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(Mercredi 25 décembré 1816.)

(N°. 248.)

Histoire de la Révolution de France, depuis l'ouverture des Etats généraux, en mai 1789, jusqu'en novembre 1799; ouvrage posthume de l'abbé Papon, histo riographie de Provence (1).

S'il est vrai que la ruine d'un Etat soit difficilement la suite nécessaire de la perte d'une seule bataille, à moins que cet Etat ne renferme en lui-même quelque cause de destruction, à plus forte raison le sort d'une monarchie aussi ancienne et aussi fortement constituée que l'étoit la monarchie françoise, n'a-t-il pas dû dépendre de la ligue de quelques factieux, sans nom pour la plupart, sans consistance politique, sans talens recommandables. Un si prodigieux résultat a dû être préparé de loin par un concours concerté de causes et d'efforts. La situation accidentelle dit gouvernement, l'embarras des finances, l'impéritie ou les projets sinistres de quelques dépositaires de l'autorité, l'extrême bonté du Monarque, la méchanceté de ses ennemis ne furent que des moyens secon daires, des causes prochaines. Mais avant cette réu→ nion de circonstances favorables, il en étoit d'autres adroitement ménagées de longue main, et un travail sourd et progressif avoit disposé le foyer de l'incendie, et rassemblé avec soin les matières qui devoient Talimenter et l'étendre, sans quoi il n'eût pas sans doute paru propagé tout à coup avec la rapidité de

(1) 6 vol. in-8°.; prix, 24 fr. et 33 fr. franc de port. Tome X. L'Ami de la Religion et du Ror.

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l'éclair, et n'eût pas couvert en un instant la France de feux et de ruines.

L'abbé Papon, comme tous les historiens de la révolution, a recherché l'origine et les causes de cette grande calamité. Il les trouve dans l'esprit du 18°. siècle, dans les opinions dominantes à cette époque, et dans les changemens qui s'introduisirent alors pour les idées, les habitudes et les mœurs. C'est ce qui fait le sujet d'une Introduction longue et développée, où l'abbé Papon a rassemblé les principaux traits qui caractérisent le dernier siècle, et les a fait ressortir avec assez d'intérêt et de justesse. Cette Introduction mérite d'être lue, et ne pouvant la citer ici en sou entier, nous croyons du moins devoir en présenter une analyse à laquelle nous joindrons quelquefois nos propres aperçus.

Indépendamment des lois qui régissent les peuples, dit l'abbé Papon, il y a un agent secret qui les pousse insensiblement vers un terme, et qui entraîne les gouvernemens lorsqu'ils ont eu l'imprudence de lui laisser prendre un trop grand empire. Cet agent est Topinion, qui se formant et se grossissant des idées nouvelles que répandent ou accréditent l'esprit deé systême ou l'amour du changement, affoiblit les lois, les usages et les institutions anciennes, y attache même une sorte de ridicule, flétrit comme des préjugés les croyances reçues, et croissant dans sa course, comme la Renommée, se répand dans toutes les classes, franchit les obstacles, et devient, quand elle est secondée par des circonstances que le plus souvent elle fait naître, une puissance redoutable et presque irrésistible. Cette puissance naquit vers la fin du règne de Louis XIV, et Bayle peut en être regardé comme

un des principaux auteurs. Ses progrès furent d'abord assez lents, parce que les anciennes maximes avoient encore de la vigueur, et que de fortes habitudes d'ordre et de religion vivoient encore dans les esprits. Ces habitudes et ces maximes durent s'affoiblir sous la régence, soit par le caractère personnel du prince qui gouvernoit l'Etat, soit par les suites d'un systême immoral qui favorisoit l'ambition et la cupidité. La révolution qui se fit alors dans les fortunes devoit en opérer aussi une dans les mœurs, et l'échec que reçut le crédit public fut moins fâcheux que le coup porté à la société et aux principes sur lesquels elle repose.

Le mal s'accrut sous Louis XV par un concours de causes qui tendoient toutes à relâcher les liens religieux et politiques. De grands scandales partis du

trône même eurent une funeste influence sur les mœurs de la cour et de la ville. Des ministres foibles ou insoucians compromirent plus d'une fois l'autorité royale, et des corps entreprenans la bravèrent presque constamment pendant tout ce règne. A leurs menées ambitieuses se joignit une autre ligue plus hardie et bien plus dangereuse; ce fut celle des écrivains qu'on a nommés philosophes, et qui donnèrent à l'opinion une impulsion rapide et puissante. Ils se firent des partisans dans les académies, dans le hautes conditions de la société, et jusque dans les conseils du Prince. Ils se prononçoient avec plus ou moins d'audace contre les institutions et les doctrines antiques, employant tour à tour le doute, le sophisme, le sarcasme, l'ironie et des moyens plus directs encore. Ils profitoient habilement des ridicules, des abus qui se glissent partout, des défauts et des méprises des agens de l'autorité pour attaquer les principes

miêines. Voltaire excella dans cette espèce de guerre. Les plaisanterics, le persifflage et les allusions furent ses armes favorites, et il sut leur donner plus d'efficacité par l'art avec lequel il les manioit. D'Argens, La Mettrie, Helvétius, Diderot, d'Alembert, Rousseau, Raynal accouroient tous au combat avec leur contingent de talens ou d'efforts. Derrière eux, des ehampions moins fameux, soudoyés par un riche baron, lançoient de temps en temps leurs traits contre l'ennemi qu'on vouloit renverser, et étoient toujours sûrs de trouver des coteries officieuses pour les applaudir, et pour vanter leurs coups les plus maladroits et proclamer leurs succès les plus équivoques. Au dehors un souverain, qui avoit eu le malheur de se lier avec eux, les appuyoit de toute l'influence de son nom, et la séduction étoit d'autant plus forte qu'elle partoit d'un trône entouré de trophées.

Cette espèce de croisade, qui n'avoit paru d'abord armée que contre le christianisme, étendit peu à peu son anibition avec ses moyens. La royauté lui parut aussi un abus digne d'exercer son zèle. C'est alors qu'on rêva la souveraineté du peuple, et qu'on invoqua la liberté et l'égalité, au nom desquelles on a débité depuis tant d'inepties et commis tant de crimes. H parut une nuée d'écrits où l'on enveloppoit dans le même anathême les rois et les prêtres. C'étoit le vœu le plus habituel et comme de refrain de la synagogue d'Hol.... c'étoit pour cette société que Diderot, quí n'étoit rien moins que plaisant, avoit fait ces vers:

Et ses mains ourdiroient les entrailles du prêtre
A défaut d'un cordon pour étrangler les rois.

Image gracieuse qu'il avoit insinuée dans l'Histoire

philosophique, publiée sous le nom de Raynal, et qui se retrouve dans le Testament de Meslier, et en équi valent dans le Systéme de la Nature. Des livres sérieux, des pamphlets, des chansons apprenoient à toutes les classes à appeler par leurs voeux les chimères républicaines, et à regarder l'état actuel conime un esclavage honteux.

Tels étoient les égaremens de l'esprit quand la génération présente entra dans le monde, où elle ne trouva qu'un scepticisme affreux, ou qu'une fureur de dogmatiser, plus épouvantable encore. Dans les livres comme dans les sociétés ou élevoit des doutes sur toutes les matières et sur toutes les vérités; de sorte que les jeunes gens perdant au milieu du tourbillon les idées qu'on leur avoit données pour régler leur conduite, n'curent plus rien de fixe, et s'abandonnèrent aux déréglemens de l'imagination, et à tous les caprices de l'esprit de systême. Ils entendoient parler de la nature, et des droits du peuple, et des douceurs de la liberté. Ils étoient dans l'âge des illusious, et se laissèrent enivrer; ils jugèrent dans leur sagesse que la religion étoit le premier des abus, et les plus modérés consentiront à mettre à la place je ne sais quelle religion naturelle, qui avoit cela de commode qu'elle n'avoit point de symbole et très-peu de préceptes, et qu'on ne pouvoit la bien détinir. On réduisoit tout à la morale; mais dans l'application la morale même devenoit incertaine et douteuse, et d'Alembert ne put parvenir à en faire un catéchisme bien précis. En attendant on se débarrassoit de la morale chrétienne, et ainsi il se trouvoit qu'on n'en reconnoissoit pas du tont. C'étoit une espèce d'interrègne assez utile aux fripons.

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