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C'est ainsi, ajoutait M. Molé, que le ministère s'était décidé à l'expédition de Constantine, non pas comme on l'avait dit, dans un intérêt de position de cabinet, mais dans l'intérêt de la conservation de nos établissemens en Afrique. Et à ce sujet, il ne croyait pas avoir besoin de répondre à une accusation faite dans une séance précédente (par M. Jaubert), d'avoir voulu chercher, dans l'expédition de Constantine, une compensation à l'impopularité que le cabinet acceptait en refusant d'intervenir en Espagne...

Quant à la révocation de M. le gouverneur-général en Afrique :

« Ce n'est pas sans peine, dit M. le comte Molé, que je lui ai entendu dire qu'il avait été rappelé parce qu'il avait été malheureux.

« Certes, Messieurs, je ne crois pas qu'un tel sentiment ait pu être altribué à aucun des hommes qui composaient le cabinet du 6 septembre. Mais je dirai que M. le maréchal Clausel assurément avait personnifié en lui un systéme qui n'était pas évidemment celui que voulait suivre le nouveau cabinet, et qu'il eût été bien étrange, je dirai même peu convenable pour lui, que nous lui confiassions l'application d'un système qui était aussi éloigné de celui qu'il avait été appelé à exécuter.

Enfin, sur la question déjà soulevée plusieurs fois dans le cours de la discussion, surtout par M. Dacos, du système à suivre pour l'occupation d'Alger, M. le président du Conseil déclarait que le Gouvernement proposerait très incessamment des crédits extraordinaires, qui lui devenaient indispensables pour des opérations déjà en cours d'exécution; c'est alors que devait venir opportunément et nécessairement la discussion approfondie du système qu'il conviendrait de suivre désormais. Il se bornait donc à insister sur l'allocation des crédits supplémentaires proposés pour 1836..., et quant au débat pénible qui se poursuivait depuis deux jours, il lui semblait qué la Chambre devrait laisser au Gouvernement le soin et le devoir d'apprécier les actes de ses agens en Afrique et de réparer le mal, s'il y en avait eu de commis...

La Chambre paraissait disposée à mettre fin à ce débat où rentraient de nouveau M. le maréchal Clausel et M. Baude, lorsque M. Salverte demanda qu'elle voulût bien lui accorder

un jour pour adresser à MM. les ministres quelques questions sur leur système.

Au milieu de la sensation qu'excitait cette demande imprévue, M. le président du Conseil, s'étant concerté avec ses collègues, dit qu'il devait déclarer en leur nom qu'ils étaient prêts à répondre à toutes les interpellations qu'on voudrait leur adresser, en faisant seulement observer que ces questions, qu'on paraissait vouloir leur faire, trouveraient très naturellement leur place dans la discussion des fonds secrets....

Mais M. Salverte, insistant sur sa demande, attendu que les questions qu'il avait à faire devaient être forcées et résolues avant la discussion des fonds secrets, la Chambre consultée rejeta la proposition pour laquelle votèrent sculement quelques membres du centre gauche et tout le côté gauche : ce qui fut regardé comme une victoire ministérielle.

L'attention de la Chambre semblait être épuisée. M. Mathieu de la Redorte essaya vainement de la ranimer par un discours dans lequel il rejetait le mauvais succès des expéditions d'Afrique sur les diverses administrations qui s'étaient succédé: M. le ministre de la guerre lui-même, le général Bernard, malgré l'intérêt des nouveaux détails qu'il donnait sur les instructions envoyées au maréchal Clausel, ne put y parvenir; et, sur la proposition de M. Passy, la discussion générale fut déclarée fermée.

21 avril. La discussion du premier article était entamée lorsque M. Thiers, se présentant à la tribune, sans y être appelé par son tour d'inscription, demanda et obtint sans peine la permission de rentrer dans la discussion générale. On ne pouvait refuser au président du cabinet du 22 février de répondre à ce qui avait été dit, en ce qui intéressait sa responsabilité dans les affaires d'Afrique....

D'abord, il commençait par nier qu'il y eût aujourd'hui deux systèmes absolus en présence; il repoussait l'idée de vouloir coloniser par le Gouvernement; il désavouait le

désir d'expéditions illimitées qui voudraient aller jusqu'à l'Atlas. Il était convaincu qu'autour d'Oran, d'Alger et de Bone, il y avait de quoi occuper plus de colons que nous ne pourrons en envoyer d'ici à vingt ans. Il n'était point partisan de l'occupation illimitée....

Pourquoi donc avait-il cru qu'il fallait agir en Afrique comme le cabinet du 22 février se proposait de le faire et comme il n'avait pas le temps de le faire...?

"

« Or, savez-vous quel a été le systéme suivi en Afrique? On n'y pouvait pas vivre pacifiquement, je le démontrerai au besoin par les faits; il fallait avoir le courage de l'avouer, de le dire aux Chambres, de demander les ressources nécessaires pour faire la guerre, car la guerre, vous l'aviez sur tous les points de l'Afrique.

«En ne disant pas toute la vérité, en ne demandant pas tout ce qui est nécessaire, on a été réduit à des ressources insuflisantes, et le système réel, je ne puis pas le définir mieux, ce n'a été ni la paix, ni la guerre, ç'a été lá guerre mal faite, et cela non par la faute des généraux, mais par la faute de tout le monde.... Nous avons eu tous tort à un certain degré.

« Nous avons manqué de résolution, de décision en Afrique, et cela parce que le Gouvernement, j'entends à la fois par le Gouvernement l'administration et les Chambres, a voulu une œuvre très difficile, il faut dire la vérité à cet égard, et que nous n'avons pas voulu donner les moyens suffisans. Voilà la cause pour laquelle nous n'avons pas prospéré en Afrique. »

Après quelques détails sur les expéditions de la Macta, de Mascara, de Tlemcen et de la Tafna, qu'il considérait comme enchaînées l'une à l'autre et qui n'avaient manqué leur effet que par l'insuffisance des moyens employés, M. Thiers expliquait le plan de conduite du cabinet du 22 février, en Afrique, à peu près en ces termes :

« Convaincu que, quel que fût le système que nous adoptassious plus tard, il fallait d'abord faire la guerre heureuse, j'avais proposé au cabinet, qui, aprés une longue discussion, l'avait adopté, le plan de conduite que voici :

«Quand j'ai été appelé à la direction du cabinet du 22 février, la guerre était engagée à Oran, engagée à Alger, je puis dire engagée à Constantine, car le bey était nommé, et déjà il y avait eu plusieurs rencontres avec les tribus qui séparent Bone de Constantine. Ainsi la guerre a été engagée sur ⚫ tous les points.

"Voici le raisonnement qui a été fait, d'après l'avis des généraux les plus capables et qui connaissent le mieux le pays. Il fallait, puisque la guerre était engagée, la faire prompte et énergique. Pour cela, il fallait agir simultanément à Oran, à Alger, à Constantine. Les deux motifs d'agir sur ces trois points, les voici :

«Nous avons en Afrique deux nationalités devant nous la nationalité arabe qui est à Oran, et qui est représentée par l'homme le plus éminent Ann. hist. pour 1837.

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du pays, par Abd-el-Kader. Vous avez un autre genre de population contre vous, ou plutôt les restes d'une population, c'est la population turque qui est à Constantine, et qui est représentée par Achmet-Bey; c'est de là qu'elle tire souvent des ressources et un encouragement, dit-on, secret. Quant à la population turque de Constantine, elle s'appuie sur le voisinage turc qui est à Tunis, et même elle s'appuie sur Constantinople.

«Eh bien! voilà les deux hostilités en présence desquelles vous étiez placés. La guerre étant engagée sur tous les points, le projet du cabinet du 22 février était de la faire active et incessante à Oran jusqu'à ce qu'Abd-elKader fût forcé à nous céder une portion de souveraineté ou à traiter avec nous à des conditions qui pussent nous offrir des garanties de sécurité.

« Notre projet était ensuite d'agir non seulement à Alger, s'il était nécessaire, mais simultanément à Constantine, pour produire un effet moral sur les populations, et pour amener Achmet-Bey à traiter avec nous.

« Il faut que vous connaissiez un fait d'une grande gravité et qui a le plus contribué peut-être à décider l'expédition de Constantine. Déjà le bey de Tunis avait communiqué avec la Porte; on pouvait craindre qu'il ne reçût l'investiture du beylick de Constantine; on pouvait craindre que cela amenât de graves difficultés avec la Porte; et je dois dire même quelques-unes de ces difficultés s'étaient déjà produites; un envoyé secret était arrivé; on disait qu'il avait apporté l'offre de l'investiture. En outre, nous savons tous que des ressources avaient été envoyées de Tunis à Constantine. Tout le monde a su par les journaux que, par une précaution je crois fort sage, nous avons envoyé M. le contre-amiral Hugon pour empêcher toute tentative qui aurait pu avoir pour effet de raviver les espérances d'Achmet-Bey et de rendre à l'hostilité que j'appelle turque, une nouvelle énergie contre nous.

« Dans cette situation, nous pensames qu'il fallait agir à Oran, à Alger et à Constantine simultanément, non pour conquérir la province de Constantine, mais pour arriver à un de ces deux résultats, ou de traiter avec AchmetBey, s'il y avait quelques avantages, ou de mettre à sa place un bey de nomination française.

« Ainsi, ce n'était pas dans le but d'une conquête complète de la régence qu'on peut faire ou ajourner, non plus que dans le but de hâter la colonie, mais dans le but uniquement de faire une guerre sérieuse, de la faire vite, et de faire la guerre comme il faut la faire quand on veut qu'elle réussisse. Voilà les motifs qui nous ont déterminés. »

Dans la conclusion de son discours, M. Thiers se plaignait que la commission eût semblé vouloir jeter tout le blâme, le malheur, la responsabilité de l'expédition sur le cabinet du 22 février et sur le maréchal Clausel; il ne voulait pas lui en accuser le 6 septembre; il se bornait à dire que le 22 février voulait une chose raisonnable, qu'il la voulait avec des moyens et dans une saison qui pouvait faire espérer le succès....

22 avril. Il serait trop long de nous arrêter, soit au discours de M. Piscatory, qui défendit ensuite la commission des intentions qu'on venait de lui prêter, et démontra que le système du 22 février rentrait dans celui de la guerre perpétuelle et de l'occupation illimitée; soit à la réplique de

M. Thiers, qui developpa de nouveau son opinion; soit au discours de M. de la Martine, qui, flétrissant le système de la guerre perpétuelle, de la conquête et de la colonisation, comme les Romains l'avaient entendu et appliqué, plaidait, en termes éloquens, la cause de la civilisation moderne et de l'humanité, et se refusait à voter aucun crédit pour l'expédition de Constantine, qu'il considérait comme inconstitutionnellement dérobée l'année dernière à la Chambre et au pays. Il nous suffit de faire observer que deux ministres du 6 septembre (MM. Molé et Guizot) crurent nécessaire de remonter à la tribune; le premier, pour expliquer le plan et le système du cabinet précédent que celui-ci entendait suivre pour arriver à la pacification et à l'occupation restreinte; le second (M. Guizot), pour établir en quoi différaient les systèmes des deux cabinets du 22 février et du 6 septembre.

Dans l'opinion de M. Guizot, le système du 22 février, inspiré par le maréchal Clausel, était le système de l'occupation universelle, militairement organisée sur tous les points importans de la régence.

« Il a été mis en pratique dans la province d'Oran. Pendant le même temps, on commençait à poursuivre le même but dans la province d'Alger; là aussi on annonçait l'intention d'occuper toutes les places, d'y établir des garnisons, de lier toutes les places entre elles par des camps. On l'a tenté; on l'a commencé aussi dans la province de Bone : l'expédition de Constantine faisait partie de ce plan. On liait Bone à Ghelma par le camp de Dréan. On devait établir un camp entre Ghelma et Constantine. En un mot, c'était partout le système de l'occupation universelle militaire, abortissant, 1o à l'occupation des places par des garnisons françaises ou des indigènes à la solde de la France; 20 à l'enchainement de toutes ces places entre elles par des camps retranchés; 3° à l'établissement sur tous les points où nous ne serions pas nous-mêmes, de beys nommés par nous; 4o enfin, à des expéditions fréquentes pour ravitailler et soutenir les places, les camps, les beys.

Un pareil système entraînait une guerre permanente avec la population arabe. Il emportait la nécessité d'imposer au pays des chefs, un gouvernement dont la France avait toujours à répondre. Voilà pourquoi le cabinet du 6 septembre avait répudié le système dans lequel il trouvait l'administration engagée.

«

<< Mais alors, disait-on, pourquoi, puisque vous vouliez

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