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De Mgr Le Camus, évêque de la Rochelle1:

Est-il possible que des évêques, par peur du lendemain, veuillent concorder quand même avec un gouvernement qui a prononcé coups sur coups les discours de Marseille, de Saintes et de Tréguier? Quelle illusion peuvent-ils se faire? Celle d'Aristobule se laissant étouffer sous l'eau par Hérode qui prétendait lui apprendre à nager? Oui, celle-là, et pas d'autre.

Dire que demain peut-être le gouvernement sera meilleur? On n'ose guère se permettre un tel espoir. Et, quand même, la grande et lourde chaîne n'en demeurera pas moins sur nos bras. La religion doit tendre à se séparer de plus en plus de tout ce qui n'est pas elle et ne veut pas, disons plus, dans les temps présents ne peut plus être elle. Le jour où l'on verra que nous n'entendons être que prêtres et qu'évêques, renonçant comme tels à toute action politique, nous serons autrement puissants sur les âmes.

Le projet de la commission et du gouvernement sur la séparation des Églises et de l'État rapporteur à la

Chambre M. Aristide Briand; au Sénat M. Maxime Lecomte fut déposé sur le bureau de la Chambre le 11 mars 1905. Dès le 28, les cardinaux adressaient au président de la République contre ce projet une protestation collective qu'avaient rédigée le cardinal Richard et légèrement retouchée le cardinal Perraud. Les débats s'étaient ouverts à la Chambre le 21 mars. Ils occupèrent de nombreuses séances. La Chambre adopta l'ensemble dudit projet, le 3 juillet suivant, par 341 voix contre 233. Le Sénat, où la discussion s'ouvrit le 9 novembre, le vota à son tour, et sans y avoir apporté aucune modification, le 6 décembre par 181 voix contre 101. La nouvelle loi fut promulguée le 9 décembre 1905, M. Rouvier étant président du Conseil et M. Bienvenu-Martin ministre des Cultes.

1. Décédé.

DEUXIÈME PARTIE

LES ÉTAPES DE LA SÉPARATION

L'INVENTAIRE ET LES BIENS D'ÉGLISE

14 janvier 1906.

Le gouvernement commence à se préoccuper de faire établir par les agents de l'administration des domaines l'inventaire, prévu par l'article 3 de la loi du 9 décembre, des biens actuellement possédés par les établissements publics du culte et dont ceux-ci, avant de disparaître, puisque cette loi ne leur a laissé qu'une existence provisoire, devront se dépouiller eux-mêmes au profit des futures associations cultuelles.

Qu'est-ce donc que l'on entend par « établissements publics du culte »? Et quels sont les biens dont il s'agit? Quelle en est, en droit et en fait, l'origine ? Quelle en est la valeur? Autant de questions que les débats parlementaires n'ont pas élucidées et qu'il est intéressant de bien connaître, et d'ailleurs indispensable pour qui a le souci d'éviter également deux excès contraires.

Les établissements publics du culte-nous ne parlons ici que du culte catholique - tels que la jurisprudence administrative les a reconnus et définis, comprennent plusieurs catégories. Il y a les fabriques, ou établissements publics

chargés d'assurer l'exercice du culte, l'entretien ou la conservation des églises; il y a les grands et les petits séminaires, ou établissements publics chargés d'assurer l'instruction professionnelle des futurs ministres du culte ; il y a les menses, archiepiscopales, épiscopales, capitulaires et curiales, ou établissements publics chargés d'assurer matériellement le sort des ministres du culte en fonctions ou en retraite ; il y a enfin les caisses des secours et maisons de retraite pour les prètres âgés ou infirmes, et la caisse générale des retraites ecclésiastiques.

Les biens des établissements publics du culte forment le patrimoine actuel de l'Église, en dehors du budget et des édifices cultuels. Ce patrimoine comprend des titres de rente et des immeubles, dont quelques-uns champs, bois, maisons, sont productifs de revenus; les autres : écoles, hospices, etc., ne le sont pas, ceux-ci et ceux-là se trouvant d'ailleurs grevés de charges nombreuses.

L'origine de ces biens d'Église remonte au Concordat, puisque tous les biens ecclésiastiques antérieurs avaient disparu comme tels dans la tourmente révolutionnaire. C'est l'article 15 de la convention de 1801 qui a permis à l'Église de constituer son patrimoine post-concordataire. Cet article est ainsi conçu :

« Le gouvernement prendra des mesures pour que les catholiques français puissent, s'ils le veulent, faire en faveur des églises des fondations. »

Les articles organiques restreignirent, il est vrai, cette liberté, l'article 73 en stipulant que « les fondations prévues par l'article 15 de la convention concordataire ne pourraient consister qu'en rentes constituées sur l'État », l'article 74 en ajoutant que « les immeubles autres que les édifices destinés au logement ne pourraient être affectés à des titres ecclésiastiques ni possédés par les ministres du culte à rai

son de leurs fonctions ». Mais ni l'article 73 ni l'article 74 n'ont jamais été appliqués, ou du moins ils ne le furent pas longtemps, puisque d'une part, sous le Consulat et sous le premier Empire, on a vu les fabriques recevoir, du gouvernement lui-même, des immeubles ecclésiastiques restitués, et que d'autre part la loi du 6 janvier 1817 accorde expressément à « tout établissement ecclésiastique reconnu par la loi », sous la seule réserve de l'approbation royale, les facultés que lui dénient les articles 73 et 74 des Organiques.

Parmi les biens actuels des établissements publics du culte, les uns ont été acquis par eux à titre onéreux, d'autres proviennent de dons ou legs, d'autres, que l'Église possédait antérieurement à la Révolution et que le décret du 2 novembre 1789 réunit au domaine national, furent plus tard restitués aux ayants droit par l'État lui-même, par application libérale de l'article 13 du Concordat. Par cet article 13, le Saint-Siège s'était engagé à ne troubler « en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés ». Quant aux biens ecclésiastiques non aliénés, l'Église n'avait pas renoncé à ses droits sur eux. Ce sont ces biens ecclésiastiques non aliénés, biens des anciennes fabriques, des anciennes collégiales, des anciennes confréries, etc., que l'État a restitués par une série de décrets ou de lois dont l'énumération serait fort longue.

Donc, trois catégories bien distinctes dans les biens actuels des établissements publics du culte. Sur leur valeur totale, on est assez loin de s'entendre. M. Vallé, président de la Commission sénatoriale de la loi Briand, hésitait entre 300 et 400 millions. M. Caillaux avait indiqué le chiffre de 300 millions, soit 9 millions de revenu. M. Bienvenu-Martin estime le revenu de ces biens à 14 millions. Le P. Prélot, dans un article récent et très documenté des Études, ramène

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