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jésuites ont conduits à Paray-le-Monial, la « ville du SacréCœur ».

Le 12 juin 1872, l'Assemblée nationale exempte du service militaire les séminaristes, et le 22 du même mois elle ordonne que les dimanches et jours fériés on accorde aux soldats le temps nécessaire à l'accomplissement des devoirs religieux.

Le 14 janvier 1873, elle dispose que quatre évêques, élus à cet effet par leurs collègues, feront partie du conseil supérieur de l'instruction publique. Le 7 mars, elle introduit les ministres du culte dans les conseils de l'assistance publique. Le 25 juillet, elle « déclare d'utilité publique la construction d'une église sur la colline de Montmartre, conformément à la demande qui en a été faite par l'archevêque de Paris ».

C'est encore à cette Assemblée que l'on doit l'aumônerie militaire (20 mai 1874) et, surtout, la liberté de l'enseignement supérieur (12 juillet 1875). En cinq ans elle a autorisé trente-six congrégations religieuses. Dès le début, elle avait notablement relevé le budget des cultes. En effet, le dernier budget des cultes de l'empire, celui de 1871, voté en 1870, était de 49 millions 683.981 francs; le premier budget des cultes de l'Assemblée nationale, celui de 1872, atteint 53 millions 774.695 francs, soit une augmentation d'un peu plus de quatre millions.

Et contrairement à ce qui s'était vu sous un autre régime, on dorait sans les alourdir les chaines de l'Église de France. Le gouvernement les allégeait même en autorisant les conciles provinciaux, et en partageant en quelque sorte avec l'épiscopat le droit concordataire de nomination aux évêchés 1.

1. En 1873, le ministre des cultes écrivait aux évêques : « J'ai cru opportun de vous prier, Monseigneur, ainsi que vos vénérables collègues, de vouloir bien coopérer plus efficacement à l'œuvre impor

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« Le clergé catholique, a écrit M. Jules Simon, qui ne pouvait déterminer d'une manière à la fois plus exacte et plus concise la situation faite à l'Église par le gouvernement conserve tous les avantages

de l'Assemblée nationale

que lui accorde le concordat et ne se soumet à aucune des restrictions et des gênes que le concordat lui impose. Jamais il n'eût obtenu une telle situation sous l'empire, sous Louis-Philippe et même sous Charles X 1. »

C'est donc, semble-t-il, à ce moment-là, tout au moins lorsque l'Assemblée nationale, par son vote du 25 février 1875, eut fondé constitutionnellement, c'est-à-dire en droit, la République qui n'existait encore que comme pouvoir de fait, que l'Église aurait été bien inspirée de rompre ses anciennes attaches avec les régimes déchus, puisqu'aussi bien elle l'a fait plus tard, trop tard peut-être. Mais le clergé français avait de tout autres soucis, je veux dire de tout autres espérances et nourrissait des projets bien différents. En ce temps-là, un prêtre qui s'avouait républicain passait aux yeux de ses confrères pour un mauvais prêtre, et les fidèles eux-mêmes s'éloignaient de lui comme d'un pestiféré.

Aussi est-ce dans une certaine mesure la faute du clergé, si le gouvernement de la République a si vite adopté à son égard une attitude de défiance, qui ne paraissait que trop justifiée, et l'on peut à cet égard lui reconnaître quelque lointaine mais réelle part de responsabilité dans la séparation des deux pouvoirs. Il faut avouer également que cette attitude répondait au sentiment populaire, dont le « cléricalisme » de l'Assemblée nationale n'avait pas laissé d'éveiller

tante que les conventions conclues avec le Saint-Siège ont attribuée au chef de l'Etat, en désignant à son choix les membres de votre clergé, ou de tout autre diocèse, dont vous pouvez personnellement garantir les mérites et les vertus. >>

1. Le gouvernement de M. Thiers, t. II, p. 429.

les susceptibilités. Les pouvoirs civils ne doivent à l'Église que la liberté. Il n'est pas plus dans leur rôle de la protéger, sauf le devoir commun de protection qui incombe à l'État à l'égard de tous les citoyens, que de la persécuter. Cette idée paraît être définitivement entrée dans nos mœurs, et c'est pourquoi la protection accordée par le pouvoir civil au pouvoir religieux hors du droit commun sera désormais toujours suivie de réaction contre le pouvoir religieux, comme la persécution de l'Église par l'État serait vraisemblablement suivie de réaction contre le pouvoir civil.

A la courte période de protection dont nous venons de parler devait succéder une longue période d'hostilité croissante.

Les élections du 20 février 1876 avaient déjà sensiblement modifié à la Chambre la situation respective des partis. Celles qui eurent lieu après le 16 mai se firent directement contre « le gouvernement des curés ». La nouvelle Chambre s'orienta assez vite dans le même sens. Et lorsque M. Grévy, qui venait de succéder au maréchal, appela, le 4 février 1879, M. Jules Ferry au ministère de l'Instruction publique, le gouvernement, le parlement et le pays se trouvèrent d'accord pour entreprendre de « laïciser » toutes les institutions nationales.

Jules Ferry commença par réorganiser le conseil de l'instruction publique, où il ne fut plus question d'admettre des évêques choisis par leurs pairs, mais où l'on jugea suffisant de faire place à quatre membres de l'enseignement libre nommés par l'État. Puis on supprima la collation des grades par les jurys mixtes que la loi du 12 juillet 1875 avait établis.

Jules Ferry se proposa bientôt d'interdire l'enseignement à tous les degrés aux congrégations non autorisées. L'article 7, qui formulait cette interdiction, fut voté à la Chambre,

mais MM. Dufaure et Jules Simon réussirent à le faire repousser par le Sénat (séance du 19 mars 1880). Il faut louer, à ce propos, sans réserves, l'admirable campagne entreprise par des catholiques, chez qui l'éloquence était à la hauteur du dévouement à l'Église, comme MM. Baragnon, Lucien Brun, Depeyre, de Belcastel, de Mun, Chesnelong, etc., pour émouvoir l'opinion en faveur de la liberté des pères de famille.

Cette campagne ne fut point tout à fait vaine. Mais il avait au moins un ordre religieux dont Jules Ferry voulait à tout prix supprimer l'action sur la jeunesse catholique, et par elle sur ce que l'on appelait encore les «< classes dirigeantes », car le plus grand nombre des élèves des Pères - on entend bien qu'il s'agit des Jésuites appartenaient à l'aristocratie. On trouva donc un biais, qui consista à expulser les Jésuites en vertu des lois existantes. Article 1er des trop fameux décrets du 29 mars 1880: « Les Jésuites évacueront leurs maisons dans le délai de trois mois, et leurs établissements d'éducation le 31 août. » Ils ne fermèrent volontairement aucune de leurs résidences, et ce fut la force armée qui, au matin du 30 juin, les jeta à la rue.

L'article 2 des décrets du 29 mars disait : « Les congrégations non autorisées auront à se pourvoir en autorisation dans le délai de trois mois. » Elles préférèrent, et ce fut sans doute une faute, mais très chevaleresque et bien française, faire bloc avec les Jésuites pour une résistance, passive, il est vrai, mais au moins sans compromission.

En conséquence, deux cent soixante et une communautés religieuses furent violemment dispersées. Le clergé séculier, qui avait peut-être à souffrir et, en tout cas, se plaignait de la concurrence parfois trop intéressée que ces communautés lui faisaient auprès des fidèles, ne s'ému pas outre mesure de leur dispersion. Les catholiques des hautes

classes se répandirent en protestations éloquentes, et nombre de magistrats et de fonctionnaires chrétiens, dont les congrégations furent trop promptes à oublier le généreux, et pour plusieurs même l'héroïque sacrifice, démissionnèrent plutôt que d'exécuter les décrets. Mais toute cette agitation demeura, peut-on dire, à la surface du pays. Les religieux de ce temps-là sauf de très nobles exceptions — n'étaient pas assez populaires pour que les sentiments d'indignation provoqués par le viol administratif des cellules monastiques et des cloîtres ébranlassent les couches profondes du suffrage universel. Ces religieux n'avaient peut-être pas fait assez pour le peuple, et ils le connaissaient mal. Le peuple, réciproquement, ne les connaissait pas mieux et ne parut guère disposé à les défendre. Les conservateurs perdirent encore cinquante sièges aux élections du 21 août 1881.

Une loi de cette même année 1881 avait établi l'obligation de l'enseignement primaire. Le 28 mars 1882, Jules Ferry en fait voter une autre qui prescrit la neutralité de cet enseignement dans les écoles de l'État. Voilà donc fondée l'école sans Dieu, et l'on pourrait dire plus exactement : l'école contre Dieu, au moins dans l'intention des plus ardents et des plus qualifiés de ses protagonistes, car, pour n'en citer qu'un, le Manuel d'instruction morale et civique de Paul Bert enseigne nettement que « Dieu est un être qui ne se comprend pas, la religion un préjugé et une superstition que les prêtres exploitent à leur profit, l'athéisme un droit de l'homme, la foi dans le surnaturel incompatible avec le progrès de l'esprit humain ».

L'Index fit, le 15 décembre 1882, à ce Manuel la réclame d'une condamnation en bonne et due forme. Les évêques d'Annecy, Langres, Viviers, Valence, Albi y joignirent leurs anathèmes personnels et se virent, pour ce motif, déférés

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