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çait pas de révolution dans le système; mais elle mettait fin à des dissentimens qui s'aigrissaient de jour en jour; et, quoique les ministres nouveaux eussent tenu la même ligne politique et donné à peu près les mêmes gages au nouvel ordre de choses, ils faisaient espérer quelques modifications au système dont la présence de trois ministres sortans maintenait la rigueur.

Lundi 17 avril. Dans l'impatience où l'on était de voir et d'entendre les nouveaux ministres, la Chambre des députés s'était réunic le 17, plus nombreuse et plus tôt qu'à l'ordinare; et, en attendant leur arrivée, elle avait repris la discussion de la loi sur l'organisation de la justice de paix, qui fut votée, article par article, et ensuite dans son ensemble, au milieu d'un tumulte et d'une inattention que la circonstance expliquait, mais qu'elle ne justifiait pas. Comme il n'y avait plus rien à l'ordre du jour, on Exa au lendemain la discussion des crédits supplémentaires, c'est-à-dire des affaires d'Afrique; et à quatre heures et demie, aucun des ministres n'ayant paru, le président leva la séance, au grand désappointement de la Chambre et des tribunes, et non sans quelques murmures.

Au fait, les ministres ne s'étant réunis que le dimanche, après la formation du nouveau cabinet, n'avaient pas encoro arrêté la forme des communications à faire aux deux Chambres. Leur délibération s'étant prolongée, ils n'avaient pu se rendre que fort tard à la Chambre dès pairs, et lá séance des députés étant levée lorsqu'ils s'y présentèrent, force leur fut de remettre leurs communications au lendemain.

18 avril. Cette communication, attendue avec tant d'intérêt, fut faite d'abord à la Chambre élective par M. le président du Conseil, dont le discours mérite d'être recueilli et médité pour l'intelligence des événemens, du système et de la situation du cabinet nouveau.

Messieurs, dit M. le comte Molé, le roi nous a chargés de vous communiquer un événement également heureux pour l'Etat et pour sa famille. Notre

nationale dynastie repose dans le présent sur de jeunes et brillans soutiens; pour l'affermissement de nos institutions et de notre repos, il lui fallait de l'avenir. La Chambre n'apprendra pas sans une satisfaction toute patriotique, que le roi a conclu le traité de mariage du prince royal son fils avec madame la duchesse Hélène de Mecklembourg - Schwerin. Cette princesse, digne de la haute destinée qui l'attend par son rang, l'illustration de son origine, l'est bien plus encore par cette élévation d'esprit et de sentiment, par toutes les qualités qui constituent le bonheur privé et assurent aux princes qui les possèdent, le respect universel et l'affection de tous les cœurs.

Elle se confondra, Messieurs, parmi les membres de notre maison royale par ces nobles goûts, ces simples vertus qui, de tout temps, ont fait l'ornement des trônes et aujourd'hui en font la force. Cette alliance, douce et chère au cœur du prince dont la France s'enorgueillit à juste titre, sera un lien de plus entre le trône et le pays, un nouveau gage de perpétuité et de repos.

a Dès ce moment, il y a lieu de pourvoir à l'établissement de l'héritier de la couronne. La jeune princesse dont la France va devenir la patrie doit y trouver une situation digne du rang qui lui est assigné auprès du trône. Ce sera le vœu des Chambres; c'est celui de la loi.

«Cependant, Messieurs, un projet de loi vous avait été déjà soumis, qui constituait l'apanage du second des fils majeurs du roi C'était là aussi une disposition conforme à tous les principes de notre monarchie constitutionnelle. Elle était réclamée par un grand intérêt national, la dignité du trône; elle l'était par les règles de notre droit public de tous les temps. L'hérédité de la couronne, en créant pour les princes du sang royal des droits et des devoirs à part, entraîne aussi pour eux la nécessité d'un établissement permanent, comme leur rang et leurs honneurs.

« Le roi, Messieurs, n'a pas voulu que les Chambres eussent à pourvoir en même temps à la dotation de ses deux fils. (Ecoutez ! écoutez!) M. le duc de Nemours lui-même s'était hâté de supplier son auguste père de fixer uniquement aujourd'hui la sollicitude de son gouvernement et la vôtre, sur des intérêts à ses yeux plus pressans; S. M. a décidé que la demande présentée pour le prince son second fils serait ajournée.

Voix de la gauche ; « Ainsi, c'est un ajournement et non pas un retrait ! » (Agitation.)

M. Molé : « En nous conformant à cette volonté, Messieurs, il nous serait resté un regret amer, celui de ne pouvoir, dans une discussion publique, éclairer enfin l'opinion que tant de coupables efforts ont voulu pervertir. Mais des délibérations prochaines nous permettront de remplir ce devoir que nous avons envers le pays, bien plus encore qu'envers la couronne.

La liste civile plie sous le poids de ses charges et de ses sacrifices à la splendeur de ses monumens, aux progrès de l'industrie et des arts. C'est pour le roi la consolation des chagrins et des périls qui montent vers le trone en retour de la paix et de la sécurité qui en descendent, d'unir ses efforts à la pensée qui vous a fait voter à vous-mêmes tant de vastes travaux. En présence de tels faits, les passions sont impuissantes: la vérité défend le roi contre les coups des calomniateurs, comme une protection divine l'a couvert contre ceux des assassins.

«Nous avons l'honneur de vous proposer, Messieurs, un projet de loi qui a pour but de régler le supplément de dotation pour le prince royal, prévu par l'art. 20 de la loi du 2 mars 1852. Le roi ne nous a pas permis d'écrire le chiffre. Les Chambres, organes du sentiment national, le détermineront. L'art. 2 du projet fixe, en cas de prédécès du prince royal, le douaire de la princesse son épouse, tel qu'il résulte des conventions matrimoniales.

Vous vous associerez, Messieurs, à tous les sentimens que le roi éprouve

comme roi, et comme père. Cette union s'accomplit à une époque qui permet d'espérer que la patrie est arrivée au terme de ses longues épreuves La France a marché avec une admirable constance, depuis un demi-siècle, à un noble but, l'accord de la monarchie et de la liberté. En vain ce grand résultat nous a-t-il été disputé par les restes ranimés de nos vieux partis; la sagesse du trône, la vôtre, les lois salutaires que vous avez votées nous ont conservé toutes nos conquêtes, elles nous sont désormais acquises : les maintenir et leur faire produire tout le bien que s'en promet la France, telle est la tâche à laquelle nous nous sommes dévoués.

«Fidèles à cette politique ferme et modérée qui, depuis sept ans, a sauvé la France, et que les collègues pour lesquels nous avons besoin d'exprimer iei nos regrets, ont glorieusement concouru à soutenir, nous obtiendrons votre appui; votre justice appréciera les difficultés, le but de nos efforts. Nous ne sommes point des hommes nouveaux ; tous nous avons participé à la lutte. Vous savez qui nous sommes, et notre passé vous est un gage de notre avenir. Nous ne vous présenterons pas d'autre programme (légers sourires à l'extrême gauche), nos actes vous témoigneront assez de nos intentions. (Rumeurs diverses.)

« Puisse un événement heureux et dynastique, puisse le mariage du prince appelé un jour à régner sur nous, rallier tous les partis qui nous divisent encore, autour de ce trône constitutionnel que la révolution de juillet a fondé ! Tel est notre vœu le plus ardent, le but vers lequel nous tendrons avec constance et fermeté. C'est à vous, Messieurs, c'est dans les Chambres que nous plaçons notre confiance et notre force.

« Nous croyons nous sentir trop en harmonie avec elles pour que leur appui puisse nous manquer, »

Ce discours prononcé au milieu d'une agitation curieuse du côté gauche et d'un silence inquiet au centre de l'assemblée, M. le président du Conseil déposa sur le bureau le projet de loi concernant la dotation du prince, dont le chiffre était en blanc, mais où le douaire de la princesse était fixé à 500,000 francs, en cas d'extinction de la dotation du prince royal avant son avénement à la couronne, et ensuite l'ordonnance qui retirait le projet de loi présenté le 24 janvier dernier, relatif à l'apanage de M. le duc de Nemours, et se rendit immédiatement avec trois de ses collègues à la Chambre des pairs. Ici la communication ministérielle se bornait à l'information du mariage, à l'expression des vœux et des sentimens qu'il devait inspirer et à une courte annonce du changement du cabinet.

R

« Vous vous associerez, Messieurs, disait M. le président du Conseil, à toute la joie que le roi éprouve et comme roi et comme père. Puisse le mariage du prince royal, en assurant la perpétuité de la dynastie, décourager les criminels efforts des partis qui voudraient en vain ébranler notre confjance dans l'aveuir! Puisse-t-il rallier autour du monarque, dont le dévoue

ment et la sagesse ont sauvé la France depuis sept ans, tous les cœurs, tous les esprits, tous ceux qui aiment leur patric!

« La Chambre des pairs, en nous entendant exprimer ces vœux, qu'elle forme avec nous, n'attend pas que nous y ajoutions l'exposition de nos principes. Les membres du nouveau cabinet lui sont trop bien connus pour qu'elle ait rien à en apprendre. Nous marcherons, Messieurs, dans ces voies de fermeté et de sagesse qui seules peuvent préserver le présent et assurer F'avenir. La Chambre des pairs appréciera les difficultés que nous aurons à surmonter, elle nous tiendra compte de nos efforts, et nous trouverons en elle cet appui, ce courage et ces lumières qui ont si puissamment concouru à affermir notre Gouvernement constitutionnel. >>

Cette déclaration, accueillie dans une partie de la Chambre aux cris de vive le roi, ne parut pas suffisante à quelques membres (MM. de Dreux-Brézé, Villemain), qui trouvèrent qu'on la traitait avec peu d'égards, et demandaient au ministère une déclaration plus formelle sur le système qu'il entendait suivre et sur l'intention qu'il avait de retirer ou de maintenir les lois que l'ancien cabinet avait présentées à la Chambre (notamment pour le cas de non révélation), puisqu'on devait supposer que le changement du cabinet avait été amené par des dissentimens à ce sujet.

M. le président du Conseil, reprenant la parole, répondit à M. de Brézé que les explications demandées avaient été données à l'autre Chambre en ajoutant le désaveu le plus formel sur les causes que l'on venait d'assigner à la modification de l'ancien cabinet.

Aucune dissidence de cette nature n'a existé parmi ses membres, dit M. Molé; si j'ai à regretter de m'être séparé de quelques-uns de mes anciens collègues, c'est parce que nous n'avons pu nous mettre d'accord sur les conditions et les arrangemens, qu'exigeait la situation du cabinet. Mais les lois auxquelles a fait allusion M. de Brézé, n'ont pas été de nouveau mises en discussion. Nous les avions présentées en commun et d'un complet accord; depuis, il n'en a pas été question entre nous. »>

G

M. Villemain, ayant insisté sur l'interpellation faite par M. de Brézé, le nouveau ministre de l'intérieur (M. de Montalivet), répétant et appuyant ce que le président du Conseil avait dit dans l'autre Chambre, à l'occasion du projet de loi qu'il était chargé de lui présenter, n'hésita pas à déclarer, quant à la loi d'apanage pour le duc de Nemours, que

le ca

binet la retirait, mais en en maintenant le principe, et il ajoutait :

«Mais, nous dira-t-on, d'autres lois avaient été soumises aux Chambres, par exemple, à la Chambre des pairs, la loi de non révélation.

« La Chambre me permettra de faire remarquer à l'honorable membre que ce projet de loi a été apporté dans cette enceinte par M. le garde des sceaux qu'il a été soumis à l'examen d'une commission; commission composée des hommes les plus consciencieux et les plus savans. Je n'ai pas d'autres réponses à faire au préopinant; je le prie de vouloir bien l'accepter. (Légères rumeurs.)

« Je ne crois pas que l'honorable membre ait voulu faire allusion à d'autres lois à celle par exemple qui a été présentée sur Alger. La discussion de cette loi sera une occasion pour le cabinet de dire son sentiment sur cette conquête nationale. A-t-il voulu parler de la loi relative à la déportation? Je n'ai pas à prendre ici la parole au nom du cabinet. Seulement si une occasion se présente de dire mon opinion sur les lois votées il y a deux ans, dans l'intérêt de l'ordre et de la conservation, je la saisirai avec empressement. Je dis hautement que ces lois m'ont paru nécessaires alors et me paraissent utiles pour l'avenir. (Très bien!) Je ne sais pas, et je ne saurais dire si, faisant partie de l'ancien cabinet, j'aurais proposé telle ou telle loi; mais je dis qu'une loi étant présentée comme conséquence d'une législation existante que je regarde comme salutaire, je croirai de mon devoir de la soutenir et non de la déserter. Je n'aurais pas voulu entrer dans d'aussi longs détails; j'y ai été en quelque sorte forcé. J'espère que la Chambre se montrera satisfaite dé ces explications.

Enfin, après quelques autres explications entre lesquelles il faut relever l'observation faite par M. le comte Siméon que le rapport dont il était chargé sur la loi de non révélation était prêt, et serait soumis à la Chambre quand elle voudrait l'entendre, la discussion a fini par le tirage au sort d'une grande députation pour aller porter au roi et au duc d'Orléans les hommages et les félicitations de la Chambre sur le grand événement dont M. le président du Conseil venait de lui donner connaissance, ce à quoi la Chambre élective ne songea que le lendemain.

La reconnaissance ou l'installation du nouveau ministère faite, on y avait passé à l'ordre du jour, c'est-à-dire à l'ouverture de la discussion des crédits supplémentaires de 1850.

Un seul article de ce projet, le crédit demandé pour pourvoir aux dépenses extraordinaires occasionées par l'occupation de l'Algérie et surtout par l'expédition de Constantine, tenait depuis plusieurs mois la curiosité publique en éveil.

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