disait M. le Procureur-général, qu'il n'y aurait pas eu destruction parce que les empreintes n'auraient été que déplacées : il y a eu destruction, en effet, ajoutait ce magistrat, puisque la marque a cessé d'exister, pour son objet, dans sa destination, et que la loi a perdu sa garantie; le fait du déplacement, continuait-il, loin d'effacer le crime, le complique et le rend punissable sous un double rapport.

VII. Dans les espèces jugées par ces deux arrêts, les empreintes enlevées et remplacées portaient celles du marteau royal: si elles avaient porté celles du marteau d'un particulier, il n'aurait plus été question d'actes originaux de l'autorité publique; le délit serait rentré dans l'application du troisième paragraphe de l'article 439, qui ne punit que

de

peines d'emprisonnement et d'amende la destruction de tous autres actes et pièces emportant obligation, disposition ou décharge; c'est-à-dire, de celles de tous autres actes et pièces que les registres, minutes ou actes originaux de l'autorité publique, effets de commerce ou de banque.

VIII. Après s'être occupé d'une manière spéciale des registres, minutes et actes originaux de l'autorité publique, l'article 459 parle, en général, de titres, billets, lettres de change, effets de commerce ou de banque; mais si la destruction des registres, minutes et actes originaux de l'autorité publique emporte toujours et nécessairement contre son auteur, lorsqu'il s'en est rendu volontairement coupable, la peine et la reclusion, il n'en est de même qu'au cas de destruction des effets de commerce ou de banque: quand la destruction a été d'autres actes ou pièces, elle n'emporte que les peines de l'emprisonnement et de l'amende.

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IX. L'article 439 ayant parlé restrictivement des registres, minutes et actes originaux de l'autorité publique, il suit que tous les autres actes, lors même qu'ils seraient émanés de l'autorité publique, rentreraient dans la catégorie des simples titres ou pièces qui font la matière de la troisième disposition dudit article, et conséquemment que quand la destruction aurait été de la grosse ou de l'expédition d'un acte de l'autorité publique, ce ne seraient que les peines de l'emprisonnement et de l'amende qui devraient être prononcées contre le prévenu, bien ențendu encore que la pièce détruite aurait emporté obligation, disposition ou décharge; car, ce ne serait ni un registre, ni une minute, ni un acte original de l'autorité publique, qui aurait été l'objet de la destruction.

X. L'article 459 a divisé en deux classes très-distinctes les titres et pièces sur lesquels la destruction a pu s'opérer, et qui n'ont le caractère ni de registres, ni de minutes, ni d'actes originaux de l'autorité publique; il a mis dans la première les effets de commerce ou de banque, et dans la seconde tous les autres titres ou pièces. Quant à la destruction des effets de commerce ou de banque, l'article 439 les a assimilés

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aux registres, minutes et actes originaux de l'autorité publique, en prononçant contre leurs auteurs la peine de la reclusion, lorsqu'au contraire ce n'est que celles de l'emprisonnement et de l'amende qu'il a voulu qui fussent appliquées dans tous les autres cas; de sorte que c'est à bien distinguer le caractère de la pièce détruite qu'il faut principalement s'attacher dans les préventions de ce genre.

XI. On a dû remarquer qu'après avoir parlé nominativement des lettres de change dans sa première disposition, l'article 439 n'a plus parlé, dans la seconde, que des effets de commerce ou de banque, sans rien autrement préciser; d'où suit que, si les lettres de change qui auraient été détruites ne constituaient PAS ELLES-MÊMES, et indépendamment de toutes autres circonstances, de véritables effets de commerce ou de banque, la destruction de celles qui n'auraient pas ce caractère ne pourrait donner lieu qu'à l'ap-plication de la dernière disposition dudit article. L'article 632 du Code de commerce qualifie bien d'actes de commerce, ENTRE TOUTES PERSONNES, les lettres de change, ou remises d'argent faites de place en place; mais, tout acte de commerce ne constitue pas nécessairement un effet de commerce, et l'article 439, second alinéa, ne parle que d'effets de commerce, et non pas en général d'actes de commerce. Ce n'est aussi que pour établir la compétence des tribunaux de commerce que l'article 632 répute toutes lettres de change, des actes de commerce, cet article ayant été placé dans le Code sous le tit. 2 du liv. Iv, intitulé : De la compétence des Tribunaux de commerce; et dans l'applica tion de l'article 439, il n'est pas question de simple compétence. Toute la question est dans le point de savoir si les lettres de change sont essentiellement des effets de commerce; or, il est des cas où le Code ne répute les lettres de ⚫change que simples promesses, comme on peut le voir en se reportant aux articles 112, 115 et 114. Le Code les considère alors si peu comme des effets de commerce, que l'article 637 ne permet pas même de prononcer la contrainte par corps contre les signataires non négocians; c'est le fait et non pas la forme de l'acte qui lui imprime le caractère

d'effet de commerce ou de simple billet. Il faudrait en dire de même, à plus forte raison, des billets à ordre, quoique, comme les lettres de change, ils se transmettent par la voie de l'ordre, lors même qu'ils ne seraient pas causés pour fait de commerce, et que les ordres qui en sont passés soient assujétis aux mêmes formalités; ce ne sont que de simples billets lorsqu'ils n'ont pas pour cause un fait de commerce.

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XII. Il résulte de ce que la pièce détruite doit emporter obligation, disposition ou décharge, que l'arrêt de mise en accusation doit énoncer clairement que les effets brûlés ou détruits emportaient obligation, disposition ou décharge lors de leur destruction; car, sans cela, il n'y aurait pas prévention de destruction de titres émportant obligation, disposition ou décharge, ce qui est la condition sine quá non de la loi sic jud. le 12 septembre 1816. Le sieur A.... avait souscrit deux lettres de change au profit de T.......... l'une payable en 1813, l'autre en 1814. Au mois de juil let 1815, T.... traduisit A.... devant le tribunal de commerce, pour se voir condamner à lui en payer le montant. A.... soutint qu'il les avait acquittées, et J...., ne pouvant les représenter, s'en remit au serment décisoire de son prétendu débiteur, qui le prêta, ce qui mit fin à l'exercice de l'action civile; mais J.... rendit plainte en destruction de titres, et la Cour de Caen mit A.... en accusation comme prévenu d'avoir détruit et brûlé les lettres de change en question, et aussi d'avoir prêté un faux serment en justice; mais, sur le pourvoi d'A...., l'arrêt de mise en accusation fut annulé dans ses deux chefs Attendu, sur celui relatif à la destruction des lettres de change, « qu'il n'avait pas » été déclaré dans l'arrêt que, lors du brúlement des traites, >> le paiement n'en avait pas été fait par A...., et qu'ainsi >> elles le constituaient encore débiteur des sommes y énon» cées; Que sur l'action intentée par J.... devant le >> tribunal de commerce, il avait été, au contraire, soutenu » par A.... que, lors dudit brûlement, il avait acquitté » les traites par lui brûlées; que le serment lui ayant été » déféré par J...., il avait fait ce serment; que, dans cet » état, le tribunal de commerce, dont le jugement était

>> passé en force de chose jugée, avait prononcé que, vu ce >> qui résultait du serment et des déclarations d'A...., il » était déchargé de l'action de J... . ; — Que ce jugement » établissait au civil la vérité du paiement des traites lors » du brûlement; qu'il établit donc au civil que, lors du » brûlement, les traites brûlées ne portaient plus d'obli»gation au préjudice d'A.... ; — Que, dans ces circons>>tances, l'action publique qui est indépendante de l'action » civile pouyait, sans doute, être intentée sur le fait de >> l'article 439; mais, que cette action dépendant de la cir» constance qu'à l'époque du brûlement, les lettres brûlées >> portaient encore obligation, ce fait purement civil en » lui-même, et contraire à une décision irrévocablement

rendue au civil, devait être appuyé devant le tribunal >> criminel par une preuve écrite ou du moins par un com>> mencement de preuve par écrit ;-Et, attendu que l'ar» rêt de la chambre des mises en accusation n'établit point » qu'il y ait preuve écrite, ni un commencement de preuve » par écrit, qu'à l'époque du brûlement des traites elles >> portassent encore obligation; que cet arrêt n'énonce même » pas ce fait d'obligation à ladite époque; -Que l'accusation » n'a donc pas les caractères exigés par l'article 439, pour >> constituer un fait criminel; que l'arrêt, dans l'état des » faits qui y sont déclarés, en renvoyant le prévenu devant » la Cour d'assises, a donc violé les règles de compétence » établies par la loi. »

XIII. L'article 439 ne porte pas que la pièce brûlée ou détruite appartiendra à autrui ; mais il le sous-entend nécessairement; car, si c'était sa propre chose, on aurait pu en user et même en abuser, et se priver, par ce moyen, d'en poursuivre l'exécution. La pièce aurait bien pu, sans doute, contenir obligation, disposition ou décharge; mais, en la détruisant, l'auteur de la destruction n'aurait pas porté préjudice à autrui; et ce n'est qu'à raison d'un préjudice causé à autrui que le Code considère comme délit la destruction des pièces.

XIV. Le Code ne s'est pas occupé, dans son article 439, du cas où des fonctionnaires ou officiers publics auraient

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