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aux grades supérieurs ? L'un quitte le service comme capitaine, l'autre comme chef de bataillon. Celui-ci est devenu lieutenant-colonel, celui-là lieutenant-général. Si le bàton de maréchal n'est pas sorti de leur giberne, ils n'en ont pas moins parcouru avec honneur la carrière militaire dans laquelle ils ont obtenu un avancement plus ou moins rapide.

Quant à ceux qui, sans sortir de leur condition d'ouvrier, parviennent seulement à devenir contremaitres et chefs d'ateliers, et qui amassent, à la longue, quelques capitaux modestes, il est vrai, mais suffisants pour les tenir toujours à | l'abri du besoin, leur position estelle donc déjà si malheureuse?

« Qu'on la compare à d'autres qu'on estime bien supérieures, et l'on Il en est de même dans les pro- comprendra la différence. Un chef fessions industrielles. L'ouvrier, ce d'atelier qui soutient sa famille du soldat de la paix, devient rarement produit de sa main-d'œuvre doit-il un grand manufacturier, un fabri- done se plaindre de son sort ?.Comcant millionnaire; mais sans par- bien reçoivent un salaire supérieur venir aux échelons les plus élevés à celui d'un sous-préfet, aux honode la fortune, on peut jouir d'uneraires d'un magistrat, au traitement honorable aisance. d'un capitaine ou d'un chef de baBeaucoup d'ouvriers s'établis- taillon! Combien d'avocats, de mésent; souvent leur commerce pros-decins, de savants n'obtiennent pas père, grâce à leur intelligence, à de leurs veilles le prix qu'ils en esleur activité, à leur loyauté; et péraient, et luttant sans cesse avec lorsque le temps du repos arrive la gêne, sans cesse environnés de pour eux, ils ont amassé un capital | privations, fatigués du présent et plus ou moins considérable. La cruellement tourmentés par la bourgeoisie, qui se recrute inces- crainte de l'avenir, déplorent le samment parmi les travailleurs et choix de la direction qu'ils ont prise, contre laquelle cependant on excite et la faute de ne pas s'être iivrés de les préventions et les injustes dé- bonne heure à une profession infiances de la classe ouvrière, la dustrielle, qui leur eût donné du bourgeoisie, disons-nous, ne comple- moins une existence indépendante t-elle pas dans son sein un nombre et assurée! Combien d'écrivains disinfini d'anciens ouvriers qui, s'ils tingués, d'artisans habiles, de grands n'ont pas acquis par le travail une poètes ont succombé dans une doufortune hors ligne, exceptionnelle, loureuse lutte avec la pauvreté, et possèdent au moins une fortune sont devenus non moins célèbres moyenne et de nature à satisfaire par le malheur de leur vie et de les plus légitimes ambitious? leur mort que par le génie qui

éclate dans leurs ouvrages!.......

carrière de l'ouvrier n'est ni si agi« On a peint avec plus d'énergie tée, ni si chanceuse; et d'abord son que de vérité les privations et les mérite dans son art ne saurait lui besoins de l'ouvrier; mais combien être contesté; au tourment du beplus de privations et de besoins en- soin ne s'ajoute pas pour lui le supcore dans la mansarde où tant de plice bien autrement cruel de voir jeunes peintres consomment leur son talent calomnié ou méconnu. inutile activité, dans le grenier où Un bon ouvrier est bien plus heudes productions, quelquefois esti- reux qu'un écrivain: son sort à vemées, ont conduit des hommes de nir est en lui et ne dépend pas des lettres, dans le cabinet désert de ce circonstances ou du caprice des médecin ou de ce jeune légiste! La hommes. Enfin, s'il est assez habile détresse de l'ouvrier n'est jamais pour devenir inventeur, s'il crée de absolue; quelle que soit la gène du nouveaux moyens d'action, ou s'il commerce, il a presque toujours la perfectionne ceux qui étaient en certitude de vivre de son travail, usage, il voit aussi s'ouvrir devant tandis que notre ordre social inter- lui la carrière des distinctions et dit parfois tout espoir d'un avenir des honneurs, et la reconnaissance prospère à des capacités pauvres, du pays sait le découvrir, fût-il caet les condamne à une misère d'au-ché dans l'atelier le plus obscur (1)!» tant plus cruelle qu'elle est mieux sentie.

« On ne sait pas, dans les ateliers, combien de dégoûts empoisonnent les jouissances de l'homme de lettres, et de quelles poignantes douleurs il paie, sans l'obtenir toujours, cette vaine fumée qu'on nomme la gloire. Quelques privilégiés du taTent ou du hasard parviennent à vaincre ces obstacles, mais combien d'autres se débattent contre la pauvreté et meurent à la peine! La

L'industrie, comme l'armée. compte aussi, nous le savons, d'autres soldats, d'autres ouvriers qui restent toujours dans les rangs inférieurs. Ceux-ci doivent tendre à se créer une existence modeste que le travail leur garantit, s'ils savent surtout proportionner leurs dépenses avec leurs recettes. et faire de leur salaire un judicieux emploi.

(1) M. MONFALCON Code moral des ouvriers.

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Nous n'avons pas la prétention de | traiter ici d'une manière approfondie la question des salaires. L'examen d'une aussi grave question nous entraînerait bientôt hors du cadre de ce livre. Nous voulons seulement rétablir quelques principes méconnus ou oubliés et opposer ces principes aux doctrines étranges semées dans la classe ouvrière touchant la rémunération du travail.

En principe, l'ouvrier doit trouver dans le salaire qu'il reçoit la possibilité, d'une part, de satisfaire à ses besoins présents; d'autre part, d'amasser quelques ressources pour l'avenir.

inoccupés. Le salaire est donc éminemment variable; il subit forcément l'influence des fluctuations du commerce et de l'industrie, fluctuations produites elles-mêmes par une consommation plus abondante ou plus restreinte.

«La population ouvrière des grandes villes, dit M. Monfalcon dans son excellent livre (1), que nous aurons plusieurs fois l'occasion de citer, est condamnée aux conséquences des inévitables variations du commerce, sans qu'aucun moyen puisse l'en préserver; aussi elle ne saurait compter ni sur la fixité absolue du travail, ni sur la fixité des salaires.

« Demander un moyen de la préserver des résultats de l'interruption du travail et de l'abaissement des salaires, ce serait demander celui de prévenir les catastrophes du

En principe encore, le calaire suit la progression croissante et décroissante du travail. Une industrie estelle très active, ses produits s'écoulent-ils rapidement; le salaire augmente, parce que les ouvriers, les travailleurs adonnés à cette indus-commerce, de maintenir constamtrie deviennent rares. Les commandes cessent-elles; l'activité de cette industrie vient-elle à se ralentir; le salaire diminue, parce qu'il y a un plus grand nombre de travailleurs

ment la consommation égale à la production et de fournir une quantité toujours la même de main-d'œu

(1) Code moral des ouvriers.

vre à un nombre de travailleurs qui | lui-même ne varierait jamais; or, c'est ce qui est impossible. »

Alors, nous dira-t-on, le salaire est donc quelquefois insuffisant pour faire face à ce double résultat que vous avez indiqué : satisfaction des besoins présents, épargnes pour l'avenir.

Nous n'hésitons pas à dire que, dans certaines industries, le prix accordé pour la main-d'œuvre permet à peine à l'ouvrier de pourvoir à ses plus pressants besoins et à ceux de sa famille. Après cet aveu, dont la franchise ne coûte rien à nos convictions, qu'il nous soit permis d'ajouter que, dans ces cas exceptionnels, la question des salaires se présente à nous comme un problème | sans solution possible.

Si le fabricant ne peut augmenter le prix de la main-d'œuvre sans perdre, que fera-t-il? car évidemment il ne saurait être contraint à vendre à perte. Si, pour compenser cette surélévation de la main-d'œuvre, le fabricant veut vendre plus cher ses produits, il se ruinera, parce qu'il ne pourra lutter contre la concurrence intérieure ou étrangère, livrant à meilleur marché les mêmes produits à la consomma

tion.

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salaires, par une réaction forcée, reviendront d'eux-mêmes au-dessous de leur taux primitif. Ce n'est pas tout vous avez des rivaux sur les marchés étrangers; élevez vos prix, on vous quittera pour vos ri

vaux...

« Songez-y toujours pour salarier, il faut produire; pour produire, il faut écouler; pour écouler, il ne faut pas que les prix de revient soient trop chers. (1) »

Nous venons au-devant d'une objection qui nous sera faite. Pourquoi le fabricant, sans chercher à vendre plus cher sa marchandise, ne se contenterait-il pas d'un moindre bénéfice? Il gagnerait un peu moins, l'ouvrier gagnerait un peu plus; où serait le mal? Certes, nous voudrions que la question des salaires pût se résoudre ainsi.

Malheureusement il ne faut pas perdre de vue que le gain des industriels, en général, n'est pas énorme, qu'ils ont à servir l'intérêt des capitaux engagés dans leurs entreprises, qu'ils supportent des frais souvent considérables, qu'ils doivent parer, tout en continuant à faire travailler, aux crises commerciales, aux mortes saisons. Eh! voyez pour quelques industriels, pour quelques fabricants qui s'enrichissent rapidement, combien

«Augmentez aujourd'hui le prix de la main-d'œuvre, demain la denrée, devenue plus chère, sera moins demandée. On produira moins, les à l'audience solennelle de rentrée de la chômages seront plus fréquents; les

(1) M. BERVILLE: Discours prononce Cour royale de Paris, novembre 1846.

d'autres, après vingt ou trente années de travail, n'ont amassé qu'une médiocre fortune; combien d'autres, perdant ce qu'ils possédaient, dévorant la dot de leur femme, compromettant l'avenir de leurs enfans, s'aliment, au milieu de leur carrière, dans les désastres d'une faillite!

L'ouvrier gagne peu, mais il ne risque pas de capital, mais il ne subit pas les chances du commerce. Que le maître gagne ou qu'il perde, l'ouvrier, dès qu'il aura travaillé, n'en aura pas moins obtenu son salaire. N'est-il pas juste, ainsi qu'on l'a dit avec raison, que là où est la mise, là soit le produit; que là où sont les risques, là aussi soient les avantages?

Nous ne pensons pas qu'il soit utile de discuter ici les diverses théories que la question des salaires a fait surgir; nous croyons cependant devoir présenter quelques observations sur un système qui tendrait à rendre tous les salaires égaux pour une même industrie. Mais cette égalité dans les salaires blesserait toutes les règles de l'équité. Comment! l'homme le plus assidu, le plus robuste, le plus actif, le plus habile dans son état, ne serait pas mieux rétribué que cet autre ouvrier moins laborieux, doué d'une moins grande force physique, moins actif et moins intelligent! Le simple bon sens repousse un semblable système.

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Le salaire le plus élevé appartient évidemment à celui qui sait le conquérir par l'exercice le plus complet de ses facultés, à celui qui, en un mot, travaille le mieux. En supposant que cette doctrine de l'égalité des salaires pût être admise, qu'arriverait-il? C'est que l'industriel, forcé de rétribuer tous ses ouvriers sur le même pied, ne conserverait dans ses ateliers que ceux dont le travail supérieur, l'habileté de main-d'œuvre lui paraîtraient en harmonie avec le salaire accordé. Il se priverait, avee juste raison, du concours des ouvriers médiocres, ou mème moins capables, puisqu'il faudrait leur attribuer un salaire dont leur travail ne serait pas la représentation..

L'égalité, la seule égalité admissible dans l'industrie, c'est pour tous l'égale faculté de travailler et d'être récompensé proportionnellement à ses efforts, à son talent, à sa probité.

Nous sommes loin de croire cependant que la condition des masses ne puisse être améliorée par certaines mesures, par celles surtout qui auront pour but d'ouvrir de nouveaux débouchés à la production nationale, d'organiser sur de meilleures bases le crédit, c'est-àdire l'usage des capitaux d'autrui dans l'intérêt des travailleurs et de réprimer surtout la concurrence déloyale. Toutefois, comme la médiocrité a été de tout temps la con

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