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HISTORIQUE UNIVERSEL

POUR 1837.

PREMIÈRE PARTIE.

HISTOIRE DE FRANCE.

CHAPITRE PREMIER.

Discours du roi.

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Etat du pays. Ouverture de la session législative.
Composition des bureaux. - Présentation de divers projets de lois. Dis-
cussion de l'adresse dans la Chambre des pairs. Jugement de l'affaire de
Strasbourg. Discussion de l'adresse dans la Chambre des députés.

L'année 1837 s'annonçait pour la France, avec les symptômes d'une prospérité matérielle incontestable, et d'une amélioration progressive, dans les diverses conditions de la société. Les impôts se percevaient avec facilité : ceux qui pèsent sur les consommations ou sur les transactions, indices les plus certains de l'aisance générale d'une nation, dépassaient depuis plusieurs années les évaluations du budget. Le crédit public se fortifiait graduellement, et ce crédit n'était plus, comme à d'autres époques, l'effet passager des jeux de bourse ou des spéculations de la haute banque. L'intérêt de l'argent avait baissé dans les transactions privées, comme sur les effets publics, et la valeur des propriétés territoriales s'en accroisAnn. hist. pour 1837.

I

sait en proportion. Le trésor de l'Etat, regorgeant de capitaux improductifs, gémissait sous le fardeau de la dette flottante, et le numéraire sans emploi se jetait, non sans inquiétude, dans des spéculations industrielles plus ou moins hasardeuses.

Et pourtant, au milieu de cette pléthore financière, une crise venant d'éclater en Amérique, avait alarmé la bourse de Londres et réagissait sur celle de Paris; un malaise vague arrêtait l'élan du commerce, les témérités de l'industrie et l'activité des fabriques; et l'agriculture, inquiète du bas prix des grains, ne se portait qu'en tremblant à des essais et vers des produits nouveaux.

Le soin des intérêts matériels et sans doute aussi la confiance croissant dans la durée des institutions de juillet avaient calmé dans la masse de la nation l'irritabilité des opinions politiques. L'émeute ne grondait plus dans les rues; mais au fond de la société fermentaient toujours des passions sourdes et des complots menaçans, des ambitions et des cupidités précoces que les révolutions allument et ne peuvent toutes satisfaire, l'amour effréné des jouissances et de l'égalité que chacun aime avec ses supérieurs, l'envie haineuse de la richesse et du pouvoir, passions ennemies, impatientes de toutes supériorités sociales, incessamment provoquées, aigries et caressées par la presse de l'opposition.

L'existence des associations secrètes révélées dans plusieurs procès politiques, et des tentatives nouvelles contre la vie du roi, prouvaient que des espérances d'une révolution nouvelle, comprimées par les lois de septembre, n'attendaient pour éclater que le succès d'un coup de pistolet ou de poignard; et l'insurrection militaire de Strasbourg, bien qu'arrêtée dans son principe, pouvait laisser des craintes sur les jeunes ambitions qui travaillaient aussi les rangs inférieurs de l'armée.

A ces causes permanentes de trouble et d'inquiétude venaient ajouter la triste situation de l'Espagne, dont la querelle sanglante menaçait le repos et l'avenir de la France, et le désastre éprouvé devant Constantine, et les orages politiques

soulevés par la formation du cabinet da 6 septembre, dans l'intervalle des deux sessions.

On attendait le nouveau ministère à l'œuvre, c'est-à-dire à l'ouverture de la session.

D'après la retraite du président du Conseil, qui semblait y représenter la politique progressive, et la rentrée de l'homme d'état en qui se personnifiait la politique de résistance, ét sur qui se concentraient les attaques et les injures de l'opposition, en présence des questions irritantes que l'intérêt et l'honneur du pays allaient soulever, il était difficile de prévoir si la majorité qui s'était prononcée pour le système du 22 février se donnerait à celui du 6 septembre.

Jamais aussi l'ouverture d'une session législative n'avait excité plus d'intérêt ou de curiosité.

On a vu dans l'Annuaire de l'année dernière (1) les détails d'un nouvel attentat que nous rappelons ici, parce qu'il se lie à l'histoire de la session, qu'il nous faut prendre à son début.

27 décembre 1836. Les pairs de France et les députés étaient rendus à leurs places; toutes les tribunes étaient remplies. La reine, les princesses et les jeunes ducs d'Aumale et de Montpensier venaient d'arriver, lorsque le bruit se répandit dans la salle que le roi venait d'échapper aux coups d'un nouvel assassin.... On attendait dans une inexprimable angoisse, tous les regards portés sur la tribune royale.... Mais à l'entrée du roi qui parut un instant après, précédé de son cortége avec le cérémonial ordinaire, une explosion générale, des acclamations d'enthousiasme, d'amour et des vive le roi ! répétés, éclatèrent dans tous les rangs de l'assemblée. Le roi n'était pas blessé ; mais des éclats de verre avaient légèrement atteint au visage les ducs d'Orléans et de Nemours, et quelques gouttes de sang coulaient encore sur leurs habits.

Vivement affecté des émotions de sa famille et des témoi

(1) Page 979.

gnages réitérés d'affection qu'il recevait de toutes parts, le roi prit place sur son trône et lut son discours d'une voix nette et ferme, où la dignité dominait la sensibilité, qui s'échappa pourtant à plusieurs reprises.

S. M. commençait par se féliciter de la prospérité intérieure de la France, de ses relations pacifiques avec les puissances étrangères et de la conclusion des différends qui avaient existé avec la Suisse.

Quant aux affaires de la Péninsule, le roi regrettait qu'elle fût encore troublée par de fatales dissensions.

« Des événemens graves ont ébranlé les institutions à Madrid et à Lisbonne, disait S. M., et la guerre civile n'a point cessé de désoler l'Espagne. Toujours intimement uni avec le roi de la Grande-Bretagne, je continue à faire exécuter le traité de la quadruple alliance avec une fidélité religieuse, et conformément à l'esprit qui l'a dicté. Je fais les voeux les plus sincères pour l'affermissement du trône de la reine Isabelle II, et j'espère que la monarchie constitutionnelle triomphera des périls qui la menacent; mais je m'applaudis d'avoir préservé la France de sacrifices dont on ne saurait mesurer l'étendue, et des sacrifices incalculables de toute intervention armée dans les affaires de la Péninsule. La France garde le sang de ses enfans pour sa propre cause, et lorsqu'elle est réduite à la douloureuse nécessité de les appeler à le verser pour sa défense, ce n'est que sous son glorieux drapeau que les soldats français marchent au combat. »

Sur le désastre de Constantine, le roi, en déplorant les pertes de l'armée, en rappelant que le second de ses fils avait partagé les souffrances et les dangers des soldats, ajoutait que si le succès n'avait pas répondu à leurs efforts, du moins leur valeur, leur persévérance et leur admirable résignation avaient dignement soutenu l'honneur de nos drapeaux, et il ne doutait pas que les Chambres ne voulussent assurer, en Afrique, à nos armes la prépondérance qui doit leur appartenir et à nos possessions une complète sécurité.

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« Un attentat (allusion au crime d'Alibaud) a menacé ma vie, disait ensuite le roi. La Providence a détourné le coup dirigé contre moi, les témoignages d'affection dont m'a entouré la France, et que vous venez de renouveler (ces paroles, que S. M. ajoutait d'une voix émue au texte du discours écrit, produisirent une sensation impossible à décrire, et furent suivies de nouveaux cris de vive le roi!) sont la plus précieuse récompense de mes travaux et de mon dévouement. »

Ici le discours do trône rappelant l'affaire de Strasbourg

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comme une tentative d'insurrection aussi insensée que criminelle, observait qu'elle n'avait servi qu'à faire éclater la fidélité de notre brave armée et le bon esprit des populations.

« L'impuissance de tant de coupables efforts, ajoutait l'auguste orateur, commence à lasser les passions et à décourager leur audace. Déjà le temps a calmé bien des haines, et chaque jour il adoucit les devoirs que les circonstances ont imposés à mon gouvernement. J'ai pu suivre le vœu de mon cœur en pardonnant à des hommes frappés par les lois. »

Après cette allusion aux grâces accordées, sous le ministère da 6 septembre, à plusieurs condamnés politiques qui les avaient sollicitées, le roi annonçait que le corps législatif aurait à s'occuper de plusieurs projets, les uns concernant la famille royale, les autres ayant pour objet le perfectionnement de la législation. Il ajoutait que des mesures conformes au vœu manifesté dans la dernière session seraient proposées aussitôt que le retour de l'abondance des capitaux le permettrait à son gouvernement, et que, dans le cours de celle-ci, les lacunes des routes, la navigation des fleuves, les canaux, les ponts, les chemins de fer seraient l'objet de propositions importantes.

«Continuons, disait en terminant S. M., à marcher dans la même voie; c'est ainsi que nous parviendrons à fonder solidement le bonheur de notre pattie. Soutenu par votre loyal concours, j'ai pu la préserver de révolutions nouvelles, et sauver le dépôt sacré de nos institutions. Unissons de plus en plus nos efforts, nous verrons s'étendre et s'affermir chaque jour l'ordre, la confiance, la prospérité, et nous obtiendrons tous les biens qu'a droit de prétendre un pays libre qui vit sous l'égide d'un gouvernement national. »

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Des acclamations unanimes suivirent ce discours dont l'intérêt politique était nécessairement affaibli par les émotions qu'avaient excitées le nouvel attentat contre la vie du roi. Aussi le reste de la séance royale, consacré à la prestation du serment des membres nouvellement élus, se possa-t-il avec quelque confusion après la sortie du roi et de la famille royale, qui furent salués, dans leur retour aux Tuileries, par les acclamations d'une foule innombrable empressée de leur moigner la joie de voir le monarque encore une fois sauvé de la fureur des assassins. Les députés, réunis dans la salle

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