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pleinement satisfaite (Kraepelin); qu'importe au juge que cet homme, condamné aujourd'hui pour vol, revienne demain pour effraction, après-demain pour assassinat! » Car tous les jours les choses se passent ainsi; la statistique publie, au grand effroi de l'opinion, l'accroissement de la récidive et le peu de succès de notre politique pénitentiaire. L'objet de l'art pénitentiaire est l'application intelligente de la peine», a dit M. Léveillé; mais que peut l'application d'une peine mesurée à priori, sans nul souci de son efficacité? L'œuvre pénitentiaire est d'avance stérilisée; il semble d'ailleurs qu'elle soit secondaire aux yeux du magistrat répressif. Et pourtant justice répressive et politique pénitentiaire ne sont que « des échelons différents d'une même activité punissante de l'État » (von Liszt). N'est-ce pas l'exécution qui ajoute à la sentence sa valeur et sa signification? n'est ce pas le directeur de la prison qui donne aux menaces vides du Code la vie et la force? C'est lui en vérité qui possède la plénitude du pouvoir législatif et judiciaire! Il ne serait pas excessif sans doute d'accorder à l'application des jugements la même importance qu'à leur prononcé. Sans doute, le but assigné aux prisons n'est plus seulement de recevoir, de garder et de libérer les condamnés. L'organisation du régime cellulaire, la libération conditionnelle, le patronage indiquent un mouvement qui tend à faire collaborer l'Administration à l'œuvre répressive. Mais le peut-elle utilement, si ses efforts et les institutions bienfaisantes dont elle disposerait doivent s'exercer et fonctionner dans ce système pénal qui, par son organisation et par son application, contrarie leur efficacité et condamne son intention? Ce n'est pas elle, c'est le juge qui fixe le terme de l'emprison

nement, limitant d'avance la durée de l'œuvre, entreprise; à la date prévue, le traitement sera arrêté, le détenu sera relâché. Or, malgré les avertissements de la statistique, les. protestations des criminalistes et les avis des ministres, les; juges distribuent, en correctionnelle, les courtes peines,, jusqu'à l'abus. Une étude sur la fréquence relative des espèces de peines prononcées et la durée moyenne de l'emprisonnement pour les divers délits, prouverait que la courte peine est la base même de notre répression. Or, « la courte peine n'est pas stérile, dit M. von Liszt, elle fait plus de mal à l'ordre social que l'impunité complète du délinquant ne pourrait en faire (1) ». Rien de plus corrupteur et de plus saugrenu contre les apprentis du crime, rien de plus vain et de plus stérile contre les délinquants d'habitude. Cette prédilection pour la courte peine, cette répugnance du juge à dépasser le minimum, qui sont justement considérées, comme une cause sérieuse de la progression des récidives, tiennent précisément aux vices de la fixation judiciaire des peines, sont la conséquence logique et naturelle du système. Un juge qui ne sent que trop l'impossibilité de connaître le délinquant et d'apprécier sa culpabilité, qui ignore l'application de ses sentences, qui est sceptique sur l'efficacité du traitement pénitentiaire et ne considère pas l'utilité possible de la peine qu'il prononce, un tel juge sera porté fatalement à ne pas s'écarter de la limite inférieure de son pouvoir et à infliger, dans la grande majorité des cas ordinaires, des peines minimes de quelques semaines ou au plus quelques,

(1) M. von Liszt cite, dans son étude Kriminalpolitische Aufgaben, un grand nombre d'adversaires de la courte peine et leurs opinions énergiquement formulées.

mois d'emprisonnement. Mais que peut faire l'Administration de ce prisonnier qui ne lui est remis que pour une courte station et qu'elle devra relâcher sans qu'il soit intimide ni corrigé? Et alors que la durée de la peine a été même largement appréciée pour une infraction grave et la détention prolongée, le jour de la libération étant arrivé, un malfaiteur encore dangereux, tout prêt à de nouveaux crimes, sera nécessairement relâché. « C'est avec terreur, dit Kraepelin, que le directeur de la prison voit venir le jour où certains individus seront libérés; il sait le danger et ne peut rien empêcher. Le temps est écoulé, le sentiment de justice est satisfait, et on lâche tranquillement la bête féroce sur le public, jusqu'à ce que les efforts de la police réussissent enfin à ramener en prison cet incorrigible qui a fait sa rechute ». N'y a-t-il pas quelque chose de révoltant dans cette impossibilité légale de retenir en prison, à l'expiration de la peine fixée, les sujets les plus redoutables? >> Contre eux notre peine préfixe, même spécialement aggravée, est risible et vaine, comme la pensée de les intimider ou l'espoir de les amender. Les amender? ne savent-ils pas qu'après tant et tant de mois la porte de la prison s'ouvrira de nouveau devant eux et «< qu'ils se dédommageront d'une longue réclusion par de nouvelles vacances d'une vie libre. et brutale» (Kraepelin)? Comment agir sur des caractères de cette trempe, lorsque dès le premier jour le terme de la détention est irrévocablement arrêté; «< celui qui sait avec certitude que, quoi qu'il fasse, il sera libéré à telle heure, tel jour, laissera passer par-dessus sa tête les exhortations et les avertissements comme un ennui inévitable mais passager ». Que si, pour défendre la société contre un danger perma

nent, le législateur veut introduire une peine efficace contre les récidivistes incorrigibles, la pénalité nouvelle sera, dans un système préfixe, nécessairement une relégation perpétuelle. Nous savons déjà comment, à l'audience, l'incorrigibilité se constate et la relégation se prononce; et il s'agit d'une peine perpétuelle. Sans doute « la perpétuité est l'indétermination la plus complète qui soit », mais c'est la pire de toutes, puisqu'elle ne laisse aucune place à l'espoir d'amendement et de libération? Ce n'est qu'en rompant, comme on l'a fait, avec le système des peines préfixes et immuables, qu'on a pu donner quelque élasticité à la relégation. Une peine préfixe et rigoureusement déterminée manquera toujours de la souplesse nécessaire pour s'adapter aux buts de la répression ou du système pénitentiaire.

Pour résumer en peu de mots ces critiques : la peine préfixe, mesurée à l'audience, n'est pas juste; les prévisions du Code sont abstraites et vagues, la mission du juge est impossible, sa sentence gagnerait à être indéterminée. Et la peine, ainsi arrêtée à priori, n'est ni suffisamment protectrice, ni utilisable elle ne le sera que si elle est indéfinie.

Ainsi, la condamnation du système pénal, un peu longuement motivée peut-être, engage à conclure en faveur des sentences indéterminées; elle permettront de réserver la décision sur la durée de l'emprisonnement, pour être prise à posteriori, après une observation et une enquête s'il en est besoin, par une autorité plus compétente et mieux informée pour juger des hommes, et, en laissant au traitement pénitentiaire toute l'efficacité possible, elles assureront enfin plus sûrement la protection sociale.

Suffit-il, en effet, que le juge abdique son pouvoir appré

ciateur et que la détermination soit confiée à une autorité nouvelle, pour que la pénalité puisse poursuivre et réaliser les différents buts qu'on l'accuse de sacrifier aujourd'hui ? Nous ne voulons pas répondre aux critiques formulées par lės indéterministes; mais leur idéal est-il bien clair? Est-il logique de reprocher tout à la fois à la peine préfixe de ne pas réunir la proportion des peines et des délits et de l'accuser ensuite de négliger l'intérêt social? Il y a là deux conceptions distinctes de la répression; nous aurons à examiner quelle est celle des partisans de la réforme et quel but doit atteindre la fixation à posteriori. Nous rechercherons si l'indétermination facilite la tâche de proportionner la peine au délit, ou si au contraire elle veut assurer l'adaptation de la peine à son but.

C'est un problème distinct en réalité de la question même de l'indétermination : la sentence indéterminée est une forme de peine d'abord, et c'est cette forme que nous allons étudier. Après l'avoir appréciée, nous considérerons le procédé répressif adapté aux divers buts de la répression, à la conception traditionnelle et à l'idéal utilitaire de ses partisans. Et nous verrons enfin comment la peine indéterminée peut être pratiquement réalisée.

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