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professionnelle des délinquants; la véritable garantie réside dans la personne des chefs. « Ceux qui s'alarmeront des pouvoirs qu'ils regarderont comme excessifs, donnés aux employés, doivent faire attention que, dans toute prison, il y a une quantité inévitable d'arbitraire, qui est l'auxiliaire ou l'ennemie de la justice, suivant l'intelligence du personnel » (Madame Concepcion Arenal au Congrès de Saint-Pétersbourg)(1).

En somme, les institutions ne valent jamais que ce que valent les hommes qui les font vivre (2). Si les directeurs de prison et leurs auxiliaires, les surveillants généraux, uniquement occupés les uns et les autres de l'amendement du détenu, déchargés par conséquent, des questions d'administration, préparés à ces hautes et délicates fonctions, comme un magistrat peut l'ètre pour les siennes, jouissant de la même indépendance et méritant la même confiance, sont désignés par le législateur pour juger leurs prisonniers et fixer la durée de leurs peines, en quoi y aura-t-il nécessairement plus d'injustice et d'arbitraire qu'à l'audience de nos chambres correctionnelles? La commission de surveillance, même réduite au rôle de commission d'enregistrement, sans droit de veto, sera donc une garantie très suffisante; on y ajoutera si l'on veut, celle qui peut résulter de l'organisation du système, lequel sera plus ou moins indéterminé. De tous les projets imaginés, pour la composition d'une commission de

(1) M. Émile Gautier prétend que le danger d'arbitraire est « beaucoup plus à redouter au prétoire qu'à la geôle ».

(2) Cette question du personnel de l'Administration pénitentiaire mériterait une étude spéciale: M. Kraepelin fait le portrait du directeur idéal. Le problème a été discuté par les hommes les plus compétents et les plus expérimentés au Congrès de Stockholm (p. 178 de l'ouvrage de MM. Desportes et Lefébure).

surveillance, on estimera, sans doute, que la combinaison proposée par M. von Liszt, amendée par M. Alfred Gautier, mélange le plus heureusement les divers éléments.

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Le plus mauvais service qu'on puisse rendre à la sentence indéterminée, c'est de la présenter comme une panacée universelle que la science pénitentiaire doive appliquer indifféremment à toute sa clientèle (1). L'un de ses partisans l'a fort bien aperçu, lorsqu'il a dit que les auteurs qui ne distinguent pas, dans leur étude, diverses catégories de délinquants, afin d'examiner isolément pour chacune d'elles l'opportunité d'un système indéterminé, sont généralement des adversaires du principe (Van Hamel). Toutefois il suffit de réunir les divers projets et l'on découvre qu'il n'est guère de malfaiteurs pour qui la sentence n'ait été proposée. Elle servirait tantôt à la défense sociale contre les incorrigibles, tantôt à l'amendement contre la criminalité moyenne et les occasionnels (2). Mais ce vaste champ d'application se trouve déjà rétréci pour nous, qui n'avons pas reconnu la nécessité d'une indétermination proprement dite à l'égard des incorrigibles et de tous les criminels contre lesquels l'élimination apparaît comme le but approprié de la répression. La séquestration à perpétuité,

(1) M. Léveillé a jugé ce système : « simple comme une idée fausse ». Il a été proposé par des médecins, des aliénistes surtout c'est le régime médico-pénitentiaire.

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(2) M. Uppström, à l'Union, a déclaré admettre ce système à deux fins. S'il s'agissait de confondre tous les détenus dans une même indétermination, pour les amender si possible et les éliminer au besoin, la comparaison de cette institution avec la garde nationale, rapprochement cher à M. Tarde, s'impose.

avec possibilité de libération conditionnelle, peut sauvegarder les intérêts de la société menacée, en laissant à l'espoir si faible d'une amélioration problématique une place encore suffisante. A quoi bon tous ces rouages compliqués, ces dévouements, ces aptitudes, cet outillage dans un domaine où on peut attendre le moins d'effet utile: les récidivistes endurcis? Telle était l'opinion de M. Prins, et nous nous y sommes rallié.

Nous avons admis au contraire l'utilité de la sentence indéterminée, lorsqu'il s'agit d'adapter la peine au but d'amendement. La vertu du système est toute entière dans ce fait que la décision à intervenir serait réservée, pour être prononcée plus justement et plus sûrement, après que l'observation, l'expérience et le succès d'une œuvre de relèvement l'auraient préparée et assurée. L'incertitude de la libération, comme stimulant aux efforts du prisonnier n'est qu'une considération secondaire. Il faut que le jugement à rendre dépende vraiment du résultat de la détention; qu'il y ait un avantage évident à différer la fixation de la peine. Si donc le dosage judiciaire, tout imparfait et superficiel qu'il puisse être, repose sur des données qui ne seront point ou guère complétées par une observation plus approfondie et une enquête prolongée, il n'y a pas lieu de prononcer une sentence vraiment indéterminée. Au contraire, dès qu'on reconnaît à la peine un but précis, qui peut et doit être atteint en prison, par un traitement approprié, au bout d'une certaine durée de temps qu'il est impossible de fixer à priori, cette incertitude réelle sur la durée nécessaire et juste de la peine permet de recommander l'application des sentences indéterminées. Or ce but, nous nous sommes expliqué à ce

sujet, n'est autre que l'amendement; il mérite d'être poursuivi par tous les efforts de l'Administration pénitentiaire; et il y a utilité véritable à renoncer au principe des peines préfixes. Quels sont les délinquants, quelle est la catégorie de délinquants pour lesquels l'amendement est le but nécessaire de la peine? Ce sont ceux qui ont failli parce qu'ils avaient besoin d'amendement et qui retomberont dans le délit et dans la récidive si on ne les soumet à un traitement amendant. L'idéal serait de découvrir un moyen qui permette de distinguer, parmi les condamnés, ceux qui ont besoin d'amendement et qui sont susceptibles d'être amendés. A quoi bon envoyer dans un établissement spécial les professionnels de la récidive? ils ne pourraient que corrompre leurs codétenus; à quoi bon y traiter à grands frais des délinquants d'occasion qui y entreraient tout amendés? pour ceux-là le système pénal actuel n'a rien perdu de sa valeur, si la prison est intimidante et qu'elle ne corrompe pas. Entre les occasionnels et les incorrigibles, les malfaiteurs pour qui la peine amendante semble appropriée, quels sont-ils? Ce sont les futurs récidivistes, poussés au délit, dit M. von Liszt, par des dispositions héréditaires ou acquises, mais non encore perdus sans espoir. C'est dans cette catégorie que se recrutera l'armée des délinquants d'habitude incorrigibles; si on sait les arrêter à leurs débuts, peut-être pourra-t-on les sauver avant la chute irrémédiable.

Mais par quel criterium discerner le futur récidiviste à ses débuts du délinquant occasionnel qui ne récidivera pas? Il n'est pas de signalement anthropologique qui les distingue; pourtant l'un sera condamné à une peine fixe, l'autre remis à l'établissement d'amendement; une erreur dans le diagnostic

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aurait des conséquences regrettables, mais l'absence de tout diagnostic fait sombrer tout le système. Ce n'est pas d'une limite d'âge arbitrairement fixée, ce n'est pas d'une enquête sommaire sur les antécédents, ce n'est pas même des renseignements du casier judiciaire seul qu'on peut attendre quelque lumière et une raison de décider. Le criterium proposé par M. von Lizt (1) paraît autrement précieux, si toutefois sa valeur se vérifie pratiquement. << La statistique criminelle devra étudier ce problème : quels sont en général les délits qui prennent le caractère de délits d'habitude? Mais en se basant sur les résultats actuellement acquis, on peut déjà délimiter avec quelque précision le domaine : c'est parmi les délits contre la propriété et les délits contre les bonnes mœurs, qu'on trouvera la liste des délits d'habitude. Il semble qu'on puisse énumérer les suivants: vol, recel, brigandage, escroquerie, fraude, attentat aux mœurs ». Après leur premier ou leur second délit, s'il s'agit d'un de ceux que nous venons d'énumérer, les malfaiteurs doivent être classés parmi les futurs délinquants d'habitude; il est urgent de recourir à une mesure plus sérieuse qu'une peine fixe même aggravée. La peine indéterminée, ayant comme but et comme terme l'amendement du condamné, s'impose. Elle est légitime, s'il est vrai que le malfaiteur était en voie de se perdre, et que la société n'ait que ce dernier moyen d'éviter un remède plus rigoureux qui serait l'élimination d'un incorrigible. Il ne faut regretter ni le temps, ni les soins, ni l'argent dépensés, puisqu'on veut faire d'un ennemi de la société un citoyen utile et honnête.

(1) Zweckgedanke.

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