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et des biens de fondation auxquels il a le pénible devoir de le contraindre à renoncer. Mais il faut voir et apprécier la générosité de l'intention du Saint-Père dont les ressources ont, comme il le dit, des « limites restreintes ». Il peut d'ailleurs être sûr que la France ne se laissera pas vaincre en désintéressement, et que de plus larges offrandes faites chez nous au denier de Saint-Pierre compenseront pour lui, et bien au delà, un sacrifice dont on lui restera, comme il sied, reconnaissant 1....

Une simple remarque pour finir: Pie X ne dit pas, dans sa lettre aux cardinaux, comme il l'avait dit dans l'Encyclique Gravissimo, qu'il confirme les délibérations des évêques français...

LA DÉCISION DU PAPE

SES CONSÉQUENCES

22 mai 1908.

Il n'est pas inutile, je crois, de préciser les conséquences de l'interdiction des mutualités ecclésiastiques par le Souverain Pontife, attendu que de divers côtés les évaluations les plus fantaisistes commencent à circuler, celles-ci péchant par excès, celles-là par défaut. Les uns, en effet, s'en vont disant que les vieux prêtres sont condamnés ipso facto à mourir de faim, tandis que les autres, qui exagèrent en sens inverse d'une manière encore plus inattendue, ne semblent pas très éloignés de penser que l'impossibilité où se trouveront ces vieux prêtres de constituer des mutualités

1. Pie X, au lendemain de la Gravissimo, avait manifesté l'intention de ne pas accepter désormais la contribution toujours très large des diocèses français au denier de Saint Pierre. Mais il se ravisa bientôt.

approuvées va rendre meilleure, même matériellement, leur situation.

Il y a pourtant un moyen bien simple d'apprécier exactement les résultats du veto pontifical, c'est de se référer à la loi de dévolution. Aux avantages accordés par cette loi aux mutualités ecclésiastiques approuvées est nécessairement adéquate la perte qui résultera pour le clergé de la nonconstitution de ces mutualités, défalcation faite toutefois des restitutions prévues par ladite loi dans l'hypothèse où les mutualités ne se constitueraient pas.

Deux sortes de biens sont en cause : les biens des anciennes caisses de retraite (amendement Lemire), les biens de fondation (amendement Berger).

En vertu du paragraphe 6 de l'article 1er, les biens des caisses de retraite et maisons de secours devaient être attribués aux mutualités ecclésiastiques qui se seraient constituées dans les conditions déterminées par le législateur et que le Pape n'agrée point. Or l'ensemble de ces biens représente une vingtaine de millions. Cependant, une partie très faible, il est vrai de ces 20 millions reviendra quand même au clergé.

En effet, la loi de dévolution stipule, toujours au paragraphe 6 de l'article 1er, que dans le cas de non-réclamation des biens dont il s'agit par des mutualités dans le délai d'un an, les départements auxquels ils auront été attribués par décrets continueront à les administrer provisoirement «< au profit des ecclésiastiques qui recevaient des pensions ou secours ou qui étaient hospitalisés à la date du 45 décembre 1906 ». En outre, « les ressources non absorbées par le service de ces pensions ou secours seront employées au remboursement des versements que les ecclésiastiques ne recevant ni pensions ni secours justifieront avoir faits aux caisses de retraite ».

A la vérité, j'ai peur que cette justification ne soit pas en général très facile. Ce n'était pas l'usage que les caisses de retraite, lesquelles étaient naturellement entre les mains des administrations diocésaines, donnassent aux intéressés des reçus des versements effectués par eux. En tout cas, une fois ces remboursements effectués, et quant aux pensions et secours au fur et à mesure que disparaîtront les ecclésiastiques pensionnés et secourus à la date du 15 décembre 1906, le surplus des biens des caisses de retraite « sera affecté par les départements à des services de bienfaisance ou d'assistance », donc irrémédiablement perdu pour l'Église. Ci une perte de 20 millions, moins quelques centaines de mille francs. Car il n'y a pas lieu, évidemment, de faire état d'une plaisanterie mise en circulation par la Corrispondenza romana à la veille du veto pontifical, et qui n'avait d'autre objet que d'y préparer, par un moyen tout de même un peu gros, l'opinion, plaisanterie qui consistait à prétendre que si le clergé français acceptait l'amendement Lemire il devrait attendre quinze ans pour commencer à jouir des revenus des biens des anciennes caisses, tandis que s'il refusait de l'accepter il recouvrerait sans retard une partie considérable de ces biens. Ce qu'il recouvrera, nous venons de le voir, et la deuxième assertion est donc exacte à la condition de mettre le mot « minime » à la place du mot « considérable ». Quant à la première, M. le chanoine Rousseau, auteur d'un lumineux travail sur les mutualités ecclésiastiques, s'est donné la peine d'y répondre dans la Semaine religieuse de Meaux du 16 mai; peine superflue vraiment, et qui avait en outre l'inconvénient de laisser croire qu'il avait pu prendre au sérieux ce qui n'était assurément qu'une gageure.

Venons-en aux biens de fondation.

Ces biens figurent pour plusieurs centaines de millions

dans l'ensemble du patrimoine ecclésiastique actuellement sous séquestre. Ils constituent, moralement sinon légalement, des libéralités avec charges. Et ce n'est pas tout le capital-fondations que les mutualités étaient appelées éventuellement à recevoir, mais seulement la partie de ce capital représentant les charges, ou si l'on veut les honoraires qui auraient été payés au clergé, du fait de l'acquittement de ces charges. « Sur les biens grevés de fondations de messes, dit le paragraphe 16 de l'article 3, l'État, les départements, les communes et les établissements publics possesseurs ou attributaires desdits biens devront, à défaut des restitutions à opérer en vertu du présent article (par suite des reprises exercées par les auteurs de fondations ou leurs héritiers en ligne directe, et du règlement des dettes), mettre en réserve la portion correspondant aux charges ci-dessus visées. Cette portion sera remise aux sociétés de secours mutuels... etc., etc. »

Il existe certainement un écart considérable entre la somme totale du capital-fondations et celle du capitalcharges. Exemple: un catholique lègue à la fabrique de sa paroisse une somme de 1.000 francs, à charge de faire célébrer une messe par an. En supposant que les honoraires de cette messe n'excéderont pas 9 francs (ils varient naturellement selon la solennité de la cérémonie), ces 9 francs de revenu n'impliquent à 3 p. 100 qu'un capital de 300 francs. Ici le capital-charges ne représente donc pas tout à fait un tiers du capital-fondations. Dans certains cas, il n'en représente qu'un dixième. Si nous adoptons cette moyenne, qui paraît très vraisemblable, et le chiffre de 400 millions pour l'ensemble du capital-fondations sous séquestre, nous aboutissons à ce résultat : l'interdiction des mutualités coùtera au clergé français 40 millions.

Quarante millions, d'une part, et une vingtaine de millions

de l'autre, cela fait bien une soixantaine de millions. Je ne donne pas, bien entendu, ces chiffres comme absolus, mais ils ne doivent pas être loin de la vérité. Et même si on les croyait devoir réduire de moitié, il resterait que le Souverain Pontife vient de faire, aux frais du clergé, un assez beau cadeau à l'État.

FAÇADE ET RÉALITÉ

9 juin 1908.

Lorsqu'eut paru le document pontifical par lequel Rome vient encore de faire perdre un certain nombre de millions à l'Église de France, les zelanti, dans la crainte que l'épiscopat n'accueillit pas avec un enthousiasme suffisant ce nouveau témoignage de l'indéfectible amour du Pape pour sa « fille aînée », prirent les devants et déclarèrent que les évêques n'avaient nul besoin d'adhérer à la décision de Sa Sainteté, attendu, expliquaient-ils, que Pie X s'était adressé aux seuls cardinaux, et qu'il n'appartenait donc qu'aux seuls cardinaux de lui répondre.

Ces zelanti sont vraiment des hommes de peu de foi, et l'événement n'a pas tardé à prouver combien vaine était leur trop humaine sagesse. En effet les adhésions de l'épiscopat ont bien vite afflué dans les bureaux de la secrétairerie d'État du Vatican. Peut-être y a-t-il quelques retardataires, mais on leur fera entendre raison, et ils n'en exprimeront que plus chaleureusement leur gratitude au Souverain Pontife, qui manifeste une fois de plus à ses «< chers fils » sa tendresse par l'application du proverbe : qui bene amat bene castigat.

S'il en fallait juger par la littérature officielle de nos

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