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Or cette Société n'était pas encore reconnue d'utilité publique. Elle demandait précisément cette reconnaissance au Conseil d'État, afin de pouvoir entrer en possession des biens que lui attribue la fabrique. Et l'on pouvait craindre que la clause que je viens de mentionner n'empêchât le Conseil d'État de la reconnaître et de sanctionner par là une disposition manifestement contraire à sa jurisprudence, au moins depuis vingt ans, puisque le Conseil d'État avait pris l'habitude d'annuler tous les legs charitables faits aux menses curiales et même aux fabriques. En outre la nouvelle société ne remplissait aucune des conditions ordinairement requises pour la reconnaissance d'utilité publique, ni ancienneté, ni services rendus, ni ressources assurées.

Et l'on n'a pas manqué de faire valoir ces arguments, ainsi que celui qu'on pouvait tirer du droit antérieur des établissements communaux, mais le rapporteur, M. SaissetSchneider, a été assez habile pour en triompher en insistant sur la situation toute particulière créée par la loi de 1905, sur la nécessité de respecter la volonté des donateurs, qui ne le serait évidemment pas si les biens dont il s'agit étaient attribués à des établissements communaux d'assistance, sur l'opportunité enfin d'éviter les procès qui suivraient inévitablement, et par le jeu de la loi de 1905, une pareille attribution.

Donc la Société de bienfaisance de la Madeleine de Rouen est reconnue d'utilité publique, et le Conseil d'État sanctionne la dévolution de biens qui lui est faite par la fabrique dans les conditions que je viens d'indiquer.

Cette première dévolution catholique sera naturellement suivie d'un grand nombre d'autres dévolutions similaires, puisque le Pape y consent'. Il ne faudrait sans doute pas

1. Ce pronostic ne s'est point réalisé. L'Eglise, qui aurait pu si facis lement garder la disposition de l'ensemble des biens charitables visé

s'exagérer l'importance de ce fait nouveau, mais sa nouveauté même n'indique-t-elle pas, de la part de Rome, une légère tendance à l'apaisement?

par l'article 7, n'en a sauvé qu'une partie très minime. Les évêques se sont montrés là plus papistes que le Pape, soit qu'ils n'aient pas com. pris la question, soit qu'ils aient manqué de confiance dans le Conseil d'Etat, soit qu'ils aient eu peur de donner quelque indépendance aux curés auxquels ils auraient permis de créer des associations « à destination conforme à celle desdits biens » et qui en auraient donc hérité. En fait on ne compte que cinq associations qui se soient ainsi légalement formées et que le Conseil d'Etat ait habilitées à recevoir des dévolutions de biens charitables.

Ce sont :

L'association charitable de Sainte-Marie des Batignolles.

Attribu

tion de certains biens ayant appartenu à la mense curiale de SainteMarie des Batignolles (60 francs de rente; droits de la mense sur la distribution des revenus de biens légués à l'Assistance publique). L'association catholique d'assistance du Gard. — Attribution de biens ayant appartenu à deux fabriques (111 fr. 50 de rente).

La société de secours à domicile pour les pauvres et les malades de la commune de Nice. Attribution de biens ayant appartenu à la mense épiscopale de Nice (immeubles valant 672.000 francs;

3.375 francs de rente).

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de biens ayant appartenu à des fabriques ou menses de l'arrondissement de Rouen (546 francs de rente).

L'association catholique angevine des œuvres d'assistance et de bienfaisance. Attribution de biens ayant appartenu à des fabriques de Maine-et-Loire (600 francs de rente et le tiers de divers immeubles). Bien plus considérables sont les biens qu'à défaut d'associations d'initiative sacerdotale les préfets ont attribué à des associations de bienfaisance laïques. Et il en reste à attribuer un grand nombre, qui sont il est vrai des biens litigieux.

Il est à remarquer que même après l'expiration du délai d'un an, l'Eglise pouvait sauver mais par une autre voie les biens dont il s'agit. L'attribution n'en pouvait plus être faite après ce délai par les établissements ecclésiastiques et donc en vertu de l'article 7. Mais elle pouvait, et elle pourra aussi longtemps qu'il restera des biens charitables à attribuer, être faite par décret. Il suffisait de fonder des sociétés qui eussent demandé ces attributions et auxquelles le Conseil d'Etat était tout disposé à accorder la reconnaissance d'utilité publique pour leur permettre de les recevoir. J'ai répété cela sur tous les tons. Mais je me suis constamment heurté à l'inintelligence ou au mauvais vouloir de la hiérarchie.

UNE CIRCULAIRE DE M. BRIAND
SUR L'ORGANISATION DU CULTE

2 décembre 1906.

M. Briand, ministre des Cultes, adresse aux préfets une circulaire importante sur les conditions d'exercice du culte public à défaut d'associations cultuelles. Cette circulaire, dont on ne peut nier que certaines parties tout au moins celles qui ont directement pour objet la nouvelle organisation du culte ne soient extrêmement libérales, répond bien aux préoccupations actuelles et aux incertitudes des catholiques à la veille de l'échéance du 12 décembre. Elle complète, commente et élargit même parfois l'avis de principe récemment émis par le Conseil d'État quant à l'application du droit commun, tel qu'il résulte de la loi de 1881 sur la liberté de réunion, aux cérémonies.

Le ministre rappelle, tout d'abord, que « la loi du 9 décembre 1905 est tout entière dominée par le principe de la liberté de conscience, d'où dérive le libre exercice des cultes ». Il avait déjà dit à la tribune de la Chambre que c'est à la lumière de ce principe qu'il faudrait chercher la solution de tous les cas douteux.

La loi de 1905 met à la disposition du clergé et des fidèles << un moyen pour s'organiser en vue du culte public ». Elle ne les oblige pas à l'utiliser; et s'ils ne l'utilisent point, «< ils ne sont pas pour cela privés du droit de pratiquer leur religion ». Ils peuvent, cela va de soi, « recourir au culte privé », mais ils peuvent encore, «< sans s'unir par les liens d'un contrat d'association, subvenir à l'exercice public du culte des réunions tenues sur initiatives individuelles et béné

par

ficier ainsi, à défaut de la liberté d'association dont ils ne veulent pas user dans les conditions où elle leur est offerte par la loi, de la liberté de réunion ».

Donc, à défaut de cultuelles, organisées conformément aux lois de 1905 et de 1901 combinées, seule la loi de 1881 est applicable. Mais dans quelles conditions? C'est ici que le ministre fait preuve d'une véritable largeur d'esprit. La loi de 1905 a d'une façon générale assimilé les réunions publiques pour la célébration d'un culte aux réunions visées par la loi de 1881. Mais l'assimilation complète n'est évidemment pas possible, et c'est pourquoi le législateur de 1905 avait exempté de certaines prescriptions édictées par le législateur de 1881 les cérémonies du culte. Mais cette exemption était conditionnée par la formation d'associations cultuelles, et cette condition ne sera pas remplie. M. Briand - et le Conseil d'État, remarquons-le en estime cependant passant, n'était pas allé jusque-là que l'application de la loi de 1881 «< nécessite par la force même des choses certains accommodements pour s'adapter aux cérémonies religieuses ».

En conséquence, celles-ci seront dispensées de la nomi. nation ou élection d'un bureau, parce que ce bureau, imposé aux réunions publiques par la loi de 1881, a pour mission essentielle de maintenir l'ordre ; or « l'ordre est garanti dans les réunions cultuelles par les dispositions spéciales inscrites dans l'article 32 de la loi de 1905 ».

Conformément à l'article 9, un fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire « pourra être délégué » et non pas sera délégué, pour assister aux réunions cultuelles, mais le droit de dissolution des réunions cultuelles « ne devra être exercé par le représentant de l'autorité que s'il se produit. des collisions et voics de fait ».

Les réunions publiques ordinaires ne peuvent, en vertu

de la loi de 1881, se prolonger au delà de onze heures du soir. M. Briand déclare que « cette prohibition ne sera évidemment pas opposable aux cérémonies religieuses ».

Quant à la déclaration préalable exigée pour chaque réunion publique par l'article 2 de la loi de 1881, M. Briand interprète cet article, en l'espèce, de telle manière qu' « une seule déclaration suffira pour toutes les cérémonies publiques religieuses, dont les jours et heures peuvent être facilement déterminés à l'avance1». Mais la circulaire ne dit pas si le même article est applicable, et comment, à certaines autres cérémonies religieuses, les obsèques par exemple - dont les jours et heures ne sauraient être déterminés d'avance. Sans doute M. Briand les considère-t-il comme des cérémonies privées. Et le culte privé est libre, absolument.

Enfin les déclarations sont exemptées du timbre.

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Le ministre s'occupe ensuite - c'est la seconde partie de sa circulaire de la question des édifices religieux. Il dis tingue entre ceux que la loi déclare propriété de l'État ou des communes et ceux qui appartiennent à des établissements ecclésiastiques. Les premiers, et toujours dans l'hypothèse de la non-formation des cultuelles, le 12 décembre prochain, « rentreront en la possession légale de l'État et des

1. Le Pape interdit de faire même cette unique déclaration à laquelle les évêques et les plus intransigeants comme les plus libéraux avaient déclaré ne voir aucun inconvénient. « Continuer le culte dans les églises, s'abstenir de toute déclaration »>, telle fut la réponse du Pape à une question du cardinal Richard, lequel la communiqua à ses collègues par ordre de Sa Sainteté pour assurer l'uniformité des décisions de l'épiscopat. »>

Les raisons du Pape, c'est que les nouvelles conditions faites par M. Briand pour l'exercice public du culte étaient «< illégales, arbitraires, précaires ».

A la suite de cette décision pontificale, quelques contraventions furent dressées « pour cause d'infractions commises par des ecclésiastiques à la loi de 1881 ». Puis on arrêta les frais. Dans l'intervalle un certain nombre de laïques avaient cru pouvoir prendre l'initiative de la déclaration exigée. Le gouvernement s'en serait contenté, mais ces laïques furent, après quelques hésitations, blàmés par l'autorité religieuse. Leur exemple ne fut pas suivi.

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