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bation préalable du préfet. Dans l'opinion de l'orateur (ancien préfet) l'autorité devait veiller constamment pour déjouer les intrigues, pour empêcher les faux pas du maire, que le projet l'obligeait de prendre parmi les conseillers municipaux, fussent-ils le résultat d'une élection aveugle et oppositoire à la révolution de juillet; il faisait remarquer, quant au droit donné aux maires de présenter les commissaires de police, que la majorité qui s'était prononcée pour cette opinion n'avait été que d'une voix. La minorité avait pensé que c'était un instrument trop important du pouvoir pour qu'il appartînt au maire seul de le proposer.

En général, M. Ladoucette trouvait dans le projet amendé par la commission d'importantes améliorations. Mais en le discutant, il démontrait que le pouvoir municipal doit être subordonné à l'intérêt général de la société; qu'elle a besoin de protéger ses membres sur chaque point du territoire, de veiller à ce que tout y concoure au bon ordre, à la législation établie ; à ce que d'une part l'arbitraire, de l'autre l'incapacité ou la cupidité et l'ambition, qui savent prendre tous les masques, ne puissent opprimer les citoyens, ni dilapider les ressources communales.

M. Jaubert, qui demanda encore la parole, attaqua sans ménagement le système de la commission. Selon lui, les institutions municipales dans le siècle et le pays où nous vivons, n'ont et ne doivent avoir qu'une importance très secondaire... L'ère du gouvernement représentatif a réuni en un seul faisseau toutes les libertés éparses. Le besoin de garantics locales a été moins vivement senti, parce que l'esprit constitutionnel vivifie toutes les parties de l'Etat, et que d'ailleurs la liberté de la presse est comme le complément de toutes les institutions...

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La commission chargée de l'examen de la loi municipale avait reconnu en principe les avantages de la centralisation qui nous est imposée par notre situation géographique, qui fait la force et la grandeur de la France; Mais en distinguant

entre le pouvoir direct du Gouvernement ce qui le rattache à l'intérêt politique l'Etat, à la défense commune, à la sûreté générale, de ce qui n'est relatif qu'au régime intérieur des communes et à la gestion de leurs biens, elle n'avait pas assez senti la réaction intime des institutions municipales sur la politique; elle était quelquefois tombée en contradiction avec elle-même, comme lorsqu'après avoir reconnu que le pouvoir central devait avoir la haute main sur la police, l'ordre public, la sûreté générale; elle avait proposé en réalité de retirer au Gouvernement la nomination des commissaires de police.

Au fond, M. Jaubert ne croyait pas qu'une loi nouvelle fût bien nécessaire, si ce n'était pour coordonner les réglemens relatifs aux communes épars dans divers monumens de la législation... Déjà celle du 21 mars 1831 lui semblait avoir eu des effets très fâcheux... Le cens y avait été abaissé d'une manière imprudente. Trois millions d'électeurs municipaux avaient été improvisés dans le pays, et le cens municipal était descendu dans certaines communes à 15 centimes... L'orateur signalait, entre autres dispositions fâcheuses de cette loi, le vote par sections dans les villes, sans recensement général, système dont il était résulté que, dans un grand nombre de villes, des conseillers municipaux avaient été nommés par une dizaine de suffrages; que, dans beaucoup de localités, des bourgeois avaient été systématiquement exclus des conseils municipaux, composés dans un but d'hostilité, de manière à rendre difficile, quelquefois impossible, pour le Gouvernement, le choix des maires et des adjoints.

« A cette époque aussi, disait M. Jaubert, s'est-il vu forcé de recourir à la dissolution de plus de 500 conseils municipaux, de faire appel aux électeurs, à leur bon sens, à leur amour du bien public... Souvent il a été forcé de choisir non le meilleur, mais le moins mauvais, et ce choix est tombé précisément sur un homme d'un caractère faible que les partis avaient bien voulu consentir à introduire dans le conseil municipal, sachant bien que le choix du Gouvernement ne pouvait tomber que sur lui et qu'ils auraient ainsi un instrument docile, d'où il est résulté que la prérogative accordée par la loi au Gouvernement dans le choix des fonctionnaires municipaux, a été trop souvent illusoire ou violentée; qu'en réalité les nominations des maires et

adjoints ont été envahies par les électeurs municipaux; que ces difficultés ont entraîné de nombreux retards dans l'organisation des mairies; et qu'en beaucoup de circonstances les fonctionnaires municipaux, les administrations municipales dont la commission faisait un tableau si touchant, se sont abstenus d'agir, ou bien ont pris parti pour le désordre.

« A aucune époque, ajoutait M. Jaubert, si ce n'est peut-être dans les mauvais temps de la révolution, les affaires municipales n'ont été dans un plus grand désordre. C'est là une conséquence inévitable de la discorde qui s'est introduite presque partout. Dans beaucoup de villes, une petite guerre, une guerre de tracasserie, était sans cesse organisée contre l'autorité supérieure. On a vu des votes de parti aussi ridicules, aussi abusifs que ceux qui ont eu lieu sous la Restauration dans un autre sens. Vous avez vu sous la Restauration des conseils municipaux poursuivre l'enseignement mutuel; vous avez vu depuis des conseils municipaux poursuivre des frères de la doctrine chrétienne.

« Je n'hésite point à blâmer les uns comme les autres. On a vu des projets d'utilité publique repoussés par cela seul qu'ils étaient présentés par des hommes dont l'opinion ne plaisait pas au conseil municipal. Je ne citerai pas ici des faits, cela me mènerait trop loin.

« Nous avons vu surtout les villes entraînées dans des entreprises folles, dans des dépenses exagérées; les maires, sous l'influence de cette popularité qui les avait portés aux affaires et qu'ils voulaient conserver, voulaient signaler leur passage aux affaires publiques par des entreprises disproportionnées avec les ressources de la ville; il en est résulté que des villes ont contracté des engagemens onéreux, qui en définitive se résolvent en octrois. Cet état de choses dut appeler l'attention sérieuse du Gouvernement et des Chambres.

« Dans les campagnes, Messieurs, là où la surveillance de l'administration supérieure est moindre, les abus ont été, si cela est possible, beaucoup plus graves; presque partout l'usurpation des biens communaux, la dévastation des bois communaux, la mauvaise distribution des affouages; les délits ruraux ne sont point réprimés, par une raison toute simple, c'est que très souvent les délinquans faisaient partie du conseil municipal. »>

Néanmoins, au milieu des épanchemens de sa verve contre les résultats de la loi de 1851, l'honorable orateur reconnaissait qu'il s'était fait une amélioration sensible dans l'opinion publique et dans les élections municipales de 1854, et il en rendait grâce aux lois répressives, rendues à cette époque. La grande propriété s'était enfin ralliée en majeure partie à un Gouvernement qui défend la cause de l'ordre, et par conséquent celle de la propriété... Cette amélioration s'était fait" sentir dans les grandes villes et même dans les campagnes. Mais il n'en était pas de même dans les petites villes, où l'influence de l'estaminet et du mauvais journal était encore trop forte...

En résumé, M. Jaubert, insistant sur les avantages, sur l'indispensabilité de la centralisation, soutenait que l'administration chargée de contrôler les communes n'était pas pourvue

de moyens suffisans; que le nombre des employés de préfecture ne répondait pas à la multiplicité des travaux qu'on leur imposait; que le ministre de l'intérieur lui-même aurait besoin d'un renfort de moyens, et, à cette occasion, il déplorait les économies faites dans la discussion du budget au détriment des communes... Il ne demandait pas qu'on restreignît les attributions déjà données aux conseils municipaux, mais il voulait du moins qu'elles ne fussent pas étendues; il désirait, s'il fallait céder à la manie de la décentralisation, qu'elle n'eût lieu qu'au profit des corps qui feraient bon usage des pouvoirs qui leur seraient conférés, comme les conseils généraux qui procédaient, à quelques adjonctions près, de la même source que les députés. A ce propos, il exprimait le désir que la loi des attributions départementales, qui venait d'être présentée à la Chambre des pairs, fût la première dont on dotât le pays, et il ne voyait que du profit à l'ajournement de celle-ci.

Cette opinion, franchement énoncée, avait été souvent interrompue par des murmures et des mécontentemens dans une partie de la Chambre.

« Ce n'est pas seulement le procès d'une seule de nos institutions qu'on vient de nous faire, dit M. Dubois (de la Loire-Inférieure), c'est le procès de toutes les autres successivement. Toutes nos convictions, ou si vous voulez toutes nos illusions, car il faut parler leur langage, sont attaquées avec une amertume que je ne veux pas caractériser. Et remarquez-le, des armes singulières sont ici données aux hommes que nous avons combattus pendant quinze ans, et en vérité nous paraîtrions avoir été de grands coupables lorsque nous avons fait la révolution de juillet.

<< Messieurs, le Gouvernement a accompli un devoir; il a vu des faits nouveaux dans l'exercice de fonctions tout-à-fait nouvelles. Il a cru qu'il était utile de mettre sous les yeux de la Chambre et du pays, le résultat des élections municipales. Il s'agissait en effet de faire l'éducation politique du pays; ch bien! que fait l'honorable député auquel je réponds? Il s'empare des documens présentés par le Gouvernement dans un esprit de sincérité et de loyauté, pour signaler qu'il y a eu progrès, que les élections de 1832 ont présenté de grandes imperfections, mais que les élections de 1834 ont été plus satisfaisantes. Que fait l'honorable député ? It relève tous les défauts de de ces premières élections, et flétrit ainsi la loi que le Gouvernement voulait faire apprécier et estimer par le tableau qu'il présentait. Ces conseils municipaux, il y en avait avant la révolution de juillet, il y avait aussi des conseils-généraux; on a fait un grand éloge des conseils-généraux actuels; je m'y associe. Mais ces conseils municipaux de la Restauration, avaient-ils donc toute la perfection que vous demandez aux nôtres ? La grande propriété était puissante dans ces conseils; et néanmoins, si le Gouvernement de la Restauration avait été aussi sincère que celui de la révolution de juillet,

et nous avait étalé toutes les misères de ces conseils, vous verriez qu'au scandale d'une institution qui naît, on pourrait opposer le scandale de quinze ans d'erreurs. Et croyez-vous qu'alors nous n'aurions pas des armes victorieuses à opposer à vos préférences ? »

En fait, les erreurs municipales, reprochées si amèrement à un corps politique tout nouveau, étaient peu nombreuses et fort excusables. Sur 37,000 communes qui ont des conseils électifs, 303 seulement avaient subi une dissolution. Ces corps, constitués par la loi de 1851, avaient été élus en 1852, au moment où les agitations convulsives mettaient les armes à la main des citoyens dans l'ouest et le midi... Il était possible, naturel, qu'il y eût eu de la passion, de la colère, et qu'ensuite les souvenirs de la Restauration eussent été pour quelque chose dans le mal signalé; et, après tout, ce n'étaient, selon M. Dubois, que de petits scandales amenés pour faire le procès à une grande institution, et flétrir la loi même avant qu'elle eût porté ses fruits.

La discussion générale n'avait que fait entrevoir les difficultés de la question qui se produisirent dans celle des articles.

Le titre 1er des Réunions, divisions et formations de com munes, prêtait moins que tout autre aux mouvemens oratoires; mais il offrait pourtant des questions graves. La circonscription des communes (il y a plus de 56,000 communes en France) appartient à des temps et à des régimes différens. Pour beaucoup, cette circonscription était devenue nuisible, soit que le nombre ou la fortune des habitans ne fussent pas en proportion avec les charges de la communauté, soit par d'autres motifs; il importait de changer cette circonscription vicieuse et de faciliter les moyens, tantôt de séparer les parties de communes qui se nuisent entre elles, tantôt de réunir à d'autres communes celles pour qui l'indépendance locale était devenue un bienfait trop lourd et trop ruineux. L'intérêt des communes, leur moralité, leur instruction surtout veut qu'on étende les limites de ces petites sociétés, où l'esprit se resserre et s'abrutit en raison de leur isolement ou de leur petite étendue. Plus la commune s'agrandit, plus s'ac¬ Ann. litt, pour 1837.

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