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DE

L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT

(ORIGINES, ÉTAPES, BILAN)

PREMIÈRE PARTIE

LES ORIGINES DE LA SÉPARATION

A qui incombe la responsabilité de la Séparation de l'Église et de l'État? Grave question, si l'on songe à l'importance de la réforme sanctionnée par la loi du 9 décembre 1905, et singulièrement angoissante au double point de vue patriotique et religieux si l'on se rend compte des modifications profondes que cette réforme a apportées dans notre statut national et si l'on mesure les conséquences leur inévitable répercussion dans le domaine civil — que chacun, selon ses idées personnelles, en peut espérer ou redouter pour l'avenir de la religion dans le pays.

avec

Cette responsabilité, quelques adversaires du catholicisme ont essayé de la faire peser de tout son poids sur le pape actuel. Et M. Ribot a qualifié cette sorte de manœuvre de « mensonge historique ». Le mot a fait fortune. Je le trouve, quant à moi, un peu sommaire. Et il me semble bien que M. Ribot n'a eu, de même que ceux qu'il dénonçait si

NARFON.

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sévèrement à l'opinion, ni pleinement raison, ni tout à fait tort.

Il faut distinguer ici- « quand on ne distingue pas, on confond », comme disait un jour à la Chambre Mgr d'Hulst, - entre les causes éloignées et les causes prochaines de la Séparation.

S'agit-il des causes éloignées, nous les trouverons dans la double tendance de l'Église moderne, si l'on peut ainsi dire, à se centraliser, et de l'État moderne à se laïciser toujours davantage.

I

LES CAUSES ÉLOIGNÉES

A.

L'ÉGLISE

CENTRALISATION EXCESSIVE DE L'

La tendance de l'Église moderne à se centraliser est fort antérieure au règne de Pie X, s'il est vrai que ce pontife ne cherche point à l'enrayer, mais qu'au contraire il l'accentue jusqu'à l'absurde. Au lendemain du concile du Vatican, Emile Ollivier ne craignait pas de dire que la proclamation de l'infaillibilité pontificale était un acte qui déchirait le Concordat. C'était au moins un acte qui devait rendre par la suite extrêmement difficile la bonne harmonie entre les deux pouvoirs, celle-ci supposant une sorte d'équilibre que le Concile rompait - je ne dis pas qu'il n'eût point le droit de la rompre en faveur du Saint-Siège. Historiquement, la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale a été le point de départ et la cause d'un extraordinaire développement de la puissance spirituelle des papes.

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Or cette puissance spirituelle peut s'entendre de deux manières, comme autorité doctrinale ou comme autorité de gouvernement. Sous le premier aspect, il ne semble pas qu'elle doive comprimer beaucoup la pensée catholique, car définir c'est limiter, et le concile du Vatican, en définissant l'infaillibilité pontificale, l'a donc enfermée dans de certaines limites, et l'a conditionnée en somme si parfai

tement qu'en fait l'on ne peut dire, d'aucun des actes pontificaux qui se sont succédé depuis quarante ans, qu'il réalise les conditions requises pour s'imposer à notre foi.

Mais il en va autrement de la puissance spirituelle du Pape considérée comme autorité de gouvernement. A ce point de vue, elle a abouti à une centralisation qu'il est permis de trouver excessive parce qu'elle absorbe en réalité tous les pouvoirs et confine, par quelques-unes des manifestations extérieures qu'elle provoque, à une véritable idolâtrie.

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Les évêques ne sont plus rien, ou du moins ils ne sont quelque chose que dans l'exacte mesure où leur autorité est couverte par l'autorité du Saint-Siège. Comment donc le pouvoir civil pourrait-il s'appuyer sur eux ainsi qu'il le faisait naguère et que Louis XIV notamment l'a fait — dans les négociations que postule le système concordataire et dans les conflits dont la solution ne suit pas toujours et immédiatement l'évidence du droit? Étant donnés une Église et un pays où les évêques ne représentent aucune force éventuelle de résistance aux prétentions abusives du Saint-Siège, la rupture entre les deux pouvoirs ne saurait être qu'une affaire de temps. Que le Pape soit devenu le seul juge et le maître absolu des consciences, c'est si l'on veut et en quelque manière un progrès au point de vue de l'unité, mais un progrès que l'Église paiera chèrement, car d'une part il peut avoir pour résultat d'éloigner de la foi catholique beaucoup d'esprits qui ont de la peine à reconnaître dans cette centralisation à outrance la note de la catholicité et l'œuvre du Christ; d'autre part, et c'est ce qui nous occupe présentement, ce progrès, pour avoir rompu l'équilibre indispensable aux relations normales des deux pouvoirs, semble devoir rendre inévitable leur séparation.

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Nous l'avons vu en France. On l'avait vu, on le voit ou on le verra ailleurs. Même en Espagne, où les liens qui unissent l'État à l'Église gardent une force considérable encore, quoique diminuée, la Séparation s'élabore lentement, mais sûrement. Si elle s'est faite chez nous avec plus de facilité et de rapidité, c'est que les circonstances nous les exposerons plus loin étaient exceptionnellement favorables, c'est aussi que le terrain était de longue date mieux préparé, soit par l'effacement de l'épiscopat, qui n'opposait donc plus aucune résistance à l'impérialisme romain, tandis que dans les autres pays, et même en Espagne en dépit des protestations d'inconditionnelle obéissance à Rome de ses prélats, il résiste encore un peu; soit par la tendance plus accusée du gouvernement à se laïciser.

B. LAÏCISATION DE L'ÉTAT

Chez tous les peuples le pouvoir civil tend visiblement à se libérer des attaches ecclésiastiques, mais nulle part ce travail de libération, j'aimerais mieux dire de détachement, n'est depuis trente ans aussi intense que chez nous, et nulle part à l'heure actuelle la législation civile n'est moins influencée par la doctrine, par la tradition, par la loi religieuses.

Quel chemin parcouru dans cet ordre d'idées depuis l'Assemblée nationale ! Élue le 8 février 1871, cette Assemblée vote dès le 13 mai, sur la proposition de M. Cazenove de Pradines, député de Nantes, des prières publiques << pour supplier Dieu d'apaiser nos discordes civiles et de mettre un terme aux maux qui nous affligent ». A leur vote les membres catholiques de l'Assemblée joindront l'exemple. On les verra notamment, le 20 juin 1873, prendre part officiellement à la procession des 25.000 pèlerins que les

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