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Que des ouvriers s'associent dans. une pensée de bienfaisance; qu'ils se proposent de donner du travail à celui qui en manque, de subvenir aux frais de maladie du compagnon qui est souffrant, de le secourir au sortir de l'hospice, de lui faire rendre, s'il meurt, les derniers devoirs; rien de mieux. C'est bien de s'associer pour le travail et l'assistance, le plaisir et la peine; mais il ne faut pas que l'amour de sa société soit la haine de la société d'un autre nom; il ne faut pas regarder comme un ennemi quiconque n'appartient pas à la société dont nous faisons partic.

Espérons que le temps n'est pas éloigné où les compagnons cesseront d'être ainsi divisés, et où ils conserveront, pour servir au besoin la patrie, le courage qu'ils déploient à soutenir l'honneur de leurs compagnies.

Que tous les compagnons aient sans cesse présentes à la mémoire ces sages paroles que Timon (1) prête à Maitre Pierre, lorsque celuici cherche à séparer deux ouvriers, un Gavot et un Dévorant, qui s'injurient et se batteut pour un ruban rouge ou bleu, pour une rosette fleurie mise à la même bouton

nière :

Que faites-vous, leur dit-il, estce que vous n'êtes pas ouvriers du mème état?

«Est-ce que vous n'avez pas été apprentis chez les mêmes maitres?

Est-ce que vous n'ajustiez pas les mêmes pièces l'un pour l'autre, l'un avec l'autre ?

⚫ Sont-ils nos ennemis, s'écrie un des personnages que le Livre du Compagnonnage met en scène, Paul le Nivernais; sont-ils nos ennemis tous ces hommes courageux travail lant et suant comme nous? Non; le tailleur de pierre, le charpentier, le menuisier, le serrurier, etc., ceux qui construisent, qui décorent, qui meublent nos habitations, ceux qui tissent nos draps, qui confection- «Est-ce que celui-ci n'achevait nent nos vêtements, ceux qui nous pas l'ouvrage que celui-là avait comprocurent ou qui nous préparent | mencé? les aliments, qui soutiennent et conservent notre existence, tous agissent, tous produisent et sont d'une égale utilité au bien commun de la grande société... Et pourquoi, ô membres d'un même corps et destinés à vivre les uns près des autres, à s'entr'aider continuellement, nous faisons-nous depuis plusieurs siècles une guerre crueile? »

«Est-ce que vous n'habitiez pas sous le même toit, que vous ne mangiez pas à la même table, que Vous ne buviez pas dans le même verre ?

«Est-ce que vous n'avez pas été à l'école ensemble?

(1) TIMON: Entretiens de Village. Paris, chez Fagnerre, éditeur.

Est-ce que vous n'êtes pas de la même province ?

«Est-ce que vous n'êtes pas tous deux Français ?

Et vous voulez vous mettre à

que tous les hommes doivent s'aimer, s'entr'aider, se traiter en amis, que le travail crée entre eux un nouveau lien, il faudrait dissoudre le compagnonnage, qui ne présenterait qu'une institution dangereuse et Si de vaines rivalités de compa- peu profitable, et chercher à lui gnies, si le désir de donner satisfac-substituer une véritable association fraternelle, seule digne de la civilisation chrétienne.

mort!»

tion à un faux point d'honneur pouvaient faire oublier aux ouvriers

CHAPITRE XII.

DES CONTRE- MAITRES.

DE LEUR INFLUENCE.

Les contre-maltres, les chefsd'ateliers sont appelés à exercer sur les ouvriers qu'ils dirigent une influence incontestable. Aussi les industriels qui ont réellement à cœur la moralisation des classes ouvrières ue doivent-ils confier les importantes fonctions de contre-maître qu'à des hommes doués des qualités que nécessite l'exercice de ces fonctions. On a comparé avec raison les contre-maîtres aux sous-officiers de l'armée, qui, par suite de leurs devoirs, s'interposent entre les officiers et les simples soldats. Les chefs d'ateliers ont en effet la même mission à remplir. Placés entre les industriels et les ouvriers, ils ser

vent d'organe aux uns comme aux autres; ils transmettent tout à la fois aux travailleurs les ordres du maître, et au maître les demandes, les observations, les griefs des travailleurs. Concilier les intérêts de l'entrepreneur avec les droits des ouvriers, tel est le rôle difficile et délicat du contre-maître.

« Ce rôle bien compris n'exige pas seulement de la part du contremaître des qualités industrielles peu communes, mais aussi des capacités intellectuelles et morales capables d'exercer de l'ascendant sur l'esprit des travailleurs confiés à sa surveillance. Le contre-maître est tout ensemble un ouvrier et un ad

ministrateur. Cette dernière qualité doit néanmoins dominer en lui, parce que son principal mandat est de suppléer le chef d'entreprise auprès des ouvriers. C'est à titre d'administrateur qu'on peut attendre de lui un concours efficace pour l'introduction ou l'affermissement de la discipline dans son escouade, et, par discipline, j'entends ce qui touche à l'exactitude dans le travail, à l'obéissance, comme ce qui intéresse les bonnes mœurs. L'intelligence, le tact et la mesure l'aideront sans doute beaucoup à captiver les esprits; mais cet assemblage de qualités, quoique précieux, serait insuffisant pour atteindre la partie morale du but s'il n'y joignait l'exemple d'une vie régulière. Je dirai plus en matière de mœurs, il faut que le chef d'industrie soit lui-même à l'abri de toute critique, sinon les leçons qui émaneront de lui ou de ses délégués seront dépourvues d'autorité et tout-à-fait infructueuses.

Plusieurs bons esprits qui s'occupent avec sollicitude de l'organisation de l'industrie ont invité les économistes à déterminer quelle pourrait être la part d'influence des ouvriers intelligents, honnètes et Jaborieux dans l'amélioration morale de la masse des travailleurs.

« Un simple ouvrier, quelque honorable qu'il fût par son habileté et sa bonne conduite, ne saurait prétendre à une influence marquée sur

ses compagnons, parce que n'étant que leur égal, il n'aurait aucun droit de leur faire des représentations et encore moins des reproches. Son exemple serait utile comme exemple moral. Là se bornerait toute la portée qu'on pourrait en attendre. Les sous-chefs, les contre-maîtres seuls, dans les mêmes conditions données, seraient à même de contribuer puissamment à la réforme des ouvriers placés sous leurs ordres, et la raison en est qu'investis, chacur dans leur sphère, de l'autorité de leurs chefs, ils auraient qualité non-seulement pour donner des conseils, mais pour faire des représentations d'autant plus persuasives qu'elles seraient en harmonie avec leur propre conduite (1).»

Les ouvriers qui, par leur aptitude, deviennent chef d'ateliers acceptent une responsabilité qui leur impose de nombreux devoirs. Sans oublier les liens de confraternité que le travail et la vie d'atelier ont établis entre eux et les autres ouvriers, ils doivent néanmoins faire respecter la discipline, le bon ordre, et diriger vers un but unique, la prospérité de l'entreprise, les forces, l'intelligence et l'activité de tous les travailleurs.

Il faut que le contre-maître, représentant naturel du chef d'industrie, ait les qualités qui distin

(1) M. FRÉGIER : Nes classes dangereuses de la population.

gue le bon maître; il faut qu'il se montre toujours juste, car la justice tempère la sévérité; qu'il donne ses ordres avec fermeté, mais avec politesse; il faut qu'il s'abstienne de toute parole blessante, de toute expression dédaigneuse, comme il convient aussi qu'évitant toute basse familiarité, il conserve à l'égard de ses subordonnés la dignité qui lui est nécessaire pour être écouté et obéi. Il est surtout essentiel que le contre-maître, pour donner à ses avis, à ses reproches, une grande et la meilleure autorité, prêche d'exemple partout, et sous tous les rapports. S'il est zélé, laborieux, rangé, ses paroles auront quelque empire quand il recommandera à ses anciens compagnons, aux ouvriers dont il sera resté l'ami, le dévoûment à leurs devoirs, l'amour du travail, l'économie. S'il a de bonnes mœurs, s'il est bon fils, bon mari, bon père, il aura le droit de parler, la tête haute, des saintes affections de famille, et peut-être sera-t-il assez heureux pour ramener à de meilleurs sentiments, par l'exemple qu'il donnera, un fils, un époux,

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Dans un précédent chapitre (1), nous avons rappelé les principaux devoirs des ouvriers envers leurs maîtres; nous venons d'indiquer ici les qualités essentielles qui constituent le contre-maître influent; faisons connaître maintenant les devoirs de l'apprenti destiné à prendre un jour son rang parmi les ouvriers, et à devenir plus tard, par son travail et sa bonne conduite, contre-maître, et, qui sait, chef de ce même atelier où il aura fait son apprentissage.

(1) Chapitre VIII.

CHAPITRE XIII.

DEVOIRS DES APPRENTIS.

OBLIGATIONS DES MAITRES.

Avant de donner aux apprentis, qui liront peut-être ces pages que nous leur destinons, les conseils que leur propre intérêt nous inspire, nous croyons utile de rappeler aux pères et mères « que l'apprentissage est pour le jeune ouvrier le noviciat de la moralité et du vice, suivant le caractère du maître sous lequel il tombe et des compagnons auxquels il se trouve associé; » qu'ils doivent dès lors regarder comme une chose grave et sérieuse le placement de leurs enfants en apprentissage, et ne pas livrer sans réflexion ces jeunes êtres au premier venu. L'apprenti, bien dirigé sous le rapport moral et industriel, deviendra un honnête homme et un bon ouvrier; il ne sera jamais ni l'un ni l'autre, si la moralité, si l'amour du travail et de son état n'ont pas servi de bases à son apprentissage. Aussi blàmons-nous la coupable indifférence des familles qui souvent abandonnent au hasard le choix d'un maître, au lieu d'apporter dans ce choix important l'attention qu'il mérite.

Toutefois les meilleures dispositions du maître à l'égard de l'ap

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prenti demeureraient sans résultat, si l'apprenti ne cherchait à répondre par de bons sentiments, par une sage conduite, par un exact accomplissement de ses devoirs, à la bienveillance de son patron et aux soins qu'il en recevrait.

L'apprenti ne doit pas oublier que le prix de son apprentissage impose à sa famille un lourd sacrifice. Il doit, dès-lors, pour que ce sacrifice ne soit pas fait en pure perte, consacrer tout son temps à acquérir les connaissances qui lui permettront un jour de gagner sa vie, comme tout bon ouvrier, et peut-être de venir plus tard en aide à ses parents que l'âge où les infirmités condamneraient au repos. Plus l'apprenti montrera de zèle à profiter des leçons qui lui seront données, plus il inspirera d'intérêt au maître ou à l'ouvrier chargé de l'instruire, et plus ses progrès seront rapides.

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Quelque peu importantes que soient en apparence les attributions des apprentis, toutes leur imposent des devoirs qu'ils ont intérêt à bien remplir.

Les apprentis, par exemple, ont

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