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on peut bien être assuré que ceux qui se trouvent dans ce cas n'hésiteront pas. Les évêques français sont d'ailleurs réputés dans le monde entier, je ne dis pas pour leur obéissance au Saint-Siège cela c'est l'honneur de tous les évêques en communion avec le siège apostolique mais pour leur extrême souci de prévenir en toutes choses les désirs du Pape et de n'administrer leurs diocèses que selon ses vues. C'est ce qui permet à Pie X de gouverner directement il n'y a de situation équivalente dans aucune autre nation l'Église de France avec autant et peut-être même avec plus de facilité que son diocèse de Rome.

LES FONDATIONS ET L'AVENIR DE L'ÉGLISE

12 novembre 1907.

Les organes libéraux, à quelque nuance d'opinion qu'ils appartiennent, ont apprécié avec une sévérité bien justifiée le projet de loi, actuellement à l'ordre du jour de la Chambre, sur les biens cultuels1, et qui tend à modifier, en les aggravant plutôt, les articles 6, 9, 10 et 14 de la loi du 9 décembre 1905. Or, il existe, dans ce projet de loi, un paragraphe d'une extrême gravité auquel il semble bien que l'on n'ait pas pris garde puisqu'il a échappé jusqu'à ce jour à toute critique, non seulement dans la presse, mais au Palais-Bourbon, malgré l'ampleur d'une discussion générale où l'opposition a défendu pied à pied avec tant d'éloquence et d'esprit juridique une cause qu'elle savait d'avance perdue.

Le paragraphe dont je parle procède, il est vrai, du remaniement que la commission a fait subir, à la dernière

1. Ce projet est devenu la loi du 13 avril 1908, sur laquelle nous aurons à revenir.

heure, à son texte primitif. Il se distingue des autres, dont l'objet est de liquider le passé, en ce qu'il engage l'avenir. C'est le paragraphe 14 de l'article 3. En voici le texte :

L'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ne peuvent remplir ni les charges picuses ou cultuelles, afférentes aux libéralités à eux faites, ou aux contrats conclus par eux, ni les charges dont l'exécution comportait l'intervention soit d'un établissement public du culte, soit de titulaires ecclésiastiques en tant qu'accomplissant un acte cultuel.

Ce qui veut dire que toute fondation pieuse sera désormais impossible légalement aux catholiques. Les fondations déjà existantes sont sous séquestre. Elles représentent environ quatre cents millions. Une partie très minime de ce capital pourra être revendiquée par les fondateurs ou par leurs héritiers directs. L'autre partie, plus de trois cent cinquante millions, sera dévolue, en l'absence d'associations cultuelles aptes à la recevoir, à des établissements d'assistance ou de bienfaisance auxquels le projet de loi interdit par ailleurs d'exécuter les charges afférentes aux ondations dont il s'agit. L'Église, donc, est dépouillée, et violée la volonté des morts. On a dit là-dessus tout ce qu'il y avait à dire. Mais qu'est-ce que cela, en comparaison de l'impossibilité légale où l'on entend mettre l'Église de reconstituer jamais son patrimoine, et les fidèles de s'assurer à l'avenir, comme ils l'ont toujours pu faire dans le passé, le secours perpétuel des prières de l'Église après leur mort? Quatre cents millions, c'est une somme énorme, mais limitée. La perte qui résultera, pour l'Église, des dispositions du paragraphe 14 de l'article 3 du nouveau projet de loi ne l'est pas. Le nombre des défunts atteints par la liquidation des fondations anciennes est considérable, mais limité. Le nombre des catholiques qui seront frappés ou qui risquent de l'être dans leurs intérêts spirituels les plus

graves par les dispositions du paragraphe 14 ne l'est pas. Or, que telles soient bien ou que telles doivent être les conséquences de ce paragraphe 14, c'est ce que l'on ne saurait mettre en doute.

En effet, sous le régime concordataire, les établissements du culte avaient qualité légale pour recevoir les fondations pieuses. La loi de 1905 a supprimé les établissements publics du culte. Elle a prétendu en même temps, il est vrai, les remplacer par des organismes nouveaux, auxquels elle transférait cette capacité de recevoir des fondations. La capacité, pour les associations cultuelles, de recevoir des fondations est nettement reconnue par le paragraphe 4 de l'article 19 de ladite loi. Les évêques, qui souhaitaient, avant l'Encyclique Gravissimo, que l'on constituât des associations cultuelles conformes aux prescriptions du législateur de 1905, tirèrent même de ce paragraphe 4 un des arguments sur lesquels ils ont le plus compté pour convaincre le Saint-Père. Et l'extrême difficulté de faire à l'avenir des fondations, si l'on ne constituait pas d'associations cultuelles, fut certainement l'une des causes qui déterminèrent le vote favorable de la première assemblée plénière de l'épiscopat.

Ce vote, on sait assez que le Pape refusa de le ratifier. Il n'y avait qu'à se soumettre. La soumission fut unanime.

A défaut d'associations cultuelles, il restait peut-être aux catholiques un moyen, non pas de sauver les fondations anciennes, mais d'en faire de nouvelles, et de reconstituer donc peu à peu le patrimoine dont ils allaient fatalement être dépouillés. Tout établissement public est qualifié pour recevoir des fondations. On pourrait donc laisser par testament à un bureau de bienfaisance, par exemple, un capital dont le revenu, ou une partie du revenu, servirait à faire dire des messes. C'est cette possibilité que le projet de loi,

actuellement en discussion à la Chambre, supprime clairement, absolument. J'entends bien que des legs faits à un établissement public civil, avec charges cultuelles, auraient été attaqués, et probablement annulés. Mais enfin ce n'était pas sûr. La thèse libérale eût peut-être triomphé.

Maintenant, il n'y aura même plus matière à discussion. Le nouveau projet de loi tranche la question avec la netteté d'un couperet de guillotine.

Alors, que reste-t-il à espérer ?

Que la Chambre refuse de suivre le gouvernement et repousse le paragraphe 14 de l'article 3? Gardons-nous de cette illusion, et voyons la situation telle qu'elle est.

Ce que veut le gouvernement, et ce que la Chambre voudra autant que lui, c'est enfermer l'Église dans ce dilemme les associations cultuelles ou la mort; ou bien l'Église se placera enfin sur le terrain de la loi de 1905, ou bien l'Église sera privée dans ce pays de ce que ses chefs ont eux-mêmes jugé indispensable à sa vie spirituelle autant qu'à sa vie matérielle. Car, à supposer même que l'on se décidât à constituer des associations selon le type de la loi de 1901, on ne serait pas plus avancé à ce point de vue, puisque les associations de droit commun ne peuvent pas recevoir de fondations 1.

Les fabriques étant supprimées et à défaut d'associations cultuelles, il n'y aura plus et il ne pourra se former en France, après la promulgation de la nouvelle loi, aucune personne morale autorisée à recevoir des fondations pieuses.

C'est ainsi, et je n'ai pas besoin d'ajouter que je ne crois pas du tout que l'Église en meure. Mais il est certain que

1. Elles ne le peuvent pas encore. Mais il semble probable qu'il ne s'écoulera pas un très long temps avant que cette faculté ne leur soit donnée. D'où l'extrême opportunité pour l'Eglise de France de s'organiser en associations de droit commun.

les conditions de sa vie normale, de sa vie libre, lui sont refusées, et que cela ne peut pas durer indéfiniment. Comment un catholique supporterait-il cette pensée, qu'à la veille de paraître devant Dieu il ne lui sera pas permis de laisser en toute sécurité à l'Église, dans laquelle il va mourir, un peu d'argent, à charge de célébrer quelques messes pour le repos de son âme ?

Que M. Briand y réfléchisse! C'est Bismarck qui a dit que l'on ne pouvait pas longtemps refuser à un peuple les satisfactions de la conscience. Je sais bien que le ministre des Cultes répondra : « C'est la faute de l'Église. Il fallait faire des associations cultuelles. » Mais il sait bien aussi que l'Église de France ne pouvait pas, sous peine de suicide, faire des associations cultuelles contre la volonté du Pape. Quelque prix que l'on attache à la liberté des fondations, il y a quelque chose qui, pour les catholiques, vaut mieux et qu'il est encore plus nécessaire de sauvegarder c'est l'unité. M. Briand ferait preuve de libéralisme et de sage prévoyance en s'inspirant de ce que Pie X n'a pas, en somme, condamné sans retour toute accommodation avec la loi de 1905, et qu'il dépend du gouvernement de réaliser les conditions auxquelles le Souverain Pontife s'est engagé implicitement à souscrire à l'arrangement proposé par l'épiscopat : « Nous déclarons, dit l'Encyclique Gravissimo, qu'il n'est point permis d'essayer cet autre genre d'associations (les associations cultuelles établies conformément à la loi de 1905 et selon les statuts votés par l'épiscopat) tant qu'il ne contestera pas d'une façon certaine et légale que la divine constitution de l'Église, les droits immuables du Pontife romain et des évêques, comme leur autorité sur les biens nécessaires à l'Église, particulièrement sur les édifices sacrés, seront irrévocablement dans lesdites associations en pleine sécurité. »

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