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au Conseil d'État. Un grand nombre de curés se jetèrent, à la suite des évêques, dans la mêlée, et leur traitement fut supprimé.

Le terrain de l'enseignement n'était pas le seul où s'exerçât l'anticléricalisme des Chambres et du gouvernement. Dès 1879, les prêtres avaient été chassés de la commission des hospices et des bureaux de bienfaisance. On avait, en 1880, supprimé les aumôniers militaires, en 1881 laïcisé les cimetières et les hôpitaux, en 1882 supprimé les aumôniers des écoles normales, biffé Dieu sur la formule du serment judiciaire, interdit les emblèmes religieux dans les salles d'audience et légiféré en faveur des enterrements civils. Louis Blanc, cette même année, Gambetta et Henri Martin, l'année suivante, furent enterrés civilement aux frais de l'État. En 1883, l'administration des menses épiscopales sede vacante fut confiée à des commissaires civils. Cette série de mesures dont la commune tendance pouvait inquiéter à bon droit l'autorité religieuse provoqua, au mois de juin 1883, une lettre touchante, mais inutile, de Léon XIII au président Grévy. En 1884, on fit défense aux écoles congréganistes de recevoir des dons et legs. Et la Chambre ne se sépara en 1885 qu'après avoir désaffecté le Panthéon.

Les conservateurs regagnèrent du terrain aux élections des 4 et 18 octobre, mais sans conquérir la majorité. Et les républicains, auxquels M. Goblet, ministre des Cultes, dénonçait l'intervention du clergé dans la lutte électorale et toute une campagne de « prédications, d'injures, de calomnies et de menaces », décimèrent à coup d'invalidations les rangs de l'opposition conservatrice. Pendant ce temps M. Goblet croyait prouver le bien fondé de ses accusations en frappant ceux qu'il avait accusés. Cinq cents prêtres ces

1. Précédemment on avait interdit aux fabriques d'accepter des dons et legs pour les écoles.

sèrent ainsi, par mesure administrative, d'émarger au budget des cultes.

Le 30 octobre 1886, la laïcité de l'enseignement primaire fut achevée par une loi dont l'article 17 ordonnait ceci : «Dans les écoles publiques de tout ordre l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. » Et à la fin de cette législation, le 15 juillet 1889, ce fut le vote de la loi militaire, par laquelle était supprimé le privilège d'exemption des clercs.

Il va sans dire que chaque année, dans la période d'anticléricalisme législatif qui nous occupe, on écornait le budget du culte catholique, tour à tour supprimant le traitement des cardinaux, réduisant celui des archevêques et des évêques, supprimant par voie d'extinction celui des chanoines, supprimant un grand nombre de vicariats rétribués par l'État, supprimant l'insigne chapitre de Saint-Denis, supprimant les bourses des séminaires, supprimant les facultés catholiques de théologie, etc. Grâce à toutes ces suppressions, dans l'espace de huit années, de 1882 à 1889 inclusivement, le budget des cultes fut réduit d'une dizaine de millions. Il ne s'élevait plus, en 1889, qu'à 45 millions 085,503 francs. A partir de cette date, si le budget du culte catholique décrut encore, ce fut presque exclusivement en vertu de mesures antérieurement votées par les Chambres. Le rapporteur de 1890, M. Leygues, n'hésita pas à reconnaître que « les économies réalisées au cours des années précédentes avaient fait disparaître une à une les dépenses inutiles et que l'on touchait maintenant aux organes vitaux du service des cultes », et le rapporteur de 1893, M. Lasserre, avoua de même « que tout ce qui était le résultat des faveurs royales et impériales avait été supprimé et que l'on touchait maintenant aux véritables organes concordataires ou découlant du Concordat ».

La mémorable encyclique du 16 février 1892, par laquelle Léon XIII préconisait avec une si grande énergie mais un peu tard le ralliement des catholiques français à la République, fut impuissante à arrêter le mouvement législatif anticlérical. Cette encyclique, il est vrai, convertit bien peu de monarchistes aux institutions républicaines. Encore ces conversions étaient-elles plus apparentes que réelles. On fit grise mine aux nouveaux ralliés. Et s'il est vrai que dans certains couvents le fait m'a été affirmé par Mgr Sueur, on commença de célébrer des neuvaines «< pour la résipiscence ou pour la mort de Sa Sainteté », la généreuse tentative de l'illustre pontife ne fut guère mieux accueillie dans les milieux politiques de gauche que dans ceux de droite. Et la formule de « l'esprit nouveau » dans lequel M. Spuller, ministre des Cultes, déclara en 1894 à la Chambre qu'il convenait d'entendre désormais les rapports de l'État avec l'Église, et qui lui paraissait devoir être la réponse de la société laïque aux avances de Léon XIII, n'eut guère qu'un succès de mot. Elle lui causa même plus d'ennuis dans son propre parti qu'elle ne lui valut de gratitude du côté conser

vateur.

La loi de finances du 26 janvier 1892, article 78, avait imposé aux administrations fabriciennes le contrôle de l'État : « A partir du 1er janvier 1893 les comptes et budgets des fabriques et consistoires seront soumis à toutes les règles de la comptabilité des autres établissements publics. » Il ne s'agissait nullement de porter la main sur le temporel des paroisses, mais d'exercer sur l'administration de ce temporel une surveillance d'autant plus gênante que le désordre y était plus grand.

La loi du 16 avril 1893 frappa les congrégations religieuses d'un impôt d'exception en remplaçant le vieux «< droit d'accroissement » de 1884 par une « taxe d'abonnement », plus

facile à percevoir, de 30 ou 40 centimes pour 100 francs de capital selon qu'il s'agissait des congrégations autorisées ou non autorisées.

Quelques années plus tard les congrégations furent non plus atteintes dans leurs intérêts matériels, mais menacées dans leur existence même. Menace que devait suivre, pour le plus grand nombre d'entre elles, une prompte exécution. La loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d'association obligeait celles qui n'étaient pas reconnues à se dissoudre ou à demander l'autorisation, que le Parlement pouvait aussi bien leur refuser que leur accorder. L'article 13 stipulait en outre « La dissolution de la congrégation ou la fermeture de tout établissement pourront être prononcées par décret rendu en conseil des ministres. » L'auteur de cette loi, M. Waldeck-Rousseau, ne se proposait, assure-t-on, que de soumettre en quelque manière à l'autorité de l'État la presque totalité de ces congrégations auxquelles il aurait ainsi donné une sorte d'état civil, sauf à en sacrifier quelques-unes où il voyait un danger politique et notamment les Assomptionnistes, dont il avait d'ailleurs fait prononcer déjà par les tribunaux, le 24 janvier 1900, la dissolution, et les Jésuites.

Mais M. Combes, qui lui succéda au pouvoir, armé de la loi de 1901, fit brutalement exécuter par la Chambre toutes les congrégations d'hommes non autorisées antérieurement, sauf les Trappistes, les frères de Saint-Jean-de-Dieu, les Pères Blancs, les missionnaires d'Afrique de Lyon et les Cisterciens de l'île de Lérins, dont les demandes en autorisation sont encore, après dix ans écoulés, pendantes devant le Sénat1. Les demandes en autorisation introduites par les

1. M. Combes divisa en trois groupes, sous ces trois étiquettes : enseignantes, prédicantes, commerçantes, toutes les autres congrégations d'hommes en instance d'autorisation. Docile à ses suggestions, la Chambre repoussa leurs demandes en bloc, sans examen. Précé

congrégations de femmes furent réservées. Aussi bien M. Combes avait-il, comme entrée de jeu, fermé proprio motu 4.000 écoles dépendant de congrégations autorisées. Il compléta en 1904 son œuvre dévastatrice en faisant voter une loi nouvelle qui interdisait l'enseignement de toute nature et de tout ordre à toutes les congrégations, autorisées ou non, en laissant toutefois au gouvernement un délai d'application de dix années.

Et cependant la lutte contre le clergé régulier ne l'absorbait pas au point de l'empêcher de poursuivre contre le Saint-Siège certaines revendications, que l'on peut bien trouver excessives, considérées en elles-mêmes, mais qui n'en étaient pas moins solidement appuyées sur le droit concordataire.

Déjà M. Waldeck-Rousseau avait averti officiellement le Saint-Siège que désormais le Conseil d'État n'enregistrerait plus les bulles d'institution des nouveaux évêques dont le texte ne serait pas en absolue conformité avec l'article 5 du Concordat. Il n'avait fait ainsi que renouveler, sous une forme il est vrai plus tranchante, les réclamations adressées, trente ans plus tôt, à la curie par M. Thiers qui, le 22 juillet 1871, en saisit l'Assemblée nationale. A cette époque, dans les bulles envoyées à Paris par la secrétairerie d'État, il n'était pas question d'évêques nommés, mais désignés ou présentés par le gouvernement. Or, c'est bien un droit de nomination, et non pas un droit de désignation ou de présentation, que le Saint-Siège reconnaît au gouvernement par l'article 5 du Concordat : « Le premier consul nommera aux évêchés. » Rien de plus clair.

Le droit du gouvernement était trop certain pour que le demment, le ministre avait répondu aux protestations de l'épiscopat par la suppression du traitement de Mgr Fulbert-Petit, archevêque de Besançon, de Mgr Touchet, évêque d'Orléans, et de Mgr Bardel, évêque de Séez.

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