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trative. A côté de ces ancêtres de l'idée indéterministe, il serait injuste d'oublier le nom du docteur Despine (1) qui ne s'est pas contenté de déclarer que « la durée de la séquestration ne pouvait être fixée d'avance », mais qui avait échafaudé tout un projet de « traitement moral palliatif et curatif pour criminels et délinquants », dont on serait en droit de se demander s'il n'a pas pu inspirer l'œuvre de M. Brockway. Nous n'avons pas l'intention de pousser plus avant cette recherche de paternité; les pénologues américains garderaient encore cette double supériorité d'avoir donné à l'idée ancienne un nom (2) qui lui faisait apparemment défaut et sous lequel elle vient de faire le tour du monde, et aussi et surtout d'avoir tenté, avec la foi qui nous manque peut-être et pour l'amour de l'humanité, une œuvre grandiose, généreuse et utile.

II.

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Définition des sentences indéterminées.

La sentence indéterminée, c'est «< la condamnation à une détention dont la durée n'est pas absolument déterminée d'avance dans la sentence du juge qui condamne (3); » c'est le prononcé d'une peine dont le terme n'est pas fixé ou pas précisé par le tribunal. Notre législation a connu la peine arbitraire, laissée à l'appréciation du juge, la peine fixe,

ce nom,

de

(1) Psychologie naturelle, Paris, 1868, t. III, p. 387 et suiv. (2) Indeterminate ou indefinite sentences; nous conservons préférence au mot de peines indéterminées adopté par Gautier, ou sentences ultérieurement déterminées, que M. van Hamel acceptait à titre de transac

tion.

(3) M. Van Hamel, dans son rapport à l'Assemblée générale du Congrès de l'Union, à Anvers. Bull., 1895.

strictement mesurée dans la loi pour chaque délit. Dans l'un et dans l'autre système, la peine était déterminée. Elle l'est encore; aujourd'hui, la peine est légale (1), selon un système mixte qui est celui-ci la loi prévoit pour chaque infraction une peine approximative, limitée par un minimum et un maximum; le juge, faisant l'application de la loi, inflige au délinquant une peine précise, consistant en un certain nombre de jours, de mois et d'années de prison. L'Administration pénitentiaire, chargée de l'exécution de la sentence, veille à ce que son détenu soit libéré à l'échéance. Toutefois la durée normale de l'incarcération peut être abrégée par une libération anticipée; il n'est donc plus tout à fait exact de dire que la mesure judiciaire de la peine est définitive et immuable la durée n'en est pas absolument déterminée d'avance. Mais cette réduction est exceptionnelle; dans la grande majorité des cas, le terme de la détention sera celui que le juge avait fixé. Ce qui distinguerait encore essentiellement le régime actuel de tous les systèmes de pénalité indéterminée, c'est que la détermination à posteriori du jour de la libération interviendrait, non pour une réduction de faveur, mais normalement, complément naturel et nécessaire de la sentence judiciaire. Et surtout la peine écrite dans la sentence, au cas où la durée de l'emprisonnement serait ainsi limitée à priori, cette peine ne serait pas une mesure précise, exactement calculée, mais une sorte de maximum provisoire ou définitif, semblable à peu près à la limite extrême prédéterminée par le législateur pour chaque espèce d'infraction. Cette comparaison de la

(1) Garraud, Précis de droit criminel, p. 231.

sentence indéterminée avec le système actuel des peines ne nous fournit point une notion suffisamment précise. Il faut en retenir du moins ce caractère distinctif de toute peine indéterminée que le taux exact et réel de la peine ne tomberait plus des lèvres du juge à l'audience.

L'indétermination, d'ailleurs, a ses degrés, et la sentence peut être plus ou moins indéterminée. On a imaginé et proposé des systèmes variés, inégalement éloignés de notre pratique traditionnelle. Nous aurons l'occasion de les exposer et de les examiner en détail; nous ne voulons ici que les définir brièvement.

La sentence est absolument indéterminée, lorsque le tribunal se borne à prononcer une condamnation qui n'est que la déclaration de la culpabilité du prévenu; cette sentence entraîne la remise du coupable entre les mains d'une autorité compétente pour l'exécution et aussi pour la fixation des peines. Cette autorité décidera librement de la durée et sans doute aussi des modalités de l'emprisonnement auquel le condamné sera soumis. Il s'agit, en somme, d'une peine tout à fait illimitée, qui ne peut être rapprochée que de nos peines perpétuelles, avec cette seule différence, dans la forme, que ni la loi, ni le tribunal n'ont eu à se prononcer sur la durée, et cette autre différence capitale que le prisonnier peut attendre à tout moment sa libération, non point de la grâce ou par une évasion, mais du jugement légalement porté sur son sort par le pouvoir judiciaire ou pénitentiaire dont il dépend. Et cette décision qui viendra interrompre l'exécution de la peine, l'autorité compétente la prendra au moment opportun, qu'elle aura seule choisi, lorsqu'elle jugera utile de fixer la date prochaine de la libération ou même de la

réaliser sans délai, et non point à l'expiration d'une période d'observation ou de traitement limitée à priori. Sous le nom de sentence absolument indéterminée, nous entendrons un système répondant à cette définition.

Tous les projets s'écartant de la formule ainsi précisée et qui présenteraient quelque élément étranger, nous les comprendrons sous le terme de sentences relativement indéterminées. On en a proposé et on peut en imaginer de nombreuses variétés. Mais le régime que nous aurons toujours en vue en parlant d'indétermination relative sera celui où la peine est limitée à priori par la fixation d'un maximum et d'un minimum ou d'un maximum de durée seulement. Ce dernier système, c'est précisément l'« indeterminate sentence» des Reformatories américains; il offre cette particularité que la limite extrême de la détention est déterminée par la loi pour chaque espèce d'infraction. La limitation, au lieu d'être légale, peut être le fait du juge qui, en prononçant la condamnation, ordonnerait que le coupable serait nécessairement libéré au bout de tant d'années d'emprisonnement. Cette méthode se rapproche du procédé actuel pour la mesure des peines, avec l'institution de la libération conditionnelle. Enfin, la peine relativement indéterminée peut être limitée par un maximum légal et par un minimum judiciaire. Ces trois variantes d'un même système offrent ce point commun que, si la date réelle de la libération est incertaine et dépend de la décision ultérieure d'une autorité sans doute pénitentiaire, la durée la plus longue (et peutêtre aussi la plus courte) de l'emprisonnement est d'avance fixée. Ainsi le détenu est assuré de recouvrer sa liberté, dans l'hypothèse la moins favorable, à l'échéance prévue et con

nue de lui. Mais le cas normal et le plus fréquent serait que l'incarcération ne se prolongeât point jusqu'à cette date extrême que le prisonnier ne devrait point considérer et que le tribunal ne lui infligerait non plus comme la mesure de sa peine véritable et effective, aussi peu que le minimum, s'il était précisé, ne pourrait apparaître comme le taux réel. La peine, pour être limitée, n'en est pas moins vraiment indéterminée. Mais c'est une indétermination relative.

Peut-être vaudrait-il mieux ne point appeler du même nom deux autres variétés de sentences. Mais nous avons préféré les faire entrer dans la division des peines relativement indéterminées, pour maintenir une certaine rigidité à la notion d'absolue indétermination. Un système, qui est peu différent en effet de celui que nous avons défini sous ce nom, consisterait à imposer à l'autorité pénitentiaire, maîtresse de la libération, l'obligation de se prononcer sur la continuation ou la discontinuation de l'emprisonnement, à l'expiration d'un délai fixé ou à des intervalles réguliers et déterminés. La durée de la détention serait tout à fait illimitée en fait, mais, dans la forme, la peine semblerait prononcée pour un temps préfixe, la libération pouvant être ultérieurement prorogée. Ou bien, en faisant de cette apparence une réalité, la durée de la peine serait vraiment appréciée, mesurée et prononcée par le tribunal, mais l'Administration aurait la latitude d'abréger ou de prolonger la détention, de reviser et de corriger le premier jugement qui n'aurait plus que la valeur d'une décision provisoire. L'un et l'autre de ces deux derniers procédés maintiendrait, mais plus ou moins réel ou fictif, le droit qui appartient au

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