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Interrogé sur ses complices, Champion déclara obstinément qu'il n'en avait point et qu'il avait conçu et exécuté seul le projet de sa machine. Son premier interrogatoire subi, comme on venait de le laisser dans sa prison, il profita de l'absence de son surveillant pour s'étrangler à l'aide de sa cravate, et cette mort imprévue priva la justice des révélations qu'on en attendait...

Nous avons cru ne pouvoir omettre cette nouvelle tentative de l'atroce monomanie qui fermentait au fond d'un parti, mais il nous faut revenir à l'histoire de la session.

L'un des projets de loi présentés dès le 4 janvier avait pour but de transporter à la caisse des dépôts et consignations les fonds des caisses d'épargne qui jusqu'alors avaient été versés au Trésor public. Il ne semblait pas devoir prêter d'aliment aux passions politiques; mais, comme le ministère avait laissé entrevoir que cette mesure se liait au dessein qu'il avait de consacrer la réserve de l'amortissement à l'exécution des travaux publics, on pouvait craindre ou prévoir que l'opposition, habile à saisir la coïncidence, se montrerait contraire à l'un comme à l'autre projet.

Dans l'état actuel, les caisses d'épargne autorisées à verser leurs fonds au Trésor public, qui lui en payait l'intérêt à raison de 4 pour cent, y avaient déjà versé plus de cent millions. Ces fonds, ajoutés à ceux qui appartiennent aux communes évalués à 117 millions, et aux avances faites par les receveurs généraux, d'après un ancien usage, afin d'avoir une garantie de plus de l'exactitude de leur gestion, encombraient le Trésor de capitaux improductifs. Comme il n'avait pas le droit de les placer, il les gardait comme enfouis, tandis qu'il en payait lui-même un certain intérêt. Le ministère, pour sortir de cet embarras insolite, voulant donner une autre direction à la portion de ces capitaux dont il paie les plus gros intérêts, avait jugé convenable de les confier à la caisse des dépôts et consignations, qui avait la faculté interdite au Trésor de placer à intérêt les fonds qui lui sont confiés, et qui

pouvait les prêter par exemple aux départemens qui volent des emprunts pour l'exécution de leurs routes départementales et vicinales. C'est sous ce rapport que le ministre des finances avait fait entrevoir dans l'exposé des motifs du budget, le projet actuel, comme un annexe de la loi des travaux publics.

La commission spéciale, à l'examen de laquelle il avait été renvoyé, l'avait adopté sans réserve.

« Cette mesure, disait M. Benjamin Delessert, dans le rapport qu'il en fit le 15 février, nous a paru utile en ce qu'elle facilite les opérations qui y ont rapport; elle est devenue nécessaire depuis que les encouragemens que vous avez donnés à la création des caisses d'épargne par les dispositions de la loi du 5 juin 1855, ont eu les résultats que vous deviez en attendre. L'esprit d'économie et de prévoyance a fait de rapides progrés parmi les classes ouvrières, et, grâce au concours et au zélé d'une foule de bons citoyens, les principales villes du royaume se sont empressées d'établir des caisses d'épargne; il en existe actuellement 226 dans toute la France, et les fonds versés par elles au Trésor montent à près de 100 millions. La caisse d'épargne de Paris seule compte plus de 82,000 déposans, dont le plus grand nombre appartient à la classe industrielle.

« Ces dépôts, qui tendent journellement à s'accroître, font actuellement partie de la dette flottante. En voyant l'augmentation de ces versemens, on a pensé qu'il pourrait y avoir quelque danger à ce que le Trésor fût exposé à des remboursemens très considérables, qui l'embarrasseraient dans des circonstances difficiles où lui-même éprouverait d'autres besoins, et on a cru qu'il y aurait convenance à faire verser ces fonds dans un établissement séparé.

« D'après le projet de loi, les comptes des caisses d'épargne avec le Trésor seraient réglés et arrêtés en capitaux et intérêts, et le solde transféré à la caisse des dépôts et consignations dans les trois mois qui suivraient la promulgation de la loi.

« Pour le paiement de ce solde, le ministre des finances serait autorisé à transférer et à inscrire, au nom de cette caisse, des rentes 4 pour cent au pair jusqu'à concurrence des 102,516,000 francs qui restent disponibles sur les 256,557,000 fr. de ressources extraordinaires accordées par les lois de 1832, 1835 et 1834. Cette disposition sera avantageuse au Trésor, parce que n'ayant pas, dans l'état actuel des choses, les moyens de faire valoir tous les fonds des caisses d'épargne, une trop grande accumulation de capitaux pourrait lui devenir onéreuse.

« D'un autre côté, la caisse des dépôts et consignations est instituée pour employer et faire valoir les fonds qui lui sont remis. Ces emplois consistent principalement en achats de rentes, en prêts aux communes et à des particuliers sur des gages présentant toute sécurité. Au moyen du transfert des rentes 4 pour cent, elle aurait sur-le-champ l'emploi des cent millions des caisses d'épargne, et elle ne perdrait rien sur l'intérêt de 4 pour cent fixé par la loi.

<< Lorsque les versemens des caisses d'épargne auront absorbé la somme de 102,316,000 fr. mentionnée ci-dessus, ce qui aura probablement lieu dans les premiers mois de cette année, la caisse des dépôts et consignations pourra placer au Trésor public, à l'intérêt de 4 pour cent par an, soit en compte Ann. hist. pour 1837. 7

courant, soit en bons royaux à échéances fixes, les fonds qui lui seront versés par les caisses d'épargne; de cette manière, elle aura toujours à sa disposition une somme suffisante pour faire face aux demandes de remboursement. «Les caisses d'épargne trouveront aussi dans ce changement plus de sécurité. Le projet de loi leur donne un gage matériel en rentes, gage qui n'existe pas actuellement, et elles conserveront néanmoins la garantie du Gouvernement.

« Cette mesure nous paraît devoir être accueillie avec empressement, puisqu'elle est dans les intérêts de tous. >>

La commission, en donnant cette adhésion au projet, ne s'était pas dissimulé les dangers ou les inconvéniens que pourraient éprouver les caisses d'épargne ou celles qui reçoivent leurs fonds, si des inquiétudes occasionées par des commotions politiques, par une guerre ou par le défaut de travail, engageaient les déposans à réclamer tous à la fois le remboursement des sommes versées par eux. Mais elle avait considéré que ce danger existait également à l'égard des banques, et qu'il n'avait pas eu jusqu'ici de résultats funestes pour celles qui étaient administrées avec prudence et sagesse; que ce danger, causé par des paniques, paraissait encore moins à craindre pour des caisses d'épargne, en faisant attention au caractère des personnes qui y déposent le produit de leurs économies, gens amis de l'ordre et intéressés à la tranquillité publique. Il n'y avait pas d'exemple qu'ils eussent pris part aux émeutes; on pourrait dire qu'un livre de la caisse d'épargne est en quelque sorte un brevet de bonne conduite. 'D'ailleurs, la commission, pour obvier à toutes difficultés et à toutes inquiétudes, proposait de graduer les remboursemens demandés, exigibles dans l'ordre actuel à dix jours de la demande, de quinze jours à trois mois, suivant l'importance des sommes réclamées.

20 février. On ne s'attendait pas que la discussion d'un projet de simple administration financière dût soulever une question de cabinet et mettre le ministère en péril; mais c'est ce qu'on aperçut bientôt à la manière dont il fut attaqué par les membres du tiers parti et de l'opposition.

M. Ganneron, tout en mettant beaucoup de modération et de réserve à combattre la mesure, la représenta comme con

traire aux intérêts du Trésor, des caisses d'épargne et du commerce. M. Fould, recherchant les motifs secrets du projet, les attribuait au désir de faire passer celui des travaux publics dont on voulait assurer les fonds, sur la réserve de l'amortissement. Il avait fallu, pour employer la réserve de l'amortissement à cette éventualité de travaux, faire disparaître une partie de la dette flottante. Dans l'état actuel des choses, et d'après la loi de 1835 qui avait reconstitué la caisse d'amortissement, les réserves provenant de rentes non rachetées au pair devaient être appliquées à diminuer la dette flottante; et, en échange des réserves versées au Trésor, il lui élait donné des rentes. Le projet ministériel avait voulu changer ces dispositions. Mais la commission, en refusant d'employer ainsi la réserve, et en ouvrant au contraire des crédits en rentes pour les travaux publics, avait en effet renversé l'édifice de la loi nouvelle qui, n'ayant plus de but ni patent, ni caché, ne pouvait obtenir l'assentiment de la Chambre.

M. Humánn, ancien ministre des finances, dont l'opinion éclairée par la pratique était d'un grand poids dans la question, se prononçait avec plus d'énergie. Le projet n'avait d'autre résultat à ses yeux que de conférer à l'administration de la caisse des dépôts et consignations une partie des attributions du ministre des finances et de substituer le grandlivre aux comptes courans; et, en analysant les opérations de cette caisse, il y trouvait toutes sortes d'inconvéniens pour l'intérêt des déposans, pour le crédit public et pour le Gouvernement lui-même.

«Supposez, disait-il, que de mauvais jours nous soient réservés, que la confiance faiblisse, que l'inquiétude s'empare des esprits; que fera la caisse des dépôts pour se mettre en mesure de rembourser les fonds d'épargne ? Elle vendra les rentes que le projet de loi lui attribue, et peut-être celles qu'on lui aura données en gage de ses avances. Et ces importantes opérations se feront sans la participation, sans l'assentiment, ou même contre le gré du ministre des finances! Il y a plus si l'Etat était forcé, par les mêmes circonstances, de contracter des emprunts, il lui faudrait subir la concurrence indépendante et dommageable des administrateurs de la caisse des dépôts. « Ce n'est pas tout. Supposez que leurs opérations amènent de fâcheux

résultats, sur qui pésera la responsabilité? Sur le ministre des finances? Par le fait de l'adoption de la loi, vous l'aurez dégagé. Sur le directeur de la caisse des dépôts ? La commission de surveillance l'en affranchira. Ce systėme, vous le voyez, anéantit les garanties tutélaires de la responsabilité. Me dira-t-on que je suis appréhensif et trop peu confiant dans notre avenir? La confiance, Messieurs, exclut-elle la sagesse ? Un gouvernement comprend-il bien sa mission, quand, au lieu de prévenir les dangers, il les dédaigne et s'y expose? Et que sont donc les lois, en général, si ce n'est des précautions et des actes de prévoyance ? Le ministre fait une faute grave, on le reconnaîtra plus tard, de se dessaisir de la partie la plus importante de ses attributions, celle de gouverner seul, sans partage, sans entraves, sans concurrence, l'ensemble des opérations de crédit et de trésorerie. »

Déjà M. Jacques Lefebvre avait répondu aux argumens de l'opposition, surtout en ce qui concerne les opérations financières du Trésor et de la caisse des dépôts et leurs rapports avec la banque de France; mais le ministre dés finances (M. Duchâtel) ne crut pas devoir tarder à prendre lui-même la défense de son projet.

Il s'était élevé dans le cours de la discussion quelques doutes sur les intentions du ministère relativement à l'institution des caisses d'épargne et à la conversion des rentes. M. Duchâtel commençait par exprimer nettement ses opinions à ce double sujet. Il avait été l'un des premiers à propager dans toute la France les caisses d'épargne; et, quant à la conversion des rentes, il rappelait avoir déclaré formellement qu'aussitôt que les circonstances permettraient de l'entreprendre, il viendrait demander les moyens de l'exécuter.

Entrant dans des détails sur la situation et les opérations du Trésor, le ministère rappelait et ajoutait aux motifs donnés dans l'exposé du projet de loi sur l'embarras et les graves inconvéniens qui résultaient pour l'Etat, pour le crédit public, pour le commerce et pour l'industrie, de la surabondance et de la stagnation des capitaux improductifs encaissés au Trésor, qui ne devait jamais recevoir de fonds que pour les rendre à la circulation.

Quant aux objections faites sur le placement et l'administration des fonds des caisses d'épargne à celle des dépôts et consignations, le ministre relevait ce que les reproches qui lui avaient été faits offraient de contradictoire. Il s'attachait

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