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pourraient faire des associations particulières, et que le projet de loi offrait à cet égard toutes les garanties désirables, et M. Delaborde qui développait les avantages des grandes communications que des chemins de fer allaient ouvrir de Londres et de Bruxelles à Paris et jusqu'à Marseille. Mais c'était au ministre des finances (M. Duchâtel) qu'il appartenait de répondre aux adversaires du projet, et il le fit (séance du 9) avec une franchise et une netteté d'expression qui lui ramena beaucoup d'opinions... Après un coup d'œil jeté sur l'importance de l'amélioration des voies de communication, comme première condition du progrès et du perfectionnement de l'industrie, du cummerce et de l'agriculture, sur les efforts et les progrès faits en ce genre, en Angleterre, en Belgique, en Allemagne et aux Etats-Unis, M. Duchâtel établissait pour la France la nécessité de ne pas rester plus long-temps en arrière des autres peuples; et, quant à l'intervention du Gouvernement dans les entreprises de travaux publics, son opinion n'était ni exclusive ni absolue, il distinguait des travaux d'intérêt local que des associations particulières pouvaient exécuter, les travaux d'ensemble, d'intérêt général que le Gouvernement seul peut accomplir, et, dans cette catégorie, le ministre mettait les routes royales, l'amélioration de la navigation des rivières, certains canaux ou travaux d'art, et, pour beaucoup de ces entreprises, il admettait les associations auxquelles le Gouvernement ferait des subventions sur les fonds extraordinaires demandés.

« La loi, disait-il, n'a pas pour objet d'accorder des fonds exclusivement pour les travaux à exécuter par le Gouvernement. Rien n'annonce qu'il les exécutera tous. La loi dit: Il y aura des fonds extraordinaires pour les travaux publics. Certains travaux seront exécutés par le Gouvernement quand ce sera nécessaire, convenable. Quand, au contraire, il y aura avantage à ce que les compagnies exécutent, et qu'il faudra leur accorder une subvention, vous trouverez dans la loi les moyens de la leur donner, et par là de créer, d'animer les entreprises. (Très bien !) »

Venant aux moyens financiers proposés pour l'exécution des travaux, le ministre faisait observer que la seule différence entre le projet du Gouvernement et celui de la com

mission, c'est que le premier donnait la rente au pair, tandis que la commission la livrait à l'amortissement au cours de la place. On pouvait présenter une loi générale des travaux publics ou bien présenter des lois spéciales, dont chacune aurait renfermé son système financier; ces deux partis auraient soulevé des objections plus fondées que le projet actuel dont le système était général, dont le mécanisme était clair, simple, et dont l'application était subordonnée aux votes ultérieurs des deux Chambres.

Quant à l'objection tirée de l'existence de la dette publique, le ministre observait qu'en admettant cette considération, nul Etat ne devrait entreprendre de travaux, et qu'il faudrait renoncer à toute amélioration, à tout moyen de prospérité pour l'avenir. A qui avait dit que l'exécution des grands travaux publics pourrait nuire à la conversion des rentes, le ministre répondait qu'il n'y avait aucune incompatibilité entre les deux mesures, qu'elles se facilitaient au contraire toutes les deux.

«Que faut-il pour que la conversion s'exécute? ajoute M. Duchâtel, des circonstances financières favorables, l'abondance des capitaux, la prospérité de l'industrie, du travail, c'est-à-dire qu'il faut précisément les résultats auxquels les travaux publics nous conduisent. Plus vous accélérerez leur circulation, plus aussi vous amènerez la baisse de l'intérêt, et par conséquent rendrez la conversion facile. >>

Enfin, quant à l'influence illégitime que le projet semblait donner au Gouvernement, le ministre faisait observer que le reproche était mal fondé, puisque tous les travaux conçus, à exécuter dans le système de la loi, devraient toujours être soumis au vote spécial des deux Chambres.

Ces objections réfutées, et le ministère ayant donné son adhésion à la rédaction de la commission, l'amendement proposé par M. Pelet (de la Lozère) écarté, l'ensemble du projet fut adopté à une majorité plus forte qu'on ne l'avait attendue (par 218 voix sur 265 votans).

Discuté le 6 mai à la Chambre des pairs, il y donna lieu à quelques observations critiques de M. le vicomte Dubou

chage qui blâmait la création d'un budget particulier pour les travaux publics, et la facilité donnée par là au ministère d'ouvrir des emprunts, et voulait qu'on se contentât de voter chaque année des lois spéciales pour l'exécution des travaux dont le besoin se ferait sentir.

Mais M. le baron de Morogues défendit le projet de manière à le recommander à l'assentiment de la Chambre, comme devant accroître l'aisance générale, et contribuer puissamment à l'extension de la prospérité de la France; et, après quelques observations que le ministre des finances avait déjà faites à l'autre Chambre, il fut voté sans amendement à la majorité de 81 voix sur 87 votans.

Quelques jours après, en conséquence de l'adoption des systèmes qu'elles venaient de fonder, et pour en faire immédiatement l'application, les deux Chambres adoptèrent divers projets de lois pour déterminer les travaux publics les plus urgens, et leur ouvrir à cet effet divers crédits sur les exercices 1837 et 1838, projets entre lesquels il faut citer celui qui ouvrait sur ces deux exercices un crédit de 60 millions pour l'achèvement des lacunes des routes royales classées avant 1837, et de 24 millions pour les réparations extraordinaires des mêmes routes, sans y comprendre celles de la Corse pour lesquelles il fut ouvert, par une autre loi, un crédit de 3,400,000 fr.

Ainsi s'ouvrait pour la France un système, dont les agitations politiques du moment n'ont pas permis d'apprécier assez l'importance pour la prospérité industrielle du pays, mais dont l'application du moins ne s'est pas fait attendre.

On avait vu l'année dernière quelques tentatives plus ou moins heureuses faites par des particuliers pour transmettre à l'aide de signaux télégraphiques, les bulletins de la Bourse de Paris, dans quelques autres grandes villes. Le Gouvernement, dans l'intérêt du commerce et surtout dans l'intérêt de l'Etat, avait cru nécessaire de demander une loi pénale pour interdire toute transmission de signaux d'un lieu à un autre,

soit à l'aide de machines télégraphiques, soit par tout autre moyen, et assurer à l'Etat l'usage exclusif du télégraphe, sous peine contre les infracteurs d'un emprisonnement d'un mois à un an, d'une amende de 1,000 à 10,000 fr. et de la destruction des postes, machines ou moyens de transmission.

Un seul amendement y fut proposé tendant à donner des indemnités à ceux qui, dans le silence de la loi, avaient cru pouvoir établir des lignes télégraphiques, dont la loi nouvelle allait faire opérer la destruction. Mais il fut écarté, et la loi passa, sans autre opposition, dans les deux Chambres.

14-29 mars. Un projet plus important, repris de l'année dernière, et qui occupa encore pendant douze séances la Chambre des députés, mériterait d'être développé, s'il avait obtenu la sanction législative. C'est celui qui devait servir de complément à la loi du 28 juin 1853 sur l'instruction primaire et réglementer l'instruction secondaire. Mais il nous suffit de faire remarquer l'esprit du projet et les points capitaux de la discussion.

Le projet ministériel, amendé par la commission, avait pour objet, en consacrant le principe de la liberté de l'enseignement, de prescrire les conditions auxquelles on pourrait former un établissement d'instruction secondaire, et de déterminer les règles à suivre pour les colléges royaux ou communaux et les petits séminaires considérés comme établissemens mixtes, et il les soumettait tous également à la surveillance de l'Université.

Dans l'opinion de M. de Tracy qui ouvrit la discussion générale, le projet de loi portait atteinte à la liberté de l'enseignement, promise par la Charte (art. 69, § 8). Il consacrait l'établissement de l'Université, ressuscitée par Napoléon avec ses vieilles méthodes, ses traditions bizarres et jusqu'à ses costumes gothiques. En résumé, M. de Tracy pensait qu'il faudrait moins favoriser l'enseignement du grec et du latin et les études dites classiques, afin de donner plus de temps à la culture des sciences et des notions véritablement utiles.

M. de Sade, moins absolu dans ses idées, trouvait que le projet était incomplet, qu'il ne sanctionnait pas assez franchement la liberté de l'enseignement; mais il défendait l'Université des injustes préventions soulevées contre elle. Elle n'avait à ses yeux que le tort de porter un nom qui rappelait trop le moyen-âge... C'était d'ailleurs un inconvénient que son chef fût membre du cabinet, sujet à toutes les vicissitudes politiques. Quant aux études, M. de Sade, en approuvant qu'on fit marcher de front les lettres et les sciences, ne croyait pas qu'on pût en étendre démesurément le cercle. L'étude des langues anciennes lui paraissait la plus utile et la plus nécessaire au développement des facultés de l'esprit ; mais il était loin d'exclure celle des langues modernes ou des sciences, dont le goût et le besoin se faisaient si généralement sentir dans la société actuelle; et, comme le projet lui paraissait réunir les conditions d'une sage liberté, il y donnait son assentiment.

13 mars. Telle n'était pas l'opinion de M. Salverte, qui le trouvait insuffisant, trop restrictif de la liberté d'enseignement dans certains cas et pas assez dans d'autres, en arrière des lumières et de l'esprit du siècle; ni de M. Isambert, qui, signalant surtout l'envahissement du clergé dans l'enseignement par l'établissement des petits séminaires et la faveur qui leur était accordée, se plaignait de ce qu'on semblait vouloir les soustraire, dans la loi nouvelle, à l'autorité même et à la surveillance de l'Université.

Sur la question de la liberté de l'enseignement, les uns trouvaient la loi proposée illibérale, insuffisante pour garantir cette liberté promise par la Charte; d'autres, la trouvant trop facile, craignaient que, par cette facilité même, elle ne fût dangereuse, et que la liberté, ainsi introduite dans l'enseignement, n'entraînât pour l'Etat des conséquences funestes.

M. le ministre de l'instruction publique (M. Guizot), résumant et réfutant l'une après l'autre ces objections, démontrait que la loi était tout ce qu'elle pouvait être dans l'état actuel de Ann. hist. pour 1837.

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