Page images
PDF
EPUB

but, il n'y avait plus de doute, qu'existant déjà en germe dans Rome, il ne dût bientôt y éclater avec violence.

En attendant, la population romaine ne différa par son attitude de celle des autres pays de l'Europe, à l'approche de la même calamité, que parce qu'elle se sentit animée tout d'un coup d'un surcroît de ferveur religieuse. On illumina la ville, on chanta des messes, on récita des prières publiques, on fit maintes processions, on multiplia les hommages aux madones, tant pour remercier le ciel d'avoir jusqu'alors préservé la ville du fléau, que pour le prier de continuer à l'en détourner. Le peuple se portait en foule auprès des statues et des images saintes. Les processions étaient surtout suivies par une multitude de femmes, marchant pieds nus pour la plupart. On remarqua ensuite qu'il y eut parmi les morts beaucoup plus de femmes que d'hommes.

Le Gouvernement prenait en même temps quelques mesures d'une nature plus terrestre. Tout en persistant à nier la présencé de l'épidémie à Rome, il faisait des dispositions dans plusieurs grands bâtimens pour y recevoir les malades. Tous les fonctionnaires publics, de même que les médecins, les chirur giens et les pharmaciens, recurent l'ordre de rester à leur poste sous peine d'être destitués. Les troupes suisses quí étaient dans les légations, furent appelées vers la capitale. Un mandement du vicariat autorisa momentanément l'usage de la viande pendant les jours d'abstinence. Enfin, ici comme partout, la croyance aux empoisonnemens prévalant parmi le bas peuple, et se propageant de manière à faire craindre des excès, un décret fut publié pour les prévenir : il portait qu'une commission spéciale jugerait sommairement et sans appel, et condamnerait rigoureusement aux peines établies par les lois en vigueur, tous ceux qui répandraient ces bruits ou qui, de toute autre façon et sous un prétexte quelconque, attenteraient aux personnes ou aux propriétés.

Vaine menace! Il fallat que dans Rome aussi cette déplorable croyance préludât par des massacres aux ravages da

choléra. Ce fut un jeune Anglais qu'elle prit pour première victime. Le 15 août, pendant qu'il traversait la place de Montanara, il fut accosté par un enfant, auquel il ad essa quelques mots bienveillans, en lui passant la main sur la joue. Les voisins remarquèrent l'étranger, les caresses qu'il avait faites à l'enfant, la barbe assez longue qui entourait son visage; il n'en fallut pas davantage pour le rendre suspect, et bientôt le cri d'empoisonneur, avvelenatore, retentit à ses oreilles. A ce terrible mot, et sans vouloir écouter sa justification, la populace s'ameute contre lui. Il voit le danger et veut fuir. Protégé par deux gendarmes, qui passaient en ce moment, il peut gagner une maison où ils l'enferment. Mais la fureur de la populace augmente avec le nombre: on brise la porte de la maison où le malheureux s'était réfugié; il est saisi, renversé, dépouillé de ses vêtemens et traîné par les cheveux pendant un espace de six cents pas; on ne cesse de l'accabler d'une grêle de pierres, on lui donne sept coups de couteau, on le torture jusqu'à ce qu'on le croie mort. La rage de ces forcenés n'était cependant pas encore assouvic: ils voulaient ou l'écarteler, ou le pendre, ou le jeter à la rivière, ou le brûler. Les opinions étaient partagées. On se décide enfin à le brûler. On ramasse de la paille, on l'y jette, on l'y foule aux pieds, et l'horrible supplice allait se consommer, lorsque la gendarmerie arriva. Moitié par force, moitié par persuasion, au nom de la madone, elle parvint jusqu'à l'infortuné. Il fut aussitôt enlevé et porté dans un hôpital voisin, où il expira après une semaine d'intolérables souffrances.

Le jour même où un peuple en démence égorgeait ainsi cet Anglais, dont quelques autres individus partagèrent ensuite le cruel sort, le choléra donnait de sa présence dans Rome des signes qui ne laissèrent pas aux plus incrédules le moindre sujet de douter. Le nombre des cas et des décès, déjà considérable à partir de ce moment, s'éleva rapidement jusqu'à 530 et 400 par jour, pour les premiers, et à 200 et 250 pour les seconds. Tel fut, suivant les chiffres officiels, son point

culminant, entre le 23 août et le 5 septembre. Il s'était alors étendu sur toute la ville, et frappait indistinctement toutes les classes de la société.

Dès le 22 août, un avis fut publié pour annoncer`qu'une foule de reliques célèbres, qu'il énuméraît, allaient être exposées à la vénération des fidèles; pour inviter le peuple, au nom du pape, à discontinuer les processions, l'expérience ayant démontré que ces rassemblemens étaient dangereux; et, dans le cas où l'on en ferait encore quelques-unes, pour défendre expressément de les suivre pieds nus.

Pendant ce temps, une consternation, une confusion dont on se ferait difficilement une idée, régnaient dans Rome. Elle était en proie à une sorte de guerre de tous contre tous. Chaque individu se figurait que toute relation avec ses voisins devait lui être mortelle. On en voyait qui ne voulaient pas que personne restât devant eux, qui recevaient leurs lettres avec des pincettes, qui portaient, comme les hallebardiers pontificaux, une arme longue et effilée, qu'ils brandissaient en s'écriant: Passez au large! Le pape, les cardinaux, les prélats, les principaux fonctionnaires s'étaient séquestrés. Beaucoup d'étrangers et d'habitans cherchaient à quitter la ville; mais ce n'était pas chose aisée. Outre que les chevaux de poste ne s'obtenaient qu'avec une autorisation spéciale du Gouvernement, ca se trouvait arrêté à chaque instant par les mille quarantaines dont le pays était sillonné. D'ailleurs, les communes, les villes des environs s'étaient isolées l'une de l'autre et avaient interrompu toutes les communications avec la capitale. Ni courriers, ni malles-postes, ni diligences ne pouvaient passer. Il ne fallait pas songer à partir; on était réellement bloqué dans Rome et de la manière la plus étroite. Un grand nombre d'habitans aisés s'étaient même bloqués dans leurs palais ou dans leurs maisons, et quiconque voulait aller les voir, était obligé de se soumettre à des fumigations de chlorure, dont l'abus entraîna de graves inconvéniens.

Ecoles, tribunaux, administrations publiques, tout était fermé. Cependant, le 1er septembre, le pape s'était montré dans la ville, et peu à peu, à mesure que le mal perdait de son intensité, Rome reprit sa physionomie accoutumée. Une ordonnance déclara qu'à partir du 6 de ce mois, toutes les avenues de la capitale devraient cesser d'être obstruées. Le Gouvernement permettait encore à chaque localité d'établir une sorte de lazaret où les voyageurs subiraient une quarantaine, lorsque leur intention serait de séjourner dans l'endroit; mais les malles-postes et les diligences ne pourraient être retenues en route. Les troupes nouvelles qui étaient arrivées à Rome, devaient, au besoin, faire exécuter l'ordonnance. Il fallut, en effet, avoir recours à la force, et organiser des colonnes mobiles pour parcourir le pays, et contraindre les localités à se soumettre aux mesures adoptées par l'autorité, et à laisser le passage libre aux voyageurs.

L'approche d'une de ces colonnes devint, à Viterbe, le signal d'une collision sanglante entre elle et les jeunes gens de la ville. On compta des morts des deux côtés. La cause de cette rixe ne fut pas nettement indiquée : si d'une part on l'expliquait par la crainte de voir ces troupes apporter le choléra dans la ville, de l'autre on lui assignait des motifs politiques, et on la rattachait à des arrestations qui venaient d'être faites récemment à Rome, où un projet d'insurrection semblerait avoir été au moment d'éclater.

Quoi qu'il en soit, vers le milieu d'octobre, le choléra, qui avait d'ailleurs continué à s'avancer dans le reste du pays, avait entièrement disparu de cette capitale. L'opinion publique n'évaluait pas alors à moins de 10,000 le total de ses victimes; mais ce chiffre était fort exagéré, d'après le rapport que la commission sanitaire publia plus tard: il portait le nombre des individus atteints par le fléau à 9,572, et à 5,419 celui des morts.

A peine sorti de cette crise, le Saint-Siége, après avoir

tant gémi, dans ces dernières années, sur les atteintes que l'Eglise catholique avait reçues des révolutions d'Espagne et de Portugal, se voyait obligé d'élever de nouveau la voix pour se plaindre d'une très grave injure qui lui venait cette fois d'une puissance absolue et légitime. Il s'agissait de l'enlèvement de l'archevêque de Cologne, exécuté par le Gouvernement prussien pour des causes et dans des circonstances dont on a vu plus haut le détail (pag. 598). Le pape, dans un consistoire secret, tenu le 10 décembre, prit hautement le parti de l'archevêque « dépouillé, disait-il, de sa juridiction pastorale, expulsé de son siége par la force et l'appareil des armes et relégué dans un lieu d'exil. » Tout se borna d'ailleurs, quant à présent, à une approbation de la conduite. du prélat et à une improbation de celle de la Prusse.

DEUX-SICILES.

L'archiduchesse d'Autriche, Marie-Thérèse, dont la main avait été demandée par le roi de Naples, comme nous l'avons dit dans notre dernier volume, partit de Vienne, accompagnée de son père, l'archiduc Charles, et entra, le 3 janvier, à Trente. Deux jours après, le roi de Naples, qui s'était rendu par mer à Venise, arriva aussi à Trente; et, le 8, son union avec la jeune archiduchesse fut célébrée dans la chapelle du palais Zambelli, en présence de l'archiduc Charles, du prince de Salerne et des autres grands personnages des deux cours. Le 12, le roi et la reine quittèrent Trente, en se dirigeant par Vérone sur Venise, où ils séjournèrent quelque temps; et, le 26, ils firent leur entrée dans Naples, au bruit du canon et des acclamations de la foule accourue sur leur passage. Le lendemain, ils se rendirent en grande pompe à la cathédrale pour y recevoir la bénédiction nuptiale. Cette cérémonie fut suivie de galas qui durèrent plusieurs jours, et, à cette occasion, curent lieu des grâces, des commutations

« PreviousContinue »