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sont ouvertes, et le culte s'y exerce librement. Par ailleurs, le pays n'a jamais joui, au point de vue religieux, d'une si profonde paix. Beaucoup de curés s'imaginaient aller au martyre. Ils n'ont rencontré, sur le chemin où l'obéissance les a engagés, que la pauvreté. C'est pour eux, et je le dis à leur honneur, une déception; et parce que la misère n'est pas un but, il se peut que cette déception les induise en tentation de découragement, car s'ils demandent pourquoi, pour quelle fin tangible, on les a obligés à parachever, en se dépouillant eux-mêmes de leur patrimoine, l'œuvre cruelle du législateur qui venait de supprimer le budget des cultes, les faits ne permettent plus de résoudre par aucune raison congruente cette trop légitime question.

Et puis, leur fierté s'accommode mal de la nécessité de faire appel constamment à la bourse de leurs paroissiens pour l'œuvre du denier du culte, nécessité qui les réduit à une perpétuelle mendicité. Quelques-uns y ont voulu échapper en demandant de quoi vivre au travail de leurs mains à l'exemple de saint Paul. Ceux-là ont constitué une « alliance des prêtres ouvriers », dont le président est M. l'abbé Leroux, ancien doyen d'Airvault (Deux-Sèvres), et le secrétaire M. l'abbé Louis Ballu, curé de Parnay (Maine-et-Loire). Ils ont un organe spécial : le Trait d'union, qui a pour directeur M. l'abbé Antoine Martin et se publie à Blacé, dans le Rhône. La lecture de cet organe est fort suggestive. On y trouve toutes indications utiles sur les divers genres de travaux : élevage, apiculture, reliure, imprimerie, menuiserie, mécanique, horlogerie, lunetterie, bijouterie, broderie, photographie, etc., auxquels s'adonnent les prêtres ouvriers, sans parler des artistes qui font de la peinture ou de la sculpture. Il en est qui vendent des comestibles, d'autres préparent des produits chimiques. J'en sais un dont le Trait d'union a recommandé les pastilles odorifé

rantes dites << suave parfum » — « précieuses dans certains enterrements », assurait l'inventeur.

A tout prendre, j'aime mieux voir un prêtre se faire industriel ou commerçant, même si son industrie ou son commerce n'est pas très relevé, que s'établir professeur de bridge. Cela pourtant s'est vu et se voit encore. Ceux qui en doutent n'ont qu'à parcourir, pour s'en convaincre, les annonces du Gaulois du dimanche du 5 février 1911.

L'alliance des prêtres-ouvriers — l'A. P. O., comme ils disent en conformant leur langage au jargon abréviatif qui sévit en France à l'heure actuelle compte plusieurs centaines de membres. Il ne semble pas que ce nombre doive augmenter beaucoup, en dépit de l'intéressant effort de propagande tenté par le vaillant auteur des Métiers possibles du prêtre de demain, M. l'abbé Louis Ballu. Les évêques n'ont guère encouragé le mouvement. Leur défiance à cet égard ne s'explique pas uniquement par l'effroi maladif que leur inspire toute initiative qui ne vient pas d'eux et que le Pape n'a pas bénie, surtout quand cette initiative tend à assurer à leurs prêtres quelque indépendance. Elle s'explique aussi par la crainte, en somme fondée, que le travail manuel, si du moins le prêtre-ouvrier prétend assurer de cette manière son existence matérielle, n'enlève trop de temps au ministère proprement dit ou à l'étude, et encore peut-être par une raison de dignité sacerdotale d'ailleurs assez mal entendue, car il suffit que le prêtre soit homme pour que nul travail honnête ne le puisse avilir.

Plus nombreux que ceux qui demandent au travail manuel leur pain de chaque jour sont les prêtres qui au lendemain de la Séparation ou plus tard se sont résolus à la retraite. De ces derniers le nombre s'est accru dans une telle proportion à la suite de l'Encyclique Pascendi contre le modernisme, et du Décret Lamentabili, et de l'obligation imposée à tous

de prêter le serment antimoderniste, que dans certains diocèses l'évêque s'est adressé à Rome pour demander la permission de contraindre à rester dans le rang les curés dont il n'aurait pas jugé suffisants les motifs de retraite.

Les évasions dont je parle en me gardant bien toutefois de prendre ce mot dans le sens péjoratif — alarment d'autant plus l'épiscopat qu'elles correspondent à une crise. très grave des vocations.

LE RECRUTEMENT DU CLERGE

<< Laissez passer quelques années, ai-je lu dans la Semaine religieuse de Périgueux, et dans les petites paroisses il n'y aura plus de curé; les fidèles ne viendront plus dans cette église, le presbytère sera désert; plus de prêtres pour revêtir les ornements sacerdotaux; le sang du Sauveur ne remplira plus le calice d'or. »

Ces sombres prévisions datent de 1908. A la même époque Mgr Sevin, évêque de Châlons, écrivait : « Après les hautes classes de la société, les populations rurales désertent le sanctuaire et ne donnent plus leurs fils à l'Église. La plaie se creuse à vue d'œil, et si nous n'arrivons pas à la guérir par nos communs efforts c'est l'existence même du diocèse qui sera en danger. » Avant Mgr Sevin, en mars 1907, l'évêque de Tarentaise s'était plaint de n'avoir fait aucune ordination depuis deux ans, et l'archevêque de Chambéry avait constaté avec une tristesse profonde le vide de son école de théologie. Or la Savoie est l'une des régions de la France où il y a le plus de catholiques pratiquants.

La crise est générale. Je lis dans le rapport sur le recrutement des vocations ecclésiastiques présenté en 1908 au Congrès eucharistique de Cologne au nom de l'Alliance des grands séminaires par M. l'abbé Burtey, supérieur du grand

séminaire de Dijon : « Les friches commencent à s'étendre dans le champ de Dieu, et les ouvriers n'apparaissent pas pour s'opposer à cet envahissement d'indifférence religieuse qui s'étend sur de nombreuses régions. Si l'on regarde du côté des séminaires, le nombre restreint des élèves laisse entrevoir des années assez rapprochées où le pasteur du diocèse n'aura aucun sujet à qui conférer les pouvoirs du sacerdoce. Vous êtes ici de régions bien diverses; si chacun de vous nous disait la situation de son diocèse au point de vue du nombre des vocations, est-ce que cette enquête sommaire n'aboutirait pas à cette triste conclusion: aujourd'hui les prêtres commencent à manquer, et demain — s'il n'y a remède ils feront défaut dans des proportions effrayantes pour quiconque songe aux intérêts religieux des âmes. »

La situation s'est-elle améliorée depuis deux ans ? Au contraire elle s'est aggravée. En 1910 le bureau de l'Alliance des grands séminaires procéda à une enquête, à laquelle 78 grands séminaires c'est-à-dire la presque totalité répondirent, ce qui permit de constater que la population des grands séminaires ne comprenait alors que 6.530 aspirants au sacerdoce réserve faite pour ceux qui n'avaient pas répondu, silence d'où l'on pouvait déduire que leur situation n'était pas des plus brillantes soit un déficit

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de 50 p. 100 sur la moyenne de 1905. « Cette population, annonça tristement au Ve congrès de l'Alliance M. Guibert, baissera encore pendant quelques années; mais ajouta-t-il en manière de consolation, l'accroissement sensible des petits séminaires promet une surélévation des chiffres pour l'avenir. >>

Quoi qu'il en soit de cette promesse, voici une statistique qui porte sur la population comparée des grands et des petits séminaires français avant et après la Séparation. J'ajoute que cette statistique, que les catholiques ne par

courront pas sans angoisse, a été secrètement communiquée
par un de nos évêques au Souverain Pontife '.

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1. Cette statistique est incomplète, quelques grands ou petits sémi-
naires ayant négligé de répondre à l'enquête épiscopale dont elle
devait être la conclusion. Il est permis de croire que ceux qui n'ont
pas répondu n'étaient pas en mesure d'apporter à ladite enquête une
bien consolante contribution.

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