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Ror, et celui qui le pleurera davantage, l'aura le mieux loué ».

Après avoir exposé son plan, ét niontré le caractère du vertueux Monarque, l'orateur reprend ainsi :

<«< Et cependant de quel retour fut-il payé? quel témoignage reçut-il de son peuple, et quel fruit retira-t-il de tant de libérales concessions, de tant de royales solLicitudes? O opprobre éternel du siècle des lumières ! Qui nous expliquera comment tant de bienfaits ne firent que des ingrats, et ne purent jamais désarmer les méchans? comment, après avoir accordé à son peuple la liberté qu'il demandoit, on ne parloit que d'oppression? comment, après avoir détruit dans son empire jusqu'à la moindre trace de servitude, on ne parloit que d'esclavage? comment, après avoir mis tous les actes de son autorité à l'abri de toute surprise, on ne parloit que d'actes arbitraires? comment, après avoir accordé la tolérance aux cultes dissidens, on ne parloit que d'intolérance et de persécution? comment, après avoir favorisé tous les talens et toutes les sciences, on ne parloit que de mépris pour les lumières et d'indifférence pour les talens? Que disons-nous, Messieurs? et quel sera l'étonnement de nos neveux, quand ils sauront que du faîte de ses grandeurs il fut précipité dans une obscure enceinte, dernier reste du superbe héritage de ses aïeux; et que l'on réduisit au dénuement le plus af frenx, celui qui aimoit tant le pauvre, qui avoit adouci le sort des prisonniers, et porté la réforme et la consolation dans tous les asiles du malheur et du crime; que l'on rendit esclave de ses propres sujets, celui qui avoit affranchi jusqu'au dernier de ses sujets; que l'on tyrannisa dans son culte et dans sa conscience, celui qui avoit accordé la liberté des cultes et celle des con-sciences; que l'on vit condamner, contre toutes les lois, celui qui avoit adouci les lois criminelles, et soumis à révision tant de coudamnations précipitées, et tant de

jugemens désavoúés par la justice; qu'on le vit enfini diffamé, persécuté par les mêmes écrivains qu'il avoit tant favorisés, et qui, pour prix des statues qu'il élevoit dans son propre palais aux hommes de génie, minoient son trône sourdeinent, et furent les premiers à procla mer l'insurrection et à forger ses chaînes. Ingratitude monstrueuse, et déloyauté sans exemple dans les annales du monde ! Quoi donc ! et les hommes valent-ils la peine qu'on leur fasse du bien? et seroit-il vrai que le grand art de les gouverner n'est pas peut-être celui de les aimer, mais de les contenir? Ah! loin de nons ces idées désespérantes. Mais que les rois apprennent du moins qu'un peuple devenu impie, est nécessairement un peuple ingrat, qui se dispense d'autant plus aisément de la reconnoissance, que se croyant en droit de de mander compte à ses maîtres de tout le bien qu'ils ne font pas, il se croit aussi, par une suite nécessaire, quitte envers eux de tout le bien qu'ils lui ont fait, comme de tout celui qu'ils peuvent encore lui faire ».

On remarquera sans doute aussi le morceau suivant, où le prélat justifie un Prince méconnu par des hommes indignes de l'apprécier. Ce passage ne fait pas moins d'honneur à la sensibilité du sujet fidèle, qu'au ta→ lent de l'orateur :

<«< Le dirons-nous cependant, Messieurs, c'est cet héroïque esprit de résignation, et d'abandon de sa propre vie pour épargner celle des autres, qui ne fut point apprécié par certains esprits, lesquels n'y voyoient qu'un penchant à la foiblesse, un tribut payé à la crainte, ou tout au plus, que le courage de souffrir, Mais combien grande fut leur erreur! combien injuste leur censure! Et où est donc la force d'ame, si ce n'en est pas une d'aller au-devant de la mort, quand on la juge nécessaire au bonheur de son peuple? Et où sont donc les occasions où Louis ne se soit pas montré supérieur

à toutes les craintes comme à tous les dangers? Qui pourroit oublier ces jours d'ivresse et d'effervescence populaire, où, sans autres armes que sa vertu et sa mâle intrépidité, il fit, seul contre tous, pâlir les factieux, et leur apprit qu'il existe une majesté inaccessible aux coups du sort, et aux atteintes des méchans? Quoi donc ! fut-il foible dans cette nuit de deuil et de carnage, où, assiégé dans son propre palais par des hommes altérés du sang de sa compagne auguste et de ses gardes les plus fidèles, il sut faire avorter, par sa noble assurance et sa stoïque fermeté, tous leurs affreux desseins? Fut-il foible dans cette journée plus désastreuse encore, et où se méditoient de plus grands attentats? et où, parmi les cris de rage et le fracas des bronzes meurtriers, il sut montrer que l'homme de bien qui a une conscience pure, ne tremble jamais (1)? Fut-il foible, quand, traîné dans sa capitale, escorté des furies qui menaçoient ses jours, et à travers les flots amoncelés d'une multitude effrénée, il y parut avec autant de calme et de sérénité que lorsqu'il y venoit dans tout l'éclat de sa grandeur, au milieu des transports de l'amour et des cris de l'allégresse? Ah! ce n'est point au soldat dont la valeur impétueuse affronte les hasards dans le fort du combat et la chaleur de la mêlée, qu'appartient la gloire du vrai courage; c'est à celui qui, toujours maître de lui-même parmi les plus indignes traitemens qu'un mortel ait jamais éprouvés, se montre encore plus intrépide que le crime n'est hardi et auda cieux; voit les poignards des assassins levés sur sa tête, et n'en est point intimidé; et connoissant les desseins homicides de ses ennemis, ne prend contre eux aucune sûreté, parce qu'il est prêt à tout, comme il ne s'étonne de rien. Voilà le brave par excellence; voilà le héros qui est plus fort que celui qui prend des villes; et tel fut Louis, dans ces terribles circonstances, où ja

(1) Paroles de Louis XVI dans la journée du 20 juin.

rhais ni l'homme ni le Roi ne s'oublièrent un instant. Hélas! tant d'héroïsme et de courage sera perdu, et pour lui-même, et pour les autres, et ne sauvera pas plus son peuple de ses malheurs, que son trône de sa ruine: mais il ne sera pas perdu pour sa gloire; il ne le sera pas pour la postérité, qui admirera le Monarque qui sut ainsi s'élever autant au-dessus de lui-même, que ses ennemis descendoient plus bas; qui, par la force de son ame, honoroit l'humanité, dans le temps que l'humanité se dégradoit tant elle-même; qui soutenoit encore la grandeur de la nation dont il étoit le chef, dans le temps que cette nation souilloit toute sa gloire et flétrissoit sa renommée; et qui, toujours, digue du trône et de son noble sang, soutenoit encore à lui seul l'honneur du nom françois, la splendeur de sa race et la gloire de quatorze siècles ».

Enfin, car les bornes de notre feuille nous obligent à nous restreindre malgré nous, nous terminerons ces citations par ce passage, dont le ton est si bien assorti au genre de l'oraison funèbre :

« Accourez donc tous en ce moment, et réunissezvous autour de ce tombeau, ô vous que la douleur et la piété ont appelés à cette triste cérémonie. Hélas! il va disparoître à vos yeux, il va descendre dans ces demeures silencieuses, où nos Rois, pour nous servir des expressions de Job, avoient édifié leurs solitudes, et dont ils ne devoient pas même avoir la triste gloire de jouir. Venez vous enfoncer dans ces royales catacombes où la mort seule règne. Vous n'y trouverez plus tous ces magnifiques cercueils qu'elle avoit entassés, comme pour orner son triomphe; ni tous ces ossemens humiliés qui hier étoient des Rois; ni ces trente générations de Princes et de Monarques qui dormoient dans la tombe: Louis est resté seul de tous ces Rois fameux, l'orgueil de notre France, dont il va aujourd'hui recommencer la suc

'cession. Ni les noms glorieux de vaillans, de pieux et de sages; ni ceux de Père du peuple, de Père des lettres, de Juste, de Grand, de Bien-aimé, n'ont pu les défendre des outrages de l'impiété, qui, plus cruelle et plus vorace que la mort, a dispersé jusqu'à leurs cendres, et dévoré jusqu'à leurs sépulcres: tant Dieu se plaît à abaisser toute grandeur qui n'est point à lui, et toute gloire qui n'est pas la sienne! tant il aime à prouver, par tous ces grands trophées de la mort, qu'il n'y a rien de stable que son trône, rien d'éternel que ses années »>!

Il est inutile de faire remarquer au lecteur la grandeur des images qui brillent dans ce dernier morceau, ni l'énergie de ces pensées: Ces ossemens humilies qui hier étoient des Rois; ni la couleur vraiment funèbre de tout ce passage. Nous n'entreprendrons pas non plus d'analyser le Discours, dont cha cun pourra apprécier le mérite. Nous nous contenterons de remarquer, comme le prélat l'a fait dans son Avertissement, que sa destinée a été de commencer sa carrière oratoire par l'Eloge du vertueux Dauphin, père de Louis XVI (1), et de la finir par l'Eloge de Louis XVI lui-même. Hélas! dit le prélat, il y a près de quarante ans entre les deux Discours, et dans cet intervalle nous avons parcouru des siècles. Ainsi M. l'évêque de Troyes a associé son nom à de grandes catastrophes, et se trouve avoir été choisi, à deux époques éloignées, pour célébrer le deuil de la France, et les vertus de deux Princes ravis à notre amour, J'un par une mort prématurée, l'autre par un horrible. forfait. Seulement il nous permettra de penser que sa carrière n'est point entièrement terminée, et que

(1) Brochure in-8°.; prix, 1 fr. 50 cent. et 2 fr. franc de port. A Paris, au bureau du Journal.

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