Page images
PDF
EPUB

que ligne 55 lettres environ. Nous admettons ce calcul, et nous croyons que même dans cette supposition les éditeurs ne parviendront pas à faire entrer dans leurs 12 volumes la matière des 70 volumes de l'édition de Kehl. En effet, on trouvera, par une supputation fort simple, que 70 volumes, à 450 pages, font 31,500 pages; que ces 31,500 pages, à 31 lignes chaque, font 976,500 lignes, et que ces 976,500 lignes, à 42 lettres par ligne, donnent pour produit 41,013,000 de lettres. L'édition de Kehl contient donc 41,013,000 de lettres. Combien pour ́ront en contenir les douze volumes projetés? Le calcul est plus facile encore: 12 volumes à 1000 pages, feront 12,000 pages, qui, à 50 ligues par page, donneront 600,000 lignes; et ce nombre de lignes multipliés par 55, qui est le nombre des lettres annoncé par Péditeur, offrira pour résultat 33,000,000 de lettres. Cette édition ne contiendra donc que 35,000,000 de lettres, tandis que celle de Beaumarchais en renfermoit plus de 41,000,000. Une différence de huit millions de lettres est, ce semble, assez considérable pour donner de justes raisons de croire que l'éditeur s'est trompé dans son annonce; car quelle apparence qu'il ait voulu nous tromper? Les douze volumes ne suffiront donc pas, et il faudra en ajouter deux ou trois autres, qui augmenteront d'autant le prix, et diminueront les avantages que l'on promettoit de cette édition.

Autre inconvénient. Les éditeurs annoncent qu'ils mettront en deux volumes le Théâtre, qui dans l'édition de Kehl en comprend neuf; je l'accorde. Mais comment peuvent-ils faire tenir dans un seul volume les poésies, qui en font six de l'ancienne édition? Commeut rassembleront-ils dans un seul volumé la partie de l'Histoire générale, qui en comprend sept dans la distribution de Beaumarchais? Comment mettront-ils encore en un seul volume la partie intitulée Littérature, qui dans l'édition de Kelil occupe huit volumes? Est-il possible qu'un des nouveaux volumes équivaille,

taulôt à quatre et demi des anciens, tantôt à huit, et une telle disproportion ne donne-t-elle pas lieu de penser que les éditeurs n'ont pas prévu toutes les difficultés que leur entreprise présentera dans l'exécution? Je ne parle pas de l'épaisseur des volumes, qui les rendra fort lourds et fort peu portatifs. Il me semble que ces observations sur le matériel de l'entreprise, pourroient bien refroidir un peu les amateurs, et inspirer quelque défiance au public, si souvent trompé dans ces sortes d'annonces.

Cette entreprise de MM. Desoër et Fain a mis en goùt un autre libraire, qui s'est hâté de lancer un nouveau Prospectus, où il promet aussi des merveilles. M. Plancher annonce une édition en 35 tomes in-12; celle-là du moins sera portative; mais j'ai peur que ce ne soit son seul mérite. Le papier, qui doit être le même que celui du Prospectus, n'est pas fort, et laisse påroître l'impression de la page opposée; de plus, pour augmenter le nombre des lignes dans chaque page, on a réduit à rien la marge du bas; de manière qu'on ne pourroit faire relier les volumes, ou du moius qu'ils n'auroient aucune grâce. L'éditeur assure d'ailleurs avec cette modestie, gage et garant du succès, que cette édi❤ tion aura une supériorité incontestable sur toutes les autres; et il l'assure, ce qui est presque plaisant, d'après la réputation de l'homme de lettres qui en est charge, et qu'il ne nomme pas. Il annonce en outre que son édition EST enrichie (car il la voit déjà existante, et même terminée) de près d'un demi-volume de pièces inédites, ou inconnues et oubliées par les premiers éditeurs, ou que la censure n'avoit pas permis de publier. Si nous n'étions pas aussi sûrs de ce que dit M. -Plancher, et si nous n'avions une confiance sans bornes dars ses promesses, nous serions tentés de prendre cette annonce pour du chorlatanisme; car nous n'avons jamais 'ouï-dire que la censure eût interdit à Beaumarchais de publier quelque pièce. Son édition prouve au contraire

qu'il avoit joui d'une extrême latitude. M. Plancher ne nous dit point s'il donnera aussi tous les Avertissemens et les Notes des éditeurs précédens; il nous prévient seulement qu'il recueillera soigneusement les moindres croquis échappés à la plume de Voltaire. Ce n'est pas qu'il trouve tout également bon. Une postérité plus sévère, dit-il, choisira entre ces productions si variées; moins délicats ou plus sensibles, livrons-nous à la jouissance de toutes. Non-seulement l'éditeur ne se montre ici pas fort sévère; il n'est même pas conséquent; car c'est une fausse sensibilité de se livrer à la jouissance de ce qui est mauvais, et si la postérité a le droit de choisir entre Jes productions de Voltaire, pourquoi ne ferions-nous pas aussi ce choix dès aujourd'hui? Ce ne seroit pas là une preuve de sévérité, mais de goût, de délicatesse et d'équité. M. Plancher parle de l'ordre moral qui régnera dans son édition; je crains que le bon ordre et la morale n'y trouvent bien des choses à reprendre.

[ocr errors]

En dernier lieu, un troisième libraire, non moins bier intentionnés sans doute que les autres, annonce une édition complète de J. J. Rousseau, à peu près dans le même genre que la première de Voltaire. Elle sera en sept gros volumes in-8°., qui se partageront en deux, suivant les désirs de chacun. Les réflexions que nous avous faites sur les éditions de Voltaire s'appliquent à celle du philosophe, de Genève. Quelle nécessité de reproduire des écrits dont les uns n'apprennent rien, et dont les autres n'apprennent que ce qu'on pourroit fort bien se passer de savoir! Quel profit peut-on retirer, par exemple, da long et fastidieux écrit, intitulé: Rousseau, juge de Jean-Jacques, où l'auteur se traîne sur les détails les plus stériles? Est-il bien avantageux de réimprimer ces Confessions, où le philosophe semble avoir pris à tâche de se déshonorer par des révélations qui en outre n'épargnent personne, et où il maltraite ses amis les plus chers, et même des femmes dont und entr'autres est morte tout récemment? Enfin, ce qui achève

cè.

de rendre inutiles ces éditions complètes, c'est que qu'il y a de plus intéressant dans les écrits qui y entrent, a déjà été bien des fois imprimé à part. N'a-t-on pas déjà trop d'éditions particulières de la Nouvelle Héloïse et de l'Emile? Ne voit-on pas étalés de tous côtés le théâtre de Voltaire, ses poèmes, à commencer par les plus licencieux, ses histoires, ses contes? Le poison ne circule-t-il pas déjà assez, ét faut-il absolument en augmenter la dose, et en assurer l'effet en y mêlant le Dictionnaire philosophique, la Correspondance, les Mélanges, et cet amas de déclamations, de plaisanteries et d'objections reproduites sous toutes les formes? Telles sont donc les obligations que nous allons avoir aux auteurs des trois éditions annoncées. Est-ce chez eux ardeur de zèle philosophique, ou seulement calcul d'’intérêt, ou les deux ensemble? Le résultat est toujours le même, et nous n'avons guère moins à craindre des spéculations de ces marchands avides qui mettroient sans scrupule en danger, pour le plus modique profit, la société, la morale et la religion, que du prosélytisme. de ces écrivains formés à l'école des incrédules du dernier siècle, et qui se croient appelés à suivre leurs projels et à consommer leur ouvrage.

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

POITIERS. La mission qui vient d'être terminée en cette ville est une de celles dont on a le plus de sujets de bénir Dieu. Jamais les instructions des missionnaires n'ont été suivies avec plus de zèle. La cathédrale étoit journellement remplie par huit à dix mille auditeurs, parmi lesquels on comptoit autant d'hommes que de femmes, et on a été obligé de transporter dans cette église la retraite pour les hommes que l'on avoit commencée dans une autre paroisse, qui se trouva, dès le premier jour, beaucoup trop petite. Les membres des

[ocr errors][merged small]

autorités et les personnes notables de la ville ont payé aux classes inférieures la dette de l'exemple. Le jour de la communion générale, on vit à la sainte table tout ce qu'il y a de plus distingué dans cette province pour le rang et la fortune; les soldats y étoient confondus avec leurs chefs, et les citoyens avec leurs magistrats. On n'avoit pu faire la communion générale des hommes et des femmes le même jour, à cause du grand nombre. La première eut lieu le dimanche 5 janvier; plus de deux mille hommes s'étoient mis ce jour-là en état de s'asseoir à la table sainte, et l'on ne comprend pas dans ce nombre les habitans de Saint-Hilaire et de Montierneux, qui communièrent dans leurs paroisses. Mais c'est surtout parmi le peuple que le changement a été le plus sensible. Le nom de l'Ile d'Elbe qu'on avoit donné à un des faubourgs, rappeloit de tristes souvenirs. Le premier jour que le missionnaire prêcha daus l'église de ce quartier, il fut peu suivi; mais bientôt la curiosité, ou des motifs plus purs, attirèrent des auditeurs; on s'empressa autour de la chaire le voile des préjugés tomba à la voix du ministre de Dieu, et le jour ne suffit plus pour entendre les confessions. Ceux qui, faute de lumières, ou par esprit de vertige, avoient le plús donné dans l'erreur, la détestent et l'abjurent; et Dieu et le Roi ne comptent plus que des enfans dévoués et fidèles. La garde nationale a demandé plusieurs fois des instructions particulières, auxquelles elle se rendoit en corps. Toutes les autorités ont assisté à la procession solennelle pour la plantation de la croix. Elle étoit portée par mille hommes, partagés en plusieurs divisions. Tous les officiers supérieurs, plusieurs menbres de la cour royale, plus de quarante chevaliers de Saint-Louis s'étoient fait inscrire pour porter la croix. Cette cérémonie a été aussi édifiante que majestueuse. Ainsi s'est passé, pour nous, ce temps de grâces; Dieu a permis qu'il ne nous fût pas inutile, et nous n'avons vu partir qu'avec autant de reconnoissance que de re

:

« PreviousContinue »