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dition du plus grand nombre, les améliorations que le sort des travailleurs peut subir ne leur apporteront sans doute qu'une faible augmentation de bien-être, et assurément ne les dispenseront jamais de l'ordre et de l'économie.

Or, il faut bien en convenir, les ouvriers oublient trop souvent qu'une sage réduction dans leurs dépenses, dans ceiles surtout que la satisfaction de besoins factices ou le goût du plaisir leur imposent, serait pour eux un premier moyen de Jutter contre les difficultés qui s'opposent à l'élévation des salaires. Les ouvriers, et principalement ceux qui travaillent dans les grandes villes, ont contracté des habitudes de dépenses qui absorbent une partie notable de leur salaire. Nous n'exagérons rien en disant que la fréquentation du cabaret, l'usage du tabac, le chômage du lundi font peser sur un grand nombre d'ouvriers une perte de quatre à cinq cents francs par an!

« Si ceux qui consacrent le lundi à un repos dont ils n'ont pas besoin voulaient travailler ce jour-là et mettre à la caisse d'épargne la somme qu'ils gagneraient et celle qu'ils auraient dépensée, ils verraient bientôt (tous sont à même de faire ce calcul) qu'au bout de quelques années, il leur resterait une somme suffisante pour doter une fille ou pour exempter du service militaire un fils qui est

destiné à devenir leur soutien (1). "

Qu'on ne croie pas cependant que nous voulions interdire aux ouvriers la jouissance des plaisirs et des amusements honnêtes. L'intelligence, en effet, ne peut être sans cesse tendue; les mains ne peuvent toujours être actives. Les travailleurs ont évidemment besoin de repos et de distractions; mais nous demandons que, sous le prétexte de s'amuser et de se divertir, l'ouvrier ne se livre pas à de coupables excès; qu'il repousse ces plaisirs bruyants qui ruinent sa santé et sa bourse, plaisirs dangereux dont l'intempérance fait souvent tous les frais, et qui ne peuvent que fatiguer le corps et abrutir l'esprit, au lieu de leur donner un délassement salutaire. L'ouvrier qui dépense en deux jours au billard ou au cabaret, au milieu de querelles souvent sanglantes, le pécule qui devait subvenir pendant la semaine à l'existence de sa famille, à l'entretien de son ménage, n'achète-t-il pas au prix d'un cruel remords le faux plaisir qu'il s'est donné ?

Nous ne saurions done trop le répéter la valeur des salaires est relative à l'emploi qui en est fait. Tel ouvrier, économe et rangé, mivra, fera vivre sa famille, et amassera quelques épargnes avec le salaire que tel autre ouvrier, prodigue

(1) B. DELESSERT : Le Guide du bonkeur.

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L'organisation du travail! voilà le grand mot, l'expression pompeuse qui a souvent retenti depuis quelques années. D'ardents réformateurs réclament vivement cette organisation qui, dans leur esprit sans doute, doit résoudre toutes les questions que soulève la constitution actuelle de l'industrie, questions de salaire, de libre concurrence, etc., et améliorer profondément le sort des travailleurs.

les mesures à prendre, sur la marche à suivre pour arriver à cette organisation.

Les uns, sans exposer aucun plan d'organisation qui s'appuie sur des faits observés, sur des résultats obtenus, se bornent à mettre en avant des doctrines plus ou moins hasardées. Ils sollicitent l'application de ces doctrines, comme si le corps social pouvait être soumis sans dangers à de semblables essais; comme En admettant, ce que nous pour- si le gouvernement pouvait s'engarions contester, que tous ces réforma- ger dans des expériences législatives : teurs fussent exclusivement préoc- qui, mal conçues ou mal dirigées, cupés de l'influence que l'organisa-deviendraient pour les classes labotion du travail peut exercer sur l'avenir et le bien-être des ouvriers, il faut convenir au moins qu'ils sont loin d'être d'accord entre eux sur

rieuses une cause de misère, de souffrance et de mort. Les autres se contentent de rajeunir, dans leur programme incomplet, de vieillee

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formes d'association empruntées à Fautres àges et emportées avec eux. Quand nous entendons demander autour de nous l'organisation du travail, nous ne pouvons nous empêcher de penser que ce n'est pas là une idée nouvelle, mais une ancienne idée, au contraire, jugée et condamnée après une trop longue expérimentation.

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Le travail a été organisé pendant deux siècles. Nous avons eu les corporations, les maîtrises, les jurandes; à cette époque, le droit de travailler était mis à prix; le génie industriel était enchaîné par des réglements tyranniques; à cette époque aussi l'industrie demeurait stationnaire; les ouvriers pauvres ne pouvaient améliorer leur condition; le consommateur était privé des avantages de la concurrence. La Révolution vint affranchir enfin l'industrie, en brisant les liens qui la retenaient captive ; 1 industrie et Ja production ont pris une immense essor; les salaires ont doublé ; l'aisance générale s'est accrue. Eh bien! croirait-on, lorsque la condition des masses est moins pénible aujourd'hui qu'à aucune époque de notre histoire, lorsque les ouvriers sont mieux nourris, mieux logés, mieux vêtus que par le passé; croirait-on, disons-nous, en présence de ces progrès dus en partie à l'émancipation de l'industrie, que certains hommes ne voient de salut pour l'organisation du travail que dans le rétablis

sement des jurandes, des maîtrises, des constitutions hiérarchiques des corps et métiers! Oui! quelques réformateurs en sont encore là.

Mais, nous dira-t-on, parce que l'organisation du travail avait ses inconvénients, s'ensuit-il forcément que le régime actuel, que la liberté illimitée du travail soient exempts d'abus? Nous ne contestons pas cette vérité. Seulement nous ne voudrions pas que l'organisation du travail fût présentée comme un remède à tous les maux, ou tout au moins comme une solution de toutes les difficultés.

L'organisation du travail, si toutefois cette organisation était réalisable, ne maintiendrait pas le prix des salaires fixe et invariable, parce que, sous le régime de la concurrence, la production monte naturellement au niveau de la vente, le taux des salaires au niveau de la production; parce que le salaire, qui s'élève quand les demandes abondent, tombe quand les demandes cessent ou diminuent; parce que c'est là une loi de la nature qu'aucune organisation ne changera.

L'organisation du travail n'empêcherait pas la concurrence d'amener forcément l'abaissement des salaires, lorsque le fabricant, l'industriel, pour ne pas laisser envahir notre marché par la concurrence étrangère, seraient obligés, afin d'abaisser leur prix de vente, de réduire le prix de la main-d'œuvre.

L'organisation du travail serait lout aussi impuissante à mettre l'industrie à l'abri des commotions politiques, à l'abri des crises financières.

comme une perspective séduisante une organisation dont on leur montre, sous les plus brillantes couleurs, les merveilleux effets. Mais si le dernier mot, si le triomphe de cette organisation si vantée étaient de substituter seulement à l'incerti

Si maintenant nous examinons les théories plus généreuses qu'applicables, que le désir d'organisertude de leur condition une sécurité

à tout prix le travail a fait naître dans certains esprits, que trouvons nous? Nous trouvons que le principe de l'association des travaux, du travail en communauté, sert de lase à la plupart de ces théorics, soft que le gouvernement, selon le vœu des Saints-Simoniens, prenne la direction absolue de l'industrie et préside au travail de tous; soit qu'il se borne, ainsi que d'autres réformateurs le demandent, à créer des ateliers sociaux qui, plus tard, fonctionneraient par leur propre impulsion sous la seule surveillance de l'Etat.

Or, le principe qui consacre la mise du travail en communauté nous effraie; nous craindrions qu'il ne fût fatal à la liberté du travailleur; que celui-ci ne perdit une partie de son indépendance et de son énergie; que le libre arbitre de l'ouvrier, que sa résolution individuelle ne s'affaiblissent; nous craindrions, en un mot, et comme on l'a | fort bien dit, qu'on ne fit sous l'empire de ces théories, que séquestrer le travail à force de vouloir l'orga

niser.

Les ouvriers peuvent accepter

froide et monotone qui rendrait leur activité inutile et ne présenterait aucun élément à leur ambition, ils regarderaient bientôt l'organisation du travail comme une détestable entrave, regrettant la position incertaine dont ils jouissaient au moins en liberté.

Gardons-nous donc bien de faire aux travailleurs de chimériques promesses au nom de l'organisation du travail; — évitons de leur faire concevoir des espérances que cette organisation, alors même qu'elle serait tentée, ne réaliserait peut-être pas. La science qu'on appelle l'économie politique n'a pas encore trouvé la meilleure solution de toutes les questions qu'elle étudie dans l'intérêt de la société. Ne devançons pas ses progrès par de dangereuses tentatives.

N'avons-nous pas d'ailleurs des institutions protectrices et régle-i mentaires de la production et du travail? N'avons-nous pas, au point de vue de l'agriculture, nos institutions agricoles de divers degrés ; au point de vue de l'industrie, les Chambres de commerce et de manufactures, et l'organisation des

- Conseils de Prud'hommes, appelés, | par leur intervention salutaire, à réaliser la plupart des réformes que les classes laborieuses sont en droit d'attendre?

« Il y a plus comme corollaire des établissements de Prud'hommes, manufacturières possèdent déjà ou possèderont bientôt d'autres institutions qui, de près ou de loin, peuvent servir efficacement à établir une condition meilleure pour les classes laborieuses. Les sociétés de secours mutuels, dont la propagation est en ce moment si générale, n'attendent qu'un acte législatif | pour agrandir leur influence sur le bien-être et la moralisation du peuple. Dans l'ordre des idées d'économie et de prévoyance, les travailleurs ont les Monts-de-Piété, qu'il faut multiplier en dépit d'injustes préventions, les Caisses d'épargnes, l'une des plus admirables entre les institutions modernes. Quant aux moyens d'instruction et de philanthropie, nous avons les salles d'asile, les écoles primaires, les classes d'adultes et les établissements si utiles des arts et métiers.

rèts répond une protection, à tous les besoins une ressource, à tous les droits une garantie; pour cela il n'est nécessaire de rien détruire violemment, de rien tenter non plus de nouveau et de difficile. Réunir et coordonner les institutions régissent, mais imparfaitement, les diverses branches de la production industrielle; sur cette base ancienne déjà et respectée, édifier un système de législation pratique qui protége mieux la consommation sans nuire à une juste et loyale concurrence (1), qui concilie l'intérêt du salariant et du salarié; tel est peut-être tout le secret de l'organisation du tra| vail (2).

(1) Quant à la concurrence déloyale qui, pour abaisser le prix de vente, trompe le du produit vendu, qui falsifie la marchanconsommateur sur la nature et la qualité dise quelle qu'elle soit, elle ne saurait être trop sévérement réprimée. Si les lois étaient impuissantes à punir de semblables excès, qui feraient bientôt dégénérer le commerce en un vol organisé, il faudrait que des lois nouvelles permissent de sévir avec énergie contre les fraudes de la concurrence qui portent atteinte à la morale publique. (Note de l'auteur.)

(2) M. J.-A. AMOUROUX Extrait du « On le voit donc, à tous les inté-journal le Monde industrie!.

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