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juge de limiter dans sa sentence les conséquences de la condamnation; par la forme, ils se rapprochent donc sensiblement de notre méthode traditionnelle; mais au fond ils s'en 'éloignent, et ils y sont bien plus contraires que la sentence, relativement indéterminée, limitée par le maximum, parce qu'il y manque ce qu'il y a d'essentiel dans la peine préfixe : la certitude de la libération à une échéance connue, si lointaine soit-elle. N'est-ce pas précisément ce qui différencie l'indétermination absolue?

Nous avons dit précédemment qu'il y avait des degrés dans l'indétermination; cette proposition est suffisamment justifiée par les exemples que nous venons d'énumérer. Mais si l'on voulait graduer ces différents systèmes et les classer dans l'ordre de leur indétermination croissante, on s'aper cevrait de la nécessité d'une distinction. Il y a deux espèces d'indétermination dans la forme, c'est l'absence plus ou moins complète de toute précision dans l'indication de la peine lors du prononcé du jugement; cette indétermination apparaît clairement dès l'émission de la sentence; et elle peut entraîner déjà quelques inconvénients. Mais l'indétermination, si l'on considère le fond des choses, existe, plus audacieuse et plus grave, dans la durée même de la peine : elle est l'incertitude sur la date de la libération. Elle ne dépend point exactement du contenu de la sentence; elle est complète et absolue, malgré le terme fixé par le juge, si la peine peut être prolongée indéfiniment sur l'initiative de l'autorité pénitentaire. Il n'est pas douteux que cette indétermination aussi emporte des conséquences favorables ou contraires, en dehors des avantages et des inconvénients d'une sentence imprécise. L'apparence seule de l'indétermination

ressort de la condamnation prononcée; mais alors que la peine semble prédéterminée et chiffrée, elle peut être réellement sans limite. Il y a la sentence indéterminée et il y a la peine indéterminée; les divers systèmes proposés les réalisent soit l'une et l'autre soit l'une sans l'autre. Et nous ne pourrons apprécier ces différents procédés qu'après avoir reconnu les bienfaits et les dangers de l'indétermination. Toutefois, il était nécessaire d'avoir préalablement établi et expliqué cette division des sentences absolument et relativement indéterminées, les premières l'étant rigoureusement, les dernières imparfaitement.

III.

Critique des sentences préfixes.

Les partisans de la sentence indéterminée doivent à diverses causes la faveur ou l'intérêt avec lesquels leurs idées ont été accueillies. Tout d'abord la situation assez peu satisfaisante de la criminalité et de la répression et une certaine inquiétude, justifiée, semble-t-il, par les révélations de la statistique (1), créaient un terrain propice où pouvaient germer et se développer des aspirations réformatrices. Elles ne pouvaient que profiter aussi de l'agitation, du trouble et du grand mouvement d'idées apportés et entretenus dans la science pénale par les travaux de l'école italienne. Mais la sentence indéterminée invoque l'insuccès, réel ou prétendu, de nos méthodes répressives, non point pour justifier sa hardiesse, mais pour démontrer sa légitimité, en rattachant l'impuissance de la répression aux vices du mécanisme

(1) Il ne faut pas, a-t-on dit finement, lire les chiffres de la statistique comme la note de son tailleur.

qu'elle prétend remplacer. Les promoteurs de la réforme prononcent la condamnation du système actuel; et, pour la motiver, ils ont recueilli, rassemblé ou imaginé tous les griefs, toutes les accusations, toutes les critiques qu'il est possible de formuler, en un réquisitoire (1) que nous résumerons impartialement.

Nos méthodes de répression sont radicalement vicieuses; notre mécanisme pour la détermination et l'application des peines est défectueux; ils ne réalise ni les intentions du législateur ni les intérêts de la société. Comment fonctionnent les trois rouages qui collaborent à l'œuvre de justice répressive? Le Code, pour chaque espèce de délit qu'il définit, prédétermine la peine entre un minimun et un maximum; appréciant abstraitement la gravité d'un acte et la culpabilité de son auteur, le législateur choisit une certaine quantité équivalente de peines, inscrites au tableau des mesures pénales prévues et organisées par lui. Il se dit apparemment : tel acte présuppose telle perversité et telle perversité mérite telle peine. Quelle méthode, en vérité : juger une infraction sur sa définition et apprécier une peine in abstracto, et en outre établir alors une proportion entre ces deux éléments! « Il faut avouer, dit M. Tarde (2), que rien n'égale la bizarrerie de cette échelle hiérarchique des délits tracée par la loi pour faire pendant à une hiérarchie de peines non moins bizarre et non moins chimérique, les plus hautes souvent étant les plus faibles. On peut se demander si, à cet égard,

(1) Nous avons pris un peu partout, dans les ouvrages en faveur de la sentence indéterminée, les éléments de cette discussion du système pénal, nous contentant de l'adapter aux particularités de nos lois.

(2) Philosophie pénale, p. 494.

il a été fait un progrès de la loi salique à nos codes contemporains ». Lorsque Berlier dit, dans l'exposé des motifs (du titre I, liv. 3) du Code pénal: « on a soigneusement cherché à établir de justes proportions entre les peines et les délits », on ne peut s'empêcher de se demander par quels principes fut réglé ce travail harmonieux autant que chimérique. « On a beau chercher pourquoi, dans certains cas, notre Code pénal a fixé tel maximum d'emprisonnement et d'amende, plutôt que tels ou tels autres, on n'y entrevoit d'autre raison au fond que l'arbitraire du législateur, à 'interpréter ou à compléter par l'arbitraire du juge (1). »

La loi ne semble avoir eu égard, dit Holtzendorff, qu'à « une certaine symétrie de chiffres, ou plutôt, à une esthétique arithmétique de la pénalité, combinée avec des précautions pour éviter le point où le sens commun recevrait l'impression de l'injustice de la peine ».

Sans doute, cette symétrie peut séduire l'esprit, mais ce n'est qu'une construction dans le vide et sans base, car, d'une part, les crimes et les délits, ainsi appréciés sur une définition, sont sans commune mesure entre eux, et les peines, dont on ne vient que de créer les noms, sont des quantités qui ne se ramènent pas non plus à un même dénominateur.

Mais enfin le législateur a bâti, tant bien que mal, les cadres de peines qu'il destine à la série des infractions. C'est au juge (2) qu'il va appartenir de prononcer, dans les limites qui

(1) Tarde, p. 494.

(2) Le rôle du juge dans la mesure des peines est critiqué par les indéterministes avec une sévérité excessive et souvent injuste; c'est en leur nom que nous formulons ce réquisitoire, puisque nous nous sommes borné à résumer leurs développements.

lui sont fixées, limites singulièrement étendues par un système de circonstances atténuantes, pour tel délit telle peine, en précisant ce qui n'était qu'approximatif dans les prescriptions du législateur. Il va pouvoir corriger ce qu'il y avait forcément d'arbitraire, d'artificiel et d'abstrait dans les prévisions du Code. Car il apprécie la gravité du fait et la culpabilité du délinquant d'une manière concrète, sur des données réelles, et il détermine la peine par une mesure exacte, à un jour près. Mais les indéterministes ont entrepris aussi la dis'cussion de ce «< dogme du pouvoir appréciateur du juge (1) ».

A l'audience de la chambre correctionnelle (2), le juge voit le délinquant pour la première, sinon pour la dernière fois. Il le connaît par le dossier médiocrement; les notes de police, recueillies parfois sans discernement et sans preuves, ne méritent et n'obtiennent pas toujours la confiance du ma'gistrat. S'il s'agit d'un récidiviste, son casier judiciaire énoncera la nomenclature toute sèche des peines déjà encourues et subies, avec l'indication du délit, de l'article du Code et des dates de condamnation. Pas une ligne sur la conduite du détenu en prison; aucune observation de l'Administration pénitentiaire. L'interrogatoire et les dépositions donneront des détails sur l'acte délictueux, le lieu et l'heure du délit, les circonstances qui l'ont accompagné. Ainsi éclairé sur la nature de l'infraction, le tribunal composé de bons juristes saura

(1) Alfred Gautier.

(2) A la cour d'assises, l'opération est plus complexe, puisque la cour n'apprécie la culpabilité et ne fixe la peine qu'après un verdict du jury qui lui dicte la condamnation et lui impose la reconnaissance de circonstances aggravantes ou atténuantes! Ces conditions ne rendent pas la mission du juge plus Faisée.

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