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sinon intervenir, pour ne pas manquer à ses engagements.

L'ancien président du 22 février abandonna bientôt la question des traités pour saisir celle des intérêts de la France exclusivement.

S'il était évident que la question belge, résolue par le siége d'Anvers, contint la possibilité de la guerre générale, il fallait avouer que la question espagnole avait une bien plus grande importance pour la France, et que l'effet d'une contre-révolution serait funeste au pays, en mécontentant l'Angleterre et en exaltant la Russie et nos provinces du Midi.

Mais que demandait l'ancien chef du Cabinet; il demandait non l'intervention subite et immédiate, mais que le Gouvernement se réservât sa liberté et sa résolution d'agir selon les circonstances. La possibilité d'agir lui semblait donc seule mériter un examen, et alors naissaient deux obstacles celui de donner un gouvernement à l'Espagne quand on avait tant de peine à se gouverner soi-même, et celui de croire à notre armée et à notre politique, autant qu'à celles de Napoléon. Il refutait la première objection, en affirmant qu'il n'avait point eu la pensée de gouverner l'Espagne, mais d'y empêcher le triomphe de la contre-révolution; la seconde tombait devant le changement des esprits et la réussite de la restauration en Espagne. Empêcher la contre-révolution, c'était là, disaitil, le vœu du traité. L'orateur adoptait donc la rédaction de la commission, tandis qu'il repousait l'amendement de MI. Hébert, comme déclarant que l'on était résolu à laisser périr l'Espagne plutôt qu'à employer les moyens de la

sauver.

Le président du Conseil s'étonnait de l'insistance du préopinant à vouloir rendre l'intervention presque obligatoire. Ce n'avait pas été de tout temps l'opinion de M. Thiers, il avait refusé d'occuper Fontarabie et le Passage avec l'Angleterre en 1836, sous la réserve d'une coopération qui

n'avait pas eu lieu. C'était donc aux circonstances à dicter au Cabinet la conduite qu'il devait tenir, et non à la Chambre à la lui imposer.

« Ce que nous vous demandons, disait M. Molé, c'est donc de rester libres, c'est que la Chambre nous donne un témoignage de son estime et de sa confiance, en nous disant: « Vous avez bien fait jusqu'ici; vous êtes des hommes consciencieux, de bons Français. A l'avenir pensez-y bien, et faites ce que votre prudence vous conseillera.» En présence d'un tel langage, nous sommes prêts à nous dévouer; mais avec l'interprétation que nos adversaires ont donnée au paragraphe, en l'adoptant, vous laisseriez deux politiques en présence; votre adresse approuverait notre politique à l'intérieur et condamnerait notre politique à l'extérieur; ce serait la première fois que la Chambre des députés refuserait au Gouvernement, dans son adresse, une adhésion explicite, surtout à sa politique extérieure. L'amendement devenu si nécessaire ne fait pas autre chose. Ces mots en continuant, supposent l'approbation du passé, et réservent l'avenir, en s'en rapportant à notre prudence; ils nous laissent, comme le traité, notre liberté, et ne permettent aucune équivoque. »

Exténué d'efforts après une discussion aussi longue et aussi vive, M. Thiers s'applaudissait de voir reculer le Cabinet en face de ses propres conclusions. Il lui portait le défi de répéter le célèbre mot jamais. D'après sa conviction personnelle, on ne pouvait accepter l'amendement de M. Hébert sans approuver tout à la fois le passé et l'avenir; il fallait simplement s'en tenir au paragraphe de l'adresse.

« Je veux vous faire voir, ajoutait l'habile orateur, que dans l'esprit du Gouvernement, comme dans celui de la Chambre, quand on arrive face à face avec le fond de laquestion, on reconnaît que si on prend la résolution de ne rien faire, résolution définitive et irrévocable... on aboutit à l'idée de la contre-révolution. Cela est si vrai, que le Cabinet lui-même vient de dire que si l'intérêt de la France l'exigeait, si sa situation le comportait, dans ce cas il consulterait les besoins de la France. Donc il convient de dire, comme l'a fait la commission, qu'il faut se réserver la possibilité, et nous ne demandons que ce que la commission demande elle-même. Là est et sera éternellement la question.

« Là est le droit, là est la force, là uniquement. C'est dans la possibilité, Messieurs, que consiste la force du Gouvernement, que consiste la nôtre, que consiste la fidélité au traité de la quadruple alliance, que consiste l'appui moral; car le jour où vous aurez décidé que l'appui matériel ne peut

éventuellement arriver, l'appui inoral sera anéanti; et la révolution qui depuis quatre ans ne vit que d'appui moral, car vous ne lui avez donné autre chose, sera étouffée. Le mot continuer ne convient-il pas à une pensée qui est de ne rien faire de sérieux ? »

Sous l'influence de pareils débats et en présence des difficultés que son refus devait soulever, la Chambre adopta l'amendement de M. Hébert, et le Gouvernement, dès lors, demeura libre de ses moyens d'action dans la péninsule.

Après le paragraphe 5, relatif aux alliances de la famille royale, et qui ne fit naître aucun débat, il s'agissait d'exprimer sa pensée sur les résultats de la glorieuse expédition de Constantine; de consacrer ou d'improuver notre établissement et nos conquêtes en Afrique. Ce rôle revenait de droit à M. Jaubert, qui, cette année, n'entraîna pas les sympathies de la Chambre.

13 Janvier. Le paragraphe 7 espérait dans la fermeté du Gouvernement à mener heureusement à terme nos négociations avec Haïti, sous la protection de notre marine. Ces mots sous la protection, paraissaient une menace de guerre à MM. Salverte et Glaiz-Bizoin, qui en demandèrent la suppression. M. Teste s'y opposa, et le président du Conseil, en assurant que l'on n'emploierait les forces navales qu'après avoir épuisé tous les autres moyens, décida la Chambre à l'adoption du paragraphe tel qu'il était.

Il n'aurait pas été d'ailleurs prudent d'augmenter les embarras d'une négociation, déjà difficile, par une discussion intempestive. Haïti devait 150 millions à la France, il fallait les exiger avec dignité et au nom du droit.

Quant au traité conclu avec la Bolivie, et dont le paragraphe 8 félicitait le gouvernement; M. Lacrosse se plaignait de la confiscation du brick français, le Jeune Nelly et de sa marchandise, par le Gouvernement Chilien; il invitait le ministre des affaires étrangères à déclarer à quelle époque la France exigerait les indemnités dues pour le pillage du brick le Jeune Nelly; sur la promesse que fit M. le président du Conseil de s'occuper activement de cette affaire,

dont il avait actuellement les pièces en main, M. Lacrosse s'avoua pour satisfait.

Le paragraphe 9 ramena la grande question de la conversion des rentes votées en 1836, et dans laquelle M. Humann avait apporté l'autorité de son raisonnement et de son expérience.

La conversion, aux yeux de M. Salverte, devenait opportune en face de la prospérité de nos finances et du repos du monde annoncés dans l'adresse. Pourquoi donc le Gouvernement, à la suite du tableau si favorable de nos finances, concluait-il à une augmentation de dépenses ?

Le ministre des finances reconnaissait le droit du Gouvernement de rembourser le capital de la rente, mais notre prospérité n'était pas encore affermie, assez complète pour procéder à une aussi vaste opération. On attendrait des circonstances plus favorables encore; en résumé, il serait dangereux de froisser la confiance et le crédit public par une économie illusoire de 17 à 18 millions.

L'équilibre du numéraire et du papier de crédit en France, était l'argument de M. Salverte, contre l'inopportunité alléguée par le ministre.

M. Fould trouvait la réduction de la rente intimement liée à la question de l'amortissement; avant tout il fallait connaître les ressources du trésor.

Vint ensuite M. de Lamartine, qui, selon ses expressions, se posa comme un paradoxe devant la Chambre. D'après son opinion le remboursement de la rente était une iniquité scandaleuse dans la circonstance actuelle. L'Angleterre l'avait exercée, il est vrai, cinq fois, mais la première fois, en 1717, elle avait excepté scrupuleusement toutes les dettes et les annuités ayant le caractère de l'irremboursabilité, tandis que la rente française, basée dès 1793 sur des capitaux fictifs au denier cent, etc., et sur la banqueroute, gardait la nature d'inviolabilité. Cambon, le rapporteur de la loi de 1793, qui créa le grand livre, Cambon reconnaissait bien la faculté du rachat, mais disait : on pourra ra

cheter, au cours du jour, les rentes que les particuliers voudront librement revendre. Or, l'amortissement est seul légitime.

De plus, comment rembourser les rentes des biens vendus des communes, de dotation, de la légion-d'honneur, de l'université, des hospices? ces biens n'ont-ils pas doublé de valeur dans vos mains spoliatrices, et vous proposez le remboursement et la réduction!

L'orateur, dans l'entraînement de sa chaleureuse éloquence, s'exprimait ainsi sur le prêt et sur la propriété foncière.

Je sais que vos yeux se ferment à ces évidences, pour ne voir que les heureux prêteurs de 1815, de 1817 et de 1818; je conviens que les chances aléatoires de leur contrat ont été pour eux. Mais leur fortune n'a-t-elle pas été celle de la France, n'est-ce pas leur argent qui a racheté et libéré le territoire, soldé la rançon du pays, renvoyé l'étranger, restauré le crédit, payé l'arriéré, vivifié le sol, alimenté toutes les grandes entreprises nationales de défense, de viabilité, de canalisation? Notre capital territorial ne s'est-il pas accru avec le leur, la valeur de nos maisons et de nos terres n'estelle pas doublée par eux ? Pouvez-vous comparer la France d'alors, sans crédit, sans industrie, sans mouvement, payant à peine un impôt de 700 millions, à la France d'aujourd'hui, couverte des richesses du travail, regorgeant de capitaux, offrant un milliard à la nouvelle industrie des chemins de fer, payant légèrement son milliard d'impôt, et prête à jeter deux milliards encore à des créanciers qui ne les demandent pas ? Eh bien! cette prospérité inouïe, d'où date-t-elle ? De vos emprunts, de votre crédit créé et raffermi par votre fidélité à vos engagements même onéreux. Oui, c'est sa dette qui a enrichi la France; car sans sa dette, elle n'aurait pas emprunté, et le crédit que ses emprunts lui ont donné en créant ce capital de numéraire fictif, qui a tout vivifié sur son sol, a décuplé le capital du sol. Propriétaires de terres, vous êtes bien ingrats, vous ne comptez que ce que le paiement de l'intérêt vous coûte; comptez donc aussi ce que le crédit fondé a ajouté à votre capital! Vos prêteurs ont gagné; et vous done? voulez-vous compter? Comptons :

« Mais quand vous admettrez ces bénéfices usuraires dans un contrat dont cependant vous avez fait les conditions vous-mêmes; quand vous tous seriez assez insensés pour vouloir frapper sur ces riches, et établir ce maximum du crédit et de l'argent: est-ce sur les heureux rentiers de 1815 et de 1817 que vos coups porteront aujourd'hui ? Non, Messieurs, vous le savez, la rente se déclasse tous les dix ans, tous les dix ans les rentes ehangent de mains, et au lieu d'atteindre ces capitalistes de 1815 qui les ont achetés à 60, vous ne frapperez que ces rentiers de bonne foi qui possèdent par petites fractions des rentes achetées depuis dix ans à un prix plus élev

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